Vénus en rut, 1880.djvu/02

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Texte établi par Sur l’imprimé à Luxurville : chez Hercule Tapefort, imprimeur des dames, 1771, À Interlaken : chez William Tell, l’an 999 de l’indépendance suisse (p. 27-51).
Ch. II. La Curieuse

CHAPITRE II

LA CURIEUSE


Je continuai mes visites au boudoir de Valrose pendant huit jours ; quoique nous fussions unis comme le lierre à l’ormeau, il fallut se séparer. Si j’étais restée à A***, je l’aurais quitté plus tard, ou je l’aurais gardé en troisième, comme je l’avais en second, car je sentais qu’il me convenait de faire de nouvelles découvertes ; je n’étais point embarrassée de conduire une autre intrigue ; le jour m’offrait place pour deux encore : il avait le soir ; on sait à qui mes nuits appartenaient ; j’étais donc veuve le matin, et même presque tout l’après-midi ; tu gémiras certainement pour moi de cette privation forcée.

Mon père retourna dans ses pénates ; je le suivis, bien résolue de lever le camp à la première occasion ; elle parut ; il faut la saisir aux crins, comme les femmes.

Je trouvai un entreteneur, plus âgé que moi, chose que je ne pardonnai jamais ; il m’aima sincèrement, je devais le lui pardonner ; je crois qu’il fut le seul de tous les hommes qui m’ont juré une passion solide, qui s’attacha à moi, pour moi-même : malheureux, il méritait un meilleur sort ! Mais aussi pourquoi ne pas s’informer, avant de faire un bail ? Ma réputation commençait à s’étendre ; il aurait su que ma constance ne passait pas la semaine. Quoi qu’il en soit, je partis de mon village, avec une dignité qui en imposait à ses stupides habitants : je portai l’orgueil jusqu’à ne pas faire mes adieux à cette cave chérie qui avait reçu ma première offrande à l’amour ; je ne vis pas même celui qui m’avait ouvert la carrière des plaisirs : je fus quelques jours enivrée de ma gloire ; je ne m’occupai que de ma toilette, de mes projets de curiosité libertine, et des moyens de tromper celui qui faisait tout pour moi : j’eus peu de peine à le subjuguer ; rien de si aisé que de régner sur un cœur qui se livre de bonne foi : c’est pourquoi si j’ai trouvé de la gloire à me moquer de tous mes amants, lorsqu’ils se croyaient plus fins que moi, je sentais un léger scrupule d’attrister Francour : mais mon penchant invincible m’entraînait ; de plus, n’est-il pas écrit que celui qui comble de biens une femme galante doit être sa dupe ?

Me voilà donc entrée dans la lice, si longtemps désirée : j’ai une garde-robe, des bijoux ; je cours la poste, j’arrive chez Francour, où je jouis d’une aisance et d’une sorte de considération neuve pour moi : cet ami me traitait avec égards ; il était caressant, assez bien conservé, et me donnait des nuits meilleures que je ne les avais soupçonnées : il cherchait à me mettre de toutes les parties d’amusement ; elles me flattaient en sa présence ; elles me ravissaient en son absence. Voyant qu’il était déterminé à m’aimer trop sérieusement, je le laissai faire, et, comme j’avais beaucoup de liberté, j’en profitai, deux jours après la prise de possession de l’appartement qui m’était destiné.

Toujours fidèle à mes principes, Durocher, jeune homme que je n’avais qu’entrevu, et qui devait partir sous peu, me pria de lui donner quelques passades, ou plutôt je l’y engageai : une autre femme ne s’y fût pas prêtée, parce que cette intrigue était de nature à me jeter dans les plus grands dangers, et qu’elle n’était qu’une éclipse de bon sens. Ces motifs me décidèrent ; je trouvai que débuter dans le monde par un coup aussi hardi me ferait une éclatante réputation, et que mes plaisirs avec Durocher, devant être éphémères, je pourrais sous peu m’arranger avec un autre ; ce fut alors que voulant m’essayer, et monter par degrés au comble de la témérité, dont tu verras des traits, j’osai me le faire mettre par cet inconséquent étourdi derrière le paravent du salon où Francour méditait ; il fut cocu et content ; car, après ma gentillesse, je lui sautai au cou, et l’engageai à éteindre l’incendie qui venait d’être allumé ; volupté dont ma dupe me tint compte et dont je fis mon profit ; car, en bonne arithmétique, deux valent mieux qu’un. Ce que je te raconte te prouve que les amants, comme les maris, doivent se méfier des caresses affectées de leurs maîtresses. Les hommes le savent ; cependant je n’ai jamais manqué de les prendre dans ce piège usé, parce que, dans mes mains, il devient dangereux : nulle femme n’a porté plus loin que moi ce patelinage séduisant qui captive le cœur et les sens.

