Vénus en rut, 1880.djvu/03

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Texte établi par Sur l’imprimé à Luxurville : chez Hercule Tapefort, imprimeur des dames, 1771, À Interlaken : chez William Tell, l’an 999 de l’indépendance suisse (p. 53-97).
Ch. III. L’Affamée

CHAPITRE III

L’AFFAMÉE


Si jamais il me prend fantaisie d’écrire et de ruiner un libraire, je me ferai un genre, qui ne sera pas de la dernière ineptie : je n’épuiserai point mes chapitres, afin d’avoir des transitions plus faciles pour amener les suivants, et que mon livre, quoique décomposé, ne forme qu’un tout ; mais je crois devoir m’en tenir à l’encre blanche, et laisser aux mortels, qui portent barbe au menton, le privilège souverain d’ennuyer trop souvent leurs frères ; évitons de faire, de ce que tu liras, une potion narcotique ; tu vas me voir livrée à un enfant d’Esculape ; je puis bien me servir des termes de son art.

— Tu m’as crue, mon amie, revenue de la curiosité, ou assez instruite pour n’avoir plus besoin de maîtres ; tu es dans l’erreur. Avec une pratique suffisamment éclairée de l’acte mystérieux qui produit nos plaisirs et nos peines, je n’étais pas plus savante qu’une femme ordinaire ; mon orgueil en souffrait, j’étais dévorée d’une secrète inquiétude, je voulais connaître le jeu des organes par lesquels je donnais et je recevais des flammes voluptueuses ; je voulais concevoir le mécanisme, si compliqué, des muscles fermes ou flexibles, des nerfs érecteurs ou extenseurs, des glandes tuméfiées ou aplaties : je voulais palper les parties internes ou externes, dont l’existence faisait ma félicité. Je voulais apprendre où sont ces divins réservoirs qui renferment la liqueur sacrée, et découvrir comment cette sécrétion précieuse se forme, s’épure et passe par les ramifications de canaux imperceptibles. Auquel de mes amants aurais-je pu demander ces lumières ? Tous m’auraient répondu :

— Nous te croyons curieuse, Rosine, mais pas à cet excès : notre talent est de sonder tes jolies profondeurs ; nous laissons celles de l’anatomie à ceux qui veulent se rendre utiles, nous ne voulons être qu’agréables.

Le hasard me servit, je fus à Toulon voir lancer un vaisseau de guerre : fatiguée de parcourir cette ville dont la position est si enchanteresse, et d’examiner ce qu’une femme voit si mal, je m’étais assise au Champ de Mars. Un jeune chirurgien de marine prit place à côté de moi ; la conversation s’ouvrit ; nous parlâmes vaisseaux, modes, fortifications, spectacle, etc. Puisqu’il est décidé que tout homme parlera de son métier, voilà mon bourgeois d’Épidaure qui m’amène à ses talents et me détaille les cures incurables faites par sa jolie main, oui, jolie ; aussi eut-il soin de me la montrer. Il était embarrassé de m’offrir les secours de son art, me voyant une santé aussi brillante que celle d’Hébé ; ne pouvant parler du présent, il pensa au futur.

— Madame habite cette province, je m’en aperçois à cet accent agréable et cadencé qui, dans sa bouche, a tant de charmes : si jamais un sort contraire vous soumettait à quelque accident chirurgical, j’ose vous supplier de ne me pas oublier : ce que je sais, ce que j’apprendrai, tout est à vous ; et, dans cette infortune, Desmarais serait à vos ordres.

— Vous êtes obligeant, monsieur, lui répondis-je, et méritez, en revanche, d’être obligé ; vous me parlez avec une douceur qui annonce une âme franche et sensible ; j’habite C…, vous voyez que je suis voisine ; comment pourrai-je reconnaître ?… Je le regardais ; mes yeux scélérats n’ont jamais fixé impunément un jeune homme ; quelques regards encore plus déterminés ne lui permirent de proférer qu’un :

— Ah ! madame, en vérité !…

Son embarras me pénétra ; une coquette s’en serait moquée, une vraie courtisane, préférable à ces femmes fausses, ne méprise jamais celui qui est subjugué par ses charmes. Je lui rendis sa première hardiesse.

— Point de compliments, lui dis-je, monsieur, nous sommes jeunes, nous sommes d’un sexe différent, les égards les réunissent ; vous pouvez m’être utile pour un dessein, j’en serai reconnaissante : venez me trouver chez la dame Béatrix, chez qui je loge ; et, si vous consentez à m’obliger, je resterai quelques jours ici.

Tu devines, ma chère, que la tête pensa lui tourner : rendez-vous donné et reçu pour le lendemain à mon lever : huit heures sonnent, on me l’annonce ; je reste au lit, il entre ; le voilà près de moi.

Pour lui peindre ma singulière envie en termes clairs, il fallait commencer par lui montrer que je n’étais qu’une femme galante ; pourquoi ne pas le lui prouver ? Je lui découvris, insensiblement, mes vues et mes appas : il aurait mal fait, dans ce moment, une démonstration anatomique, mais j’étais sûre d’une physique transcendante ; je le voyais tout de flamme ; je n’étais pas moins ardente : un drap fin et léger faisait ma couverture, il m’assommait ; je fis un mouvement, qui envoya tout au diable : ce fut la première minute d’une jouissance très flatteuse. Desmarais, ne se contenant plus, me couvrit la gorge de baisers si répétés que je craignis d’être dévorée par ce lutin.

— Il est inutile de mettre trop d’obstacle à votre ardeur, lui dis-je, mon cher ; je sens que je l’ai provoquée, mais faisons notre petit marché. Je veux des leçons sur telles, telles parties (tu as vu ce que je demandais), si vous consentez à me les donner, sans réserve, je n’en aurai pas davantage pour vous.

— Eh ! madame, répondit-il, ne vous ai-je pas tout offert, sans vous connaître ? Dans ce moment où je vois mille beautés, sans en être possesseur, exigez ma vie, elle est à vous ; demain, aujourd’hui, ce matin nous commencerons ; mais, de grâce, accordez-moi une heure ; si vous m’ordonniez de vous obéir à l’instant, impossible, impossible, mon âme est anéantie, ou plutôt elle attend de vous une nouvelle existence.

Pendant ces phrases, mon visage devait être rayonnant ; peu à peu je lui offrais la vue de mes plus secrets agréments, je n’y tenais plus ; je voyais chez lui les symptômes les plus majestueux ; aurais-je fait la bégueule, pour la première fois ? Non ; et si tu trouves que j’ai trop longtemps retardé son bonheur, la seule raison est que je voulais l’enchaîner, et en faire un maître docile.

— Viens, lui dis-je, beau jeune homme, viens prouver à ton écolière qu’elle ne s’est point trompée.

La foudre, lancée par Jupiter irrité, est moins rapide, moins incendiaire que le trait dont Desmarais me frappa : je n’avais pas fini mon invitation qu’il était sur moi et dans moi. Le joli fouteur, chère amie ! Taille élégante, belle peau, visage d’Adonis, vigueur de Mars, d’une souplesse, d’une vitesse inconcevables ; folâtre, caressant, unique.

Je lui prodiguai les richesses de mon tempérament ; tout en me le mettant, il me disait sans cesse, et de mille façons, qu’il n’avait pas conçu qu’une femme pût être aussi ravissante ; je soutenais sa bonne opinion ; je déchargeai jusqu’à me fatiguer, ce qui était rare : succulent comme un chapitre complet de cordeliers, il faisait jaillir la source du plaisir jusqu’au fond de sa retraite : jamais, jamais je n’avais été si délicieusement perforée.

