Vers la fée Viviane/La Ville Hantée
II
La Ville Hantée
Après les sentes creuses rosement fleuries,
Tépides en leur vert crépuscule feuillu
Et le trouble bonheur inquiètement tapi
Aux frondaisons frissonnantes des avenues, —
Après la gloire assez incomprise qui nimbe
D’or faux mais clair les nobles villas des Faiseurs, —
Les sveltes filles qui se tassaient en corymbe
De coiffes blanches d’un luisant frêle de fleurs
S’égaillent sur le haut rivage, — au fol air libre.
Et la molle révolte bleue de l’eau s’ébroue
Sous des crinières écumeuses qui se givrent
D’un froid fourmillement roulant d’étoiles ivres.
Puis la plage s’éloigne — et la muraille hindoue
Qui, loin du Gange au lent sommeil fluant d’eau lourde.
Plonge comme un brun ghaût de pagode en la mer,
Glisse et recule plus ardemment mordorée.
La flèche noire du bateau vibre et oscille
Sous des bouquets turgescents de fumée cuivrée
Et griffe une blancheur surgie, d’étrange ville
Qui monte, haute et droite, et dure, dans le ciel,
Sous un roide clocher, maussade en l’air vermeil.
Une rousse lueur s’éveille aux yeux des filles
Comme un faible reflet de torrides soleils :
Adieu frais ennui vert des clos, sous les ramées,
Adieu soucis de purs trafics et de gains lourds.
Voici les portes d’albe et de rose lumière
Sur le mystérieux de la ville d’amour.
Ces rues calmes ont tant conduit de jeunes hommes,
(Dont celui-là, bien sûr, que chacune aimera),
Encore brûlés par les flammes des « là-bas »,
Fous de visions nées en des prunelles sombres,
Vers des belles flétries et banales, — hélas ! —
Mais noyées dans l’astral éclat d’aimées lointaines,
Que la ville est peuplée de fantômes troublants
Et qu’au soir mauve, en la mélancolie sereine
Du ciel comme plus haut, des flots comme plus lents,
Les filles reviendront, bizarres et fermées,
Portant, à leur insu, vers leurs froides maisons,
L’âme fervide et les fureurs de passion
De l’Inde fauve et des brunes îles pâmées.