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Une voix dans la foule/Dimanche d’avril

La bibliothèque libre.
Une voix dans la fouleMercure de France (p. 141-143).

DIMANCHE D’AVRIL

À Paul Fort.

Ah ! gai, mon cœur, le beau dimanche,
Et que le ciel est doux à voir !
Les tilles sont en guimpe blanche
Et les garçons en chapeau noir.

On joue aux boules sur la route ;
Les gens ont des rires contents ;
Le village aux vieux toits écoute
S’ouvrir ses portes au printemps.


Le matin fleure la lavande,
Le thym, l’aubépine et l’iris ;
La bruyère embaume la brande ;
On rêve aux parfums de jadis.

Bientôt l’ombre des pêchers roses
Sera bleue au bord des chemins,
Les gas voudront dire des choses
Aux belles qui cachent leurs mains.

On se sent le cœur plein d’alarmes
Quand avril vient avec l’amour.
Avril du rire, avril des larmes,
Pour deuil ou danse, à qui le tour ?

Mais soyons d’humeur plus légère !
Aimer à tort est bien humain.
Laissons nos regrets à naguère,
Donnons nos espoirs à demain.

Ô les lèvres rouges ou roses,
Pourquoi dire à l’amour : attends,
Quand l’âme des premières roses
Flotte au vent tiède du printemps ?


Jeunesse, ô mie, est temps de fête ;
Chante et danse, si tu m’en crois,
Avant d’aller hochant la tête
Et faisant des signes de croix.

Laissons la cloche de l’église
Sonner en vain dans le soleil ;
Le vieux prêtre à la face grise
Nous serait de mauvais conseil.

Il fait doux. On entend les poules
Glousser tout bas, comme en secret.
Il fait chaud. Les joueurs de boules
Sont allés boire au cabaret.

Le ciel attend les hirondelles ;
La terre n’en peut plus d’amour.
Demain l’azur sera plein d’ailes,
La moisson suivra le labour.

Baisons-nous donc à bouche franche,
C’est le plaisir et le devoir.
Ah ! gai, mon cœur, le beau dimanche,
Et que le ciel est doux à voir !