Vénus en rut, 1880.djvu/01

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Texte établi par Sur l’imprimé à Luxurville : chez Hercule Tapefort, imprimeur des dames, 1771, À Interlaken : chez William Tell, l’an 999 de l’indépendance suisse (p. 7-25).
Ch. I. L’Étroite

CHAPITRE PREMIER

L’ÉTROITE


Il faut donner, malgré moi, à cette auguste brochure un air d’importance et faire, selon l’usage de mes camarades les écrivassiers modernes, ma généalogie : je ne suis pas habile dans l’art héraldique, quoique d’antique noblesse se soit greffée sur ma roture ; ai-je besoin d’aïeux ? Une jolie femme ne jouit-elle pas de tous les avantages ? Si j’étais née d’un sang illustre, j’aurais le bon sens de ne m’en pas vanter ; ma conduite galante déplairait à mes ancêtres ; si elle amuse mes contemporains, le public connaît mes jolis quartiers ; voilà mes titres.

Les adages sont quelquefois vrais : Bon chien chasse de race : je devais donc être ce que je suis, une des plus ardentes prêtresses de Vénus.

Un roué m’a donné l’être ; si par ce mot, qui, pour avoir eu trop de vogue, signifie moins aujourd’hui, on entend un homme avec quelque sorte d’esprit, s’en adjugeant libéralement plus que la nature ne lui en accorda ; détracteur du mérite, fourbe, séducteur, marchant à son but par la fraude et l’astuce ; sans foi, sans pudeur, sans autre crainte que celle du besoin d’argent ; égoïste parfait, rapportant tout à lui ; ayant fait de la fausseté une profonde étude, et ne connaissant point de plaisir supérieur à celui de tromper.

Le lecteur me reprochera de peindre si fortement mon père ; il ne sait pas qu’il ne me ménage pas davantage ; il ne voit pas que si je ne lui révèle la négligence affectée de mon auteur, en ne me surveillant pas dans ma jeunesse, en ne la préservant pas des écarts, par des avis et surtout des exemples ; loin de devenir un sujet qui l’intéresse, par mon libertinage, contre lequel on n’éleva point de digues, je serais un monstre, qui aurait résisté à une bonne éducation.

Ma mère ne valait pas mieux ; compagne infidèle d’un époux qui avait une plus mauvaise conduite, il y avait entre elle et lui assaut continuel de traits répréhensibles ; et les deux médecins se passaient l’émétique et la saignée.

Le projet de ma mère était de m’associer à son commerce galant dès que j’aurais atteint l’âge heureux des désirs ; c’était aussi mon plan ; et je calculais déjà même avant de sentir palpiter mon sein, le nombre des conquêtes que devaient faire mon goût naissant pour les hommes et une figure qui promettait d’être plus que passable. Je donnerai mon portrait dans un instant ; je parlerai comme mon miroir : si je n’étais pas sincère, je serais bientôt démentie, et si on doute de ma véracité, mes mémoires manquent leur effet, car on y trouvera des faits et des calculs que des sceptiques rejetteront.

J’étais affligée de quatorze ans, qui en valaient seize. Née sur les bords du Rhin, transportée avec ma nourrice dans une province méridionale de France, je réunissais en moi la force des habitants du Nord, et la flamme de ceux du Midi. Élevée dans un village, tout avait contribué à augmenter l’énergie dont la nature libérale m’avait douée : et je me trouvais fatiguée d’une surabondance de vie, lorsque je connus un jeune habitant du bourg, qui parut me distinguer de mes compagnes. Me prévint-il ? Mes yeux et ma voix l’engagèrent-ils ? Je ne m’en souviens pas ; d’ailleurs j’ai plus d’une fois fait des avances ; c’est la meilleure façon d’être promptement entendue : la nature n’est pas cérémonieuse.

J’aurais pu, mieux qu’une autre, faire ce que la bourgeoisie appelle des façons : je valais la peine d’être désirée.