Je le priai de me laisser faire un peu de toilette ; il apporta mes flacons ; il en avait un sur lui d’une eau qu’il dit précieuse, et dont l’odeur suave portait au cerveau une douce ivresse ; il voulut me laver lui-même, il me parfuma et me passa une chemise ; voulant s’assurer si j’avais repris la fraîcheur qu’il me désirait, il imprimait sa bouche sur tout ce qui s’offrait à ses yeux avides ; il se fixait sur ma jolie motte, qui, sans vanité, a toujours été reconnue charmante ; relevée, grassette, potelée, elle est ombragée par un poil châtain-clair, si bien planté des mains de l’obligeante nature, qu’il forme un triangle équilatéral dont plus d’un galant géomètre a voulu prendre les heureuses proportions. Il craignait, m’ayant vu porter la main plus bas, que je ne sentisse quelques légères cuissons ; en homme de l’art, il sépara mes lèvres, avec une adresse singulière, et ne découvrant que feuilles de roses :

— Amour, s’écriait-il, tu n’eus jamais de temple aussi fraîchement décoré !

Il en baisa l’entrée, et agitant sa langue, avec mignardise, il me força à une preuve de sensibilité, qui l’enchanta :

— Ô Vénus, tu n’eus jamais un esclave comme le mien !

Plus adroit que Ganymède, il voulut que je prisse du chocolat ; me le versant, il était la complaisance même ; me présentant ma tasse, il me baisa la main avec un air de gratitude qui me pénétra.

Nous étions dans un climat brûlant ; je n’avais qu’une robe de mousseline des Indes, il était en veste ; l’inspection qu’il avait faite et ses suites, firent sauter un bouton de bazin qui me laissa voir mon Desmarais bandant comme l’arc de Cupidon : je voulais faire un cours d’anatomie, pouvais-je ne pas m’arrêter à des détails qui y étaient analogues ? J’avais vu, palpé, senti, usé beaucoup de vits ; celui de mon nouvel ami réunissait tout ce que je désirais. Huit pouces étaient sa longueur ; je n’ai jamais aimé plus que cela ; sept à huit pouces doivent amuser toute femme de goût ; sa grosseur, renforcée dans la culasse, emplissait ma main à son milieu ; sa tête, audacieusement levée, était d’un incarnat annonçant la jeunesse ; ses testicules, remplis d’un sperme abondant, promettaient ce qu’ils tenaient, des plaisirs répétés ; un poil noir comme jais obombrait cet arbre voluptueux ; c’était un vit tel que Cléopâtre n’en eut jamais ; il m’offrait ses secours dans un moment où j’étais affamée ; j’avais été réduite à une abstinence forcée, de trente heures ; juge combien il me devenait nécessaire ?

Desmarais, voyant avec quelle complaisance je le patinais et le branlais, non par cette triste nécessité qui nous y détermine trop souvent, mais pour l’amuser, sauta sur mon lit comme un écureuil, et, en moins de quatre minutes, me fit décharger autant de fois ; il me priait, si tendrement, de l’avertir quand je voudrais finir, par un baiser, plus appuyé que les autres, que je le lui promis. Trois fois encore je lui donnai le signal convenu, trois fois il m’arrosa par une pluie féconde : ô ! mon amie, comment ne meurt-on pas dans les bras d’un aussi aimable enfileur ! je craindrais qu’il ne me fît oublier les autres hommes si je ne sentais que mon épigraphe peint mon état habituel. Que veux-tu ? Nous dinâmes ensemble ; nous soupâmes ensemble ; nous couchâmes ensemble ; et, pendant huit jours, j’ai plus foutu avec lui qu’avec huit autres pâles mortels.

Nous réglâmes nos amusements et nos études ; il me fit connaître un artiste qui avait, en cire, un système complet d’anatomie ; mon cher Desmarais me donna dix leçons sur les parties sexuelles de l’homme, et six sur celles de la femme : je sus à peu près ce que je voulais ; et après avoir fait mes remercîments au galant démonstrateur, forcée à le quitter, je sentis, pour la première fois, mes yeux humides ; avant cette épreuve je ne m’aurais pas soupçonnée de cette faiblesse ; mon adage était :

— Un perdu, cent retrouvés.

Ici cet un en valait quatre, et j’étais excusable ; je me livrai donc à ma sensibilité : il trouva moyen de me le mettre encore pendant qu’on chargeait ma voiture, je ne le voulais pas, je ne pus résister.

— Adieu, cher Esculape, adieu ; ton scalpel a fait, je crois, une blessure à mon cœur.

Fanchette ne soupçonnant pas Desmarais assez usagé pour ne pas être gêné par sa présence, s’était toujours retirée, quand elle le jugeait à propos ; mais, en fille digne de mon choix, et admise à ma confidence, elle avait chaque fois laissé la porte entr’ouverte, et s’y était collée pour voir et entendre ; aussi rien ne lui était échappé ; elle me l’apprit avec un feu qui me fit juger son désir.

— Vous devez aller dîner à Hyères, me dit-elle, je vous suis inutile, souffrez que je demeure, je vous rejoindrai demain à Solliez chez Suzanne ; vous m’y trouverez à votre passage ; nous parlerons de vous, monsieur Desmarais et moi.

J’y consentis.

Le jeune homme, étonné de la voir rester, lui en demanda la raison, elle la lui donna, et lui, en garçon reconnaissant, prodigua ce qui lui restait de trésors à cette gentille fillette, qui m’apprit, à notre réunion, que jamais elle n’avait été aussi joyeusement célébrée. Cette Fanchette deviendra un personnage utile ; tu la verras admise à mes orgies.

J’allai joindre mon amie Lucinde, qui, depuis quelques jours, était à Hyères avec un Anglais ; elle voulait que je connusse cette petite ville, fameuse par ses parfums, bâtie sur une éminence, dont le pied s’étend vers la mer, et qui n’est pas moins renommée pour ses excellents fruits. Je découvrais, des fenêtres de mon auberge, un vallon rempli d’orangers, dont les fleurs odorantes parfumaient l’air qui venait jusqu’à moi : plus loin, la vue se porte sur des marais salins, et l’aspect de la mer termine ce coup d’œil, qui s’enrichit par les navires qui passent pour gagner Marseille ou le Levant. Lucinde aimait la promenade ; elle n’avait rien de mieux à faire ; le chevalier Triston était attaqué du spleen ; sa maîtresse avait besoin de moi pour se distraire, ne pouvant jouir des consolations galantes que de jeunes Provençaux lui offraient, parce que Triston était mauvais plaisant.

Nous fûmes au jardin, si connu de monsieur Fille, qui n’est qu’un carré, peu vaste, planté de ces arbres précieux qui portent les pommes d’or ; ce verger délicieux, qu’un poète appellerait Champs-Élysées, jardin des Hespérides ou l’Éden, est d’un produit supérieur à celui d’une terre considérable. Là je foulais aux pieds la fleur d’oranger ; ce fruit, d’une forme et d’une couleur si agréables, se présentait partout sous ma main : plus loin l’ananas, le poncire, le citron, la bergamotte, offrent leurs parfums variés : les berceaux d’Idalie et de Paphos étaient moins enchanteurs ; aussi j’y cueillis… quoi…? Un amour.