La ville où j’étais avait un spectacle ; je les suivais tous ; le théâtre est, pour une femme ardente, d’une ressource singulière ; c’est dans une salle d’opéra qu’elle jette le mouchoir ou le reçoit : là les lumières augmentent sa beauté, la parure lui donne de l’éclat ; les yeux se promènent sur un sérail masculin ; les ariettes amoureuses échauffent l’imagination ; les ballets, souvent très libertins, excitent les désirs par une pantomime lascive ; tout y respire la licence, et une courtisane se dit, avec orgueil… je puis me donner ce qui me plaît ; depuis le seigneur, couché négligemment au balcon, jusqu’au coiffeur perché dans les quatrièmes loges ; depuis l’histrion qui joue les rois, jusqu’à son humble confident. Je devrais finir ici mon histoire, car en quatre mots je viens de te donner le sommaire de mes aventures.

Il te faut donc l’aveu de mes actions secrètes, puisque je t’ai promis des détails ; on doit tromper les particuliers, mais une amie mérite ma véracité.

Je me suis rarement présentée à un spectacle lyrique ou dramatique dans le dessein de suivre la pièce, et si je l’avais voulu, je n’aurais pu le faire ; jamais je ne fus maîtresse de mon cœur ; tu sais que, selon le chevalier de Bouflers, ce mot n’est qu’un synonyme honnête : j’ai toujours ignoré, en faisant ouvrir ma loge, si je ne serais pas, un quart-d’heure après, conquérante ou conquise ; je n’ai connu qu’un embarras, non celui de refuser, mais de satisfaire tous les prétendants à mes faveurs : en effet, crois-tu facile d’arranger cinq ou six insurgents, qui offrent, en une soirée, leur joyeux service ? Refuser net me paraît impossible ; que deviendraient la politesse, l’urbanité, qui engagent à ne pas refuser ce qui peut convenir, surtout quand le marché est amusant ? Ne sais-tu pas que c’est pour moi que ce vers d’une tragédie de société a été écrit :


Pour vous foutre il ne faut que vous le demander.


On jouait un soir l’Ami de la Maison ; je résolus d’en introduire un de plus dans la mienne. La Molinière, jeune officier, se trouva près de moi ; sans doute mes regards lui firent beau jeu : il me débita de ces lieux communs qui paraissent toujours vrais à une femme qu’on recherche, quoiqu’elle les sache par cœur ; il me loua beaucoup, et avec adresse ; ce moyen est puissant ; il immole chaque nuit cent vierges sur les autels de la volupté. Il me peignit sa passion naissante et rapide ; assurément c’était son vrai caractère ; il me voyait depuis six minutes, et, craignant qu’on ne baissât la toile, il se hâta de se prendre dans mes filets, et me demanda permission de me faire sa cour. Cette phrase antique s’entend de reste : comme ceci était une aventure de salle, je jugeai à propos de faire le coup de théâtre ; je lui dis, avec la fermeté d’une courtisane de distinction, de venir le lendemain à mon hôtel, sans uniforme ; de se faire annoncer à ma femme de chambre, et que je me chargeais du reste.

La Molinière, qui certainement rit beaucoup de la rapidité de sa conquête, rapidité qui en aurait fait disparaître le prix, s’il avait eu plus de vingt-quatre heures à me donner, fut exact au moment indiqué. Ma soubrette le renferma dans sa chambre, où je passai avec lui tout le temps que je pus voler au pauvre Francour, qui fut traité comme à la suite de l’aventure du paravent ; c’est-à-dire, qu’afin de détourner ses soupçons sur mes absences, je le comblai de caresses factices, et le plongeai dans une mer de volupté ; ce qui me coûtait d’autant moins, que lorsqu’il me le mettait, ou je sortais des mains de la Molinière, ou j’allais retourner le joindre ; dans ces deux cas, l’imagination était allumée, et mon lord Pot-au-feu, qui croyait devoir répondre à mes prévenances, me procurait des plaisirs qui pouvaient faire nombre : je reprends.