J’étais dans l’âge le plus florissant, ma taille était déjà élevée, ma gorge assez formée pour être bien, j’avais un embonpoint qui annonçait la plus constante santé ; mon buste était arrondi et tel que les gens de goût les veulent. Mes cuisses offraient des contours heureux et une élasticité rare ; mes fesses auraient eu des autels chez les Grecs, et des préférences chez nos cardinaux ; voilà quelle était ton amie… Ah, folle que je suis, j’oublie de parler de ma tête ; c’est que cette partie de moi-même, comptée pour quelque chose par les hommes, a toujours été faible, et très subordonnée à une autre, que les moralistes veulent mettre sous les lois, sans y parvenir. J’avais la fraîcheur d’une rose nouvelle ; des dents rangées par la simple nature, des yeux bleus, peu grands, mais d’une expression unique lorsqu’ils veulent obtenir ; bouche petite, bordée de lèvres incarnates, des cheveux châtain-clair et bien plantés ; ces avantages réunis formaient l’ensemble d’une physionomie séduisante, et mon innocence aux abois lui prêtait une attraction à laquelle peu de mortels eussent résisté ; on aurait pu dire de moi :


Elle aurait fait hennir le vieux Mufti latin.


À qui étaient destinés tous ces charmes ? Tu le sais, je ne suis pas la seule qui ait consacré ses prémices à qui ne les méritait pas ; mais,


L’occasion, la douce égalité,


et, qui plus est, le besoin irrésistible de me satisfaire ; n’ayant point de principes moraux, n’étant soutenue par aucunes considérations présentes, brûlant de me jeter dans la débauche, pouvais-je me rendre difficile ? Mon premier docteur aurait eu lui-même besoin des leçons d’une coquette ; mais au village, et pour une fille aussi indulgente que moi, tout était excellent : mon vainqueur portait le nom d’une jolie bergère, je le prononçais avec ardeur : pressés tous deux de jouir, nous abrégeâmes les préliminaires. Le plus difficile n’était pas de tromper une aïeule octogénaire, mais de trouver dans la maison, qui ne se prêtait pas à la chose, un lieu où nous puissions nous unir sans être surpris. Le bon La Fontaine dit vrai :


Sommes-nous en ce monde
Pour nos aises avoir.


Sans doute il faut appliquer cette réflexion aux premiers sacrifices que les jeunes personnes font à l’amour ; rarement est-on couché sur un lit de roses. Tu vas savoir, chère Folleville, sur quoi j’ai fait ma première tentative ; ni toi ni le pénétrant lecteur ne le devinez pas ; il faut deux lignes de digression pour donner le temps de trouver ; la digression est une rocambole nécessaire dans un roman… Roman, je me trompe. — Ce que je dis est la vérité même.

Citons encore, c’est la ressource de ceux qui ne savent pas produire ; tu es assez mon amie pour croire que sans ta volonté déterminée je n’aurais point écrit ; livrée à la volupté, je n’ai pas eu le temps de m’instruire.


Heureux, cent fois, qui trouve un pucelage ;
C’est un grand bien…


Oui, mais de par tous les diables, c’est un grand mal, pour celle qui le perd, surtout quand elle brûle de s’en défaire, et qu’elle n’a que quelques minutes et autant de fagots de sarments. Je t’entends rire, friponne, je ne riais pas : c’était peu que d’avoir risqué de me casser le cou pour aller au rendez-vous, la cave au bois ; c’était peu que mon amant eût escaladé les murailles pour y arriver, il fallait se dépêcher, de peur que la sempiternelle maman n’eût la fantaisie de faire une question à sa petite fille bien-aimée. Nous voilà donc encavés ; éclairés par un rayon mourant de la lune sur son déclin ; me voilà dans les bras de mon… Je ne savais pas encore le nom qu’allait lui donner sa nouvelle charge ; je l’appris bientôt, et je m’en servirai.

— Dépêchons-nous, lui dis-je, mon cher.

— Je ne demande pas mieux ; mais où se mettre ?

— Je n’en sais rien.

— Ni moi ; cependant pas un moment à perdre.

— Je le sens.

— Eh bien ! debout, mais impossible.

— Écoute, je vais arranger ces sarments et je me mettrai dessus.

— À merveille.

— M’y voici, suis-je bien ?

— Non, avance un peu davantage, écarte tes cuisses, embrasse-moi de toutes tes forces, surtout ne fais pas de bruit, et prends garde de crier : une douleur nécessaire te conduira au plaisir.

