Aller au contenu

Une voix dans la foule/Impression

La bibliothèque libre.
Une voix dans la fouleMercure de France (p. 156-157).

IMPRESSION

À Mlle Béatrice Duval.

C’est au bord d’une mer si douce que l’orange,
Une fois mûre, tombe en ses flots violets
Du haut de la falaise où chanta la vendange.
Et ce matin c’est le printemps aux cris ailés
Qui passe sur les champs, les jardins et la grève
De la ville marine où s’alanguit mon rêve.

Les vieilles, à leur seuil, font bruire leurs fuseaux.
Tout n’est qu’odeurs et sons. Roses de fleurs, les arbres

Parfument la chanson naissante des oiseaux.
On entend des jets d’eau tinter parmi les marbres.
Parfois, laissant sur les lèvres un goût amer,
Un vent déjà trop chaud s’élève de la mer.

À l’ombre, les bambins et les petites filles
Ont des regards aigus sous leurs cheveux bouffants.
Une femme drapée en son châle à résilles
Crie à voix rauque et fait des signes aux enfants.
Des linges blancs, des chiffons bleus, des loques vertes
Papillotent partout aux fenêtres ouvertes.

Et je pense, couché parmi les tamarins,
Que de toi, douce ville où j’aurais voulu naître
Au chant lointain des vignerons et des marins,
Je ne me souviendrai dans l’avenir, peut-être,
Que du frémissement rouge d’un éventail
Dans l’ombre violente et froide d’un portail.