Tu vas me demander quel arbre porte ce fruit si rare ? Le hasard. Étant entrée dans la maison du jardinier, un jeune garçon, beau comme Hylas, s’y présenta avec une aisance décente.

— Parlez-vous français, mon ami ?

— Oui, madame, sans cela je serais bien à plaindre.

— Pourquoi donc ?

— C’est que je dois partir incessamment pour aller chercher du service à Lyon ou à Paris.

— Est-ce que vous êtes décidé pour l’une de ces deux villes ? Si vous trouviez plus près, vous seriez placé, sans les fatigues d’un long voyage.

— Sans doute, madame ; mais on dit qu’on ne fait rien dans son pays.

Je ris en moi-même, car j’ai beaucoup fait ; et, continuant, je lui dis :

— Je connais une dame qui vous prendrait, et vous habillerait en jockey ; voudriez-vous être jockey ?

— Tout ce que vous voudrez, madame, pourvu que ma maîtresse soit de vos amies.

— Mais vous êtes honnête : comment vous appelez-vous ?

— Honoré Bienfait.

— Oui, en vérité, je ne changerai pas ce nom, et c’est moi qui vous prendrai ; êtes-vous votre maître ?

— Pas tout à fait, madame, j’ai une tante.

— Faites-la venir.

Mon petit homme partit comme un coureur et m’amena sa tante essoufflée, qui me donna, gaiement, son cher Honoré, le recommandant à Dieu et à mes bonnes grâces : tout fut dit ; et me voilà dame suzeraine de mon futur jockey, de qui les cheveux déjà coupés dans ce costume, flottaient négligemment.

Lucinde se doute de mes vues, et me dit, à voix basse :

— Après la chère que tu as faite à Toulon, tu avais besoin de ce cure-dent.

Je lui avais tout raconté, je ris de son idée : elle aurait bien voulu que milord lui permît pareille emplette ; elle me félicita ; nous revînmes, nous couchâmes ensemble et fîmes des folies de filles, tout en parlant du jockey, qui ne devait point monter à cheval.

J’avais grande envie de faire travailler à la garde-robe d’Honoré, et de commencer son éducation ; je ne m’étais point encore régalée de prémices ; cet enfant était superbe ; il avait près de cinq pieds, une tournure agréable, de grands yeux noirs, bordés de belles paupières, des sourcils arqués et bien fournis, des lèvres vermeilles, des dents très blanches, et des joues, vraies petites pommes d’Api.

Sortant d’Hyères, afin que Triston ne se doutât de rien, je fis monter mon page derrière ma voiture ; à cent pas de la ville, je l’appelai et le fis entrer, sous prétexte que je craignais, pour lui, un coup de soleil : il ne se le fit pas dire deux fois, et le voilà vis-à-vis de sa dame.

— Eh bien, Honoré, êtes-vous bien aise d’être à moi ?

— Très aise, madame.

— Vous comptez donc vous attacher ? Aurai-je le désagrément de faire beaucoup pour vous, et que vous cherchiez, par inconstance, une autre maîtresse ?

— Non, madame, je ne vous quitterai jamais, à moins que vous ne me chassiez.

— Ce n’est pas mon intention ; mais, dites-moi, serez-vous bien obéissant ?

— Mettez-moi à l’épreuve, madame ; je n’ai point encore servi ; je serai maladroit, mais l’intention y sera.

— Allez, mon ami, avec de l’intention on n’est pas longtemps maladroit.

Je le regardai avec une douceur qui le flattait singulièrement ; il commençait à oser lever ses yeux, qu’il avait presque toujours tenus baissés, quand, traversant un ruisseau profond, que mon cocher avait mal coupé, mon petit voyageur, peu accoutumé au carrosse, quitte son coussin et tombe la tête sur mes genoux.

— Eh ! mon dieu, pauvre garçon, ne vous êtes-vous point blessé contre les breloques de mes montres ?

— Non, madame.

— Voyons.

Je le tâte, je relève son toupet qui masquait le plus joli front ; je passe ma main sur sa tête et son visage ; il n’avait rien ; mais j’eus le plaisir de sentir baiser cette main ; ce qu’il fit par un excès de reconnaissance, et si involontairement, qu’il en rougit comme d’un crime.

— Rassurez-vous, Honoré ; j’aime les marques de sensibilité, je serais fâchée que vous eussiez un cœur dur.

— Ah ! madame, il ne l’est pas… Au contraire.

— Au contraire ; est-ce que vous en auriez déjà fait l’essai, et quitté une amie pour me suivre ?

— Non, madame, mais vos bontés me mettent hors de moi ; je ne sais comment je les ai méritées.

— Par votre douceur : me promettez-vous de faire ce que je vous conseillerai ?

— Je le jure.

— Écoutez, nous sommes seuls, je veux votre fortune ; je veux aussi que lorsque nous serons ensemble, sans témoins, vous ne coupiez pas tout ce que vous dites, par ce mot madame ; je suis votre maîtresse, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Appelez-moi donc votre maîtresse, et seulement madame en public.

— Je n’oserai jamais prendre cette liberté.

— Eh bien ! je ne vous répondrai pas.

— Mon Dieu !

Ici il y eut un silence assez long ; Honoré ne savait comment renouer la conversation ; j’en fis les frais.

— D’où vous vient cet embarras ? N’est-il pas vrai que si je ne me donnais une supériorité sur vous, et que je fusse habillée en bergère, vous ne seriez pas si timide ?

Il sourit.

— Vous répondriez à mes prévenances avec égalité ; je n’ai point d’orgueil, la richesse n’est qu’une fausse supériorité ; je n’en ai point d’autre sur vous, ni ne veux en avoir ; je prétends que vous soyez parfaitement libre avec moi, et que vous ne me rendiez que les services qui ne coûteront point à votre cœur.

— Oh ! madame… oh ! ma chère maîtresse ! aurais-je pu espérer ce bonheur ? Je ne sais ce qui se passe dans ce cœur, qui vous obéira sans cesse ; je ne me suis point encore trouvé en un pareil état.

Il est vrai que le pauvre enfant avait le front couvert de sueur. Ô nature ! que tu parles avec une force irrésistible ! je me hâtai de lui tendre la main ; il la prit ; je serrai la sienne légèrement ; il me le rendit avec un doux frémissement : j’attirai sa main sur mes genoux, il l’y fixa ; je le dévorais des yeux ; sans doute il lut dans les miens. Je le baisai, malgré moi, sur la bouche ; il appuya ses jolies lèvres sur ma joue et versa quelques larmes. Tu vois que, dans cette position, il était presque tout entier sur moi ; nous y restâmes deux minutes ; je lui donnai encore des preuves sensibles de ma bienveillance ; et, voyant que nous arrivions à Solliers, je lui dis de se tenir.

Je trouvai Fanchette qui m’attendait ; elle avait l’air d’un lendemain de noces. Elle ne m’eût pas plutôt aperçue avec ma nouvelle suite, qu’elle me dit :

— Mon Dieu, madame, le joli mouton que vous avez trouvé !

— Oui, mais ne vas pas le mettre dans ta bergerie.

— Pas de quelque temps au moins ; il faut laisser aux maîtres celui de passer leurs fantaisies : comment nommerai-je mon camarade ?

— Honoré.

— Seigneur Honoré, très honorable serviteur d’une maîtresse charmante, j’ai l’honneur de vous offrir mes petites instructions, afin que madame soit bien servie.

