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Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, tome 1 1819

Traduction François Guizot 1819

[…] D’un autre côté, la lâcheté et la désobéissance ne pouvaient échapper aux plus sévères châtimens. Les centurions avaient le droit de frapper les coupables, et les généraux de les punir de mort. Les troupes élevées dans la discipline romaine avaient pour maxime invariable, que tout bon soldat devait beaucoup plus redouter son officier que l’ennemi. Des institutions aussi sages contribuèrent à affermir la valeur des troupes et à leur inspirer une docilité que ne purent jamais acquérir des barbares impétueux, qui ne connaissaient aucune discipline.

La valeur n’est qu’une vertu imparfaite sans la science et sans la pratique. Les Romains étaient si persuadés de cette vérité, que le nom d’une armée, dans leur langue, venait d’un mot qui signifiait exercice. En effet, les exercices militaires étaient l’important et continuel objet de leur discipline : les recrues et les jeunes soldats étaient régulièrement exercés le matin et le soir ; et les vétérans, malgré leur âge, malgré une connaissance profonde de leur art, étaient obligés de répéter tous les jours ce qu’ils avaient appris dès leur plus tendre jeunesse. Dans les quartiers d’hiver, on élevait de vastes appentis, afin que les exercices des soldats ne fussent point interrompus par les rigueurs de la saison. Dans ces imitations de la guerre, on avait soin de leur faire prendre des armes deux fois plus pesantes que celles dont on se servait dans une action réelle. Une description exacte des exercices des Romains n’entre point dans le plan de cet ouvrage : nous remarquerons seulement qu’ils embrassaient tout ce qui peut donner de la force au corps, de la souplesse aux membres et de la grâce aux mouvemens. On apprenait soigneusement aux soldats à marcher, à courir, à sauter, à nager, à porter de lourds fardeaux, à manier toutes sortes d’armes offensives et défensives, à former un grand nombre d’évolutions, et à exécuter au son de la flûte la danse pyrrhique ou militaire. Au sein de la paix, les troupes romaines se familiarisaient avec la guerre : selon l’observation d’un ancien historien qui avait combattu contre elles, l’effusion du sang était la seule différence que l’on remarquât entre un champ de bataille et un champ d’exercice. Les plus habiles généraux, les empereurs même, encourageaient, par leur présence et par leur exemple, ces études militaires ; souvent Trajan et Adrien daignèrent instruire eux-mêmes les soldats les moins expérimentés, récompenser les plus habiles, et quelquefois disputer avec eux le prix de la force ou de l’adresse. Sous le règne de ces princes, la tactique fut cultivée avec succès ; et tant que l’empire conserva quelque vigueur, leurs institutions militaires furent respectées comme le modèle le plus parfait de la discipline romaine.