Une voix du Père-Lachaise/6
LIVRE SIXIÈME
Endroit où se trouvait la demeure de T. R. P. Lachaise, plateau admirable, sol foulé par les petits pieds des belles dames d’alors ; mademoiselle de Montpensier, le beau comte de Lauzun, le marquis de Louvois, le cardinal Mazarin, s’y sont rencontrés de temps en temps. À la place de cet ancien château est une modeste chapelle où l’on dit une messe tous les matins.
Ô toi, chère enfant, qui réunissais tant de qualités et de vertus, qui avais su, par attachement sincère pour tes parents, mériter toute leur tendresse.
Toi à qui il en a tant coûté pour t’absenter de la maison paternelle, pour faire ton éducation dont tu avais si bien profité ; souvent, cher trésor, on te citait pour exemple à tes compagnes ; ta douceur, ta modestie t’avaient attiré l’amitié de tous ceux qui pouvaient t’apprécier.
Chère amie, ta mère qui t’aimait tant reste inconsolable ; tu ne pouvais la quitter un instant, elle n’était heureuse qu’avec toi, elle admirait ta bonté, ta douceur dans tes traits si flatteurs.
Ô chérie ! le bonheur de sa vie est fini.
Sous un médaillon de bronze :
Ce nom me rappelle aussi qu’un jour conduisant une famille, nous rencontrâmes un jardinier qui dit à un vieux monsieur en redingote : « Demandez à ce conducteur qui passe, il pourrait connaître la tombe que vous cherchez. » Il nous approche : « Savez-vous où est la tombe de mademoiselle Grouchy ? — Monsieur, je connais la sépulture de mademoiselle Grouchy, la fille du maréchal. — Je suis le maréchal moi-même. » Etant engagé, je le priai de venir avec nous, ce qu’il fit. Les personnes avec qui j’étais, ayant entendu, me dirent ensuite qu’elles verraient le reste seules. Je conduisis monsieur le maréchal à la tombe de sa fille.
N’ayant pas la clef de sa chapelle, M. le maréchal me pria d’aller chercher son entrepreneur (M. Parisé) ; puis s’assit sur une des marches de l’escalier, au milieu de l’allée, comme un ancien soldat habitué à se reposer à la première place venue.
Homme probe et vertueux, reçois nos hommages,
Ton épouse, tes enfants viendront en ce lieu
Souvent pleurer pour le repos de ton âme,
Pour nous tu vivras toujours. Espère en Dieu.
Repose en paix, ombre chérie,
Toi qui faisais notre bonheur.
En ce fatal moment, tes enfants, ton amie,
Repose en paix, ombre chérie,
Toi qui fus constamment sincère, homme de bien,
Plein de noble désir de voir dans ta patrie
Prospérer à la fois les arts et l’industrie,
Tu fus également généreux citoyen.
Elle reçut du ciel tous les dons en partage.
Esprit, beauté, grandeur, énergie et courage,
Des plus nobles vertus son cœur fut le séjour,
Son aspect inspirait le respect et l’amour.
Bonne sœur, digne épouse, autant que tendre mère,
Son âme ne vivait que de doux sentiments.
Ses amis ont versé des pleurs sur cette pierre,
Jugez de la douleur qu’éprouvent ses enfants !
Cher époux,
Tu me disais à tes derniers moments :
Je n’aurai pas le bonheur d’embrasser notre enfant.
Cet ange si près de naître
N’eut pas le bonheur de te connaître.
Mais aujourd’hui que notre fils est né,
Avec sa mère il vient prier.
Seul charme de nos jours, avec peine élevée,
Notre Jenny faisait notre félicité…
Mon Dieu ! pourquoi si tôt nous l’avoir enlevée
Cette fleur de bonté !
Julie, ma bien-aimée, dans la nuit éternelle
Repose ensevelie ; je soupire pour elle.
Toi qui fus mon idole, le culte de ma vie,
Mon épouse adorée, ma compagne chérie,
Je te cherche partout, t’appelle nuit et jour.
Hélas ! tu ne viens plus répondre à mon amour.
Que de chagrins amers, que de peines cruelles !
Pourrai-je supporter mes douleurs éternelles !
Ange de dévouement, de bonté et d’amour,
Seul sentier, seul bonheur de ma vie !!
Je t’ai perdue pour jamais sans retour.
Comment vivre sans toi, sans toi, ô ma pauvre Julie !
Du haut des cieux où tes vertus te placent.
Bonne mère tant aimée, veille sur tes enfants.
Veille sur ton époux, chère Julie, de grâce,
Et soutiens-moi sur terre dans mes affreux tourments.
Encor jeune au tombeau tu fais couler nos pleurs
En nous laissant en proie à d’horribles douleurs.