— Mademoiselle, répondit le jeune adolescent, je vois que madame n’avait aucun besoin de moi, puisque vous lui êtes attachée ; c’est par pure bonté que…

— Oh ! que non, mon ami, vous ferez ce que je ne pourrais exécuter ; entendons-nous, et tout ira bien.

Cet entendons-nous me plut médiocrement ; je dis à Fanchette de faire servir et que, sans cérémonie, pour ne pas m’ennuyer, puisque Honoré n’avait pas encore de livrée, nous dînerions tous trois : cela fut arrangé ; j’envoyai, pour lors, chercher des chevaux de poste à Toulon pour gagner le Beausset et arriver le soir à Marseille.

Tu sais que cette ville populeuse est l’asile de la liberté, le séjour de la licence, ou, si tu aimes mieux, le paradis des femmes ; on y fait ce qu’on veut, et plus qu’on ne veut ; car les occasions y sont aussi près que les réverbères. Un triple dessein m’y amenait ; m’amuser deux jours, car je comptais y revenir ; faire habiller Honoré, et jouir de son étonnement à la vue des spectacles variés qui s’offrent à Marseille ; je ne quittai point mon élève, de peur que quelque Grecque amoureuse ne me l’enlevât : je n’eus pas la même inquiétude sur Fanchette, qui pouvait seule se défendre contre la légion des Grecs pharaoniques qui ruinent les hommes, sans enrichir les femmes.

J’envoyai chercher un tailleur, je lui ordonnai une lévite et un gilet vert-pomme, collet, parements, ceinture couleur de rose ; le tout chargé d’un énorme galon d’argent ; quand on compose sa livrée, il faut qu’elle soit galante : quelque jour je me donnerai des armes ; je t’assure qu’elles seront parlantes.

Mon gentil Honoré fut, en vingt-quatre heures, vêtu, coiffé, botté ; je lui donnai le plus beau linge, et pour cause ; je le parfumai, je le fis baigner ; il ne se reconnaissait plus ; et je jouissais de mon pouvoir magique, dont cette métamorphose n’était qu’un essai.

Je ne cachai rien à Fanchette, elle connut mes intentions, et, pour m’éviter des soins fastidieux, je la chargeai de prévenir le petit de mes favorables désirs, que je voulais satisfaire la nuit prochaine.

Elle s’en chargea, et m’obéit si bien, que, revenant de la comédie, je le trouvai d’une gaieté ravissante. Pour arriver plus tôt à la conclusion, je soupai en poste, et dis que la chaleur du spectacle m’avait donné un mal de tête qui avancerait mon coucher.

On mit dans ma bassinoire des pastilles à l’ambre ; je bus de la crème de rose, j’en fis prendre au néophyte amoureux ; je lui donnai des diabolo de Naples, dont il ne connaissait pas la force, et je me déshabillai devant lui. Alors Fanchette lui dit :

— Pendant que j’arrange la toilette, prenez le mouchoir de madame, ses jarretières, ses bas.

Mon valet de chambre, qui m’avait menacée de maladresse, était d’une dextérité singulière ; j’avais la gorge découverte, il la dévorait des yeux ; j’eus la malice de lui dire :

— Honoré, vous me regardez beaucoup ; est-ce que vous n’avez jamais vu de femmes ?

— Je vous demande pardon, mais point d’aussi belle que vous.

— Une bonne maîtresse ne se gêne point avec des domestiques qu’elle aime ; je vous regarde comme une seconde Fanchette ; vous êtes plus jeune, et vous avez la fraîcheur de l’innocence.

— Fanchette, ma belle maîtresse, aura la préférence, elle est l’ancienne.

J’allais répondre, mais ma confidente coupa la phrase, et lui dit :

— Va, Honoré, ouvre le lit de madame, donne-lui la main, couvre-la bien, et tu verras que les nouveaux valent mieux que les autres ; elle se retira, me souhaitant bonne nuit.

Honoré devait coucher dans mon antichambre ; il tournait sans cesse autour de moi, pour arranger le traversin, oreiller, couverture ; tout en se rendant utile, il rencontra mes pieds, et sans le vouloir, m’y procura une démangeaison très ressentie. Je suis très chatouilleuse, ou plutôt j’aime à être chatouillée, c’est un de mes plaisirs.

— Ah ! fais, lui dis-je, petit ami !

Il continua avec tant d’adresse, que je tirai une jambe du lit, pour la lui livrer ; il avait des doigts d’une légèreté qui me forçaient à des mouvements qui l’enchantaient, en lui prouvant qu’il se rendait utile ; ses mains, du pied, gagnèrent la jambe, le genou, la cuisse ; il était hors de lui.

— Êtes-vous chatouilleuse partout, ma belle maîtresse ?

— Oui, mon ami, avance un peu.

— Mais je ne puis y atteindre, le lit est trop large.

— Tu as raison, viens dessus à côté de moi, tu seras plus à portée.

Il grimpe, et commence par frotter doucement les bras et les épaules ; je porte son obligeante main sur mon estomac, pour l’engager à s’étendre du côté de ma gorge, ou de ma fossette amoureuse ; ce fut alors qu’il fut embarrassé : je le déterminai par un mouvement qui fit glisser sa main sur ma motte, en même temps qu’il approchait mes tétons de son visage. Mon jeune enfant leur donna cent baisers, et ses doigts, ne sachant plus où se fixer, se promenaient partout, et y portaient le délire.

— Viens, Honoré, viens plus près de moi, tu fais si bien que tu feras mieux encore ; dépouille toute honte, avec tes habits ; Fanchette dort ; tu la réveillerais en sortant, je veux faire ton bonheur.

— Ah ! vous serez obéie, ma belle maîtresse… quel plaisir… comme je vous chatouillerai !…

Pendant cette promesse il avait fait sa contre-toilette ; il monte et se couche près de moi.

— Belle et bonne maîtresse, par où voulez-vous que je commence ?

Et ses doigts étaient en mouvement ; mais ce qui valait mieux, c’est que dame nature avait été, pour lui, généreuse et précoce. Il portait un outil de société, qui aurait fait honneur à un jeune homme de dix-huit ans, et dont il ne savait que faire, ou n’osait que faire, en si belle occasion, puisqu’il le tenait alternativement caché de chaque main. Pour le forcer de le laisser en liberté, je lui dis :

— Honoré, passe tes bras sous les miens, pour frotter doucement mes épaules.

Tu conçois que pour cette manœuvre il fallait l’avoir couché sur moi ; alors chaque bras touchait un de mes tétons, sa bouche était près de la mienne, son corps portait en entier sur le mien, et son joli priape battait ma motte et augmentait mon désir.

Dans cette ivresse, ne voulant perdre ni mon temps, ni ses forces, je lui donnai un baiser, comme il n’en connaissait pas ; je le serrai contre mon sein, et, insinuant ma langue dans sa bouche, je crus qu’il devenait fou de plaisir, dès que je la retirai.

— À moi, dit-il, ma belle maîtresse, si vous le permettez.

Et dans l’instant la sienne porte dans mon cœur le feu de sa salive bouillante : je n’avais point à craindre d’être ratée, rien ne me retint davantage.

— Oui, mon cher, sois mon petit amant ; connais le suprême bonheur, et souviens-toi que c’est à ta maîtresse que tu dois la première leçon ; imite-moi, et obéis à la nature.

