Utilisateur:Mathieugp/Brouillons/Appel à la justice de l'État (Lettre aux Canadiens - Droits naturels des Canadiens)

La bibliothèque libre.


Appel à la justice de l'État
Épitre aux Canadiens.



Ce dernier trait caractérise un esclavage général et complet. Une province où les titres les plus authentiques d'acquisition ne constituent pas des titres authentiques de conservation, où les jugements les plus solennels de la loi ne sont pas les gages les solennels du triomphe des plus beaux droits, où enfin la volonté dépravée d'un homme règne seule à la place de la justice naturelle et civile, cette province, dis-je, n'est qu'une grande prison d'esclaves qui ne peuvent raisonnablement se promettre qu'une jouissance chancelante et précaire de leurs fortunes, de leur honneur et de leurs vies; elle lutte donc contre un état violent de société dont par toutes les lois sociales elle est autorisée à secouer le joug et à s'en émanciper à tout prix; oui, à tout prix. Un individu, en vertu du droit naturel de défense, est titré de frapper avec les mêmes armes dont on vise à le frapper; la juste engeance de tout un peuple s'étend à des prérogatives d'une étendue bien plus illimitée; au nom de l'autorité primitive du contrat social, elle appelle, outre la punition des délits, la réinstauration des lois constitutionnelles, sous d'administration d'une judicature juste, libre, mais surtout respectée et obéie.

De la part du bill de Québec décrétant, on nous devait dans la province cette judicature armée de toute ses pièces, pour une sage exertion et un triomphe assuré: point du tout: on nous a fagoté une corporation judicielle emmagottée de tronçons mal-assortis et mal-unis, anglais et français, et qui, à cette corporation monstrueuse, n'est d'aucun pays de l'univers, excepté celui où l'on veut à tout prix que la tyrannie règne. Que signifient chez nous cette Cour des plaidoyeurs communs et celle du Banc du roi? La jurisprudence français ne connaît point de ces des tribunaux, qui, par cette duplicité, mal-assortis à ses lois, né font non-seulement que compliquer et embarrasser les libres ressorts de sa justice, mais exposent celle-ci à une imminente subordination par le nombre bien raccourci des juges qui y président. En Angleterre, il importe peu à la sûreté des jugements que deux ou trois juges (et même un seul) siègent dans les Cours, parce que ces juges n'y jouent que le personnage de rapporteurs, dont tout l'office se réduit à mettre fidèlement les pièces du procès sous les yeux des jurés, à qui seuls appartient le droit exclusif et inaliénable de former et de prononcer les jugements (1); mais en jurisprudence française, où c'est aux juges en personne à décider, trois juges, présidents de ces deux Cours, réduits surtout à l'unité par l'esprit de faction, rien que trois juges; mais avec ce système, dans le cours ordinaire des passions humaines, la justice doit être vendue à beaux derniers aux sollicitations et aux partis, avant même d'être administrée. Les législateurs français n'ignoraient pas cette marche connue de la perversité du cœur humain; c'est pour la réfréner d'avance et veiller au moins à l'incorruptibilité d'une bonne partie de la judicature qu'ils ont eu soin d'assigner aux plus petits présidiaux au moins douze et quelquefois même vingt-quatre conseillers: et que veulent encore dire en Canada ces circuits des juges ambulants, promenant ainsi l'administration de la justice dans toutes les parties de la colonie? C'est aplanir les voies, faire naître l'occasion des procédures; c'est nourrir la fureur des procès; c'est inviter à s'y jeter à corps perdus, obstacle de nouvelle création à l'accroissement et aux progrès du Canada, où dans un mois de domination anglaise il s'est plaidé peut-être plus de causes que dans un siècle et de mi de l'empire français.

