Van Dyck (Fierens-Gevaert)/04

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Henri Laurens, éditeur (Les Grands Artistes) (p. 31-36).


IV. — Premières œuvres.

Les premiers tableaux de Van Dyck ne justifient pas absolument, il faut l’avouer, ce que la renommée du grand portraitiste eut de précoce. La première facture est toute rubénienne ; elle l’est avec excès. Van Dyck est si passionné pour la manière anversoise qu’il lui arrivera de contrefaire la magnificence débridée de Jordaens.

Jusqu’à l’année 1621 environ, il peint avec une forte brosse, très chargée. Sa couleur est à la fois épaisse et lisse. Dans les tons clairs seulement, pour indiquer le relief d’un muscle ou le pli lumineux d’un manteau, il a recours aux empâtements. Les chairs empourprées semblent refléter les lueurs d’un flambeau. Un contraste violent règne entre les ombres et les lumières. Les bruns profonds s’opposent aux rouges incandescents. Deux Têtes d’apôtres et le Christ succombant sous la croix, qui ont figuré à l’Exposition d’Anvers, sont les premiers types de cette manière ; ils datent de 1617.

Ce n’est pas sans succès que Van Dyck interroge le génie de Jordaens. Ses notes rouges, répétées avec obstination, comme dans le Silène ivre et le Martyr de saint Pierre, tous deux au musée de Bruxelles, produisent des accords flamboyants d’une belle vigueur ; il se contente d’un clair-obscur assez grossier, mais non dépourvu d’un certain mérite dramatique, comme dans un Jésus insulté par Judas que montra l’Exposition d’Anvers. Chose curieuse : cette toile — une esquisse — est en réalité d’une facture tranquille. L’artiste y a introduit un mouvement artificiel au moyen de nombreux rehauts rougeâtres distribués d’une manière assez arbitraire.


LE CHRIST ENTRE LES DEUX LARRONS
(Église Saint-Rombaut, Malines.)

Des harmonies plus douces, plus naturelles, commencent toutefois à se remarquer dans quelques œuvres de cette période. Il suffirait de citer la charmante série des portraits de Van Dyck jeune. Le maître y laisse entrevoir son génie futur. L’exagération des empâtements et des tons sanguins, la violence des lignes s’atténuent. Le grand portraitiste s’éveille.

Enfin le Van Dyck définitif apparaît dans le Saint Martin de Saventhem. Les masses colorées y sont distribuées habilement en vue de l’effet général. J’ai vu pour la première fois cette œuvre délicieuse à l’Exposition d’Anvers. Ses couleurs tendres, ses larges taches de gris argenté et de bleu céleste inspirées de Rubens, paraissaient employées sans goût. Le gris du cheval, l’azur du fond ne s’harmonisaient guère avec le rouge cru du manteau, le feu dur de la cuirasse, les bistrures opaques des ombres et des contours. L’apparente maladresse de l’ensemble ne me semblait rachetée que par la grâce juvénile du dessin. Mais les cimaises des expositions sont funestes. J’ai revu le Saint Martin dans l’église de Saventhem. Les couleurs chatoyaient avec douceur ; l’œuvre retrouvait sa place et son atmosphère familières ; elle vivait d’un charme singulièrement expressif et juste ; exécutée pour être mise à une certaine hauteur, dans une certaine lumière, elle devait perdre, à tout autre endroit, son équilibre si délicatement mesuré. Comme tous les maîtres de son temps, Van Dyck sentait profondément la valeur décorative de son art ; il s’entendait à animer les murailles d’un édifice ou d’une salle par des compositions se mariant avec leur cadre. Pour nous donner la satisfaction scientifique d’analyser de près ces œuvres dans un hall banal d’exposition, il faut que nous soyons bien barbares et bien sacrilèges.