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PRÉFACE AU TRAITE DE LA MARCHE DES ANIMAUX
Le principal mérite du petit traité d’Aristote sur la Marche des Animaux, c’est d’être le premier en date ; il a devancé de deux mille ans la science moderne ; et quoiqu’à son tour, elle l’ait dépassé de beaucoup, c’est de lui qu’elle est sortie. Il est probable que, dans notre XVIe siècle, cette étude serait née spontanément, comme tant d’autres, si le génie grec ne l’avait pas eu créée dès longtemps ; mais l’initiative en appartient exclusivement à l’Antiquité, et cette théorie doit compter parmi
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[modifier]les richesses que nous lui devons. Quatre cents ans avant notre ère, ce fut une idée très-neuve que de prendre pour objet d’un examen scientifique la locomotion des êtres animés, et de détacher ce curieux phénomène du reste de la zoologie. De nos jours, les sciences sont tellement distinctes les unes des autres que rien ne paraît plus simple que leur séparation ; mais à cette époque lointaine, en face de la nature inexplorée, au milieu de tant de recherches ardentes et d’abord très-confuses, il fallait un discernement bien énergique, et une rare pénétration d’esprit, pour tirer toute une science de faits qu’il était facile d’observer isolément, mais que personne, avant Aristote, n’avait songé à réunir en un ensemble systématique. On voyait bien les animaux se mouvoir, selon les lois que la nature leur impose, ici pour marcher sur le sol, là pour voler dans les airs, ailleurs pour ramper, ailleurs encore pour nager, en un mot pour changer de lieu et satisfaire les besoins divers de l’existence ; mais le philosophe a été le seul qui, dans ces faits si variés, découvrit des rapports propres à constituer
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[modifier]méthodiquement une science réelle et générale. Commencée par lui, cette science est très-loin d’être achevée, même de notre temps ; et il faudra bien des labeurs encore, pour expliquer tous les ressorts ingénieux que la nature emploie à mouvoir les êtres auxquels elle a donné la vie.
De tous les phénomènes naturels, le mouvement est celui qui nous frappe le plus ; il est partout dans l’univers, depuis les sphères immenses qui parcourent l’espace sur nos têtes, jusqu’à ces animalcules presque invisibles qui se meuvent aussi ; depuis les organes dont tous les animaux sont composés dans leur intérieur mystérieux, jusqu’aux plantes elles-mêmes, et peut-être jusqu’à un degré encore plus bas qu’elles. Le mouvement est le signe le plus manifeste de la vie, qu’il révèle mieux encore que la sensibilité. Un fait si répandu et si nécessaire, non moins clair qu’étonnant, devait attirer puissamment l’attention d’Aristote ; et en effet, il y a consacré trois de ses ouvrages, parmi ceux qui nous sont parvenus, sans parler de sa psychologie. Le plus considérable des trois est sa Physique, théo-
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[modifier]rie complète du mouvement, où il se montre le précurseur de Descartes, de Newton et de Laplace ; il y approfondit le mouvement dans sa nature et dans son action universelle, avec ses conditions indéfectibles de temps, d’espace et d’infini. Mais outre cette théorie générale, la question l’a occupé à un point de vue plus restreint, dans le traité du Mouvement dans les animaux, et dans le traité plus spécial encore, qui nous intéresse ici particulièrement. Ces trois ouvrages, la Physique, le traité du Mouvement dans les animaux, et le traité de la Marche des animaux, forment entre eux, et avec le traité de l’Ame, un tout indissoluble, où l’on trouve la pensée du philosophe sur cet inépuisable sujet, que l’homme étudiera sans cesse, et dont il ne se rassasiera jamais, sentant en lui-même le mouvement, tout aussi bien qu’il le voit dans tout ce qui entoure et domine sa personne fragile et merveilleuse.
Une brève analyse nous apprendra ce qu’est le traité de la Marche des Animaux, ce qu’il vaut, et aussi quelles en sont les bien pardonnables lacunes.
Aristote débute ici, comme dans ses ou-
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[modifier]vrages les meilleurs, par l’exposé de la méthode qu’il veut suivre, et il énumère les questions qu’il va discuter. Il se propose donc de comparer, dans tout le règne animal, les organes de la locomotion et les appareils que la nature a su y adapter, avec autant de variété que de justesse. Avant tout, l’auteur observera exactement les faits ; et il n’essaiera d’en découvrir les causes qu’en fondant ses théories sur des observations nombreuses et bien faites. Les explications qu’on pourra donner seront éclairées et guidées par ce principe supérieur, à savoir que la nature ne fait jamais rien en vain, et qu’elle fait toujours le mieux possible. En scrutant ses œuvres, on peut être assuré de découvrir le but qu’elle poursuit, et les moyens infaillibles dont elle se sert pour l’atteindre.
Le mouvement ne peut avoir lieu que dans six directions, qui se répartissent en trois séries de deux termes chacune : le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. Dans ces directions, le corps se meut soit en totalité, soit partiellement. Par exemple, les saltigrades déplacent leur corps tout entier,
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[modifier]dans le saut qui leur est naturel et pour lequel ils sont faits ; chez la plupart des autres animaux, le mouvement n’est d’ordinaire que partiel et successif. Mais de quelque manière que le mouvement se produise, il faut toujours qu’il y ait en dehors de l’animal, ou dans l’animal lui-même, un point d’appui qui permette et facilite le jeu des appareils dont il est pourvu.
La vie étant aussi dans les végétaux, quoiqu’elle y soit à un degré moindre, il faut remarquer que le haut et le bas sont dans les plantes à l’inverse de ce qu’ils sont dans les êtres animés. Le haut véritable de la plante, c’est sa racine ; le bas véritable, c’est sa tige, quoique le témoignage de nos yeux semble nous dire le contraire. Mais comme dans l’animal le haut est la partie dans laquelle est reçue la nourriture qui se distribue à tout l’organisme, et comme c’est par la racine que les plantes se nourrissent, c’est pour cette cause que, chez elles, la racine doit être regardée comme le haut, quoiqu’elle paraisse être le bas. C’est la fonction, et non la position, qui fait la différence. Dans l’animal, le devant et le derrière sont déterminés par la situation
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[modifier]des sens, et spécialement par la situation de la vue, chargée de le conduire. La droite et la gauche se distinguent en ceci que la partie qui a l’initiative habituelle du mouvement est prise pour la droite, et que la partie opposée à celle-là est prise pour la gauche. La troisième série, celle du devant et du derrière, est en quelque sorte mutilée, en ce que les animaux marchent naturellement devant eux, et qu’aucun ne marche en arrière, si ce n’est par un mouvement contre nature. Il y a cependant certaines classes d’animaux inférieurs, telles que les mollusques et les crustacés turbinés, où il est malaisé de distinguer le derrière et le devant, ou la droite et la gauche, soit par leur conformation, soit par leurs allures.
