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Vers imités de Lucain et d’Horace

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Vers imités de Lucain et d’Horace
Appendice des Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 355-357).


VII


VERS IMITÉS DE LUCAIN ET D’HORACE,
Et attribués à Pierre Corneille.

Tout le monde connaît ces vers de Brébeuf :

C’est de lui que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,
Et par les traits divers de figures tracées
Donner de la couleur et du corps aux pensées.


C’est une excellente paraphrase de ce passage de la Pharsale (livre III, vers 220 et 221) :

Phœnices primi, famæ si creditur, ausi
Mansuram rudibus vocem signare figuris.


Notre poëte, si passionné pour Lucain, admirait fort en cet endroit son traducteur, qui, comme nous l’avons remarqué ailleurs (tome IV, p. 13, note 3), avait publié en 1653 les premiers livres de sa Pharsale. À en croire Coste[1], « M. Corneille disoit qu’il auroit donné deux de ses meilleures pièces pour ces quatre vers. » Coste n’ajoute rien à ce que nous venons de rapporter, mais Bruzen de la Marlinière continue et complète cette anecdote. Après avoir parlé des vers de Brébeuf : « On ne sera pas fâché, ajoute-t-il[2], que je dise à cette occasion ce qui arriva au fameux Corneille, après avoir lu les quatre vers que Brébeuf a faits sur l’art d’écrire inventé par les Tyriens. Il voulut les égaler par quatre autres que nous donnerons ici :

C’est d’elle que nous vient le fameux art d’écrire,
Cet art ingénieux de parler sans rien dire,
Et par les traits divers que notre main conduit
D’attacher au papier la parole qui fuit. »

Voilà de jolis vers, dont l’ingénieuse souplesse nous paraît toutefois, autant qu’il est permis de se prononcer en pareille matière, bien peu dans le goût de Corneille, et où nous sommes fort tenté de voir l’effort heureux de quelque versificateur du commencement du dix-huitième siècle.

Nous ne croyons guère non plus à l’authenticité des quatre vers contenus dans une autre anecdote que nous allons rapporter. « M. Corneille avoit un abord sombre, parlant peu avec des gens qu’il ne connoissoit pas de longue main, peu de brillant avec eux ; mais lorsqu’il étoit excité par une société qui lui étoit familière, et qu’elle étoit composée de véritables gens d’esprit, il retrouvoit alors cette vive imagination qu’il paroissoit avoir laissée dans son cabinet. L’on ne voyoit plus le même homme : c’étoit un génie du premier ordre, capable d’imposer infiniment par ses réflexions, et de faire un impromptu admirable sur le sujet de la conversation ou de la première matière que l’on agitoit. Dans un de ces entretiens dont je parie, un ami lui récitant ces vers d’Horace (ode xviii du livre II, vers 15 et 16) :

Truditur dies die,
Novæque pergunt interire lunæ,

il leur donna ce sens dans le moment :

Chaque instant chasse l’autre, et lui-même a son tour
Cède à celui qui va le suivre :

Nous ne pouvons pus vivre un jour
Sans avoir moins d’un jour a vivre. »

(Ana ou Bigarrures calotines, Paris, 1730, etc., quatrième partie, p. 9 et 10.)

Ces vers, qu’il ne faut accepter comme étant de Corneille que sous bénéfice d’inventaire, ont été réunis par M. Édouard Fournier dans une note d’un article de la Revue des provinces intitulé : Deux lettres inédites de P. Corneille, tome VI, 15 février 1865, p. 323 et 324.



  1. Apologie de la Bruyère, 1701, in-12, p. 177.
  2. Nouveau recueil des Épigrammatistes françois, 1720, in-12, tome I, p. 104 et 105.