Vauquelin - L’Art poétique - Genty/Au lecteur

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AV LECTEVR



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LECTEVR, ce sont ici des vieilles et des nouuelles Poésies : Vieilles, car la plus part sont composées il y a longtemps : Nouuelles, car on n’escrit point à cette heure, comme on escriuoit quand elles furent escrites. Si elles ne sont telles qu’elles deuroient estre, c’est mon défaut : car de mon temps on escriuoit assez bien. Si elles ne sont assez reueües et pollies, c’est ma paresse. Aussi que iamais ie ne m’oubliay tant, que ie laissasse mes affaires pour entendre à mes vers : Et me donnant garde que les Syrenes des Muses ne m’abusassent, ie me tenoy lié à ma profession toute contraire à leurs Chansons, lesquelles ie n’escoutoy qu’à mon grand loisir et aux heures où d’autres s’ebatent à des exercices moins honnestes. Le Public où i’estois attaché, tous les troubles de ce Royaume auenus de mon âge et le soin de mon ménage m’empescherent de les reuoir et de les faire imprimer alors que leur langage et leur stile eust esté, peut-estre, receu comme celuy de beaucoup qui firent voir leurs ouurages au mesme temps. Mais grand nombre des Poésies de mon siècle et de ceux à qui i’auoy donné de mes vers sont trépassez, et le Roy mort, par le commandement duquel i’auoy paracheué mon Art Poétique : et quant et quant ces doux passetemps tombez en tel mespris, que depuis on n’en a tenu guère de conte. Ce qui fera que ceux-ci venants hors de saison et comme mets d’entrée de table à la fin du dîsner, (ou comme ceux qui après la dixiesme année vinrent au secours de Troye) ne seront si bien receus qu’ils auroient esté du viuant de mes contemporains. C’est pourquoy vn ancien disoit bien à propos, qu’il estoit malaisé de rendre conte de sa vie deuant des hommes d’vn autre siècle que de celuy auquel on auoit vescu. Toutefois ne les pouuant changer ni l’accoutrer suiuant la façon des habits de maintenant, ie les laisse à leur naturel. Et me souuenant qu’en AEtiopie encor que les plus grands et les plus beaux fussent choisis pour estre Rois, que pourtant ceux-là n’estoient chassez du Royaume, ni de la Chosepublique qui en la stature et en la proportion des membres auoient eu la Nature moins fauorable : i’espere ainsi, que mes vers en leur premier accoutrement pourront auoir quelque place entre les moindres, s’ils ne peuuent attaindre à la hauteur des grands. Sinon me voyant garanti par la defence de mes ans (et que la postérité sera iuge des ouurages d’autruy et non ceux qui viuent) ie les laisseray au rang des vanitez du monde, dont ie me moqueray auec ceux qui s’en moqueront ; ie te prie, Lecteur, d’en faire de mesme : car ie ne trouue plus rien ici bas d’admirable que les œuures de Dieu : aux volontez duquel, i’essaye à me ranger et à me conformer de sorte, que quand il me faudra partir pour aller à luy, ie m’y en aille volontairement et sans regret.

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EXTRAICT DV PRIVILEGE
DV ROY.

Par Lettres patentes du Roy, données à Paris le vingt troisiesme iour de Décembre mil six cents quatre, signées par le Roy en son Conseil Angenoust, et scellées du grand sceau en cire iaune. Il est permis au Sieur de la Fresnaie Vauquelin, de faire imprimer, vendre et distribuer ses Poésies Francoises durant le temps de dix ans, sans qu’autres que ceux qu’il y commettra les puissent imprimer, ou faire imprimer, vendre et distribuer, sur peine de confiscation et d’amende arbitraire, comme il est plus amplement contenu ésdites Lettres.

Ledit Sieur de la Fresnaie au Saunage, Sassi, Boessey, les Yueteaux, les Aulnez, et d’Arri, Conseiller du Boy, et Président au Bailliage et Siège Presidial de Caen, a transporté ledit Priuilege à Charles Macé, pour en iouir suiuant l’intention de sa Maiesfé, deuant les Tabellions Boyaux à Caen, le vingt troisiesme de Iuillet mil six cents cinq.