Utilisateur:Philippe Kurlapski/Perrault/Préface

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PRÉFACE


La maniere dont le public a reçû les pieces de ce recueil, à mesure qu’elles luy ont esté données separement, est une espece d’asseurance qu’elles ne luy deplairont pas en paroissant toutes ensemble. Il est vray que quelques personnes qui affectent de paroistre graves, et qui ont assez d’esprit pour voir que ce sont des contes faits à plaisir et que la matiere n’en est pas fort importante, les ont regardées avec mépris : mais on a eu la satisfaction de voir que les gens de bon goust n’en ont pas jugé de la sorte.

Ils ont esté bien aises de remarquer que ces bagatelles n’estoient pas de pures bagatelles, qu’elles renfermoient une morale utile, et que le recit enjoué dont elles estoient enveloppées n’avoit esté choisi que pour les faire entrer plus agreablement dans l’esprit et d’une maniere qui instruisist et divertist tout ensemble. Cela devroit me suffire pour ne pas craindre le reproche de m’estre amusé à des choses frivoles. Mais, comme j’ay affaire à bien des gens qui ne se payent pas de raisons et qui ne peuvent estre touchez que par l’authorité et par l’exemple des anciens, je vais les satisfaire là-dessus.

Les fables milesiennes, si celebres parmi les Grecs, et qui ont fait les délices d’Athenes et de Rome, n’estoient pas d’une autre espece que les fables de ce recueil. L’histoire de la Matrone d’Ephese est de la mesme nature que celle de Griselidis : ce sont l’une et l’autre des Nouvelles, c’est-à-dire des recits de choses qui peuvent estre arrivées et qui n’ont rien qui blesse absolument la vray-semblance. La fable de Psiché, écrite par Lucien et par Apulée, est une fiction toute pure et un conte de vieille, comme celuy de Peau d’Asne. Aussi voyons-nous qu’Apulée le fait raconter par une vieille femme à une jeune fille que des voleurs avoient enlevée, de même que celuy de Peau d’Asne est conté tous les jours à des enfans par leurs gouvernantes et par leurs grand’meres. La fable du laboureur qui obtint de Jupiter le pouvoir de faire comme illuy plairoit la pluie et le beau temps, et qui en usa de telle sorte qu’il ne recueillit que de la paille sans aucuns grains, parce qu’il n’avoit jamais demandé ny vent, ny froid, ny neige, ny aucun temps semblable, chose necessaire cependant pour faire fructifier les plantes ; cette fable, dis-je, est de mesme genre que le conte des Souhaits ridicules, si ce n’est que l’un est serieux, et l’autre comique ; mais tous les deux vont à dire que les hommes ne connoissent pas ce qui leur convient, et sont plus heureux d’estre conduits par la Providence que si toutes choses leur succedoient selon qu’ils le desirent.

Je ne crois pas qu’ayant devant moy de si beaux modeles dans la plus sage et la plus docte antiquité, on soit en droit de me faire aucun reproche. Je pretens mesme que mes fables meritent mieux d’estre racontées que la pluspart des contes anciens,et particulièrement celuy de la Matrone d’Ephese et celuy de Psiché, si l’on les regarde du costé de la morale, chose principale dans toute sorte de fables, et pour laquelle elles doivent avoir esté faites. Toute la moralité qu’on peut tirer de la Matrone d’Ephese est que souvent les femmes qui semblent les plus vertueuses le sont le moins, et qu’ainsi il n’yen a presque point qui le soient veritablement.

Qui ne voit que cette morale est tres-mauvaise, et qu’elle ne va qu’à corrompre les femmes par le mauvais exemple, et à leur faire croire qu’en man-quant à leur devoir elles ne font que suivre la voie commune ? Il n’en est pas de mesme de la morale de Griselidis, qui tend à porter les femmes à souffrir de leurs maris, et à faire voir qu’il n’yen a point de si brutal ny de si bizarre dont la patience d’une honneste femme ne puisse venir à bout.

