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Une voix dans la foule/Le Beau Pays

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Une voix dans la fouleMercure de France (p. 167-169).

LE BEAU PAYS

À Albert Mockel.

Pays de troupeaux lents, d’eaux vives et d’yeuses,
Me voici qui reviens, meurtri par la cité,
Te demander ta paix douce aux âmes pieuses
Et l’oubli de l’hiver et l’espoir en l’été.

Bientôt j’écouterai les abeilles sauvages
Charmer de leur labeur murmurant et serein,
Tel le bruit de la mer sur de lointains rivages,
L’heure bleue où l’on dort parmi le romarin.


Le clapotis que fait ta rivière fleurie
Entre ses aunes verts qui lui voilent le jour
Surprend mystérieusement ma rêverie
Comme un sanglot de vierge au moment de l’amour.

Dans la vallée heureuse où, le flûtet aux lèvres,
Le pâtre au grand manteau rayé module un air,
J’entends parmi les prés les brebis et les chèvres
Bêler en remuant leurs sonnailles de fer.

La brise sent le thym, la sauge et la lavande.
L’aubépine est éclose au bord blanc des chemins.
Les cueilleuses de fleurs font une ample provende
Dont restent parfumes leurs bras nus et leurs mains.

Tout est si doux qu’on rêve aux premiers jours du monde.
L’air n’est qu’haleine fraîche et légère chaleur.
L’ombre du plein midi sous les arbres est ronde.
On est loin de la ville et des cris du Malheur.

Je voudrais me jeter à genoux dans les herbes
Et, chantant le soleil qui vainc même la mort,
Te dédier aux dieux, terre des lys en gerbes,
Des roses, des iris et des mimosas d’or !


Donnant et reprenant mon âme à toutes choses,
J’adorerai, sans les cueillir, les fleurs d’amour,
Et ce sera, le soir, par leurs corolles closes
Que je m’apercevrai de la fin d’un beau jour.

Je rentrerai, pensif, à la paisible auberge
Par le sentier brumeux qui suit le bord de l’eau.
Écartant les roseaux, je verrai de la berge
La lune se lever sur l’orme et le bouleau.

Mes mains fleureront bon comme cette contrée,
Mes lèvres rediront ses anciennes chansons.
Je comprendrai la foi qu’il faut avoir, sacrée,
En l’œuvre de la vie et des quatre saisons.

Mon retour sera doux comme le printemps même.
À pas secrets j’irai m’étendre, las et fort,
Auprès du corps béni de la femme que j’aime,
Et je m’endormirai sans conjurer la mort.