C’est dans l’homme que toutes ces différences sont le mieux marquées, parce qu’il est le plus complet des êtres, et que le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche, sont chez lui le plus nettement caractérisés. La station droite n’appartient guère qu’à l’homme ; il est essentiellement bipède, et sa position verticale concorde avec celle de l’uni-
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[modifier]vers lui-même. L’oiseau a bien cette espèce de station ; mais en lui elle est moins régulière ; et pour pouvoir se tenir debout, il a reçu une ossature du bassin toute spéciale, fort différente du bassin de l’homme. D’ailleurs, les ailes sont pour l’oiseau ce que les bras et les mains sont pour nous.
Comme c’est la droite qui commence le mouvement, on peut dire qu’elle est plus importante que la gauche, de même que le haut est plus important que le bas, et le devant, plus important que le derrière.
Entre les deux termes de chaque série, il y a des rapports qu’il est assez difficile de bien définir. Le principe qui produit le mouvement à droite est le même qui produit le mouvement à gauche ; rien ne sépare distinctement l’une de ces directions de la direction contraire, et il est évident qu’il n’y a pas là de discontinuité. On en peut dire autant du haut et du bas, du devant et du derrière. Il y a donc entre chacun des deux termes un terrain commun où ils se rencontrent et se confondent. Ce point, c’est le principe moteur que l’animal porte en lui-même, et qui décide la locomo-
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[modifier]tion dans un sens ou dans l’autre, selon le besoin ou la volonté. Le principe moteur est immobile ; car il faut toujours un point d’inertie pour que le mouvement soit possible dans une des directions.
Les animaux qui ont du sang ont quatre appareils de locomotion, et ils ne peuvent en avoir davantage. Mais les animaux dépourvus de sang peuvent en avoir un plus grand nombre. Une autre différence entre ces deux genres d’animaux, c’est que ceux qui ont du sang cessent de se mouvoir et de vivre quand on les coupe en deux, tandis que les exsangues peuvent vivre et se mouvoir longtemps après qu’on les a coupés. On dirait que ceux-là sont composés de plusieurs animaux réunis, ayant chacun une vie à part. Les serpents et certains poissons qui n’ont pas de nageoires, par exemple les murènes, remplacent les quatre appareils qui leur manquent par les flexions de leur corps allongé, tantôt convexes, tantôt concaves, à droite et à gauche, en haut et en bas. Là encore, on peut retrouver les quatre appareils, bien que sous une autre forme. Les pieds de l’animal sont toujours en nom-
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[modifier]bre pair, quel qu’en soit le nombre. Avec quatre pieds, il a une station très-solide ; mais on ne pourrait pas concevoir qu’il pût marcher avec trois ; et en réalité, la nature n’offre pas une seule combinaison de cette espèce. Les scolopendres polypodes auxquels on a retranché quelques pieds peuvent marcher, il est vrai, avec un nombre impair de pieds ; mais c’est seulement en suppléant à ceux qu’on leur a retranchés par ceux qui leur restent ; et la loi de parité n’en est pas moins applicable à ces animaux comme à tous les autres.
Le mouvement, quelles qu’en soient la direction et la nature, n’est possible qu’à la condition d’une flexion. Dans la progression, le membre qui s’avance, tandis que l’autre devenu perpendiculaire soutient le corps, doit nécessairement s’infléchir avant de toucher le sol, et avant de devenir droit à son tour, pour fournir successivement au corps l’appui qui lui est indispensable. La flexion du membre est tantôt convexe comme celle du genou, et tantôt concave comme celle des bras. Si le membre ne s’infléchissait pas, la marche serait caduque, et l’animal ne ferait que tomber.
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En même temps que le membre avance, la tête s’abaisse, en se projetant pour contribuer à transporter le poids du corps sur la jambe qui va le recevoir. La flexion nécessaire au mouvement est évidente également dans la reptation des serpents, dans les ondulations des chenilles, dans les battements des ailes des oiseaux, dans les battements des nageoires des poissons, qui sont tantôt droites et tantôt recourbées. Enfin, c’est par la flexion de la queue et du corps que les poissons plats, même quand ils sont dépourvus de nageoires, progressent dans le liquide, qu’ils couvrent de leur largeur exceptionnelle.
Le mouvement des volatiles est plus compliqué ; les pattes sont nécessaires aux oiseaux pour voler, de même que les ailes le leur sont pour marcher. Ces corrélations indirectes semblent du premier coup d’œil assez étranges ; mais il en est pour les oiseaux comme pour l’homme, qui ne saurait marcher sans le mouvement alternatif de ses épaules, si ce n’est de ses bras. Chez l’oiseau, la queue, appendue au croupion, dirige le vol, à la façon dont le gouvernail dirige le navire. Les volatiles à ailes
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[modifier]pleines, comme les coléoptères, qui n’ont pas de plumes à leurs croupions, non plus qu’aux ailes, volent mal, et s’abattent lourdement, comme un vaisseau désemparé. Voilà aussi pourquoi les oiseaux qui volent peu, comme le paon, le coq, les gallinacés, ne sauraient diriger leur vol en ligne droite. Les oiseaux de grand vol, hérons et flamands, étendent, en volant, leurs pattes en arrière, pour suppléer à leur queue, qui ne les dirige point. Chez les oiseaux de proie, pour qui la rapidité du déplacement est une condition d’existence, tout est calculé dans cette vue. Leur tête est petite ; leur col est mince. Leur thorax, très-charnu, est puissant et taillé comme la proue d’un navire, afin qu’ils puissent d’autant mieux fendre l’air ; les parties postérieures de leur corps sont à la fois plus légères et plus rétrécies, pour ne ralentir en quoi que ce soit leur vélocité.
Si la partie haute du corps des oiseaux était plus lourde, ils ne pourraient se tenir debout, pas plus que les enfants, qui, avant de marcher tout droits, se traînent d’abord sur le sol, en s’appuyant sur leurs quatre membres. Mais, comme, plus tard, c’est la partie infé-
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[modifier]rieure du corps qui, chez les enfants, se développe davantage, ils peuvent se redresser, et ils finissent par marcher comme il convient à la race humaine. Si les oiseaux ne sont pas conformés pour avoir jamais une station aussi droite que la nôtre, notre conformation nous rendrait leurs ailes bien inutiles ; aussi la nature ne nous en a-t-elle pas donné, bien que parfois les peintres se permettent d’en attribuer aux Amours qu’ils représentent dans leurs tableaux.