Dès que je fus informée que mon jeune César était entré, je ne le laissai pas morfondre ; il ne faut jamais faire souffrir le prochain. Quoique grassette, je monte quatre à quatre, j’ouvre, et me voilà enlevée par mon joli prisonnier.

Certain d’être dans la plus grande liberté, assez connaisseur pour savoir qu’il fallait agir et non pérorer, il s’élance à mon cou et me prie de ne le pas faire mourir d’impatience ; il s’adressait bien, la mienne était égale. Faute d’autre meuble, je me jetai, en travers, sur le lit de Fanchette, et lui fis arranger un coussin sous ma tête ; à l’instant la Molinière jeta une lévite qui l’embarrassait, me montra une lance en arrêt depuis mon apparition, et me trouvant déjà placée, la gorge découverte, les jambes écartées, toute aussi nue que je le pouvais ; animé par un sourire expressif, il se précipita à mes genoux, et, dévorant des yeux l’autel où il allait s’immoler, il y imprima mille baisers, qui me causèrent un ébranlement dans tout le genre nerveux, qui l’aurait inquiété, si sa langue promptement allongée n’eût chatouillé mon clitoris et porté l’ivresse de mon âme au dernier période : jugeant alors que j’étais assez émue pour lui donner les plaisirs les plus vifs, il se leva rapidement, et me le mit avec l’ardeur d’une première jouissance : mes pieds appuyés contre le mur qui formait la ruelle me prêtaient une force supérieure ; plus il me serrait de près, plus je le lui rendais ; l’action et la réaction, parfaitement égales, produisaient une puissance mécanique d’un mouvement très exact ; mais ce bel ordre dura peu ; je suis trop ardente quand je jouis pour la première fois, pour garder une position ferme ; bientôt je m’inondai de torrents de délices, et je ne sentis plus, pour trop sentir.

Ce brave combattant se trouva si glorieux de sa supériorité, qu’il n’eut pas de peine à m’engager à un autre assaut : sa montre, suspendue à un crochet, nous apprit que nous avions employé vingt minutes, qui ne nous avaient paru qu’autant de secondes ; nous nous dépêchâmes un peu, crainte de surprise ; je voulais descendre pour éloigner les doutes ; mais mon ardeur, qui n’était que plus vive après cette première politesse, et l’état radieux de la Molinière vainquirent mes résolutions.

J’étais levée et à peu près en ordre, lorsque mon amant me dit :

— Non, adorable Rosine, je ne puis vous quitter encore ; la manière, trop commune, que nous avons employée vous aurait-elle déplu ? Je sais que vous êtes curieuse, peut-être ne connaissez-vous pas la ressource d’une chaise ? Les dames de ma garnison s’en servent avec succès ; elles y trouvent position avantageuse, promptitude à la quitter, et discrétion ; car tout autre meuble est souvent un témoin qui dépose fortement, quoique muet.

— Une chaise, m’écriai-je, ah ! la bonne folie !… mais on doit être très mal… je ne crois pas la chose commode ; voyons à tout hasard ; me voilà, puisque vous le voulez, et je me jette sur une chaise de paille, à dossier un peu élevé, qui se trouvait sous ma main.

— Pardon, madame, me dit mon officier, ce n’est pas cela ; permettez.

Je me lève, il retourne la chaise, en appuie le dos en le renversant contre la muraille, avançant la partie basse d’environ deux pieds, ce qui forme un talus point trop rapide ; puis il me pria de me mettre sur le dos de cette chaise couchée. Toujours complaisante, je me campe de mon mieux : il sépare mes cuisses, et m’enconne vigoureusement : les premières secousses me donnèrent un plaisir inouï ; mes jambes enveloppaient ses reins comme deux serpentaux ; il avait la main gauche sur ma gorge, la droite sous mes fesses, qu’il caressait : la fermeté du point d’appui, l’élasticité que j’en empruntais, la force impulsive que mon amant employait, n’étant pas gêné dans la respiration, ainsi que l’est souvent l’homme couché sur un lit, quand la femme amoureuse le serre trop étroitement dans ses bras, tout concourut à doubler les sensations que j’avais éprouvées au premier coup, et me firent perdre l’usage de la parole ; mon amant et moi finîmes ensemble ; nous fûmes inondés par nos mutuelles libations ; et ayant appelé Fanchette, qui préparait ma cuvette ovale, j’avouai que la curiosité de la chaise est très pardonnable.

