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Valerie/Lettre 28

La bibliothèque libre.
Valérie (1803)
Librairie des bibliophiles (p. 100-101).

LETTRE XXVIII

Venise, le…

Le comte veut distraire Valérie de sa douleur : il craint pour sa santé, il trouve qu’elle est maigrie ; il veut, dit-on, hâter son voyage de Rome et de Naples. Il paroît qu’il n’en a point encore parlé à sa femme. C’est mon vieux Erich qui a appris du valet de chambre du comte qu’on faisoit en secret les préparatifs du voyage, afin de surprendre Valérie plus agréablement. Ernest, j’ai parlé souvent avec enthousiasme au comte de cette belle partie de l’Italie, du désir que j’avois de la voir ; eh bien, s’il me proposoit d’être de ce voyage, je refuserois ; je refuseiois, j’y suis décidé. Est-ce à moi à abuser de son inépuisable bonté ? Si, par un miracle, je n’ai pas encore été le plus méprisable des hommes ; si mon secret est encore dans mon sein ; si l’extrême innocence de Valérie m’a mieux servi que ma fragile vertu, l’exposerai-je, ce funeste secret, au danger d’un nouveau voyage, à cette présence continuelle, à cette dangereuse familiarité ? Non, non, Ernest, je refuserai ; et, si je pouvois ne pas le faire après avoir si clairement senti mon devoir, il faudroit ne plus m’aimer. Ô ma mère ! du haut de votre céleste séjour, jetez un regard sur votre fils ! il est bien foible, il s’est jeté dans bien des douleurs ; mais il aime encore cette vertu, cette austère et grande beauté du monde moral que vos leçons et votre exemple gravèrent dans son cœur.