Valentine (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 23
XXIII.
Bénédict entendit successivement fermer toutes les portes de la maison. Peu à peu les pas des domestiques s’éloignèrent du rez-de-chaussée, les reflets que quelques lumières errantes faisaient courir sur le feuillage s’éteignirent ; les sons lointains des instruments et quelques coups de pistolet qu’il est d’usage en Berry de tirer aux noces et aux baptêmes en signe de réjouissance, venaient seuls par intervalles rompre le silence. Bénédict se trouvait dans une situation inouïe, et qu’il n’eût jamais osé rêver. Cette nuit, cette horrible nuit qu’il devait passer dans les angoisses de la rage le réunissait à Valentine ! M. de Lansac retournait seul à son gîte, et Bénédict, le désolé Bénédict, qui devait se brûler la cervelle dans un fossé, était là enfermé seul avec Valentine ! Il eut des remords d’avoir renié son Dieu, d’avoir maudit le jour de sa naissance. Cette joie imprévue, qui succédait à la pensée de l’assassinat et à celle du suicide, le saisit si impétueusement qu’il ne songea pas à en calculer les suites terribles. Il ne s’avoua pas que, s’il était découvert en ce lieu, Valentine était perdue ; il ne se demanda pas si cette conquête inespérée d’un instant de joie ne rendrait pas plus odieuse ensuite la nécessité de mourir. Il s’abandonna au délire qu’un tel triomphe sur sa destinée lui causait. Il mit ses deux mains sur sa poitrine pour en maîtriser les ardentes palpitations. Mais au moment de se trahir par ses transports, il s’arrêta, dominé par la crainte d’offenser Valentine, par cette timidité respectueuse et chaste qui est le principal caractère du véritable amour.
Irrésolu, le cœur plein d’angoisses et d’impatiences, il allait se déterminer, lorsqu’elle sonna, et au bout d’un instant Catherine reparut.
— Bonne nourrice, lui dit-elle, tu ne m’as pas donné ma potion.
— Ah ! votre portion ? dit la bonne femme ; je pensais que vous ne la prendriez pas aujourd’hui. Je vais la préparer.
— Non, cela serait trop long. Fais dissoudre un peu d’opium dans de l’eau de fleurs d’orange.
— Mais cela pourra vous faire mal ?
— Non ; jamais l’opium ne peut faire de mal dans l’état où je suis.
— Je n’en sais rien, moi. Vous n’êtes pas médecin ; voulez-vous que j’aille demander à madame la marquise ?
— Oh ! pour Dieu, ne fais pas cela ! Ne crains donc rien. Tiens, donne-moi la boîte ; je sais la dose.
— Oh ! vous en mettez deux fois trop.
— Non, te dis-je ; puisqu’il m’est enfin accordé de dormir, je veux pouvoir en profiter. Pendant ce temps-là je ne penserai pas.
Catherine secoua la tête d’un air triste, et délaya une assez forte dose d’opium que Valentine avala à plusieurs reprises en se déshabillant, et, quand elle fut enveloppée de son peignoir, elle congédia de nouveau sa nourrice et se mit au lit.