La Molinière avait besoin de restaurants, on ne vit pas d’amour ; je le laissai avec ma confidente, qui lui fit prendre du chocolat ; elle était jeune, peut-être se servit-il avec elle de son moussoir ; j’ai eu plus d’une fois des soubrettes qui m’ont escamoté des passades ; il faut que tout le monde s’amuse.

Cet avant-déjeuner avait bien mérité le mien ; mais, toujours entraînée par l’occasion, il fallait le gagner encore : descendue dans ma chambre, je trouvai Francour dans un moment de gaieté, je lui demandai, en riant moi-même, quel en était le sujet.

— Je viens de lire, me répondit-il, dans cette brochure nouvelle, une assez plaisante aventure.

L’héroïne, introduite dans une abbaye de *** pour les plaisirs de dom Prieur, trouve moyen de le cocufier avec un jeune novice : la scène se passe dans un dortoir ; point de meuble commode ; une chaise se présente : le moinillon, qui vaut mieux que dom Frapart, cloue si fortement la petite inconstante, que la maudite chaise se brise, le couple amoureux tombe avec fracas, le bruit attire les cénobites, qui sortent en foule de leurs loges.

— Tu peux juger du reste, ma chère Rosine.

À ces mots je pars d’un éclat de rire.

— Et vite, mon ami, lui dis-je, essayons-en, cassons une chaise : tu sais que je suis curieuse.

— Volontiers, ce n’est pas la première fois que je m’en suis servi ; mais toi, tu ne connais pas cette plaisanterie.

— Moi, point du tout ; est-ce que je me suis trouvée réduite à ce triste nécessaire ? Pour t’amuser rien ne me coûte.

Alors je joue l’Agnès ; je me place sur la chaise, avec maladresse, et me voilà corrigée par Francour, qui m’arrange lui-même. Excitée par la réminiscence du premier acte, et, constamment occupée de l’objet présent, je m’agitai de manière à rompre une chaise de fer ! Celle-ci, sans doute, était enchantée : elle résista.

Francour, qui était un professeur émérite, me fit lever les jambes, et les fixa sur ses épaules ; alors poussant son viédas, avec raideur, il me fit sentir que dans cette attitude, tout s’emploie sans perte ; il appelait cette élévation, manière chinoise : il prétendait avoir eu, dans ses voyages, une femme de Canton, qui la lui avait donnée comme en vogue dans son pays. J’avoue que je trouvai la méthode excellente, et qu’elle me donna un appétit dévorant, que je m’empressai de calmer en déjeunant aussi, comme on le faisait à l’étage supérieur ; peut-être m’y copia-t-on ; car lorsque je remontai, je trouvai Fanchette un peu en désordre ; ne connaît-on pas la vérité de ces deux vers :


Eh, combien en est-il ? Non pas un, mais cinquante,
Qui foutent la maîtresse, ensuite la suivante.


Je pouvais espérer d’arriver au lendemain, sans compter mon officier, que je tenais en cage ; j’avais encore un autre travailleur de semaine, qui m’attendait au rez-de-chaussée dans ma salle à manger, et je lui devais une éclipse. Je fus l’y joindre au moment convenu, en sorte que tout marchait bien, que mes trois amis me croyaient dans le plus grand besoin de leurs caresses, et me les prodiguaient. Je savais que j’étais maîtresse de conserver Longchamp (c’est celui de la salle à manger) ; il fallait tirer parti de mon étranger. En quatre minutes je mis Longchamp sur le côté, mon ardente vivacité l’expédia, et je volai retrouver la Molinière avec d’autant plus de joie, que Francour venait de sortir pour quelque temps. Dès qu’il me vit entrer, il se plaignit de mon absence ; je souris ; il me demanda pourquoi ; au lieu de le consoler, je ne daignais pas partager ses peines.