Brûlée du plus ardent désir, je me résigne, je me prête ; je m’ajuste ; mais, grands dieux ! quand il voulut, avec un redoutable poignard, qui ne se trouvait point alors en proportion avec moi, et dont j’ai connu le prix dans la suite, forcer la résistance, involontaire, que je lui opposais, je ne pus m’empêcher de crier, tout bas, dans ce joli patois, si expressif, qui peint si fortement la douleur et les plaisirs :

— Ah ! cher et cruel P… quel mal tu me fais !

Insensible âmes plaintes, il enfonçait toujours, je gémissais encore, il continua ; un coup vigoureux m’arracha un dernier murmure ; il rompit brillamment les barricades qui s’opposaient à notre félicité, et, triomphant, par moi, de moi-même, il me fit sentir une volupté dont je n’avais que des idées confuses. Peu s’en fallut que je ne sortisse vierge du temple souterrain ; sans ma constante résignation, et la vigueur de mon hercule, nous perdions le fruit de nos travaux. J’étais, dans la plus grande vérité, étroite à l’excès, cela devait être par mon heureuse conformation, n’ayant jamais connu l’Onanisme, ni ses secours trompeurs. Mais je ne sais si tu m’entends, ma chère amie ; j’ai joué la prude sans m’en apercevoir ; j’ai pris des tours, j’ai emprunté des mots, au lieu de nommer uniment les choses ; tu es trop franche pour vouloir me forcer à des recherches de termes qui m’embarrasseraient beaucoup, et qui n’auraient pas la force des Techniques.

Après cette première jouissance, nous convînmes de nous retrouver, le lendemain, au même lieu, et je remontai joindre ma confiante maman, avec une sécurité, un calme apparent, dont une ancienne coquette se serait fait honneur, tant j’étais précoce et destinée à professer un jour l’art d’en imposer à qui je voudrais ; art que nulle femme ne porta plus loin. Ardente comme Vénus au fort du combat, ai-je intérêt de masquer mes plaisirs et de séduire celui qui m’a en chef ; le plus habile physionomiste est trompé au calme séducteur de mes traits ; coloris, attitude, son de voix, rien ne me trahit : et, ma jupe baissée, moi seule connais mon secret : celui qui sort de mes bras reste dans un étonnement rare ; c’est lui qui est surpris, je ne la suis jamais.

Ce que je dis, en passant, doit devenir l’étude des adolescentes qui veulent entrer dans la carrière galante ; une femme qui ne sait pas commander à ses muscles, à ses nerfs, n’est pas faite pour en tirer longtemps parti : il est des positions où la courtisane la plus connue a besoin de dissimuler ; nous avons notre politique ; elle vaut mieux que celle de Machiavel.

Le second rendez-vous fut plus agréable ; moins d’inquiétude, plus d’adresse nous rendirent promptement heureux. Je n’avais senti, la veille, que l’approche du plaisir ; malgré les légères cuissons qui en éloignaient encore l’existence, je le connus ; nature, jeunesse, santé sont des maîtres uniques. Je me prêtai à tout, je saisis, avec un frémissement inconnu, le viédas[1] de mon amant ; j’aidai à le diriger dans sa route obscure ; et, n’étant plus effrayée de ses proportions, je hâtai l’instant où répandant ensemble cette liqueur brûlante, qui mit le comble à mon délire, nos âmes confondues s’anéantirent, pour repaître : ce soir, nous eûmes le temps de redoubler ; mon fouteur le désirait, j’en mourais d’envie ; nos sarments, déjà foulés, devinrent le trône de la volupté. Sans s’arrêter aux caresses délicates des habitants de la cour et de la ville ; sans rendre à ma jolie gorge le tribut de louanges qu’elle méritait ; sans employer ces délicieux préliminaires que j’ai connus depuis, mon amant me renversa une seconde fois, passant ses bras sous mes reins ; j’élevai mes jambes sur ses hanches, et il me procura une soif qui ne put s’apaiser que par des libations abondantes.