Alors je pris de la main gauche son jeune vit, et me l’introduisis où je le voulais : à peine fut-il entré, que je lui donnai quelques coups de cul à la créole ; mon heureux enfant me rendit mes soins, et me procura une vraie satisfaction, d’autant plus rare que je ne puis te peindre la jolie mine qu’il fit lorsqu’il déchargea dans un con, pour la première fois de sa vie. Je voulais le faire relever, il me répondit, d’un air enfantin :

— Je vous avais bien dit que vous me chasseriez quelque jour.

— Aimable enfant, qui ne connais ni tes forces, ni ta faiblesse, c’est pour te ménager que je veux me priver des plaisirs que tu me donnes.

— N’est-ce que cela ?

En même temps le voilà qui pique des deux, prend le trot, et bientôt le galop ; nous arrivons ensemble au bout de la carrière. À ce coup, fatigué malgré lui, il reste immobile sur moi, en me regardant avec une langueur qui semblait demander grâce, pour n’avoir pas fait plus ; il avait fait beaucoup, car il avait répandu plus de liqueur qu’un jeune marié. Je le comblai de caresses et d’éloges ; je lui dis que je l’avais fait homme, et, qu’en cette qualité, il devait être discret ; que, révéler mes bontés ce serait me nuire, et, qu’en tout temps, je voulais lui être utile : il voulait causer, il voulait me lutiner, je ne pouvais contenir sa vivacité. Malgré les deux postes qu’il venait de courir, je le sentais en état de poursuivre sa route, il m’en priait, avec ardeur ; je n’y consentis pas ; j’exigeai qu’il se reposât, et lui promis de le laisser le maître, avant de se lever. Je l’arrangeai à mes côtés, je plaçai sa tête sur mon sein : Folleville, si tu me crois jolie, je dirai que ma lampe de nuit éclairait l’Amour et Psyché.

Mon petit Honoré est bien le plus mauvais coucheur que je connaisse ; il ne me laissa pas fermer l’œil ; remuant toute la nuit, me baisant doucement partout de peur de m’éveiller ; martyre d’une érection presque continuelle, qui m’inquiétait ; ne sachant si je lui ferais plus de mal en le soulageant, ou en dissimulant, il était aussi agité que moi. Cependant ce charmant garçon me faisait pitié, je voulus le livrer aux conseils de la nature : feignant de toujours dormir, j’écartai les cuisses et repliai les jambes en faisant les mouvements d’une femme qui, en rêvant, se croit dans le plaisir. Honoré ne s’y trompa point ; il crut que je lui faisais un appel. Sans rien dire, il se plaça dans l’intervalle, et, suffisamment instruit, il entre à bride abattue : je m’éveille, et lui dis :

— Quoi, mon ami, est-ce ainsi que vous me tenez parole…

Point de réponse, c’est la bonne manière, je n’aurais pu moi-même continuer mon bavardage, car je me sentis supérieurement amusée ; l’enfant chéri de Vénus poursuivit brillamment sa carrière, et fit bouillonner dans moi une source inépuisable : je n’ai jamais conçu qu’on pût être aussi bon à quinze ans. Ces jouissances prouvent bien qu’à ce doux métier les apprentis valent mieux que les maîtres.

Après ce coup, nous dormîmes tous deux de bonne foi jusqu’au matin, où il me donna un nouveau trait de force et de gentillesse ; il était dix heures quand nous nous éveillâmes.

— Il m’en revient encore un, charmante maîtresse, me dit-il, mais me promettez-vous de ne pas vous opposer à ce qui ferait mon bonheur.

— Oui, je te le promets.

Il saute du lit, comme un lévrier, et va ouvrir les volets.

— Je n’ai vu vos beautés qu’à la lumière, me refuserez-vous de les adorer en plein jour ?

Je trouvai son idée jolie, je le laissai faire ; il parcourut tous mes charmes, sans s’y arrêter ; il voulait jouir de tous à la fois, et, se plongeant dans mes bras, il me donna le plus succulent bonjour.

Il voulait doubler, parce que, disait-il, on doit finir comme on a commencé. Heureuse erreur ! il ne savait pas que c’est presque la chose impossible ; pour me délivrer de ses persécutions, je sonnai Fanchette : elle entra, et dit en riant :

— Que vous avais-je annoncé, monsieur Honoré, car je dois ce titre à l’homme fortuné qui a mérité les faveurs de madame ? Que votre sort est digne d’envie ! Jockey au dehors, valet de chambre le jour, amant la nuit ; et moi, pauvre fille, qui n’étais séparée que par une porte vitrée, j’ai pensé mourir, accablée de mon veuvage.

Je ne voulus plus rester à Marseille ; je prévoyais ce qui est arrivé, que mon Honoré serait bientôt, ainsi que César, la femme de tous les maris, et le mari de toutes les femmes : je voulais, avant de le mettre dans le commerce, m’en amuser le plus possible.

Je dois ici un avis à mes sœurs, les femmes galantes ; plusieurs prétendent qu’un pucelage n’est pas amusant ; je pense de même, si le fruit n’est pas mûr ; mais mon Honoré aurait été un des amants de Livie ; Auguste en aurait fait un de ses mignons.

J’avais une sorte de malaise, né, je crois, de mes plaisirs trop fréquents : le docteur la Mortelière m’ordonna les bains d’Aix ; j’y fus. On connaît ces bains fameux de Sexius, dont l’eau, d’une douce chaleur, a des qualités dont on ne fait pas assez d’usage.

La maison qui les renferme a plusieurs cabinets séparés avec leurs baignoires de marbre blanc ; on y descend par des marches égales ; on peut y graduer la chaleur à volonté ; il y a des chambres où deux personnes de même sexe peuvent entrer ; mais un peu de tricherie se glisse partout.

Je fus dans un de ces réduits, et je m’y plongeai avec Fanchette ; l’idée d’y faire venir Honoré habillé en fille m’amusa, et Fanchette me promit d’en faire, le lendemain, une jolie Provençale : nous arrangeâmes cette folie ; la directrice des bains ne soupçonna rien.

Nous eûmes, Fanchette et moi, une plaisante querelle ; cette petite pétulante me dit qu’elle habillerait Honoré, qu’elle serait très discrète, mais qu’elle voulait être de la partie, non pour diminuer mes plaisirs, mais pour voir et entendre comment on baisait une femme dans l’eau ; ce qui, depuis longtemps était une de ses fantaisies, comme à moi d’en essayer ; je consentis.

Honoré dit qu’il serait charmé d’avoir une connaisseuse pour témoin, et qu’il espérait se bien battre : nous partons, nous arrivons, nous entrons toutes trois et fermons la porte. Dès que nous fûmes déshabillées, voilà mon petit et moi plongés jusqu’au cou. La chaleur douce, le savonneux des eaux, et plus encore nos caresses nous firent enlacer ; mon jeune homme, appuyé sur les mains, me le mit avec une adresse charmante ; Fanchette, qui était dans l’autre baignoire et qui nous voyait, s’était allongée, montrant une très jolie gorge, et donnait de petits coups sur les fesses de mon Alphée qui foutait son Aréthuse ; il trouvait le jeu à son gré, et je sentis qu’il redoublait si vivement ses caresses, que je dis à Fanchette :

— Continue, et fais mieux encore.