En comparant les flexions telles qu’elles sont dans l’homme, non plus aux flexions de l’oiseau, mais à celles du quadrupède vivipare, on voit qu’elles s’accomplissent en sens contraires. Chez l’homme, les flexions des bras, c’est-à-dire des membres antérieurs, se font en creux ; et celles des membres postérieurs, en cercle. Dans les quadrupèdes, c’est tout l’opposé ; les membres de devant s’infléchissent en rond, et les membres postérieurs s’infléchissent en creux. Ici encore, il faut admirer la sagesse de la nature. Si les quadrupèdes fléchissaient leurs pattes de devant en forme concave, au lieu de la forme convexe, ils ne
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[modifier]les élèveraient pas suffisamment au-dessus du sol, et ils ne marcheraient pas à l’aise ; et de même, si leurs pattes de derrière s’infléchissaient en cercle, elles gêneraient la marche sous leur ventre ; et ils auraient en outre beaucoup plus de peine pour allaiter leurs petits.
D’ailleurs, les flexions ne peuvent avoir lieu que de quatre manières : ou les membres de devant et de derrière pourraient être fléchis dans un seul et même sens, soit convexes, soit concaves, ou fléchis à l’opposé les uns des autres, les uns étant concaves, tandis que les autres seraient convexes. De ces quatre combinaisons possibles, la nature n’en admet que deux, les autres n’étant pas commodes pour l’animal. Dans un seul et même membre, les flexions se contrarient, afin de rendre le mouvement plus facile et plus harmonieux. Ainsi, la cuisse fléchit en creux sur la hanche ; le genou fléchit en rond sur la cuisse, et le pied fléchit en creux sur le tibia ; enfin, les doigts fléchissent en rond sur le pied. Tout devient ainsi plus souple et plus stable.
Dans la marche des quadrupèdes, le mouvement a lieu en diagonale, le pied gauche de
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[modifier]derrière se levant en même temps que le pied droit de devant ; et le pied droit de derrière, en même temps que le pied gauche antérieur. Si les deux membres de devant se lèvent à la fois, ce n’est plus une allure de marche, c’est un saut véritable, qui, exigeant un très grand effort, ne peut avoir que très-peu de durée, ainsi qu’on le voit pour les chevaux de course. Si, dans la marche ordinaire, les deux pieds de devant partaient ensemble, l’animal risquerait de tomber à chaque pas. L’animal peut marcher encore en mettant simultanément en mouvement les deux membres d’un même côté ; mais alors l’allure est moins naturelle et moins solide. L’allure la plus ferme et la plus facile est l’allure en diagonale, qui assure constamment des appuis aux deux parties, droite et gauche, du corps en mouvement. Quoique la marche par diagonale soit de règle, il y a des animaux qui, comme les crabes, marchent obliquement, au lieu de marcher droit devant eux. Cependant les crabes mêmes ne font exception qu’à moitié ; car la nature a eu soin de placer leurs yeux obliquement aussi, de sorte que, grâce à cette particularité,
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[modifier]on peut dire que les crabes marchent en ligne droite comme tous les autres animaux.
L’organisation des oiseaux n’est peut-être pas aussi loin de celle des quadrupèdes qu’on pourrait le croire. Les ailes, qui, chez eux, remplacent les membres de devant, se replient dans le même sens que les membres antérieurs des quadrupèdes. La plus grande différence, c’est la position de la cuisse, qui, chez l’oiseau, est avancée bien davantage sous le ventre, afin de soutenir le corps, qui ne peut jamais être aussi droit que celui de l’homme. Les ailes sont placées sur les côtés, comme les nageoires le sont en général chez les poissons ; car c’est par cette disposition que les nageoires et les ailes peuvent être le plus utiles, les unes et les autres, pour fendre l’air ou le liquide. C’est dans une intention pareille que les quadrupèdes ovipares, crocodiles, stellions, émydes, tortues, lézards, ont les pattes tournées de côté, afin de pouvoir entrer plus facilement dans les trous où ils vivent, et pour que l’incubation des œufs leur soit plus aisée.
On peut voir encore une intention du même genre dans la conformation des polypodes,
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[modifier]c’est-à-dire des animaux qui ont plus de quatre pieds ; leurs pieds antérieurs, qui dirigent le mouvement, sont droits ; ceux de derrière, qui ne font que suivre la direction des premiers, sont obliques et légèrement cagneux. La locomotion des langoustes et celle des crabes mériteraient une étude spéciale. Dans les oiseaux palmipèdes, les pieds, armés de leurs membranes, sont des nageoires ; les pattes sont courtes, parce qu’elles perdent ce que les pieds gagnent ; et elles sont placées en arrière, afin que la propulsion soit plus efficace.
La raison comprend très-bien pourquoi les oiseaux nageurs ont des pieds, et pourquoi les poissons n’en ont pas. Les oiseaux nageurs, tout en nageant fréquemment, doivent pouvoir marcher sur le sol, tandis que les poissons ne doivent vivre que dans le liquide. Ils ne respirent pas l’air, comme les oiseaux ; c’est l’eau qu’ils respirent ; leurs nageoires et leur queue correspondent aux ailes et aux pieds des volatiles, et en font l’office très-suffisamment.
On pourrait pousser plus loin ces rapprochements entre les diverses classes d’animaux ;
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[modifier]mais sur les êtres inférieurs, comme les crustacés par exemple, l’observation est très-difficile, et l’on ne sait guère s’ils ont du mouvement ou s’ils n’en ont pas. Tenons-nous en donc aux études précédentes, qui nous apprennent ce qu’est la locomotion chez les animaux supérieurs, et qui préparent naturellement d’autres études dont l’âme peut être l’objet.
Voilà le traité de la Marche des animaux résumé dans ses traits essentiels. L’histoire ultérieure de la science nous montrera que ce traité est incomplet à bien des égards ; mais, pour en porter un jugement équitable, il faut ne jamais perdre de vue que c’est Aristote qui a frayé le chemin ; et qu’il a fait, du premier coup, un pas si gigantesque et si sûr que, pendant des milliers d’années, on n’a rien ajouté à ce qu’il avait dit. Quand l’esprit humain est revenu à la science méthodique et à l’observation de la nature, il n’a pu que continuer la route que le philosophe avait ouverte. On a bien tardé à l’y suivre ; et pour la question de la locomotion animale, l’interruption a été beaucoup plus grande encore que pour
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[modifier]l’Histoire des Animaux, ou pour le traité des Parties. Entre Aristote et Fabrice d’Acquapendente, au XVIIe siècle, il n’y a rien absolument ; car on ne peut pas compter pour quelque chose des commentaires, d’ailleurs fort rares, qui ne sont que des répétitions, et qui ne procurent à la science aucun progrès sensible, pas même un progrès de style et d’exposition.