— C’est, lui répondis-je, parce que je crois que vous vous êtes suffisamment distrait, pendant mon abandon forcé ; on pelotte en attendant partie.

— Quoi, vous me faites l’injustice, belle Rosine, de penser que… mais j’ai preuve…

— Qui ne prouve rien ; je suis bonne princesse, et je n’ai pas le temps de vous gronder ; je viens vous donner une heure ; voilà une pénitence, n’est-ce pas ?

Alors il détache, avec adresse, mon mouchoir importun ; il enlève mes épingles et me prie de si bonne grâce de faire disparaître mes jupes, que dans l’instant Fanchette fait de moi la religieuse en chemise.

— Ah ! ma Rosine, s’écria-t-il, que ne puis-je m’attacher à vous ? Le jour que vous m’accordez est le plus brillant de ma vie, mais il aura la rapidité de l’éclair… Quelle gorge ! en y imprimant mille baisers ; quel bouton de rose ! en le plaçant entre ses lèvres brûlantes ; puis, relevant tout ce qui s’oppose à sa vue, sa bouche amoureuse rend hommage à toutes les parties de mon corps et s’arrête sur cette forêt chérie des amants.

Les préliminaires sont beaux et bons, mais quand ils sont trop longs à régler, en amour, comme dans un congrès, ils éloignent la conclusion du traité. Un mouvement d’impatience lui annonça que je ne voulais pas être amusée par des bagatelles : peut-être avait-il ses raisons pour temporiser. La Molinière, voulant me prouver qu’il était digne de me combattre, me dit :

— Voluptueuse Rosine, serions-nous réduits à une monotonie fatigante ? Plus de chaise, plus de bord du lit ; daignez, puisque vous êtes à votre aise, vous prêter à une façon que j’ai vu réussir.

— Je le veux bien ; que faut-il faire ?

— Le plaisir vous l’apprendra.

Alors il se coucha sur le dos, dans toute la longueur du lit, et m’attira doucement sur lui ; dès que j’y fus, il plaça avec adresse son viédas qui était droit comme un pieu, dans mon con, qui se trouvait exactement au-dessus de lui, et le fit entrer jusqu’aux gardes par trois légers mouvements. À peine eus-je senti cette jolie manière, que je le couvris de mon corps, et que je m’agitai comme si j’avais eu l’expérience de la chose : mon amant, qui faisait mon rôle, et moi le sien, soutenait mes tétons dans ses mains ; quoique très fermes, dans cette position ils peuvent perdre de leur forme. Il me rendait les coups que je lui portais avec une vitesse supérieure à la mienne : ce nouveau genre de combat me força de m’épanouir huit fois de suite ; ne pouvant plus y tenir, je tombais sans mouvement sur son sein ; il quittait alors ma gorge, et passant ses mains sur mes fesses, il me serrait tendrement et m’accablait de caresses : si ce n’est pas ainsi que deux corps n’en font qu’un, je ne m’y connais plus.

Je trouvai cette leçon expérimentale si bonne, que nous la recommençâmes trois fois, pour ne pas l’oublier.

Hélas ! nos jouissances sont bornées par la nécessité absolue du repos ; il fallut reprendre des habits, dont il est si doux à une courtisane de se passer, quand elle se trouve avec un objet neuf pour elle, et que son intention économique est d’en tirer le meilleur parti possible !

Ma parure rajustée par mon amant et l’obligeante Fanchette, je quittai le premier, anéanti par mes bienfaits, et lui laissai, pour l’amuser, le théâtre gaillard, bien assurée que la lecture de Messaline, Vasta, la Comtesse d’Olone, etc., tourneraient à mon profit ; j’ordonnai à la seconde de porter à dîner au pauvre incarcéré ; j’avais eu soin de faire monter du bourgogne et de l’huile de girofle de la veuve Amphoux ; elle a des qualités connues des sectateurs de Vénus.

Il fallait aussi me mettre à table ; tu te persuades que j’y officiai bien ; après ma douce matinée, ayant passé sous trois amateurs, et peut-être, pour ma part sacrifié plus de trente fois, dans sept attaques, il fallait un peu de relâche, pour mieux recommencer ; car ma curiosité n’était pas satisfaite ; j’espérais que mon jeune lieutenant m’offrirait, avant de monter en voiture (il devait partir le lendemain), quelque nouveauté attrayante.