Elle obéit avec plaisir, chatouillant les couilles de mon amant et leurs alentours ; inaccoutumé à cette diligence, il partit, comme un trait, et me paya libéralement de son invention : deux fois nous répétâmes, et l’officieuse soubrette, se souvenant que je m’étais bien trouvée du secours qu’elle avait donné à la Molinière, elle entra dans notre bain, et serrant légèrement Honoré, pendant qu’il me le mettait, le baisant sur tout ce qui était hors de l’eau, et le patinant sur ce qui était dedans, nous eûmes tous plus ou moins de volupté.

Cet acte généreux de la complaisance de Fanchette excita la mienne ; et je lui dis, avec la franchise qu’elle me connaissait :

— Je vois que tu as aussi ta portion de goût pour Honoré ; comme je ne suis pas assez riche pour ne m’occuper que de lui, et que nous allons travailler pour l’utile, je consens que tu t’en amuses quelquefois, et je pense que notre ami le trouvera bon.

L’enfant faisait l’enfant, craignant que je ne lui tendisse un piège ; je l’assurai qu’il ne me ferait aucune peine, au contraire plaisir, parce que, malgré ma curiosité, je n’avais point vu d’autre femme dans l’action que moi-même.

Nous étions retournées chez moi : à l’instant je renverse Fanchette sur mon ottomane, elle rit comme une folle ; je déchire son mouchoir, je lève ses jupes, j’appelle Honoré, et j’aide à son triomphe, en tenant dans mes bras la patiente qui voulait se défendre, mais qui n’eut pas plutôt senti les approches de son petit mouton, qu’elle fut plus douce que lui, jusqu’à l’instant où ne se connaissant plus, elle me tordait les bras avec une force étonnante, tant elle était passionnée : ses reins se soulevaient avec tant d’élévation, que son cavalier fut désarçonné, ce qui nous fit rire un moment ; mais le sérieux ayant reparu, elle fut une fille très sérieusement foutue, et se levant avec gaieté, elle me fit une profonde révérence, et dit au gentil tapeur :

— Je ne vous appellerai plus mouton, vous êtes un petit taureau.

Faire le bien a toujours sa récompense ; cette passade, qui fit connaître à Honoré jusqu’où une femme peut se trouver de forces, le mit si bien en train, qu’il me donna une très bonne nuit.

Le lendemain nous partîmes pour Avignon ; je savais qu’il s’y trouvait des étrangers ; je comptais y faire de l’or, j’en avais mangé beaucoup, il fallait réparer.

Je ne parlerai point du site enchanteur de cette ville, de la cour de son vice-légat, qui n’étant, dans le droit, qu’un gouverneur, est, dans le fait, un petit roi, jouissant du plus beau des privilèges, celui de faire grâce ; je ne dirai rien de ses troupes : si j’écrivais que son infanterie ne tiendrait pas contre des écoliers, on ne me croirait pas ; je veux toutefois, avant le combat, en distraire les déserteurs français et autres braves gens qui s’y trouvent, parce que l’estomac est de tous les tirans le plus impérieux. Il me convient encore moins de parler des chevau-légers de la garde de monseigneur, qui paradent sur des chevaux de louage, et retournent chez eux, selle et bride sur l’épaule. Je respecterai de même la compagnie des cent-suisses, qui ne sont pas quarante ; mais je peindrai les sept portes, les sept églises, les sept couvents d’hommes, les sept de femmes, et les sept péchés mortels qu’on y célèbre.

J’apprendrai surtout à mes sœurs, qui ne voyagent que dans leur boudoir, que les portes St-Michel, St-Roch et d’Imbert sont unies par des allées superbes, où la haute, moyenne et basse noblesse promènent leur fatuité dans des chars élégants, honorant de leur poussière le pédestre tiers-état. C’est à une de ces promenades charmantes que je fus raccrochée par l’abbé Succarino, joli diacre, qui ne pouvait que grassayer, et qui, pour douze bénéfices, n’aurait pas franchement prononcé un R.

— Madame, me dit-il en m’abordant, est étranzère ; ze serais trop heureux si ze pouvais ésanzer les beautés de cette ville contre une des siennes.

— Monsieur est Italien, car il fait des concetti ; les habitants des bords du Tibre sont galants ; je ne mérite de préférence que par l’envie que j’ai de me rendre agréable dans les villes que je parcours.

— Vous devez être satisfaite, madame ; certainement vous triompherez partout ; ze pourrais répondre de quelques zens ici, qui connaîtraient ce que vous valez, mais pas comme de moi-même, etc., etc.

Conversation en règle, attaque, résistance, offres de services, remercîments, voilà ce qui occupa la promenade, terminée par la permission de me reconduire et de manger un poulet avec moi, « si z’étais absolument seule et assez indulzente pour le permettre. »

J’accepte ; l’abbé me demande l’heure du souper pour s’y rendre un peu avant, ayant deux mots à dire à Son Excellence. Je la lui donne ; il disparaît.

Restée avec Fanchette, nous concluons que l’abbé, qui veut manger un poulet, doit être le pigeonneau du repas. De gros diamants, point trop usés ; de grosses chaînes d’or, au poinçon de Paris ; des dentelles, car ces messieurs en portent, tout annonçait un abbé moelleux ; d’ailleurs d’une bonne figure.

— Madame, me dit Fanchette, l’aimez-vous ?

— Non.

— Il faut donc le plumer ; si vous n’avez pas cette force, je m’en charge, c’est votre premier petit-collet ; qu’il ne vous ait que l’or à la main ; je me contenterai de l’argent ; et, si ma peau le tente, il la payera : je ne la prête qu’à mes amis.

Nous rentrâmes, j’ordonnai à mon hôtel d’augmenter mon souper ; le maître sourit, en répondant que je serais obéie ; il avait déjà le mot de l’abbé, qui ne tarda pas à se faire annoncer.

Compliments échafaudés les uns sur les autres, riposte de ma part, petits attouchements, car les Italiens sont grands patineurs, et puis proposition de vingt-cinq louis pour la nuit qui allait paraître, et de cinquante apportés le lendemain sur ma toilette, pour le mois.

Je répondis que je n’avais jamais fait de marché calculé ; que ma reconnaissance et la générosité de mes amants avaient toujours été égales ; que je ne pouvais souffrir la contrainte ; qu’il était absurde de payer sans se connaître ; que j’acceptais son premier cadeau ; que dans le futur je m’en rapporterais à sa délicatesse. Il fut enchanté, et, sans différer, il me donna un rouleau et un baiser.

Honoré vint m’avertir que nous étions servis : mon abbé ne fut pas flatté de voir un page de cette tournure ; j’aperçus sont front s’obscurcir ; puis, se souvenant qu’il était Italien, il se familiarisa avec lui, et finit par ne boire que de sa main. De temps en temps il regardait aussi Fanchette avec intérêt : sans doute il se disait :

— Je foutrai ce trio-là.

S’il le pensa, c’était un prophète, car il le fit : j’oubliais de dire, tu aimes la table, que mon petit prélat avait fait servir un souper exquis, gibier, poisson, vins, liqueurs, tout était de choix.

Après avoir employé le temps que mes gens mirent à souper, je les sonnai ; l’abbé n’avait pas les siens par décence : Honoré le déshabilla, Fanchette me rendit le même service, nous nous mîmes au lit maritalement. Fanchette, en nous quittant, donna un coup d’œil à Honoré, qui voulait me dire, ma bonne maîtresse, vous avez à qui parler, prêtez-moi le petit. Je l’entendis et lui fis un signe de tête.