Tu sais que les femmes, avares de leurs plaisirs, veulent que leurs amants ménagent leurs forces et ne déchargent qu’à propos ; j’ai toujours abjuré cette économie, parce que je trouve dans le nombre ce que je cherche ; je veux obtenir tout, et sans réserve ; malheur à celui qui s’épuise ; un lieutenant l’a bientôt relevé : ces accolades, demi sèches, me donnent peu de plaisir, je crois alors être foutue par un eunuque.

Quand je te dirais combien dura ma première affaire, cela te serait égal ; ce qui ne le sera pas, c’est la suite d’un aussi singulier début.

Je ne pus davantage supporter le séjour champêtre ; je vins dans une belle ville, où j’étais assurée de ne pas manquer d’adorateurs ; mais mon inexpérience avait besoin d’un guide. Aglaé, avec qui j’avais passé plusieurs années de mon enfance, brune piquante, plus formée que je ne l’étais, de taille à braver vingt satyres, et de force à les terrasser, partagea ses plaisirs avec moi : je ne lui dissimulai rien, c’eût été vainement. La nature m’a donné le talent heureux de masquer mes jouissances ; elle m’a refusé celui de masquer mes désirs : un malaise involontaire se fait alors sentir ; mes joues se colorent, mes yeux ont une langueur mêlée de feu, qui n’est qu’à moi : mon amie aurait donc aisément deviné mes besoins irrésistibles ; d’ailleurs une fille de dix-huit ans ne fait-elle pas ce qu’il faut à celle de quinze ? Elle me fit connaître un grand garçon d’une belle figure ; jeune, nerveux, et dont l’aimable ensemble, ainsi que le nom, inspiraient la gaieté ; nous fûmes bientôt arrangés.

Les exemples de la capitale ont fait bien des prosélytes dans les provinces : dieux ! comme on s’y moque des mamans ! Celle d’Aglaé aurait juré, sur son psautier, que sa fille était plus que Vestale ! eh bien ! ma chère, c’est à côté d’elle, séparés par une simple cloison, que nous faisions partie carrée. Mon tempérament, assez décidé par mes essais de campagne, n’attendait, pour augmenter, qu’un professeur robuste ; le hasard me l’avait fourni. Tandis qu’Aglaé foutait sur son lit à deux pas de moi, avec une ardeur égale à ses moyens, j’étais livrée sur un sopha voisin aux caresses redoublées d’un amant plus chaud que le sien ; caresses qui, toutes délicieuses qu’elles étaient, excédaient mes forces : je n’étais pas encore totalement formée ; mon fouteur, dont le viédas superbe aurait triomphé des femmes de la cour, voyant que je me piquais au jeu, et que je ne voulais point paraître inférieure à Aglaé, m’attaquait par des coups si poignants et me ménageait si peu, parce qu’il sentait avec quelle luxure je me prêtais, que souvent mes lèvres, desséchées par les ardents baisers et mes efforts, ne pouvaient prononcer un mot nécessaire :… De grâce, cher ami, arrête un instant.

Beaucoup mieux traitée que par mon villageois, plus éclairée sur les détails du joli métier auquel je me consacrais, mon brave instituteur ne connaissait d’autre manière de chanter mes louanges que de me mettre dans le cas d’en mériter de nouvelles. Ainsi se passaient des nuits rapides pour des gens qui les employaient si bien. À peine reposée d’un coup qui m’avait fatiguée, mon amant, qui bandait comme douze carmes, m’en offrait un second, puis un troisième, puis un autre ; et moi, la complaisance même, ne voulant pas passer pour une enfant, et désirant montrer à Aglaé


.........Qu’aux âmes fortunées,
La vigueur n’attend pas le nombre des années,


Je succombais, plutôt que de céder. Malgré mes excès amoureux, il n’y a pas longtemps que je suis maîtresse de moi, et que je demande quartier, par le mot assez ; dans mes premières années de service il m’eût été impossible de le prononcer.

Pendant un été, toutes nos nuits furent consacrées à ce joli jeu ; mais plus je recevais, plus je voulais thésauriser.