Bénédict, enfoncé dans sa cachette, n’avait pas osé faire un mouvement. Cependant la crainte d’être aperçu par la nourrice était bien moins forte que celle qu’il éprouva en se retrouvant seul avec Valentine. Après un terrible combat avec lui-même, il se hasarda à soulever doucement le rideau. Le frôlement de la soie n’éveilla point Valentine ; l’opium faisait déjà son effet. Cependant Bénédict crut qu’elle entr’ouvrait les yeux. Il eut peur, et laissa retomber le rideau, dont la frange entraîna un flambeau de bronze placé sur le guéridon, et le fit tomber avec assez de bruit. Valentine tressaillit, mais ne sortit point de sa léthargie. Alors Bénédict resta debout auprès d’elle, plus libre encore de la contempler qu’au jour où il avait adoré son image répétée dans l’eau. Seul à ses pieds dans ce solennel silence de la nuit, protégé par ce sommeil artificiel qu’il n’était pas en son pouvoir de rompre, il croyait accomplir une destinée magique. Il n’avait plus rien à craindre de sa colère ; il pouvait s’enivrer du bonheur de la voir sans être troublé dans sa joie ; il pouvait lui parler sans qu’elle l’entendît, lui dire tout son amour, tous ses tourments, sans faire évanouir ce faible et mystérieux sourire qui errait sur ses lèvres à demi entr’ouvertes. Il pouvait coller ses lèvres sur sa bouche sans qu’elle le repoussât Mais l’impunité ne l’enhardit point jusque-là. C’est dans son cœur que Valentine avait un culte presque divin, et elle n’avait pas besoin de protections extérieures contre lui. Il était sa sauvegarde et son défenseur contre lui-même. Il s’agenouilla devant elle, et se contenta de prendre sa main pendante au bord du lit, de la soutenir dans les siennes, d’en admirer la finesse et la blancheur, et d’y appuyer ses lèvres tremblantes. Cette main portait l’anneau nuptial, le premier anneau d’une chaîne pesante et indissoluble. Bénédict eût pu l’ôter et l’anéantir, il ne le voulut point ; son âme était revenue à des impressions plus douces ; il voulait respecter dans Valentine jusqu’à l’emblème de ses devoirs.
Car dans cette délicieuse extase, il avait bientôt oublié tout. Il se crut heureux et plein d’avenir comme aux beaux jours de la ferme ; il s’imagina que la nuit ne devait pas finir, et que Valentine ne devait pas s’éveiller, et qu’il accomplissait là son éternité de bonheur.
Longtemps cette contemplation fut sans danger : les anges sont moins purs que le cœur d’un homme de vingt ans lorsqu’il aime avec passion ; mais il tressaillit lorsque Valentine, émue par un de ces rêves heureux que crée l’opium, se pencha doucement vers lui et pressa faiblement sa main en murmurant des paroles indistinctes. Bénédict tressaillit et s’éloigna du lit, effrayé de lui-même.
— Oh ! Bénédict ! lui dit Valentine d’une voix faible et lente, Bénédict, c’est vous qui m’avez épousée aujourd’hui ? Je croyais que c’était un autre ; dites-moi bien que c’est vous !…
— Oui, c’est moi, c’est moi ! dit Bénédict éperdu, en pressant contre son cœur agité cette main qui cherchait la sienne.
Valentine, à demi éveillée, se dressa sur son chevet, ouvrit les yeux, et fixa sur lui des prunelles pâles qui flottaient dans le vague des songes. Il y eut comme un sentiment d’effroi sur ses traits ; puis elle referma les yeux et retomba en souriant sur son oreiller.
— C’est vous que j’aimais, lui dit-elle ; mais comment l’a-t-on permis ?
Elle parlait si bas et articulait si faiblement que Bénédict recueillait lui-même ses paroles comme le murmure angélique qu’on entend dans les songes.
— Ô ma bien-aimée ! s’écria-t-il en se penchant vers elle, dites-le-moi encore, dites-le-moi, pour que je meure de joie à vos pieds !
Mais Valentine le repoussa.
— Laissez-moi ! dit-elle.
Et ses paroles devinrent inintelligibles.
Bénédict crut comprendre qu’elle le prenait pour M. de Lansac. Il se nomma plusieurs fois avec insistance, et Valentine, flottant entre la réalité et l’illusion, s’éveillant et s’endormant tour à tour, lui dit ingénument tous ses secrets. Un instant elle crut voir M. de Lansac qui la poursuivait une épée à la main ; elle se jeta dans le sein de Bénédict, et passant ses bras autour de son cou :
— Mourons tous deux ! lui dit-elle.
— Oh ! tu as raison, s’écria-t-il. Sois à moi, et mourons. Il posa ses pistolets sur le guéridon, et étreignit dans ses bras le corps souple et languissant de Valentine. Mais elle lui dit encore : — Laisse-moi, mon ami ; je meurs de fatigue, laisse-moi dormir.
Elle appuya sa tête sur le sein de Bénédict, et il n’osa faire un mouvement de peur de la déranger. C’était un si grand bonheur que de la voir dormir dans ses bras ! Il ne se souvenait déjà plus qu’il en pût exister un autre.