Fabrice, élève et successeur de Fallope, a été professeur éminent d’anatomie pendant cinquante ans, à l’université de Padoue ; il meurt en 1619, et son ouvrage sur la locomotion des animaux ne paraît qu’un an avant sa mort. C’est le fruit d’un long et célèbre enseignement, dont il fait concevoir une haute idée. Voilà bien la science telle que la Grèce l’a entendue et pratiquée, observatrice avant tout, patiente autant que régulière, recueillant les faits et ne cherchant à en expliquer la cause qu’après les avoir constatés, passionnée pour les œuvres de la nature et croyant à sa sagesse, qui est la sagesse même de Dieu. Fabrice, en s’adressant à ses élèves, ne leur cache point ce qu’il doit à Aristote ; et il se plaît à leur
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[modifier]rappeler que, depuis le philosophe, personne ne s’est occupé de ce beau sujet, « Doctrina pulcherrima et utilissima, neque ab alio quam ab unico Aristotele exculta. » Il a étudié très-attentivement les deux traités aristotéliques sur le Mouvement et la Marche des animaux ; et il croit répondre à la pensée de l’un et de l’autre en intitulant le sien : « De motu locali animalium secundum totum. » Par là, Fabrice indique qu’il veut ne s’occuper que du mouvement où l’animal se déplace tout entier ; et il exclut les mouvements qui se passent intérieurement, comme ceux du cœur, du poumon, du sang et de toutes les sécrétions, des muscles, des nerfs, etc. Aristote avait aperçu cette distinction ; mais il ne l’avait pas faite avec autant de précision.
Fabrice étudie d’abord le mouvement de progression dans l’homme, et il s’aide de tous les secours que lui offre une anatomie déjà fort avancée par ses prédécesseurs et par lui-même ; il décrit les mouvements de la cuisse, du genou, de la jambe, des pieds et des doigts, faisant une part à chaque membre dans l’action totale du déplacement. De la marche de
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[modifier]l’homme, il passe à celle des volatiles, et à celle des quadrupèdes. (De gressu pennatorum, de gressu quadrupedum.) Enfin, il s’arrête assez longuement au vol des oiseaux et à l’action des ailes, et il termine par l’explication de la natation chez les poissons, et de la reptation chez les serpents. C’est, comme on le voit, toute la pensée aristotélique, avec plus d’ordre et avec des connaissances plus étendues, en anatomie et en physiologie. Fabrice les complète encore par des opuscules particuliers sur l’organisation, les fonctions et l’utilité des muscles, sur les articulations des os, sur la respiration, et sur les mouvements du cœur et des intestins. Ces travaux font grand honneur à l’université de Padoue, et ils n’ont été possibles qu’à la condition de tout ce que cette illustre école avait antérieurement accompli, en formant des anatomistes tels que Vésale, Fallope et tant d’autres.
Soixante ans après Fabrice, vers la fin du XVIIe siècle, Borelli et Claude Perrault reprennent la question de la locomotion animale, en la traitant par des méthodes fort différentes. Borelli (1608-1679), né à Naples, professeur
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[modifier]d’anatomie à Pise et à Florence, était mathématicien plus encore que médecin et physiologiste. Editeur d’Euclide et d’Apollonius de Perge, astronome, météorologiste, il est, avec son élève, Bellini de Florence, le chef de la doctrine iatro-mathématique, qui n’a guère plus servi la médecine que les mathématiques elles-mêmes. Son ouvrage « De motu animalium » est dédié à Christine de Suède, et il n’a paru qu’un an après sa mort. Dans une préface dédicatoire, Borelli se montre d’une grande piété, et il admire l’œuvre de Dieu dans les êtres animés plus vivement encore que dans le reste de la nature. Il sent toutes les difficultés du sujet qu’il aborde, et il ne se les dissimule pas : « Aggredior arduam physiologiam de motibus animalium. » C’est par les mathématiques et la géométrie qu’il se promet de résoudre ces problèmes. Docile au conseil et à la pratique d’Aristote, il divise son ouvrage en deux parties : l’une consacrée à la pure exposition des faits ; l’autre, à l’explication des causes. Il étudie donc en premier lieu les mouvements externes, la marche chez les bipèdes et les quadrupèdes (gressus,
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[modifier]incessus) ; la natation et le vol ; puis, les mouvements de la main, des jambes et de la tête. Arrivant aux mouvements internes, il les décrit pour les viscères, pour le cœur, les artères, les veines, les muscles, les os, pour la circulation du sang et celle des humeurs. A toutes ces descriptions, qui attestent beaucoup de science anatomique, il joint des figures géométriques, et des planches nombreuses. Après de savantes définitions, à la façon des mathématiciens, il avance des propositions ; il en tire des scholies, pour arriver à des conclusions, qu’il regarde comme démontrées et définitives.
Dans la seconde et dernière partie, où il essaie de remonter aux causes, il applique les mêmes procédés pour rendre compte des mouvements intérieurs du sang, du cœur, de la respiration, des reins, du foie, des nerfs, de la transpiration insensible, de la nutrition, de la faim, de la soif, de la fatigue, des convulsions, du tremblement et du frisson que cause la fièvre. Toutes ces recherches témoignent de beaucoup de science et d’application. Cet ouvrage a fait la renommée de Borelli ; et c’est
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[modifier]à peu près le seul que l’on connaisse aujourd’hui. On peut toujours le consulter ; mais on devrait se garder de le prendre pour modèle.
Il a fait abus des mathématiques dans une question qui est surtout physiologique ; il a considéré les êtres animés à peu près comme des machines, non pas dans leur nature essentielle, mais dans leurs actes. Il est certain que les lois les plus profondes de la mécanique sont employées par la nature à faire mouvoir les animaux ; et les relations des muscles et des os, par exemple, sont celles des leviers et des points d’appui. La raison de l’homme n’a rien inventé dans cette partie de la géométrie qui ne se trouve déjà dans la locomotion animale. Mais dans l’organisation vivante, il y a bien autre chose encore que des lignes, et des angles. Tout y est concret, et mêlé au principe même de la vie, dont les abstractions mathématiques ne peuvent pas rendre compte. Il faut être très-sobre de ces considérations en physiologie, où elles ne doivent tenir qu’une place secondaire. On a dès longtemps banni de la science ce procédé, qui était fort en faveur au temps où Borelli écrivait ; et si main-
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[modifier]tenant on parle encore quelquefois de la théorie des leviers en histoire naturelle, on s’y arrête peu, et l’on a raison de laisser à la mécanique rationnelle des développements que la physiologie et l’anatomie ne comportent pas.
Claude Perrault (1613-1688) n’a pas commis la même faute ; il est cependant géomètre et architecte, et architecte qui construit là colonnade du Louvre. Il intitule son ouvrage : « De la méchanique des animaux » (1680) ; mais il se garde bien de faire de la géométrie ; c’est uniquement de physiologie et d’anatomie qu’il s’occupe (tome II, 3e volume de l’édition de Leide, in-4°, 1721). L’ouvrage est divisé en trois parties : la première traite des organes des sens ; la seconde, des organes du mouvement ; et la dernière, des organes de la nutrition, aboutissant à la génération. Perrault présente d’abord quelques considérations générales ; et pour éviter l’équivoque que pourrait causer le titre de son ouvrage, il déclare qu’il ne regarde pas les animaux comme de pures machines ; il avertit ses lecteurs qu’il entend par Animal un être doué
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[modifier]de sentiment, et capable d’exercer les fonctions de la vie par un principe que l’on appelle Ame ; cette âme conduit toutes les pièces de la machine animale, comme l’organiste conduit l’orgue qu’il touche. Nous voilà loin de Borelli et des mathématiques.