Un ami vint proposer une partie de promenade à Francour, et me voilà maîtresse chez moi ; j’allais vite retrouver mon oiseau de passage, lorsque le petit Longchamp se fit entendre. Sa présence, qui m’était agréable les autres jours, me désespéra ; je ne pus m’empêcher de lui faire sentir son importunité : je le boudai, je le grondai ; mon provincial ne quittait pas prise ; il m’excédait, voilà les femmes !

Le pauvre diable ne pouvait concevoir mon caprice ; je changeai de batterie, de peur qu’il ne lui supposât une cause étrangère ; je m’adoucis, et lui dis qu’une violente migraine avait fait naître mon humeur, qu’elle diminuait un peu, et que j’étais toujours sensible à son assiduité.

— Si cela est, dit-il, chère amie, vous savez avec quelle distraction vous m’avez traité ce matin, sans doute vous commenciez à souffrir, je ne m’en suis cependant pas aperçu ; vous pourriez, dans cet instant heureux où vous êtes libre, me dédommager des privations auxquelles vous m’avez réduit.

Finissant ces mots, il me conduisait vers mon ottomane ; j’allais m’y asseoir, lorsque je pensai que la Molinière pouvait hasarder de descendre, ayant entendu sortir Francour ; alors j’engageai Longchamp, sous prétexte d’une plus grande sûreté, à nous rendre dans cette salle à manger, théâtre qui lui était destiné ; j’ai toujours eu la précaution de fixer une pièce à chacun de mes amants, afin qu’ils ne se rencontrassent pas, s’ils manquaient leur heure déterminée ; malgré cette haute sagesse, j’y ai été prise, tu le verras ailleurs.

Me voilà donc à demi forcée de suivre Longchamp ; pour m’en défaire, il s’agissait d’un rôle de complaisance et de commander à mes sens : dès que nous fûmes seuls, il m’attaqua ; je lui protestai qu’il trouverait peu de plaisirs dans mes bras, parce que je sentais renaître ma migraine : il n’en crut rien ; je m’assis sur le bord de la table, ne voulant montrer que ma déférence ; il ne voulait point de cette position ; je n’en voulais point d’autre, croyant en être plutôt quitte ; vaine erreur ! il finit par la trouver très bonne, et j’eus beau jouer la nonchalance, je n’en ressentis pas moins beaucoup de volupté.

Dans cette attitude, la femme, presque droite, attachée au cou de son fouteur, a tout le buste qui porte sur les parties inférieures, ce qui la rend plus étroite et augmente la vivacité des frottements : je voulais lui dérober mes sensations en retenant les marques qu’il en recevait tous les jours ; il n’en fut pas la dupe ; et soit qu’il crût me guérir, car il savait que foutre est mon remède universel, ou que la table l’amusât, il me lima une heure, malgré moi ; enfin nous nous quittâmes ; pour l’engager à la retraite, je lui offris à dîner pour le jour suivant, avec promesse d’un dessert complet.

Mon importun éloigné, tu me vois, chère Folleville, près de mon jeune hôte, qui s’ennuyait de ne me pas travailler. Un bon consommé, un chapon au gros sel, un perdreau rouge, des œufs au jus avaient formé son dîner : il avait sablé sa bouteille de chambertin, bu trois verres de liqueurs des Îles, puis son café ; il était aussi frais qu’à son entrée : j’avais aussi réparé mes forces, elles étaient complètes ; car la bagatelle de Longchamp ne mérite pas d’être mise en ligne de compte par une femme comme moi.

— Dieux ! que vous m’avez fait languir, désespérante Rosine, s’écria la Molinière dès qu’il m’aperçut ! m’abandonner à une solitude affreuse, pendant que je sais que vous étiez seule !

— Pas tout à fait, lui répondis-je, j’avais quelqu’un que je brûlais de renvoyer ; mais me voici, le jour s’avance, réparons les instants perdus ; il faut donc vous quitter demain !

— Hélas ! vous savez, délicieuse maîtresse, que l’amour doit se taire quand la gloire et le devoir parlent ; sans cette loi rigoureuse, je serais à vous toute ma vie malgré vous-même. Puisque vous êtes généreuse, j’ai pensé, en vous attendant, à vous offrir une nouvelle idée ; sans doute elle ne l’est pas pour vous, mais nous ne l’avons pas exécutée aujourd’hui ; essayons-la.