Pleurer toujours, pleurer exilé sur la terre,
Attendant que la mort nous réunisse à toi.
Elle seule pourra finir notre misère,
Adieu, chère Julie ! ma pensée est pour toi.
Toi dont le ciel s’empare,
Jaloux de nos beaux jours,
Hélas ! tout nous sépare !
Mais je t’aime toujours.
Sur deux pierres, près l’une de l’autre :
Il fut bon, simple, aimant, aimé de la jeunesse.
De savoir, de gloire, il ornait sa vieillesse ;
Assis au coin du feu.
Et riche des vertus qui couronnent sa vie,
Donne son cœur à tous, son bien à sa patrie,
Et son âme à son Dieu.
Elle avait les vertus qui font la femme austère.
Orgueil de son époux, tendresse, amour de mère,
Âme exempte de fiel.
Un demi-siècle a vu cette union profonde,
Mais Dieu les sépara quelques jours en ce monde
Pour les unir au ciel.
Resté orphelin à l’âge de 18 ans, il sut par son travail élever ses frères et sœurs, les établir et les faire prospérer.
Marié ensuite, chef d’une nombreuse famille, il consacra tous ses instants au bonheur de sa femme, à l’avenir de ses enfants, etc.
Toi que j’aimais plus que la vie,
Toi qui faisais tout mon bonheur,
Pourquoi si tôt m’es-tu ravie !
Ta mort m’a déchiré le cœur.
Mais je le sens, ton âme pure
Survit au sein de l’Éternel,
Aux restes froids de la nature,
Et mon tourment est moins cruel.
Des amis à qui tu fus chère,
De mes enfants seconde mère,
De ton époux soutiens l’espoir.
Adieu, nous irons te revoir.
Au séjour des élus le créateur,
De nos cœurs attristés écoutant la prière,
Lui réserve tout le bonheur
Que sa tendre amitié nous donne sur la terre.
Repose en paix, ma chère bien-aimée !
Ange que Dieu me reprit tendre cœur ;
Repose en paix ; mon âme déchirée
À tous les yeux dérobe sa douleur.
Pourquoi donc, mon ami, nous séparer de toi !
Toi notre seul appui, quelle fatale loi !
Oui, nous lirons souvent tes paroles dernières,
Nous les arroserons de nos larmes amères,
Et Dieu d’en haut qui nous verra,
Toujours pour nous juste sera.
Pour chanter ses louanges
Aux voûtes du ciel bleu,
Dieu nous a pris nos anges.
Pauvres petits enfants, ils aimaient bien le jeu.
Mon Dieu ! s’ils chantent bien, laissez-les jouer un peu.
Une âme séparée
En un jour de douleur,
C’est la tige éplorée
Et ses rameaux en pleurs.
La vie n’a pas de charmes !!!
Hélas ! il faut plier
Devant elle, et des larmes
Nous la font oublier !!!
Au travers du tombeau pendant que je sommeille,
Ton ombre m’apparaît, ton souvenir m’éveille ;
Doux souvenir, hélas ! premier culte du cœur,
Qui te remplacera dans mon âme éplorée ?
Ô mon père chéri, ton image adorée
Deviendra tout pour moi, ma joie et ma douleur.
Toujours honnête, aimable, douce et sage,
De son époux elle fit le bonheur.
Bonté, candeur, brillaient sur son visage
Et dévoilaient les vertus de son cœur.
Adieu ! Thérèse, ô mon amie !
En attendant le bonheur de te voir,
Sous ce gazon, chaque jour, chaque soir,
Mon âme à ton âme est unie.
Nos enfants désolés, une épouse bien tendre
Arroseront de leurs larmes votre respectable cendre.
Puisse chacun de nous à son heure dernière
Comme vous plein d’honneur terminer sa carrière.
Malgré toute l’amitié que j’avais sur la terre,
Pour toi ma pensée, ami que chacun révérait,
Le ciel, sourd à ma voix, me laisse la dernière
Pour pleurer sur ta tombe et gémir à jamais.
Las ! vers toi, mon enfant, je m’approche lentement,
Souvent je m’arrête, souvent je soupire.
Ma voix appelle Amélie, mais toujours vainement.
Alors ton nom chéri sur mes lèvres expire.
Vous nous l’avez donné et vous l’avez repris,
Seigneur, nous respectons votre volonté dure,
Car c’était votre enfant, père de la nature,
Et vous en avez fait un ange au paradis.
Le plus saint des devoirs celui qu’en traits de flamme
La nature a gravé dans le fond de notre âme,
C’est de chérir l’objet qui nous donna le jour.
Qu’il est doux à remplir ce précepte d’amour !