Selon Claude Perrault, « le mouvement a été donné à l’animal pour rechercher ou fuir ce qu’il a connu par les sens lui être propre ou contraire, » Il distingue dans l’animal deux sortes de mouvement : l’un qui est obscur, comme celui de la sensation et de la digestion ; l’autre qui est manifeste, comme celui de la progression, ou à l’intérieur, celui de la respiration, de la voix et de la circulation. Les organes du mouvement sont les fibres des muscles, dont raccourcissement, qui est assez difficile à expliquer, met les membres et les articulations en jeu. Les muscles sont en général fixés sur les os ; mais dans quelques animaux, comme les écrevisses, les muscles sont situés en dedans des parties dures, qui font tout ensemble fonction d’os et de peau.
La progression est très-diverse selon les
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[modifier]espèces, depuis l’huître qui n’a de locomotion que celle qui lui est imprimée par les vagues, depuis le traînement des limaçons, le rampement des serpents, la traction des polypes et des seiches, jusqu’au marcher des animaux terrestres, dont les pieds et les ongles sont appropriés à une foule d’usages, jusqu’au vol des oiseaux, dont les ailes sont une des merveilles les plus étonnantes de la nature, et enfin, jusqu’au nager des poissons, « qui a beaucoup de rapport au voler des oiseaux ».
Les organes de la progression servent en outre à l’animal pour sa défense ou pour l’attaque, tout aussi bien que les dents et les cornes. Les mouvements des parties qui produisent la voix ne sont pas moins variés ; la voix diffère dans les animaux en ce qu’elle est articulée plus ou moins complètement. Tantôt elle est simple et uniforme, comme chez les serpents, les lions, les tigres, les hiboux, les roitelets. Le chant des oiseaux, même le plus agréable, est peu articulé ; il n’y a que l’homme qui jouisse d’une voix capable de produire une variation de tons et d’accents presque infinie. Mais cette perfection elle-même tient
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[modifier]beaucoup moins aux organes qu’à l’intelligence dont l’homme a été doué ; car il y a des animaux qui, comme le singe, ont tous les organes de la parole, y compris la luette, et qui cependant ne parlent point.
C’est le cerveau qui est le premier principe du mouvement ; il est divisé en trois parties principales : le cerveau proprement dit, le cervelet, et la moelle de l’épine. Il a ses artères, ses veines et ses vaisseaux excrétoires. Selon les espèces, le nombre de ses ventricules et de ses anfractuosités varie beaucoup. Il est très petit chez la plupart des poissons et chez le crocodile ; il est également peu développé en général chez les oiseaux. Le cerveau des poissons est encore moins fort que celui des oiseaux, bien que leur corps soit plus gros proportionnellement.
Telles sont à peu près les théories de Claude Perrault sur le mouvement animal ; elles ne sont pas absolument originales ; mais elles sont fondées sur des recherches anatomiques fort étendues, où Perrault se faisait aider par ses amis, qu’il guidait. On a peut-être exagéré la valeur de ces théories en plaçant Claude
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Perrault à côté de Cuvier, ainsi que Font fait des physiologistes contemporains. Sa part n’est pas aussi grande ; et si l’on se souvient des travaux antérieurs de Borelli, de Fabrice et d’Aristote, les siens perdent un peu de leur prix, bien qu’ils restent toujours fort louables. Claude Perrault est trop instruit pour ne pas connaître les ouvrages physiologiques d’Aristote ; il cite même le philosophe une ou deux fois ; mais il ne semble pas accorder au père de la science toute l’estime qui lui est due. D’ailleurs, il admire autant qu’Aristote les œuvres de la nature ; et pieux comme il l’est, il se trouve en parfait accord avec le païen qui l’avait précédé de si loin dans cet hommage de la raison, qui est aussi l’hommage de la foi.
Buffon, qui n’est pas moins spiritualiste que Perrault, n’a pas consacré une étude spéciale au mouvement, bien qu’il ait fait un « Discours sur la nature des animaux ». Il établit une distinction profonde entre les fonctions qui agissent perpétuellement dans l’animal, comme celles du cœur et du poumon, et les fonctions intermittentes, comme celles du mouvement, suspendues ou excitées par le sommeil
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[modifier]et la veille. La cause du mouvement est le désir, qui, dans l’animal, le pousse à son insu, mais dont l’homme a conscience, grâce au privilège de la double nature qui lui a été accordée (Homo Duplex). L’animal est une machine, qui obéit à l’impression des objets extérieurs.
Buffon s’en tient à ces généralités, qui sont surtout de la psychologie. Elles ne regardent pas très-directement l’histoire naturelle ; mais on peut y trouver une sorte de protestation contre le sensualisme qui a régné dans le XVIIIe siècle, et qui refusait à l’âme toute activité. On dirait que Buffon commence déjà la réaction qui, de notre temps, a fait justice de cette erreur dangereuse.
A la fin du siècle, Barthez, le célèbre professeur de Montpellier, reprend la question telle que l’avaient posée Perrault, Borelli et Fabrice, après Aristote. Son ouvrage est intitulé : « Nouvelle méchanique des mouvements de l’homme et des animaux » (Carcassonne, 1798, in-4°). En sa qualité de vitaliste, Barthez considère le principe vital comme le premier moteur des organes ; et dans un discours préliminaire, il essaie de résumer sa
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[modifier]théorie personnelle sur ce principe essentiel, qui est « en dehors de toute matière », sur ses forces et ses fonctions. Selon Barthez, les lois du principe vital dépendent de la nature universelle et sont absolument étrangères aux lois connues de la mécanique, de l’hydraulique, de la physique et de la chimie. Mais Barthez se hâte d’ajouter « que ces lois ne sont pas moins étrangères aux facultés de liberté et de prévoyance, qu’on regarde généralement comme étant caractéristiques de l’âme pensante. » Par une contradiction assez singulière, il reconnaît que les organes des animaux et de l’homme sont admirablement conformés, et que les affections de l’âme ont une certaine influence sur les affections du corps ; puis, dans une phrase obscure et peu correcte, il déclare que ce qu’il importe » surtout de connaître le plus possible dans » l’homme vivant, c’est « Etre sympathique, » qui, obéissant à ses lois primordiales, fait se correspondre entre elles, et les forces qui vivifient toutes les parties de son corps et les facultés de son âme pensante. » C’est presque de l’Harmonie préétablie.