— Dors, dors, ma vie ! lui disait-il en effleurant doucement son front avec ses lèvres ; dors, mon ange. Sans doute tu vois la Vierge aux cieux ; et elle te sourit, car elle te protège. Va, nous serons unis là-haut ! Il ne put résister au désir de détacher doucement son bonnet de dentelle, et de répandre sur elle et sur lui cette magnifique chevelure d’un blond cendré qu’il avait regardée tant de fois avec amour. Qu’elle était soyeuse et parfumée ! que son frais contact allumait chez lui de délire et de fièvre ! Vingt fois il mordit les draps de Valentine et ses propres mains pour s’arracher, par la sensation d’une douleur physique, aux emportements de sa joie. Assis sur le bord de cette couche dont le linge odorant et fin le faisait frissonner, il se jetait rapidement à genoux pour reprendre empire sur lui-même, et il se bornait à la regarder. Il l’entourait chastement des mousselines brodées qui protégeaient son jeune sein si paisible et si pur ; il ramenait même un peu le rideau sur son visage pour ne plus la voir et trouver la force de s’en aller. Mais Valentine, éprouvant ce besoin d’air qu’on ressent dans le sommeil, repoussait cet obstacle, et, se rapprochant de lui, semblait appeler ses caresses d’un air naïf et confiant. Il soulevait les tresses de ses cheveux et en remplissait sa bouche pour s’empêcher de crier ; il pleurait de rage et d’amour. Enfin, dans un instant de douleur inouïe, il mordit l’épaule ronde et blanche qu’elle livrait à sa vue. Il la mordit cruellement, et elle s’éveilla, mais sans témoigner de souffrance. En la voyant se dresser de nouveau sur son lit, le regarder avec plus d’attention, et passer sa main sur lui pour s’assurer qu’il n’était point un fantôme, Bénédict, qui était alors assis tout à fait auprès d’elle, se crut perdu ; tout son sang, qui bouillonnait, se glaça ; il devint pâle, et lui dit, sans savoir ce qu’il disait :
— Valentine, pardon ; je me meurs, si vous n’avez pitié de moi…
— Pitié de toi ! lui dit-elle avec la voix forte et brève du somnambulisme ; qu’as-tu ? souffres-tu ? Viens dans mes bras comme tout à l’heure ; viens. N’étais-tu pas heureux ?
— Valentine ! s’écria Bénédict devenu fou, dis-tu vrai ? Me reconnais-tu ? Sais-tu qui je suis ?
— Oui, lui dit-elle en s’assoupissant sur son épaule, ma bonne nourrice !
— Non ! non ! Bénédict ! Bénédict ! entends-tu ! l’homme qui t’aime plus que sa vie ! Bénédict !
Et il la secoua pour la réveiller, mais cela était impossible. Il ne pouvait qu’exciter en elle l’ardeur des songes. Cette fois, la lucidité du sien fut telle qu’il s’y trompa.
— Oui ! c’est toi, dit-elle en se redressant, mon mari ; je le sais, mon Bénédict ; je t’aime aussi. Embrasse-moi, mais ne me regarde pas. Éteins cette lumière ; laisse-moi cacher mon visage contre ta poitrine.
En même temps elle l’entoura de ses bras et l’attira vers elle avec une force fébrile extraordinaire. Ses joues étaient vivement colorées, ses lèvres étincelaient. Il y avait dans ses yeux éteints un feu subit et fugitif ; évidemment elle avait le délire. Mais Bénédict pouvait-il distinguer cette excitation maladive de l’ivresse passionnée qui le dévorait ? Il se jeta sur elle avec désespoir, et, près de céder à ses fougueuses tortures, il laissa échapper des cris nerveux et déchirants. Aussitôt des pas se firent entendre, et la clef tourna dans la serrure. Bénédict n’eut que le temps de se jeter derrière le lit ; Catherine entra.