Et les appels? Oh, pour le coup, voici du fruit nouveau, mais bien amer et bien empoisonné; aussi ne sont-ils des productions ni d'Angleterre ni de France, où une détection d'erreur, par des pièces nouvelles, constitute les premiers titres d'appel. En Canada, on n'admet dans les Cours d'Appel que les mêmes titres juridiquement enliassés (et encore quelle informe, quelle arbitraire liasse!) qui ont dirigé le premier jugement; c'est-à-dire que c'est ce premier jugement qui se renouvelle et se reproduit. Ce n'était pas la peine de statuer des appels si abusifs. Mais quelle est en nature la jurisprudence qui rend les oracles en Canada? S'il faut juger de sa substance, par l'analogie des connaissances dont doivent avoir été imbus, par l'éducation, les magistrats qui l'administrent, il faut convenir que ce ne peut être qu'un informe monstre de jurisprudence; car voici les juges de notre province qu'on a voulu écorcher, et non pas juger. Un capitaine d'infanterie, un chirurgien-major de la garnison, actuellement en service, un négociant, et enfin un simple citoyen, qui n'entend pas une sullabe de français, et à qui, avant la sentence, un de ses collègues fait en anglais le rapport des allégués, pour l'associer, au moins de montre, au jugement que la Cour va prononcer. Il faut que l'Angleterre ait conçu des idées bien contemptibles des Canadiens, pour les atteler à une si difforme magistrature. La France, contractante dans le Traité de Fontainebleau, ne se doutait pas, sans doute, qu'elle allait livrer ses anciens enfants à la merci de cette boucherie judicielle.

Ces réflexions si naturelles et modérées, après tout, (circonstance considérée) seraient, je le sais, érigées en Canada non plus seulement en libelle, mais en crime d'État, comme déshonorant l'État même, et dignes au moins de l'assassinat. Je suis au fait de la justice sabrante du pays, que je n'ai déserté, que pour ne pas payer de mon sang l'inflexible droiture et liberté de mes sentiments, sous les coups masqués de la trahison, (car un homme de mes principes n'a rien à craidre de la lâcheté des traîtres) et je n'y retournerai, que quand il plaira à l'Angleterre d'en faire au moins un séjoujr de sécurité pour tous les honnêtes gens. Du centre donc de cette capitale, où la vérité n'est point, encore du moins, un crime digne de mort, ce sont ces juges si cruellement travestis, et en masquerade, que je ne balance pas ici de prendre à partie, et de les constituer, à la face de toute l'Europe, les juges de leur propre cause.

Si, en 1758 et 1759, l'Angleterre avait été déterrer de l'Université de Sorbonne un vénérable docteur en théologie, pour lui remettre en main la colonelle de 60e régiment où le capitaine Fraser servait alors; de que oeil cet officier aurait-il accueilli un colonel de telle fabrique, ordonnant, son béviaire à la main, des arrangements d'un combat?

Si aujourd'hui le gouvernement détachait un boucher, (qui d'une main lourde et pesante n'a jamais su qu'assommer et saigner les bêtes domestiques) pour aller couper méthodiquement et savamment les bras et les jambes des patients dans un hôpital; M. le juge Mabane ne crierait-il pas, homme d'haleine, au meutre, à l'assassinat, à la barbarie!

Si, pour présider à la gestion et au maniment public des transactions mercantiles nationales, on allait faire choix de quelques capitaines de dragons ou de hussards; les négociants justement indignés, ne feraient-ils pas retentir tous les échos de la bourse et du change, de leurs virulentes expostulations, contre une nomination évidemment destructive des succès et de l'avancement du commerce?

Enfin, si on allait se fourrer dans l'imaginative, d'appeller des Montagnes de Pampelune et de Sarragosse, un vieux Espagnol, à qui l'autorité publique commettrait l'intendance des affaires domestiques de M. Southouse, sauf d'en communiquer en détail la nature, à ce nouvel indendant, par un interprète; M. Southouse, ne se lamenterait-il pas en désespéré, comm un homme perdu et ruiné d'avance?

Le même contraste jure contre la nomination des deux autres juges, qui ne son entrés dans la judicature, qu'à titre de solliciteurs, mendiants de porte en porte la signature du bill de Québec. C'était bien-là un titre aux faveurs du despotisme, qui complotait, mais non de mérite adopté à un emploi judiciaire. Je n'analyse pas le reste de cette inique transaction.