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Cette théorie, que Barthez appelle un dogme, et qu’il croit généralement admise sur son autorité, ne doit pas nous retenir ; et il vaut mieux passer avec lui à la considération « des causes prochaines et méchaniques » des mouvements qu’il se propose de découvrir. Ce sujet lui semble entièrement neuf, même après le fameux ouvrage de Borelli, qu’il critique vivement, en y trouvant d’ailleurs des vues de détail ingénieuses. Il critique également tous ceux qui ont écrit sur cette matière, ou ont exprimé une opinion sur les causes du mouvement, Gassendi, Descartes, Willis, Mayow, Parent, Haller même ; et il rappelle que les erreurs mathématiques de Borelli ont été réfutées par un grand nombre de mathématiciens, à la tête desquels il nomme Varignon. Barthez en conclut que toutes les explications données jusqu’à lui sont vaines et vagues ; et il se flatte que ses théories personnelles sont les véritables.
Aussi, tient-il à constater comment il les a conçues. Il nous apprend donc que Chirac, le médecin de Louis XV, avait fondé deux chaires à l’école de Montpellier : l’une d’anatomie
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[modifier]comparée ; l’autre, pour l’explication de l’ouvrage de Borelli. Ce dernier cours avait été négligé ; et Barthez, chancelier de l’Université de médecine, avait cru devoir réparer ce regrettable oubli, en se chargeant lui-même de commenter les idées de Borelli. De là, le livre qu’il se décide à publier, « malgré des circonstances défavorables et le dérangement de sa santé ».
L’ouvrage se divise en six parties, où l’auteur traite successivement de la station chez l’homme, le singe et l’oiseau, des diverses espèces de saut, des mouvements progressifs de l’homme, des mouvements progressifs des quadrupèdes, du ramper des chenilles et des serpents, du nager des poissons, sans oublier le nager des quadrupèdes et de l’homme ; et enfin, dans la sixième et dernière partie, du vol des oiseaux, en s’arrêtant assez longuement, comme l’avait fait Aristote, au vol très-singulier de l’autruche. Dans toutes ces études, Barthez montre de grandes connaissances d’anatomie et de physiologie ; il a en outre une érudition étendue, et il cite souvent ses prédécesseurs, pour les réfuter, sans toujours
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[modifier]les bien comprendre, parce qu’il est trop épris de ses propres pensées. Ses prétentions excessives ne sont pas justifiées ; et il n’a pas résolu définitivement tous les problèmes, comme il l’espérait. Néanmoins, il a le mérite d’avoir poussé de minutieuses recherches plus loin que personne avant lui ; et il a fait voir, par les détails dans lesquels il est entré, que la mécanique des animaux est beaucoup plus compliquée qu’on ne le croit ordinairement, et qu’il y avait là matière aux analyses les plus prolongées et les plus ardues. Si Barthez n’a pas clos la question, il l’a certainement agrandie par l’exemple de théories subtiles et d’aperçus profonds. La forme sous laquelle il les présente n’est pas très-heureuse ; et le style, sans être mauvais précisément, laisse néanmoins beaucoup à désirer. Ce défaut est encore augmenté par l’étrange ponctuation que l’auteur s’est faite, contre toutes les règles de la logique. Ce n’est pas du reste la seule bizarrerie qu’on puisse signaler en lui ; et c’est ainsi qu’il croit que l’homme peut être quadrupède, en dépit de toutes les preuves contraires que nous fournit l’anatomie (page 2).
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Barthez conclut tout son travail en revenant à sa théorie favorite du vitalisme, et en déclarant « que les facultés automatiques, que » le principe de vie exerce dans des organes qui lui sont inconnus, opèrent d’une manière si transcendante que l’intelligence humaine ne peut parvenir qu’à en voir quelques effets, dont elle doit renoncer à découvrir les causes premières. » La conclusion est modeste ; mais elle peut sembler assez timide, après les démonstrations d’Aristote sur les causes finales, et après l’adhésion unanime des plus grands esprits qui ont agité ces questions.
Cuvier, qui se range parmi les partisans les plus décidés des causes finales, n’avait à dire sur le mouvement que très-peu de choses dans son Règne animal, qui est surtout une classification. Même dans son admirable ouvrage d’Anatomie comparée, il ne devait étudier que la forme des organes du mouvement, sans presque s’occuper du jeu de ces organes employés par la vie. Il y a consacré un volume sur cinq, et sept de ses précieuses leçons. Après des généralités sur les rapports de la
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[modifier]sensibilité et du mouvement, facultés caractéristiques de l’être animé, et sur le rôle des nerfs et des muscles, il décrit un à un tous les instruments de la locomotion, la fibre musculaire, les os, ou les parties dures qui en tiennent lieu, la jonction des os, les tendons et l’action des muscles. Dans cette vue, il montre successivement ce que sont les os et les muscles du tronc, ceux de l’extrémité antérieure ou membre pectoral, ceux de l’extrémité postérieure ou membre abdominal. Il analyse ainsi en détail les organes dans l’homme, les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons, c’est-à-dire dans les vertébrés. Il applique la même méthode aux animaux sans vertèbres, mollusques, céphalopodes, gastéropodes ou acéphales, crustacés, insectes, vers et zoophytes ; et il termine cette magistrale exposition par l’étude des organes locomoteurs considérés en action : station sur un ou plusieurs pieds, marche sur deux pieds ou quatre pieds, action de saisir et de grimper, saut et course, natation et vol. A propos du vol, les dernières observations de Cuvier, comme celles d’Aristote, portent
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[modifier]sur des oiseaux qui ne volent point du tout, tels que l’autruche parmi les terrestres, le pingouin et le manchot parmi les aquatiques, et sur les mammifères, tels que la chauve-souris, qui volent assez bien sans avoir de plumes. Enfin, il dit quelques mots sur d’autres mammifères qui peuvent se soutenir dans l’air, sans y fournir un vol continu, non plus que les poissons volants.
Tel est l’ensemble des travaux de Cuvier sur le mouvement ; ils sont considérables ; et aucun naturaliste n’en a fait dans le même cadre de plus exacts ni de plus minutieux. Mais c’est à l’anatomie uniquement qu’il s’est attaché ; et il a laissé presque entièrement de côté la physiologie. Peut-être y serait-il revenu plus tard, s’il lui eût été donné de fournir une plus longue carrière ; mais la physiologie, avec les obscurités inévitables que la vie présente toujours même aux observateurs les plus sagaces, convenait moins que l’anatomie au génie de Cuvier ; et il n’a point tenté, après tant d’autres, d’expliquer le mécanisme du mouvement, dans toutes ses nuances si délicates et encore si obscures.