A l’égard de la morale cachée dans la fable de Psiché, fable en elle-mesme tres-agreable et tres-ingenieuse, je la compareray avec celle de Peau d’Asne quand je la sçauray ; mais jusqu’icy je n’ay pû la deviner. Je sçay bien que Psiché signifie rame : mais je ne comprens point ce qu’il faut entendre par l’Amour, qui est amoureux de Psiché, c’est-à-dire de l’ame, et encore moins ce qu’on ajoûte, que Psiché devoit estre heureuse tant qu’elle ne connoistroit point celuy dont elle estoit aimée, qui estoit l’Amour : mais qu’elle seroit tres-malheureuse dès le moment qu’ elle viendroit à le connoistre : voilà pour moy une enigme impenetrable. Tout ce qu’on peut dire, c’est que cette fable, de mesme que la pluspart de celles qui nous restent des anciens, n’ont esté faites que pour plaire, sans égard aux bonnes mœurs, qu’ils negligeoient beaucoup.

Il n’en est pas de mesme des contes que nos ayeux ont inventez pour leurs enfans. Ils ne les ont pas contez avec l’élegance et les agrémens dont les Grecs et les Romains ont orné leurs fables : mais ils ont toûjours eu un tres-grand soin que leurs contes renfermassent une moralité loüable et instructive. Par tout la vertu y est recompensée, et par tout le vice y est puny. Ils tendent tous à faire voir l’avantage qu’il y a d’estre honneste, patient, avisé, laborieux, obéïssant, et le mal qui arrive à ceux qui ne le sont pas.

Tantost ce sont des fées qui donnent pour don à une jeune fille qui leur aura répondu avec civilité qu’à chaque parole qu’elle dira, illuy sortira de la bouche un diamant ou une perle : et à une autre fille qui leur aura répondu brutalement, qu’à chaque parole illuy sortira de la bouche une grenoüille ou un crapaud. Tantost ce sont des enfans qui, pour avoir bien obéï à leur pere ou à leur mere, deviennent grands seigneurs : ou d’autres qui, ayant esté vicieux et desobéïssans, sont tombez dans des malheurs épouventables.

Quelque frivoles et bizares que soient toutes ces fables dans leurs avantures, il est certain qu’elles excitent dans les enfans le desir de ressembler à ceux qu’ils voyent devenir heureux, et en mesme temps la crainte des malheurs où les méchans sont tombez par leur méchanceté. N’est-il pas loüable à des peres et à des meres, lorsque leurs enfans ne sont pas encore capables de gouster les véritez solides et denuées de tous agremens, de les leur faire aimer, et, si cela se peut dire, de les leur faire avaler, en les enveloppant dans des recits agreables et proportionnez à la foiblesse de leur âge ! Il n’est pas croyable avec quelle avidité ces ames innocentes, et dont rien n’a encore corrompu la droiture naturelle, reçoivent ces instructions cachées : on les voit dans la tristesse et dans l’abbatement tant que le heros ou l’heroïne du conte sont dans le malheur, et s’écrier de joye quand le temps de leur bonheur arrive : de mes me qu’après avoir souffert impatiemment la prosperité du méchant ou de la méchante, ils sont ravis de les voir enfin punis comme ils le meritent. Ce sont des semences qu’on jette, qui ne produisent d’abord que des mouvemens de joye et de tristesse, mais dont il ne manque gueres d’éclorre de bonnes inclinations.

J’aurais pû rendre mes contes plus agreables en y meslant certaines choses un peu libres dont on a accoûtumé de les égayer ; mais le desir de plaire ne m’a jamais assez tenté pour violer une loy que je me suis imposée de ne rien écrire qui pust blesser ou la pudeur ou la bienseance. Voicy un madrigal qu’une jeune demoiselle de beaucoup d’esprit a composé sur ce sujet, et qu’elle a écrit au dessous du conte de Peau d’Asne, que je luy avois envoyé :


Le conte de Peau d’Asne est icy raconté
    Avec tant de naïveté
    Qu’il ne m’a pas moins divertie
Que quand, auprés du feu, ma nourrice ou ma mie
Tenoient en le faisant mon esprit enchanté.
On y voit par endroits quelques traits de satire,
    Mais qui, sans fiel et sans malignité,
A tous également font du plaisir à lire.
Ce qui me plaist encor dans sa simple douceur
    C’est qu’il divertit et fait rire,
    Sans que mere, époux, confesseur,
    Y puissent trouver à redire.