La France, pénétrée d'une reconnaissance nationale, avait accueilli la nouvelle de la restauration de ses lois, décidés dans le Sénat britannique, en faveur de ses anciens sujets. Ses corps de judicature sont formés avec un choix si distingué, et des soins si délcats; d'ailleurs, chez elle, les talents son si bien à leur place. Les ânes y sont délégués pour les marchés, les bons chevaux pour les combats, et on n'y va pas imaginer, que le cheval de St-François* puisse être aussi leste pour figurer dans une course que (t-croix-t)l'Éclipse d'O'Kelly. Quelle douleur, quelle humiliation donc d'apprendre aujourd'hui, que ses pauvres Canadiens ne sont devenus par ce fameux bill que des victimes livrées en proie à la merci de magistrats, qui ne sont que rtavestis à la française! et les chefs de la justice d'Angleterre sous les auspices présumés, de qui ces magistrats de contrebande sont censés siéger sur les tribunaux français de Québec, n'envisageront-ils pas la gloire de leurs dignités, et de leurs personnes même, comme ternie par de si ostrogothiques nominations? arguments de poids sans doute en eux-mêms, mais bien débiles et de peu de valeur contre 500 liv. st. d'appointement que leur valent leurs places, tandis que l'honorable des conseillers du Conseil supérieur de Québec n'exédait pas 100 petits écus tournois, c'est nous faire payer bien cher d'avance, le règne des bévues, des injustices, des rapines.

J'aurais bien d'autres traits aussi dénigrants, pour achever le portrait de la prétendue judicature française de Québec; mais mon pinceau se lasse à esquisser des horreurs. Je viens aux remèdes, qui étaient l'âme primitive de ces dégoûtantes, et, hélas! que trop pittoresques peintures. La pierre générale d'achoppement, contre qui est venue échouer en corps toute la politique publique, a été la destinée civile et constitutionnelle, qui était due aux Canadiens, après la conquête: pour en décider avec précision, c'était le droit des gens qu'il fallait consulter, les lois des nations, les principes fondamentaux des sociétés, en vertu de qui ils relevaient de l'Angleterre, et non pas la Constitution de l'Angleterre, qui ne les ayant pas faits pour eux, n'était pas faite non plus pour prononcer sur cette question primitive. J'avais annoncé une discussion analysée sur ce point capital: mais le départ des derniers vaisseaux pour Québec me presse et cette épître dégénère déjà d'ailleurs, par sa longueur, en dissertation. Je ne fais qu'extraire, à la légère, les témoignages des docteurs et citer leurs principes; les lumières les plus vulgaires, conduites par l'impartialité et la droiture, suffiront pour faire lire les conséquences.