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Il semble que, pendant tout un demi-siècle après Cuvier, la question ait été négligée ; du moins, elle n’a pas été étudiée spécialement ; mais de nos jours, elle a été reprise avec une ardeur qui promet les plus heureuses conséquences. On pourrait citer d’abord le grand et complet ouvrage de M. Henri Milne-Edwards, l’illustre doyen des naturalistes français : Leçons sur la physiologie et l’anatomie comparée de l’homme et des animaux (1857-1881), tomes XI, XII et XIII, sur les fonctions de relation ; le traité de Physiologie comparée de M. G. Colin, 1871, livre III, des Mouvements, pp. 340-522 ; et les ouvrages spéciaux de M. J. Bell-Pettigrew, la Locomotion chez les animaux, 1874 ; et de M. Marey, la Machine animale, 1882.
Les recherches de M. Pettigrew sont, à notre avis, les plus originales de toutes. Il s’est posé la question sous le point de vue le plus général et le plus vrai ; il l’a discutée avec une perspicacité rare ; et il a porté plus loin que personne les observations qui peuvent conduire à la résoudre dans toute son étendue. Ces observations, commencées par
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[modifier]lui depuis plus de vingt ans, ont été poursuivies sans relâche. Les trois mouvements qu’il s’agit d’expliquer étant la marche sur le sol, la natation dans l’eau, et le vol dans l’air, c’est surtout au vol que l’auteur s’est attaché, pour deux raisons : d’abord, le vol est le plus beau de tous les mouvements dont la nature a doué les animaux ; c’est la poésie du mouvement, dit M. Pettigrew, par une expression aussi juste que brillante ; en second lieu, malgré les investigations les plus attentives, on ne sait toujours sur le vol que peu de choses ; et le mécanisme des ailes de l’oiseau reste à bien des égards un mystère que la science n’a pas pénétré. L’albatros, ce prince de la tribu ailée, comme l’appelle M. Pettigrew, vole non seulement avec une rapidité extraordinaire ; mais il plane quelquefois à des hauteurs prodigieuses, ses immenses ailes demeurant étendues et sans mouvement, pendant des heures entières. L’aile des moindres oisillons décrit, avec une vélocité presque insaisissable, une série de courbes géminées, dont on n’a pas pu jusqu’à présent se bien rendre compte. L’oiseau ne fait pas plus d’efforts que le qua-
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[modifier]drupède qui marche sur terre, ou le poisson qui fend les eaux ; c’est le milieu seul qui est différent, ainsi que les surfaces motrices. La locomotion animale est soumise aux mêmes lois que le mouvement des corps en général ; et M. Pettigrew indique les lois principales du mouvement, sans d’ailleurs accorder plus de place qu’il ne faut aux théories mathématiques, dont Borelli a fait abus. Il est, comme Aristote, comme Buffon, un admirateur passionné de la nature, « qui ne travaille jamais contre elle-même » ; et le squelette osseux est, à ses yeux, un miracle de composition. Mais les os, quelque bien agencés qu’ils soient, ont moins d’importance que les muscles, puisqu’il y a des animaux qui se meuvent sans avoir de squelette.
Après ces généralités, où la largeur des vues n’ôte rien à une savante exactitude, l’auteur consacre trois livres successifs à détailler la progression sur terre, la progression sur l’eau et dans l’eau, et la progression dans l’air. En parlant des quadrupèdes et des bipèdes, M. Pettigrew s’arrête particulièrement à l’homme et au cheval, dont les allures ré-
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[modifier]sument en quelque sorte celles de tous les autres animaux qui marchent sur terre. Il donne aussi beaucoup d’attention à la marche de l’autruche, qui avait déjà frappé vivement Aristote, ainsi qu’on l’a vu, parce que cette marche est une sorte d’intermédiaire entre le mouvement des quadrupèdes et le mouvement des oiseaux, moitié l’un, moitié l’autre.
Les surfaces motrices sont beaucoup plus grandes chez les poissons que chez les quadrupèdes, attendu que le milieu ambiant est beaucoup plus dense. La queue du poisson est bien un gouvernail, comme Aristote l’avait dit le premier ; et elle sert à la progression plus encore que les nageoires, contrairement à ce que croyait Borelli. Sans parler de tant d’autres animaux aquatiques, la baleine, le marsouin, le lamantin, le dugong, le phoque, l’ours marin, le morse, la tortue, le triton, le crocodile, ont chacun des appareils de queues, ou semblables ou analogues. Le résultat final est le même, « parce que la nature n’est jamais en faute » ; mais les moyens qu’elle emploie et les formes qu’elle adopte varient à l’infini.
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Ce qu’elle a fait de plus parfait, entre tant de merveilles, c’est la progression dans l’air, « où elle n’a rien laissé au hasard, non plus que dans le reste des êtres vivants ». L’aile est un levier de troisième genre, c’est-à-dire que la puissance agit entre le point d’appui et la résistance ; l’air est le point d’appui ; la puissance est l’origine de l’aile ; et la résistance est le corps de l’oiseau. De tous les naturalistes, c’est peut-être M. Pettigrew qui a expliqué avec le plus de détails et de précision les phases diverses de cette action puissante, qu’on admire de plus en plus à mesure qu’on la comprend mieux. Monter, descendre, tourner, avancer en ligne droite, l’oiseau accomplit tous ces actes avec une facilité dont rien n’approche ; et le poids de son corps, qui est fort lourd relativement à l’air où il se meut, est un des éléments nécessaires de sa rapidité. Mais c’est dans l’ouvrage même de l’auteur qu’il faut suivre pas à pas cette analyse, qui n’a peut-être pas encore épuisé tout le sujet, mais qui fait voir du moins, dans les procédés de la nature, des profondeurs jusque-là trop peu aperçues.
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M. Pettigrew conclut en recommandant aux aéronautes d’imiter, s’ils le peuvent, le vol de l’oiseau et de ne pas chercher, pour s’élever dans l’air, une matière qui ait moins de poids que l’air lui-même. La nature a résolu ce problème par un moyen absolument opposé, puisque le corps de l’oiseau est d’un poids considérable relativement au milieu qu’il parcourt si aisément. C’est aux aéronautes de profiter de ce conseil, s’il leur semble acceptable ; il est tout au moins spécieux ; et l’histoire naturelle peut bien l’adresser aux gens pratiques. Mais, quoi qu’il en soit de cet épisode, M. Pettigrew aura fait faire de très-sérieux progrès à la science de la locomotion ; et la voie qu’il a ouverte, notamment sur le vol de l’oiseau, est celle que la science doit désormais adopter, en usant des ressources toutes nouvelles que lui peut offrir la photographie instantanée, pour fixer des mouvements qui échappent aux regards de l’observateur le plus exercé.
Ici doit s’arrêter la carrière que nous avions à parcourir ; et après avoir essayé de rendre justice aux successeurs d’Aristote, c’est
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[modifier]toujours à lui que nous croyons devoir rapporter le principal honneur de la science ; c’est lui qui l’a créée ; sans son génie elle serait peut-être encore à naître. Il n’a pas tout fait sans doute à lui seul ; mais en regardant à ce qui reste à faire dans ce champ indéfini, nous pouvons être équitables envers un passé à qui nous devons tant, et nous montrer reconnaissants par modestie.