L’abbé débuta comme un militaire, tout se passa à merveille ; il était jeune, vigoureux ; je voulais lui donner bonne opinion de moi. Il fut galant comme un Français ; cependant je me doutai, par des éloges trop pompeux qu’il faisait de mon joli derrière, que, tôt ou tard, il y viendrait ; cela ne fut pas long.

Le matin, en me le posant, en tout bien tout honneur, il me demanda si je n’avais pas encore essayé la chose. Je lui protestai que non.

— Ah ! divine, s’écria-t-il, quoi zamais !

— Non, je ne me suis pas trouvée dans le cas.

— Vous n’avez donc pas été curieuse de tout connaître ?

— Curieuse, si fait, c’est un de mes surnoms, mais j’ai cru qu’on pouvait se dispenser de cette recherche.

— Non, une femme d’esprit, aimable, pétrie de grâces partout, est adorable partout, et complaisante ; elle doit vouloir ce qui fait le bonheur de ses amis.

— Mes amis ne me l’ont point demandé, d’ailleurs.

— Quoi, des prézuzés ? des déclamations de

gens qui n’ont pas la force d’exécuter l’entreprise, car tel qui pénètre bien la porte vulgaire, n’enfoncerait pas la secrète.

— Mon tempérament m’a toujours fait préférer l’ancien usage ; de plus la douleur…

— La douleur ; il n’y en a qu’avec un maladroit ; croyez, ma sère Rosine, que ze suis bon frère ; ze crois avoir prouvé que votre zoli conin mérite des sacrifices, mais il est indécent à une femme telle que vous de n’avoir pas essayé de tout, ne fut-ce que pour en raisonner.

Ce dilemme m’humilia.

— Quelque jour, lui dis-je, la fantaisie m’en prendra peut-être, et ce ne sera qu’en votre faveur, mais n’y pensons pas à présent.

— Pensons-y.

Quinaut a dit : « Ce n’est jamais trop tôt que le plaisir commence. »

— Et moi, en votre faveur, je me détacherai de vingt-cinq autres louis, si vous voulez me donner tout à l’heure cette préférence.

— Vous êtes pressant, l’abbé ; il est tard, écoutez. Je ne puis guère me décider que dans un instant où, excitée par le plaisir, l’ivresse de mes sens m’entraîne ; vous dînerez avec moi, et nous verrons.

À peine fûmes-nous hors de table, que Succarino me dit :

— Commençons, sère maîtresse, et méritons votre présent.

Il me le mit si chaudement, il attaqua mes nerfs avec tant d’impulsion, il me fit des attouchements si coquins où il en voulait venir, que, l’imagination exaltée, je lui dis, sans le vouloir :

— À toi, l’abbé.

À l’instant il me retourne et me place dans la vraie manière ; il tire de sa poche une fiole d’une huile odorante ; il en frotte avec le bout du doigt le passage qu’il désire, s’en garnit, se présente, et me l’insinue, sans douleur.

Je sentis cependant d’abord un malaise ; mais en amateur éclairé, pendant que je me plaignais un peu, il me branlait de la main droite, qu’il avait passée sous moi : à la fin je sentis quelque plaisir ; il en fut absorbé, et nous nous regardâmes en riant.

Tout en causant de l’aventure, je sentis une démangeaison qui me fit faire des mouvements, dont il s’aperçut.

— Qu’avez-vous, ma belle amie, voudriez-vous recommencer ?

— Non, pas encore, mais j’aurais bien besoin de vous pour l’ancienne méthode ; je brûle.

— Ah ! vous êtes affamée, mais, par bonheur ze suis zeune, venez sur votre trône.

Il me trousse, il me caresse, il va droit au fait, et me fout, comme si c’était la première fois de la journée.

— Charmant abbé, lui dis-je, vous devez marcher à la fortune ; les femmes vous la garantissent.

Après avoir calmé les feux de mon éternelle concupiscence, il me dit :

— Lussurieuse Rosine, nous voilà d’accord, tant que nous serons ensemble faisons une chaîne égale ; un coup pour vous, un pour moi ; c’est être raisonnable. Si vous trouvez ma proposition malsonnante, à vous permis de soisir un lieutenant, qui vous amuse, car ze sais que vous me réserverez l’objet de mon goût.

— Va, l’abbé. Tu es adorable ; je ne te refuserai rien ; je ne me repens pas de t’avoir donné un de mes pucelages.

Mon petit collet ne couchait pas avec moi, de peur d’être observé ; mais le jour il gagnait son argent ; la nuit était pour Honoré. Un matin, avant de me faire peigner, mon petit ami, qui avait été incommodé la veille, voulut prendre sa revanche, et m’exploitait de son mieux, sur le pied de mon lit, où je m’étais laissée tomber, quand l’abbé, malgré la résistance de Fanchette, qu’il avait rencontrée dans la cour, entra à l’improviste, et vit mon jockey à un ouvrage qui lui ôtait, comme à moi, la faculté d’entendre ; après s’être bien rassasié d’un aussi galant spectacle :

— Ah ! dit-il, petit fripon, ze t’y attrape… Et vous, madame, c’est comme ça que vous attendez les zens… C’est donc là mon lieutenant ? Si vous vous déranzez l’un ou l’autre, vous perdez mon amitié ; ze veux que tout le monde s’amuse.

Honoré n’aurait pas quitté prise, quand la maison se serait écroulée ; j’étais un peu honteuse, mais le voyant si gai, je lui dis :

— Ma foi, l’abbé, pourquoi êtes-vous venu de si bonne heure ?

— Continuez, mes amis, chacun son rôle, ce n’est pas trop ; cet enfant est aussi beau que Sérubin, joué par Olivier. Reste, petit, fous ta maîtresse, je vais t’y essiter.

À l’instant, embrasé par la vue du plus joli fessier de l’Europe, il encule sans miséricorde mon cher fouteur, qui voulait se fâcher. Je lui dis tout bas : — Souffre-le pour moi, je t’en tiendrai compte ; ne pense qu’à moi, va toujours, d’ailleurs tu auras quelque plaisir, et le mien en augmentera.

Honoré se serait jeté pour moi dans les flammes ; il fit quelques grimaces, mais les coups de l’abbé m’étant tous rendus par lui, je les sentais et j’en récompensais mon cher patient par des caresses qui le portaient aux cieux.

L’abbé, mon petit et moi, nous finîmes notre course ensemble, et, comme ces deux libertins se pâmaient, chacun pour leur compte, je supportai toute la fatigue ; elle ne fut pas longue ; Succarino, transporté de joie, d’avoir eu encore une nouveauté, devint l’ami favori d’Honoré, qui acquittait souvent pour moi les coups antiphysiques dont je m’étais chargée.

La coquine de Fanchette, qui était montée à la suite de l’abbé, craignant qu’il ne fît tapage, ravie de trouver les parties d’accord, était restée à la porte et avait tout vu ; elle avait même pénétré dans la chambre, lorsque l’abbé, l’apercevant, lui cria :

— Ah ! messante, vous vouliez m’empesser de monter ; vous m’auriez volontiers volé le plaisir que z’ai eu, mais vous y passerez, pour votre peine, mon amie, ze vous le promets.

— Quand vous le voudrez, ou quand vous le pourrez, monsieur l’abbé, je suis à vos ordres, vous ne savez peut-être pas mon nom : je m’appelle dix louis.

Je me levai les reins brisés, mais point de plaisir sans peines ; et cinquante louis en vingt-quatre heures sont consolants.