« Qu'est-ce que la guerre? C'est la plaidoirie finale d'un roi vis-à-vis d'un monarque, son égal, qui ne veut entendre à d'autres raisons que celles que le canon fait expliquer. Qu'est-ce que le droit de conquête? Il est le fils du premier; c'est le droit de punir le souverain sur les pauvres sujets; c'est-à-dire, que c'est en nature la loi du plus fort. Un droit marqué au coin de tant de violence et d'injustice ne saurait être justifié, que par les entraves de la plus indispensable nécessité: il meurt donc avec cette nécessité, qui finit elle-même avec la guerre, qui lui avait donné naissance; car, quand les deux souverains, se donnant mutuellement les mains, se jurent une amitié réciproque, il serait contre la nature que le droit de punir des sujets survécu à leur réconciliation. Quelle est donc alors la destinée nationale et civile des peuples conquis? Il faut remonter ici jusqu'à l'origine primitive des sociétés. Au sortir des mains de la nature, les hommes naissent tous égaux; quand ils se formèrent en corps de sociétés nationales, ce fut de leurs choix que se dessaisissant de leur égalité naturelle, ils érigèrent une autorité générale, qui ne fut légitimée que par leur consentement formel et positif, comme elle l'est encore aujourd'hui par le consentement tacite et présumé de leurs descendants; partez de ce principe, le seul en vertu de qui existe tous les gouvernements de l'univers; par la conquête, les peuples conquis sont arrachés à la première autorité "gubernatrice" sous qui ils vivaient; c'est une nouvelle époque de société qui s'ouvre pour eux; ils rentrent alors dans le premier droit dont jouirent tous les peuples à la fondation primitive des sociétés, de légitimer la nouvelle autorité par leur consentement formel ou tacite. Il ne reste, au conquérant que deux sorts civils à faire aux peuples conquis: le premier est de les laisser, sous la nouvelle domination, dans l'économie de leur premier gouvernement, qu'ils avaient légitimé par leur consentement tacite sous leur premier souverain; s'il existe quelques capitulations antérieures à leur reddition, c'est d'elles qu'il faut prendre langue et suivre les leçons d'arrangement qu'elles ont précautionellement stipulées: la seconde destinée nationale de ces peuples conquis est de les associer, de gouvernement, aux propres sujets du conquérant, mais par une association complète de privilèges, prérogatives et droits quelconques des anciens sujets, parce que sans ce complément, les peuples conquis ne pourraient être censés légitimer par leur consentement une affiliation défavorable pour eux et qui ne les partageraient qu'en bâtards. Au reste, l'arrangement une fois décidé, il n'y a plus pour le conquérant à y revenir et à y rien altérer, parce que par la décision, le conquérant a cessé de l'être pour devenir simplement et légitimement roi; et qu'un roi n'est pas le maître de changer à son choix la constitution de son empire sans l'intervention libre des sujets. » -- PUFFENDORF

« Par droit de conquête, chez les peuples plus sages que nationaux, les nouveaux sujets forment la classe privilégiée des citoyens, non-seulement en vertu de cette urbanité polie, de cette humanité généreuse, qui se prescrit, comme un premier devoir de la vie civile, de faire galamment les honneurs de chez soi, mais par cet esprit de politique ingénieuse, qui, pour donner plus de consistance à des conquêtes, s'essaie par toutes sortes de prédilections à enter sur les cœurs de ces nouveaux sujets, des sentiments de zèle et de fidélité que la naître n'y avait pas plantés, fait naître et nourris. Renverser, pour un conquérant, un ordre si politique et si poli, ce serait avertir tous les peuples de la terre, contre qui il pourrait un jour tourner ses armes, de redoubler de courage et d'efforts pour ne pas tomber dans les mains d'un vainqueur, qui, mésusant de la victoire, s'en fait un titre pour s'ériger en tyran éternel des vaincus; ce serait inviter même ceux qui ont déjà succombé sous les forces de la puissance à s'armer de résistance et de fermeté pour secouer un joug que de brave gens, vaincus avec honneur, ne sont pas fait pour porter ...  » Le vertueux Espagnol. -- GRATIEN.

« En vertu du contrat social, les peuples ne doivent à l'État leurs fortunes, leurs vies et tout ce qu'ils sont que parce que l'État leur fait part de ses privilèges, de ses places, de ses récompenses, des dons de la protection, un un mot de tout ce qu'il est lui-même: sans ce retour, ordonné de reconnaissance et de justice, les peuples deviendraient de vrais esclaves nationaux, réduits à se morfondre, s'épuiser, le consumer tout à fait pour un État qui les traiterait en étrangers et en bâtards, en les privant de leur part à cet héritage public, qui est, et doit être, de propriété commune et universelle dans tout État. Ces sujets ainsi mésusés seraient absous, par voie de fait, de toute redevance subsidiaire et de services quelconques, envers un État d'avance si peu généreux, si peu juste; par toute l'autorité de la nature elle-même instituant les sociétés, ils seraient absous du ferment de fidélité même; et s'ils se révoltaient, leur révolte serait de droit naturel et de convention sociale et le juste châtiment de l'injustice qui les a dépouillés d'avance.  » GROTIUS