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DISSERTATION SUR L’AUTHENTICITE ET LA COMPOSITION DU TRAITÉ DE LA MARCHE DES ANIMAUX
Il faut se garder de confondre, comme on l’a fait quelquefois, le Traité de la Marche des Animaux avec le Traité du Mouvement dans les Animaux. Ce dernier traité fait partie des Opuscules, joints ordinairement au Traité de l’Ame, dont ils sont la suite, et qu’ils complètent à bien des égards. (Voir les Opuscules psychologiques, p. 237 de ma traduction.) Quoique les deux traités, du Mouvement et de la Marche, se tiennent de fort près et qu’ils aient des théories communes, il importe de les distinguer, en ce que le premier s’occupe du principe du mouvement, volontaire ou involontaire, dans toute sa généralité, l’étudiant dans l’univers aussi bien que dans les êtres animés, tandis que le second s’occupe exclusivement des organes et des modes particuliers que le mouvement présente à notre observation dans les diverses séries d’animaux.
Le Traité de la Marche, qu’on pourrait intituler aussi de la Locomotion des Animaux, n’est mentionné, ni dans
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[modifier]le catalogue de Diogène Laërce, non plus que le Traité des Parties, ni dans celui d’Hésychius ; il ne se trouve que dans le catalogue de l’Arabe ; et le titre en est traduit, dans le latin de Casiri, par ces mots, qui correspondent à l’idée de la locomotion : « De motibus animalis localibus. » (Voir l’édition de Berlin, tome V, p. 1471, n° 45 ; et M. Chaignet, Psychologie d’Aristote, p. 98.) Malgré cet oubli des deux principaux catalogues, l’authenticité de l’étude sur la Marche, ou Locomotion, des Animaux, quelque imparfaite que soit la composition, ne peut être douteuse. Partout la pensée d’Aristote y est reconnaissable dans les théories, si ce n’est dans le style qui les exprime. Cette preuve doit suffire à qui la comprend bien, en dépit de quelques défauts de rédaction ; mais à cette preuve-là, qui est déjà frappante, on peut en ajouter d’autres, qu’il ne faut non plus négliger.
D’abord, le Traité de la Marche est très clairement indiqué, sans l’être nommément, dans le Traité du Mouvement dans les Animaux, qui débute en résumant, de la manière la plus exacte, le Traité de la Marche. Il marque la différence des sujets dans l’un et dans l’autre, celui-ci très spécial, et celui-là, tout général. Il n’y a pas à s’y tromper ; et, bien que le nom même du Traité de la Marche ne soit pas rappelé dans ce passage, le doute n’est pas possible. C’est ainsi que nous devons en juger aujourd’hui à la simple lecture, et qu’en jugeaient les commentateurs dans l’Antiquité, tels que Michel d’Ephèse. (Voir les Opuscules psychologiques, p. 238 de ma traduction, et la note.)
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A cette première indication tirée d’un ouvrage aristotélique, on doit en joindre deux autres, qui se trouvent dans le Traité des Parties des Animaux, liv. IV, ch. II, § 14, et ch. XIII, § 6. Le premier de ces deux passages rappelle la théorie des jointures et des flexions ; le second rappelle l’organisation des serpents, qui se meuvent par la reptation. Ces deux références sont d’une parfaite exactitude.
Quant aux citations que fait le Traité même de la Marche des Animaux, elles ne sont également que deux. La première, ch. I, § 6, nomme l’Histoire de la Nature ; et sous cette appellation, qui est peut-être unique dans toutes les œuvres d’Aristote, il faut entendre l’Histoire des Animaux, caractérisée si précisément qu’il n’y a pas à s’y tromper un instant. La seconde citation concerne le Traité de l’Ame, et elle termine le petit Traité de la Marche, ch. XIX, § 3, en annonçant les études psychologiques, dont il est en quelque sorte l’introduction et comme le préambule.
Voilà tout ce qu’on peut dire de l’authenticité du Traité de la Marche des Animaux. Ces renseignements sont très-courts ; mais ils suffisent, du moment qu’on peut affirmer, comme on doit le faire, que ce petit ouvrage est, pour le fond, sinon pour la forme, digne d’Aristote. C’est ce qu’on a essayé d’établir plus haut, en le comparant aux travaux qui, depuis deux siècles et particulièrement de notre temps, ont été consacrés à la même question, c’est-à-dire à la locomotion animale, marche, vol, natation, reptation, etc., dans toutes leurs nuances.
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Aristote, par la vue profonde du génie, a devancé de deux mille ans tous les labeurs anciens ou contemporains. Le sien est la première base de tout ce qui a suivi ; et il doit toujours tenir une place éminente, non pas seulement dans l’histoire de la science, mais en outre dans la science elle-même, quelques progrès qu’elle ait faits et quelque juste orgueil qu’elle puisse en concevoir. Tout avances que nous sommes, il n’est pas un zoologiste qui ne doive consulter Aristote, et savoir ce que l’étude de la nature a pu lui inspirer. Ce respect pour un ancêtre et pour le fondateur est en même temps un acte de prudence. Dans les annales de l’intelligence humaine, il n’y a pas un esprit plus puissant, plus fécond, plus étendu, plus observateur, ni plus méthodique. A quelle école meilleure pourrait-on se mettre, quand on aime la vérité et qu’on ne recherche qu’elle ?
Enfin, si la doctrine du petit Traité de la Marche des Animaux n’était pas d’Aristote, il resterait toujours à savoir de qui elle pourrait être ; et, de même que pour le Traité des Parties, il faut dire encore pour celui-ci qu’Aristote seul était capable de le faire et que la gloire doit exclusivement lui en rester. C’est une preuve négative, dira-t-on ; soit, mais elle n’est pas moins péremptoire.
Cette appréciation équitable n’empêche pas de reconnaître que, si la pensée est bien d’Aristote et ne peut être que de lui, la rédaction laisse beaucoup à désirer ; il y a des répétitions assez nombreuses et inutiles ; il y a des négligences d’expressions, qui ne permettent pas toujours de bien saisir l’idée qu’elles rendent incomplètement ;
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[modifier]enfin, on peut trouver dans la composition générale un désordre parfois choquant. Pour expliquer ces défauts, on peut recourir à deux hypothèses. L’une, c’est qu’Aristote n’a pas pu mettre la dernière main à ce petit ouvrage ; l’autre, que ce n’est pas lui personnellement, mais un de ses élèves, qui l’aura écrit, comme résumé des leçons du maître. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, le fond des pensées appartient bien à Aristote ; et c’est à cette conclusion qu’il convient de s’arrêter.