Il voulait encore que j’ôtasse ma robe, je le refusai, et je lui promis que la nuit je me mettrais toute nue, afin qu’il fût content de sa visite.

— Vous me paraissez très libre avec Fanchette, me dit-il, elle vous aime, il faut l’employer à augmenter vos plaisirs ; reprenons le pied du lit… à merveille : mettons ce coussin sous vos fesses arrondies, pour les élever davantage, et placez votre joli conin à ma juste hauteur.

Autre coussin sous la tête, même deux.

— Cela est divin ; allons, ma reine, m’y voici… quelle volupté… que de délices… ô femme inconcevable, il me semble que plus j’ai la fortune de le faire avec vous, plus vous êtes étroite ! vous avez une fée, de vos amies, qui vous a accordé le don d’être toujours vierge, comme les houris de Mahomet.

— Je n’ai point d’art, je tiens de la nature ce que vous louez ; vous voyez que je n’en profite pas mal.

Quelques coups m’imposèrent silence ; dès que mon amant me vit occupée, il appela Fanchette, et lui dit :

— Prenez la jambe droite de madame, mettez-vous à côté de moi ; touchez-moi par un contact entier de votre corps ; soulevez la jambe de votre maîtresse à la hauteur de mon épaule, sans la serrer ; ainsi vous sentirez chaque mouvement que je ferai, cet ébranlement se communiquera à la belle patiente ; et vous, chère amie, laissez tomber à terre la jambe gauche, et allons notre train.

Il redoubla ses secousses, je les lui rendis en les triplant ; Fanchette m’encourageait des yeux et de la voix ; je n’en avais pas besoin : tout entière à l’action, trouvant excellent cette manière, qui bien mieux que la table, ne laisse à la grotte de Cythère qu’un passage étroit, en quatre minutes je fus gorgée d’un nectar amoureux, et je sentis augmenter ma jouissance, lorsque ma petite Fanchette, s’avisant d’elle-même de passer derrière mon vainqueur et de ramasser ma jambe qui touchait terre, elle l’éleva à la hauteur de l’autre ; ce qui faisait une espèce de brouette ; et, montrant son envie de me servir, pendant que mon ami me l’enfonçait rapidement, elle le poussait de toutes ses forces en suivant ses coups, afin de l’engager à ne pas quitter prise.

Nous fûmes plus d’une heure étroitement entassés, même vigueur de part et d’autre : toujours nouvelle complaisance, pourquoi faut-il enrayer malgré soi ?

Il était déjà tard ; j’avais une visite indispensable que je ne pouvais éloigner, je sortis ; je laissai Fanchette glaner un peu ; après une moisson aussi fructueuse, elle avait mérité quelques bagatelles, et son tempérament, allumé par l’exemple, exigeait un soulagement que notre invincible héros ne lui refusa pas, mais dont il fut économe ; il m’attendait après souper. D’ailleurs, n’étions-nous pas au pair ! S’il avait dit deux mots le matin à la friponne, tu sais ce que j’avais fait : si après son café il avait fourragé sa prairie, je n’avais pas été plus sage ; s’il voulait lui apprendre, en mon absence, quelque nouvelle posture avant de lui consacrer une partie de la nuit, j’avais encore à m’en faire donner par Francour.

Je dépêchai un brelan qui m’excédait, et de retour chez moi, je trouvai Francour, pour qui ma vue était toujours agréable ; nous soupâmes gaiement ; nous nous couchâmes. J’avais besoin de l’endormir ; je lui prodiguai les caresses que je savais lui plaire ; il se distingua pour les payer, et je ne le vis dans les bras d’un sommeil, si longtemps attendu, qu’après avoir reçu deux fois la preuve de sa trop sensible amitié. Quand je le vis totalement assoupi, je me glissai, sans qu’il pût se réveiller, et le laissai ronfler à son aise.

Il faut que je t’avoue encore un de mes talents, celui de plonger dans une sorte de léthargie ceux de qui je veux me délivrer, pour aller ailleurs, et de les quitter sans qu’ils s’en aperçoivent : je me suis procuré, cent fois, par cette manœuvre hardie, des jouissances nocturnes.