La nourrice examina Valentine, s’étonna du désordre de son lit et de l’agitation de son sommeil. Elle tira une chaise et resta près d’elle environ un quart d’heure. Bénédict crut qu’elle allait y passer le reste de la nuit et la maudit mille fois. Cependant Valentine, n’étant plus excitée par le souffle embrasé de son amant, retomba dans une torpeur immobile et paisible. Catherine, rassurée, s’imagina qu’un rêve l’avait trompée elle-même lorsqu’elle avait cru entendre crier ; elle remit le lit en ordre, arrangea les draps autour de Valentine, releva ses cheveux sous son bonnet, et ramena les plis de sa camisole sur sa poitrine pour la préserver de l’air de la nuit ; puis elle se retira doucement, et tourna deux fois la clef dans la serrure. Ainsi il était impossible à Bénédict de s’en aller par là.
Quand il se retrouva maître de Valentine, connaissant maintenant tout le danger de sa situation, il s’éloigna du lit avec effroi, et alla se jeter sur une chaise à l’autre bout de la chambre. Là, il cacha sa tête dans ses mains et chercha à résumer les conséquences de sa position.
Ce courage féroce qui lui eût permis, quelques heures auparavant, de tuer Valentine, il ne l’avait plus. Ce n’était pas après avoir contemplé ses charmes modestes et touchants qu’il pouvait se sentir l’énergie de détruire cette belle œuvre de Dieu : c’était Lansac qu’il fallait tuer. Mais Lansac ne pouvait pas mourir seul, il fallait le suivre ; et que deviendrait Valentine, sans amant, sans époux ? Comment la mort de l’un lui profiterait-elle si l’autre ne lui restait ? Et puis, qui sait si elle ne maudirait pas l’assassin de ce mari qu’elle n’aimait pas ? Elle si pure, si pieuse, et d’une âme si droite et si honnête, comprendrait-elle la sublimité d’un dévouement si sauvage ? Le souvenir de Bénédict ne lui resterait-il pas funeste et odieux dans le cœur, souillé de ce sang et de ce terrible nom d’assassin ?
— Ah ! puisque je ne peux jamais la posséder, se dit-il, il ne faut pas du moins qu’elle haïsse ma mémoire ! Je mourrai seul, et peut-être osera-t-elle me pleurer dans le secret de ses prières.
Il approcha sa chaise du bureau de Valentine ; tout ce qu’il fallait pour écrire s’y trouvait. Il alluma un flambeau, ferma les rideaux du lit pour ne plus la voir et trouver la force de lui dire un éternel adieu. Il tira les verrous de la porte, afin de n’être pas surpris à l’improviste, et il écrivit à Valentine :
« Il est deux heures du matin, et je suis seul avec vous, Valentine, seul, dans votre chambre, maître de vous plus que ne le sera jamais votre mari ; car vous m’avez dit que vous m’aimiez, vous m’avez appelé sur votre cœur dans le secret de vos rêves, vous m’avez presque rendu mes caresses ; vous m’avez fait, sans le vouloir, le plus heureux et le plus misérable des hommes ; et pourtant, Valentine, je vous ai respectée au milieu du plus terrible délire qui ait envahi des facultés humaines. Vous êtes toujours là, pure et sacrée pour moi, et vous pourrez vous éveiller sans rougir. Oh ! Valentine ! il faut que je vous aime bien.
« Mais, quelque douloureux et incomplet qu’ait été mon bonheur, il faut que je le paie de ma vie. Après des heures comme celles que je viens de passer à vos genoux, les lèvres collées sur votre main, sur vos cheveux, sur le fragile vêtement qui vous protège à peine, je ne puis pas vivre un jour de plus. Après de tels transports, je ne puis pas retourner à la vie commune, à la vie odieuse que je mènerais désormais loin de vous. Rassure-toi, Valentine ; l’homme qui t’a mentalement possédée cette nuit ne verra pas le lever du soleil.
« Et, sans cette résolution irrévocable, où aurais-je trouvé l’audace de pénétrer ici et d’avoir des pensées de bonheur ? Conment aurais-je osé vous regarder et vous parler comme je l’ai fait, même pendant votre sommeil ! Ce ne sera pas assez de tout mon sang pour payer la destinée qui m’a vendu de pareils instants.
« Il faut que vous sachiez tout, Valentine. J’étais venu pour assassiner votre mari. Quand j’ai vu qu’il m’échappait, j’ai résolu de vous tuer avec moi. N’ayez point peur ; quand vous lirez ceci, mon cœur aura cessé de battre ; mais cette nuit, Valentine, au moment où vous m’avez appelé dans vos bras, un pistolet armé était levé sur votre tête.