« Un gouvernement qui aurait deux balances, une de faveur pour des domaines privilégiés et l'autre de rigueur pour les portions de la domination, annoncerait une manie d'administration, c'est à dire la honte présente et la ruine prochaine.  » LOCKE

« Un prince conquérant se flatterait en vain de le faire aimer des peuples conquis; il ne lui reste plus que de régner sur eux par la terreur; il doit, en politique, leur tenir la bride courte, surtout les opprimer de services et d'impôts, pour les réduire à l'impuissance de rien tenter. les grosses garnisons, surtout de troupes étrangères, comme plus tyrannisantes de leur nature, sont merveilleusement assorties à ses projets; mais il doit se tenir toujours prêt, parce que, (pa la loi naturelle du talion) à la violence dominatrice, répond toujours par le droit de nature, le droit naturel de faire ferme contre elle, quant on le peut, et au prix même du sang le plus respectable. »

Machiavel forme ici son prince, c'est-à-dire son tyran; mais en le formant il avait au moins la bonne foi de l'avertir, que ses leçons mises en pratique soulevaient contre elles la nature et l'armaient toute entière pour s'en venger. Je n'ai cité ici ce damnable Italien que parce que je sais que ce ne furent jamais les intentions de l'Angleterre de mettre les Canadiens aux prises avec elle: mais au moins ne faut-il pas se mettre dans le cas.

L'application naturelle de ces principes, que je n'ai le temps que de présenter en esquisse, atteste du premier coup, au moins au Tribunal de l'Europe, que tous les privilèges nationaux, toutes les prérogatives citoyennes, dévolues par la Constitution aux Anglais de naissance, étaient dues au Canadiens par les lois des nations, qui seules avaient, sur ce point, le droit d'être leurs juges, d'abord après la conquête. Mais la préoccupation est allée apercevoir, dans la religion de ces nouveaux sujets, un titre d'exhérédation, qui, en vertu de la constitution, les déboutait de toute prétention à cet héritage civil: et voilà l'illusion générale, qui, depuis le Traité de Fontainebleau, a fait condamner la province de Québec au plus misérable esclavage.

Mais si une telle condamnation avait été prononcée réellement par la Constitution d'Angleterre, d'abord cette constitution, (quoique la plus respectable peut-être de l'univers, dans l'économie politique) avec toute sa respectabilité intrinsèque, est postérieure en date aux lois des nations; celles-ci ne sont que les lois elles-mêmes de la nature, ordonnant des justes arrangements des sociétés. Toute législation individuelle doit céder à la nature, qui est ici la première modératrice et de préséance pour régler; voilà un axiome fondamental, dont il n'y a point d'appel, parce qu'on n'appelle pas de la nature, du moins ne le ferait-on qu'à sa honte: mais non; l'erreur n'est pas ici de la Constitution d'Angleterre, mais des fausses interprétations sur qui cette constitution a été prise: cette constitution, par son esprit intrinsèque, est l'impartialité, l'humanité, la justice, l'égalité, l'unité même, (c'est Locke qui parle, il devait bien la connaître); or une constitution si égale, si une, ne peut pas dispenser à ses sujets les douceurs et la gloire de la liberté au sein de l'Angleterre et condamner aux rigueurs et à l'infamie de l'esclavage tout un peuple à elle, dans Québec; elle ferait en contraste à elle-même et dans son contraste elle ne mériterait plus nos respects.