L’aimable jockey s’apercevant que l’abbé qui sortait oubliait sa montre qu’il avait ôtée pour l’enfiler, eut l’honnêteté de la lui porter dans l’escalier. Mon cher Succarino, qui payait aussi bien qu’il foutait, ne voulut pas la reprendre, et lui dit :

— Ze te la donne, pour te souvenir de l’heure de notre connaissance.

Elle valait plus de vingt-cinq louis ; ce qui fit venir l’eau à la bouche de Fanchette, qui, à ce prix, aurait prêté à mon amant mille ouvertures pour une.

L’abbé reçut des lettres qui l’appelaient en Italie, il me les communiqua avec douleur ; je lui répondis que, puisqu’il partait, rien ne me retenait à Avignon, et que j’en sortirais le même jour que lui : il fut sensible à mon procédé.

— Puisque nous nous séparons par un destin contraire, il faudrait, me dit-il, sarmante Rosine, faire quelque folie avant de nous quitter ; vous n’avez rien à ménazer ici, zai trois amis intimes ; zeunes, beaux hommes, vigoureux, polis, vous êtes plus forte que quatre, voulez-vous que ze leur donne à souper sez vous, et nous passerons une nuit délicieuse.

— Ah ! l’abbé, l’abbé, quelle horreur !

— Zentillesse, dites donc.

Après y avoir un peu réfléchi :

— Je ne veux pas me brouiller avec vous, lui dis-je, faites ce qui vous plaira.

Il me présenta le comte d’Olban, le chevalier de Granville et le marquis de Valsain. Ces messieurs furent très honnêtes jusqu’au moment choisi. Après souper je fus étonnée de trouver Fanchette et Honoré qui enlevaient, par ordre de l’abbé, les matelas de mon lit et en faisaient une pyramide au milieu de la chambre.

— Quoi, c’est là, messieurs, où on veut sacrifier la victime ?

On rit, on folâtra, on fit des plaisanteries : grande illumination, parfums, ambigu, rien ne fut épargné : Succarino savait régler ses orgies. Chacun brûlait de jouer un rôle ; celui du pauvre Honoré m’affligeait, je ne lui voyais guère de consolation, au chagrin de voir servir sa maîtresse si complètement, sans en être ; je me doutais qu’il pourrait être enfilé lui-même, c’était un mauvais régal, mais il fut occupé.

Tout étant préparé, mes quatre combattants me prièrent de dicter les lois.

— Messieurs, point de jalousie, de grâce ; partage égal, sans conséquence pour celui qui aura mérité par sa politesse une distinction : consultez-vous : à quel nombre fixez-vous vos désirs, afin de ne pas vous excéder, ni moi qui dois y mettre plus du mien ?

Ils répondirent tous, six coups chacun, madame, pour vous ménager.

— C’est beaucoup ; vous me forcez à vingt-quatre : puisque vous m’avez laissée maîtresse, j’en accepte cinq de chacun, à condition que les quatre autres seront bien appliqués à la pauvre Fanchette, qui va vous servir des rafraîchissements toute la nuit ; si vous êtes généreux, vous lui accorderez quelque chose de plus.

— Nous y consentons tous.

Fanchette me remercia. Il s’agissait de commencer ; nous fîmes quatre billets, mis dans un chapeau, nos 1, 2, 3, 4 ; chacun, selon le hasard de la sortie, devait attaquer, ainsi du reste.

On tira ; Valsain eut le premier numéro. Alors je me déshabillai, et, placée au gré des spectateurs, Valsain se coucha sur moi, et, en très bon acteur, me fit arriver promptement au terme désiré. Il était dit que, pour ne pas faire souffrir ceux qui attendaient leur tour, les quatre premiers coups se suivraient, au seul intervalle de passer une éponge et de me rafraîchir, si je le voulais.

Granville succéda et ne fut pas moins habile ; après lui l’abbé, et la clôture de la première course fut faite par d’Olban. Ces premières lances rompues, on me passa un déshabillé ; nous bûmes, nous mangeâmes, nous chantâmes ; et le même ordre de choses recommença une heure après, intervalle qu’on avait réglé entre chaque acte, pour occuper la nuit entière. Après huit achevés, même amusement. On allait reprendre pour former la troisième course, quand je dis :

— Un instant, messieurs ; j’ai déjà des preuves de votre vigueur, et vous de la mienne ; il revient quatre coups à ma bonne Fanchette ; je n’entends point qu’on lui offre les derniers ; ce qui serait d’autant plus injuste, qu’elle a beaucoup moins que moi ; acquittez-vous donc de votre parole.

On trouva que j’avais raison : ils ne furent pas fâchés de changer, et je savais que je n’y perdrais rien ; les trous excitent toujours.

Fanchette, jouant la prude, se fit prier ; mais quand elle fut à l’ouvrage, ce fut, selon sa coutume, un vrai démon. Enfin les conventions réciproques furent remplies, et je reçus plus de vingt décharges bien complètes, sans compter quelques coups doublés, sur lesquels la galerie ferma les yeux : tel fut un avec Valsain, que j’aimais le plus ; après son troisième voyage, il se retirait, pour obéir au traité, lorsque usant de mon droit, je lui dis :

— Va, mon ami, redouble, je sens que tu le peux.

— Volontiers, laisse-moi baiser ton joli conin.

— Fais, mon cher ; c’est un petit affamé, n’est-ce pas ?

Le pauvre Honoré me faisait pitié, je ne voulais pas avoir l’air d’être à lui ; j’en parlai bas à l’abbé, qui, le meilleur homme du monde, dit à Fanchette :

— Il s’azit de faire partie carrée ; le lit est assez larze ; au premier assaut de ta maîtresse, ze veux te voir dans l’action avec Honoré, qui doit brûler là ; c’est le plus zeune de nous, et qui te mérite le mieux : voilà un double louis pour ta complaisance.

Honoré, ayant puisé dans mes yeux mon approbation, s’élança sur Fanchette, en même temps que Valsain me reprenait ; et cet enfant, devenu hardi, puisqu’il figurait comme les autres, lui dit :

— À vous, Monsieur le marquis ; à qui aura le plus tôt fait.

En dix coups de cul, nous voyons Fanchette dans les convulsions du plaisir, et lui arrivé à la victoire : Valsain n’était pas au milieu de sa course avec moi ; il est vrai qu’il avait déjà couru quatre postes ; Honoré nous regarda, et voyant que nous foutions de notre mieux :

— Vite, dit-il à Fanchette, à un autre ; nous les rattraperons.

Peu s’en fallut ; pour ne pas humilier Valsain, je lui donnai des coups si balancés, qu’il déchargea avant mes jeunes gens : tout le monde leur applaudit, et Succarino lui-même.

Vers le jour on se sépara ; ces messieurs, en sortant, laissèrent trente louis sous un flambeau, et en donnèrent quatre à Fanchette. Mon lit fut refait, j’y montai avec une sorte de besoin, car j’étais légèrement fatiguée de cette nuit et de mes travaux précédents : comme nous avions été tous égaux dans le combat, nous le fûmes dans le repos : je dis à Honoré de venir coucher avec moi ; je le mis à mon côté, et Fanchette près de lui, en sorte qu’il était entre nous, ce qui n’était pas malheureux.

Après vingt-quatre heures de calme nous partîmes pour Lyon ; et le nom d’affamée que je m’étais donné, en plaisantant, a valu à ce chapitre l’honneur de l’avoir en tête.


FIN DU TOME PREMIER.