Sur une croix de marbre blanc :
Son esprit, ses talents, sa bonté, tous ses charmes
La firent regretter et verser bien des larmes.
Pauvre enfant, fallait-il quand ton intelligence
Avait fait naître en nous la plus douce espérance,
Que le destin cruel jaloux de notre orgueil
T’arrachât de nos bras pour te mettre au cercueil !
… et moi ne sachant pas les maux de cette vie, je descendis ! mais lorsque j’ai senti ma débile existence abandonnée aux flots qui la font ballotter, j’ai regardé le ciel et j’ai dit en silence : Je veux y retourner.
Ce simple monument fut élevé par sa fille,
Elle prolongea sa vie par des soins assidus !
Celui que nous pleurons retrouve une famille,
Car sa place au ciel est parmi les élus.
Le sort t’a frappé la première.
Le destin l’avait désigné ainsi,
Tu nous laisses, hélas ! douleur amère,
Privé de te revoir… aussi
Du sentier où suivant cette route,
Tôt ou tard nous nous reverrons,
Nos cendres reposeront sans doute,
Près de celle que nous aimons.
Quand la douleur fit place au cruel désespoir,
A regret tu quittas ton épouse chérie !
Ah ! puissions-nous bientôt, et c’est là mon espoir,
Vivre à jamais unis dans la céleste vie !
Hélas ! combien est redoutable
La mort toujours inexorable !
Ces souvenirs, ô cher ami,
Nous conduiront souvent ici.
Tombe la plus ancienne que je connaisse :
O chaste et blanche fleur par l’hiver moissonnée,
Sous la forme d’un ange élève-toi vers Dieu.
La mort en te frappant vierge t’a couronnée,
Prends ton vol vers les cieux, c’est ta patrie, adieu.
Pauvres enfants, la mort inflexible et cruelle
Nous a ravi leurs regards si doux, si caressants,
Ils sont là… prions, Clarisse… on nous appelle !
Erreur, je me trompe… si près de mes enfants.
Chéri par ta douceur, sois heureux, Alexandre,
Ta mère et tes amis ont pleuré sur ta cendre.
Parmi les doux transports d’une amitié sincère,
Nous voyions près de toi s’écouler d’heureux jours,
Mais la cruelle mort en a tranché le cours,
Parents, amis, priez pour notre mère.
Sous les étendards de Marie,
Un chrétien ne saurait périr,
Elle est son guide pendant sa vie,
Son soutien quand il faut mourir.
Pourquoi cette douleur amère ?
Pourquoi des larmes dans nos vœux ?
C’est un enfant de moins sur terre,
C’est un ange de plus aux cieux.
Destin cruel qui nous enleva cet ange,
Dès son aurore elle faisait notre bonheur ;
De notre amour pour elle le temps se venge,
Prompt comme l’éclair, il vint briser nos cœurs.
Le coup qui m’a frappé me glace encor d’effroi.
Adèle ! en te perdant j’ai perdu plus que toi.
Dans l’âge heureux de l’innocence,
Maria fut admise au banquet du Sauveur,
Avant sept ans sonnés, du séjour du bonheur
Elle recevait la belle récompense.
Parents, séchez vos pleurs, vous dit du haut des cieux,
Votre ange couronné d’un disque glorieux.
Hélas ! pourquoi sitôt, ma bien aimée épouse,
Tes jours furent tranchés par la parque jalouse !
O toi, si chaste objet de mes constants amours,
Toi que mon tendre cœur regrettera toujours,
Vois-moi, vois tes enfants n’ayant d’autres charmes,
Qu’à gémir, arroser ta tombe de nos larmes,
Aussi, qui plus que toi possédait des vertus.
Dieu te créa parfaite et pourtant tu n’es plus !
....................
Mais crois qu’en attendant tu nous verras sans cesse
Prier sur ton tombeau, plongés dans la tristesse.
Bientôt, hélas ! bientôt il s’ouvrira pour moi,
Oui, oui, bientôt mon corps gitera près de toi.
Sur une colonne tronquée, de marbre blanc :
Adieu ! bien chère enfant, précieuse richesse,
Qui pour nous valait mieux que l’or et les rubis.
Adieu ! petite fille, ange du paradis,
Adieu !!! nous te pleurons et t’aimerons sans cesse.
Je répandrai mon âme au seuil du sanctuaire,
Seigneur ! dans ton nom seul je mettrai mon espoir.
Mes cris t’éveilleront, et mon humble prière
S’élèvera vers toi comme l’encens du soir.
À ma chaste épouse, à nos enfants chéris,
Louis, Ferdinand, anges du paradis,
Fais, Joséphine, qu’un jour nous soyons réunis,
Ta famille et la mienne et aussi nos amis !