Mais voici l'illusion: on a confondu quelques arrêts du Parlement, encore mal saisis et mail entendus, avec la Constitution d'Angleterre; mais la constitution et le parlement sont bien loin d'être des termes synonymes: et de quelles lamentations entendons-nous tous les jours retentir les voûtes des deux Chambres du Sénat, On viole, on mine, on sape, on renverse la Constitution! Une assemblée donc, que ses propres membres supposent pouvoir ruiner la constitution, ne fait pas la constitution. Mais achevons de lever le voile de l'illusion: les actes parlementaires (sous Élisabeth et sous Guillaume III, pour assurer la succession du Trône d'Angleterre au sang de la princesse Sophie) cités contre les Canadiens, décernaient, à la vérité, des lois pénales contre les catholiques; mais c'étaient des catholiques coupables de cabales et de complots contre l'État: la punition a pu de plus se perpétuer avec quelque légalité sur leurs descendants, comme les représentants des premiers criminels; les États tous les jours punissent les pères et les enfants, par la dégradation de noblesse, la confiscation des biens et autres, dont les effets passent jusques aux âges futurs: mais les Canadiens n'ont jamais trempé, ni par eux-mêmes, ni par leurs devanciers, dans une conspiration contre l'État; et pourquoi réfléchir sur des innocents avérés, des châtiments où les Législateurs n'ont pu les comprendre?

L'Acte de Guillaume III contre les étrangers, est encore plus improprement appliqué aux Canadiens: une foule d'étrangers, sous le règne de ce roi, étranger lui-même, inondait l'Angleterre et menaçait le Sénat d'en altérer l'esprit de la constitution, par l'intrusion d'une politique étrangère. Pour extirper cette altération, l'acte interdit aux étrangers les acquisitions et les introductions dans les places, les dignités publiques: l'interdiction est conséquente; mais depuis quand les Canadiens sont-ils étrangers en Angleterre, aujourd'hui leur souveraine légitime et naturelle? Ces étrangers intrus dans le Sénat, tout pairs d'Angleterre qu'ils avaient été créés, n'en relevaient pas moins de leurs souverains naturels, qui par les lois des nations pouvaient encore les réclamer. Patkul, ambassadeur du czar, fut condamné à être roué par Charles XII; le rigide monarque put excéder dans la qualité du châtiment, mais non pas dans l'assomption de l'autorité en vertu de qui il l'infligeait. L'ambassadeur, malgré la décoration, n'en était pas moins le Livonien Patkul; Charles XII s'en souvenait très-bien, et que trop peut-être: mais par les lois des nations la France n'a sur les Canadiens à réclamer aucune autorité, dont elle s'est solennellement dévêtit sur le roi d'Angleterre, aujourd'hui leur seul légitime souverain. Quoi! ces Canadiens sont étrangers au milieu des domaines de leur Maître et de leur Père? L'inconséquence est palpable. Que le gouvernement pèse l'injustice de la privation des Canadiens des franchises citoyennes, dont l'État souffre autant qu'eux, comme il va bientôt s'éclaircir. J'ai cru devoir, Messieurs, cet essai, quoique mutilé, à la vindication de vos droits nationaux. D'ailleurs, les prérogatives nationales, d'une nature si relevée, d'une si vaste amplitude que j'ai maintenant à vous inviter de réclamer du Sénat britannique, me faisaient une loi d'apprendre à toute l'Angleterre les titres en vertu de qui vous ne revendiquerez que votre propre bien: sans cette explication, on aurait peut-être pris pour de l'insolence, ma hardiesse à vous suggérer tant de prétentions.

Notes de l'auteur[modifier]

1. Quand l'Angleterre ne resterait redevable au grand Alfred, que de ces jugements par jurés, institution bien éclairée pour des temps qui l'étaient peu, et bien amie de l'innocence, de la simplicité et de la pure nature, cette institution, dis-je, seule, suffirait pour y immortaliser sa mémoire.

2. On appelle en France le cheval de St-François, un gros batôn, qui est la voiture de voyage, pour les Capucins et les Récollets, dans leur course.

3. L'Éclipse de M. O'Kelly est un cheval qui a remporté les prix dans presque toutes les courses d'Angleterre.



Frontispice | Avertissement | Préface | Table des matières | Introduction | Lettre au roi | Lettre au prince de Galles | Première lettre à milord Sidney | Seconde lettre à milord Sidney | Épitre au général Haldimand | Troisième lettre à milord Sidney | Quatrième lettre à milord Sidney | Lettre aux Canadiens | Cinquième lettre à milord Sidney | Sixième lettre à milord Sidney | Errata