Il fallait battre la retraite aux premiers traits de l’aurore ; mon amant et celui d’Aglaé, qui étaient frères, se retiraient conduits par une soubrette intelligente, qui les introduisait avec le même mystère. On se doute que j’avais le cadet ; vingt ans, vingt degrés de force étaient son partage ; s’il était invincible, je restais invaincue ; après nos ébats si répétés, nous nous jetions, ma camarade et moi, dans les bras de Morphée, qui nous couvrait des pavots de la volupté. Heureuse jeunesse ! à notre lever nous étions fraîches comme la rosée du matin, éclatantes de santé et prêtes à recommencer : cela est si vrai, que, malgré mes travaux nocturnes, je sentais un vide pendant le jour. J’étais une petite pelote de graisse, et je craignais de maigrir faute d’un aliment si nécessaire, car les dieux m’ont accordé un rare privilège ; plus j’ai sacrifié à l’amour, ou, sans périphrase, à mes plaisirs, plus ma santé est devenue robuste, et plus mon corps a pris de développement.

Il fallait tromper mon très honoré papa sous la tutelle de qui j’étais encore, mais c’était l’excellent ; se moquer de qui se croit supérieur dans l’art de surprendre était un coup de maître ; j’eus encore recours à mon amie ; je prétextai de goûter sa société au point de ne pouvoir m’en passer, et de vouloir travailler avec elle ; j’eus liberté entière, et j’en profitai.

Jusqu’ici je n’avais eu que deux amants, l’un agricole, l’autre bourgeois : une douce philosophie m’engageait à parcourir tous les rangs de la société, je crois avoir rempli mes vues. Un jeune robin m’aperçut au cours ; cette promenade décorée de fontaines chaudes et froides, plantée de quatre rangs d’arbres antiques et majestueux, bordée de maisons superbes, invite à y respirer, quand la chaleur du climat le permet. Mon agréable sénateur trouva, sans doute, ma tournure plus arrondie que les In-folio secs sur lesquels il feignait de s’appesantir ; il lui prit fantaisie de me feuilleter ; il me donna la préférence ; il aimait mieux le fait que le droit.

Je me promenais avec Aglaé, lorsqu’il saisit l’instant où je marchandais un bel œillet pour m’offrir un faisceau de fleurs, que la bouquetière destinait à une présidente. Ma vanité fut flattée d’enlever cette parure à la dame au mortier, et je fus sensible à la galanterie de celui que je nommerai Valrose : le bouquet et la certitude de ses sentiments, dont il me dit un mot, me décidèrent en sa faveur. Je pouvais être observée, il fallait le quitter malgré moi ; rendez-vous fut pris, pour le lendemain, au même lieu, et je revins, plus allumée que jamais, me préparer à de nouveaux assauts, en faisant bonne contenance contre mon assaillant ordinaire.

Le jour suivant je trouvai mon bel inconnu qui m’attendait ; car je n’appelle pas connaître quand je ne puis employer le terme, dans toutes ses acceptions ; il me pria, par six lignes, qu’il me donna avec une orange, de le précéder hors la porte St-L… sous cette allée solitaire, qui est souvent témoin de bien des tours joués aux maris : Aglaé, toujours complaisante, m’y suivit. Valrose ne se fit pas attendre ; il me déclara son amour, il vit dans mes yeux son succès, et me pria de me rendre, sur le soir, près de la porte qui ouvre le chemin de Paris. Avec quelle impatience j’attendis que notre planète eût fait sa révolution diurne, et qu’après le crépuscule, suivant ce que le vulgaire croit le coucher du soleil, je pusse sentir les effets des offres du galant magistrat !

Aglaé, qui avait des ménagements à garder, me laissa seule courir les risques de l’entreprise, et, assurée que mon joli fémur était un bouclier, contre lequel tout preux chevalier devait rompre sa lance, elle me souhaita bon voyage. J’arrivai. Valrose était en habit de bonne fortune ; il en paraissait cent fois plus aimable ; peins-toi, Folleville, un garçon de vingt-quatre ans, bien dessiné ; taille avantageuse, belle jambe, nez aquilin ; marchant avec noblesse, parlant en termes trop recherchés pour moi, qui feignais de les entendre ; en un mot, fait comme un joli officier de dragons.

— Que je suis heureux, me dit-il, charmante enfant, car j’ignore votre nom : vous cédez à la complaisance.

— Mon nom, monsieur, est Rosine, et ce n’est point la complaisance qui m’amène, c’est l’envie de répondre à votre politesse ; que me voulez-vous ?