« Et puis je n’ai pas eu le courage, je ne l’aurais pas. Si je pouvais vous tuer du même coup que moi, ce serait déjà fait ; mais il faudrait vous voir souffrir, voir votre sang couler, votre âme se débattre contre la mort, et ce spectacle ne durât-il qu’une seconde, cette seconde résumerait à elle seule plus de douleurs qu’il n’y en a eu dans toute ma vie.
« Vivez donc, et que votre mari vive aussi ! la vie que je lui accorde est encore plus que le respect qui vient de m’enchaîner, mourant de désirs, au pied de votre lit. Il m’en coûte plus pour renoncer à satisfaire ma haine qu’il ne m’en a coûté pour vaincre mon amour ; c’est que sa mort vous déshonorerait peut-être. Témoigner ainsi ma jalousie au monde, c’était peut-être lui avouer votre amour autant que le mien ; car vous m’aimez, Valentine, vous me l’avez dit tout à l’heure malgré vous. Et hier soir, au bout de la prairie, quand vous pleuriez dans mon sein, n’était-ce pas aussi de l’amour ? Ah ! ne vous éveillez pas, laissez-moi emporter cette pensée dans le tombeau !
« Mon suicide ne vous compromettra pas ; vous seule saurez pour qui je meurs. Le scalpel du chirurgien ne trouvera pas votre nom écrit au fond de mon cœur, mais vous saurez que ses dernières palpitations étaient pour vous.
«Adieu, Valentine ; adieu, le premier, le seul amour de ma vie ! Bien d’autres vous aimeront ; qui ne le ferait ? mais une seule fois vous aurez été aimée comme vous devez l’être. L’âme que vous avez remplie devait retourner au sein de Dieu, afin de ne pas dégénérer sur la terre.
« Après moi, Valentine, quelle sera votre vie ? Hélas ! je l’ignore. Sans doute vous vous soumettrez à votre sort, mon souvenir s’émoussera ; vous tolérerez peut-être tout ce qui vous semble odieux aujourd’hui, il le faudra bien… Valentine ! si j’épargne votre mari, c’est pour que vous ne me maudissiez pas, c’est pour que Dieu ne m’exile pas du ciel, où votre place est marquée. Dieu, protégez-moi ! Valentine, priez pour moi !
« Adieu… Je viens de m’approcher de vous, vous dormez, vous êtes calme. Oh ! si vous saviez comme vous êtes belle ! oh ! jamais, jamais une poitrine d’homme ne renfermera sans se briser tout l’amour que j’avais pour vous !
« Si l’âme n’est pas un vain souffle que le vent disperse, la mienne habitera toujours près de vous.
« Le soir, quand vous irez au bout de la prairie, pensez à moi si la brise soulève vos cheveux ; et si, dans ses froides caresses, vous sentez courir tout à coup une haleine embrasée ; la nuit dans vos songes, si un baiser mystérieux vous effleure, souvenez-vous de Bénédict. »
Il plia ce papier et le mit sur le guéridon, à la place de ses pistolets, que Catherine avait presque touchés sans les voir ; il les désarma, les prit sur lui, se pencha vers Valentine, la regarda encore avec enthousiasme, déposa un baiser, le premier et le dernier, sur ses lèvres ; puis il s’élança vers la fenêtre, et, avec le courage d’un homme qui n’a rien à risquer, il descendit au péril de sa vie. Il pouvait tomber de trente pieds de haut, ou bien recevoir un coup de fusil, comme un voleur ; mais que lui importait ! La seule crainte de compromettre Valentine l’engageait à prendre des précautions pour n’éveiller personne. Le désespoir lui donna des forces surnaturelles ; car, pour ceux qui regarderaient aujourd’hui de sang-froid la distance des croisées du rez-de-chaussée à celles du premier étage, au château de Raimbault, la nudité du mur et l’absence de tout point d’appui, une pareille entreprise semblerait fabuleuse.
Il atteignit pourtant le sol sans éveiller personne, et gagna la campagne par-dessus les murs.
Les premières lueurs du matin blanchissaient l’horizon.