Francour, se reposant sur ses lauriers, je courus en cueillir de nouveaux ; la Molinière m’attendait.

— Enfin, vous me tenez parole, me dit-il, tendre Rosine, les moments qui nous restent seront bientôt écoulés ; vous m’avez promis une faveur, je la sollicite à vos genoux.

— Non, vous n’aurez point à vous plaindre.

Je vis que la rusée Fanchette avait mis des draps blancs, qu’elle avait allumé quatre bougies, et que, sur une table, elle avait servi des biscuits, des confitures sèches et du vin. Nous étions en été ; je n’avais qu’un léger corset, il disparut : je m’élançai dans le lit ; mon amant, aussi dépouillé que moi, s’y trouva en même temps.

— Belle Rosine, de grâce, point de chemise ennemie.

— Vous êtes exigeant ; il faut donc vouloir avec vous !

Me voilà comme Vénus sortant du sein des eaux, et lui comme Adonis, quand la déesse le reçoit dans ses bras : nous faisions mille folies ; il me dit les plus jolies choses du monde, sur chaque agrément qu’il découvre ; je suis aussi honnête, et saisis toutes ses formes nerveuses ; nous allumons un incendie par nos attouchements libertins ; nous sommes obligés de nous séparer pour jouir du frais et respirer un peu : j’avais les reins en feu, et ne pouvais plus me tenir couchée.

— Je n’en puis plus, j’étouffe.

— Ce n’est rien, essayons une posture qui permettra à l’air environnant de nous rafraîchir.

— Ah ! oui, je veux tout ce que vous proposez.

— Eh bien, ma divine, mettez-vous à genoux ; élevez la croupe, qu’elle soit bien haute ; appuyez-vous sur les mains, tenez la tête basse, tournez-la de mon côté, pour recevoir mes baisers, et laissez-moi faire.

Ainsi placée, il s’arrête un moment, admire mes fesses, qu’il trouve plus fermes et aussi belles que celles d’Aspasie ; mon dos, gras et d’un contour heureux, l’enchante : mais tout à coup, furieux de s’amuser à des détails, d’une main délicate il ouvre l’antre de la volupté et m’enfonce sa pine au point de me forcer à un cri douloureux. Bientôt calmée par les charmes du plaisir, je lui fis sentir mon approbation à cette découverte ; je m’agitai avec une telle ardeur, qu’il jugea que la manière avait mon suffrage.

— Chère et sensible Rosine, êtes-vous contente ? me disait-il avec une voix douce et insinuante.

— Ah ! oui, mon cher ami, tu es délicieux !

— Sentez-vous, belle enfant, plus de volupté qu’aux autres coups ?

— Ah ! le dernier est toujours meilleur, par excellence… mais… je me… meurs, tu m’inondes d’une rosée brûlante… quoi, encore… encore !… puissé-je rester dans tes bras ! non, tu ne m’as pas encore pénétrée aussi profondément : ah ! la curiosité est la mère du savoir !

Déjà le ciel commençait à blanchir ; l’aurore, fidèle avant-courrière du soleil, allait paraître ; Fanchette, plus désœuvrée, et conséquemment plus sage, nous en avertit : je me levai. Mon amant, désolé de me quitter, m’embrassa pour la dernière fois ; j’étais debout ; il ne put résister à un nouveau désir ; au milieu de la chambre, sans autre appui que celui de Fanchette, qui me soutint dans ses bras, il me le mit encore ; nous pensâmes tomber tous trois, dans l’instant d’anéantissement ; les forces de l’officieuse suivante ne pouvaient relever deux corps qui s’abandonnaient ; l’amour nous favorisa, et lui, déchargeant en Hercule, me dit ces mots, à jamais gravés dans mon cœur :

— Tiens, Rosine, reçois mon âme… C’est ainsi qu’en partant, je te fais mes adieux.

Il disparut, je fus retrouver Francour ; j’eus la curiosité de l’éveiller, pour m’assurer s’il ne savait rien de mon escapade.

— Ah ! friponne, tu m’éveilles, tu me le payeras : il dit, saute sur moi, m’enconne, et me voilà encore foutue ; ce ne sera pas la dernière fois de ma vie.

Conviens, Folleville, que je suis passablement curieuse.