— Je ne veux rien, qu’exposer mes désirs et vous prier de vous y rendre ; faites-moi la grâce d’entrer dans un appartement que j’ai à vingt toises d’ici, où je n’ai jamais reçu d’aussi aimable personne.

Je ne me fis pas prier ; j’avais tout prévu ; j’arrive, et je trouve un salon assez éclairé, suivi d’un boudoir qui me sembla délicieux ; c’était le premier que je voyais ; son élégante simplicité me parut d’un luxe très recherché ; le goût y régnait plus que la magnificence, et rien de ce qui est commode n’était épargné. Rosine ne se trouvait plus réduite à des fagots ; elle ne voyait plus qu’avec mépris le sopha d’Aglaé : elle allait opérer sur un lit à la turque bien conditionné, et voir ses petites mines dans des glaces répétantes. Mon cher Valrose, (car accoutumes-toi à me voir donner, dans ces confidences, de tendres qualités à des hommes que j’avais à la première vue) sans perdre un temps précieux, s’empara de moi, et me porta, sans peine, sur le meuble destiné aux travaux amoureux. Un baiser lascif, une main libertine qui parcourait mes tétons, une autre qui saisit cette conque désirée des immortels, me firent perdre connaissance : mes genoux fléchirent, ma voix s’éteignit, j’étais absorbée ; cependant je brûlais de mille feux : il me coucha mollement, il coupa tout ce qui s’opposait à son ardeur, et dans six secondes il était dans mes bras, dans toute moi ; c’est aller assez vite en besogne, mais tu sais qu’où la facilité est sans mesure, toute délicatesse est détruite.

Déjà je sentais les coups de cet athlète aimable, déjà j’avais secondé ses efforts par des mouvements rapides, lorsque j’éprouvai une sorte de fureur qui m’était inconnue ; je tournai la tête, par hasard, et vis dans la glace du fond nos corps entrelacés et le mécanisme du grand œuvre ; ce coup d’œil porta dans mes sens une nouvelle flamme ; je serrai fortement Valrose, j’enveloppai ses reins de mes jambes croisées, je passai mes bras autour de son cou, je me soulevai avec une vivacité continue, et l’excitant de la main à ne plus retenir la liqueur brûlante qu’il ménageait, pour prolonger ma jouissance, je sentis ce baume délicieux porter, par un contraste inouï, le feu dans toutes les parties de mon conin et y faire succéder une fraîcheur bienfaisante. Mon ami redoubla, sans quitter prise ; une volupté plus artistement offerte m’engagea à ce que je n’avais pas encore fait avec mes deux premiers maîtres ; je déchargeai huit fois : aurais-je pu me retenir foutue par le charmant Valrose ? Il me provoquait par des attouchements nouveaux pour moi ; sa langue amoureuse chatouillait la mienne, et mon palais, pour y exciter des sensations délicates ; son viédas avait la fermeté et la blancheur de l’ivoire (il est d’un blond séduisant) ses couilles étaient telles que les veut Piron, en bloc, arrondies et toujours intarissables : son libertinage raffiné me promettait des leçons variées, si j’avais pu faire un cours plus suivi sous ce docteur, qui ne se plaignait que d’un défaut assez rare ; il se trouvait gêné dans mon vagin, sans doute les dames de qualité le mettaient plus à son aise ; quoi qu’il en soit, j’ai toujours aimé, en bonne connaisseuse, des pistolets à la Valrose, dont la proportion se trouve analogue à mes forces : je laisse Alosia donner à ses Erastes des vits de quatorze et quinze pouces ; cette taille est bonne pour un cervelas de Lyon, ou un saucisson d’Arles, je n’en veux point ; et je ne disputerai jamais le braquemart de l’âne de la pucelle : j’ai vu de ces monstres, je les ai respectés ; j’en ai donné le bénéfice à qui l’a voulu, et, malgré l’usage des plaisirs et mes vingt-huit ans, je mérite les compliments de mes fouteurs ; je puis encore porter le nom de ce chapitre, et me nommer l’Étroite.




  1. C’est le pseudonyme du mot vit, dans quelques villes du midi de la France.