Vers les saules/Scène VIII
Scène VIII.
Certes, il est des cas où le sage recule,
C’est un fait avéré…
Vous êtes ridicule.
Je suis de votre avis, madame.
Cet intrus, et pour qui me prend-il, s’il vous plaît ?
Je ne vous parle pas, monsieur.
Comment ?
Ce que madame a dit à l’instant, et je trouve
Qu’elle a deux fois raison. Donnez-moi donc la paix.
Oui, madame, cet homme est un butor épais,
Vous ayant…
Mais, monsieur…
Assez sur ce chapitre.
Ah ! vous êtes encore un bien singulier pître,
Convenons-en ! Monsieur arrive là tout droit,
Me trouve ridicule, et je n’ai pas le droit
De me fâcher ! Allons, mais je n’aurais pas d’âme !
Encore un coup, monsieur, je m’adresse à madame.
C’est à moi qu’il s’adresse.
Grands dieux !
À la campagne, avec une jeune amoureuse,
Charmante, vive et folle, un oiseau ! vaporeuse
À l’excès. Nous étions venus là pour dîner
Ensemble ; puis après ?… nous devions cheminer
Par les sentiers perdus, où notre dialogue
Fût devenu bien vite une divine églogue.
Or, dès les premiers vers à peine murmurés,
Brisant et disloquant les mètres préparés,
Tombe un monsieur du ciel. Mon amante, ô frivole !
Tressaille, pousse un cri, puis dans ses bras s’envole.
Je reste là, madame. Et notez que j’avais
Un tas de madrigaux qui n’étaient point mauvais,
Un galant répertoire admirablement tendre,
Et personne, personne à qui le faire entendre !
C’était navrant ! Rentrer en dedans mon amour !
Mais je vous vois, madame, et je vous fais la cour ;
Je tombe à vos genoux, je saisis vos petites
Menottes, qui nous font songer aux clématites,
À la neige, au jasmin si pur, au lys vainqueur.
J’y répands mes baisers. Voulez-vous de mon cœur ?
Vous riez doucement. Car, sur votre visage,
Le rire est un rayon dans un frais paysage,
Et je prends votre bras, que vous m’abandonnez.
Et que fais-je en ceci, monsieur ?
Vous me gênez.
Mon Dieu !
Que fais-je en somme ? Une chose ordinaire.
Quoi, la cour à ma femme, et vous !… sang et tonnerre !
Donc, madame, vos yeux ont de charmants reflets.
Tels brillent, dans les cieux embrasés, les palais
Où le rouge Phébus remise sa berline.
Vous avez une grâce adorable et féline ;
Vos mains sont d’un enfant ; j’adore votre front,
Ciel pur que les soucis jamais n’obscurciront ;
Vos douces lèvres sont pareilles aux grenades,
Une abeille y viendrait guider ses promenades.
N’est-ce pas qu’il est doux, quand on a tout cela,
Les yeux où le soleil lui-même étincela,
Le charme, la beauté, la voix pure et sonore,
De se l’entendre dire ainsi qu’…
Éléonore !
De se l’entendre dire ainsi qu’à vos genoux,
Madame, je le dis.
Vous allez mettre un terme à ces propos bizarres !
Eh ! que faites-vous donc ?
Parbleu ! je prends des arrhes.
Voulez…
On m’appelle Marcel, madame, et j’ai vingt ans,
Me voulez-vous aimer ?
Vous allez à l’instant mettre en votre giberne,
Mon beau soldat d’amour, ces déclarations.
Vous m’ennuyez avec vos interruptions !
Voyons ! me voulez-vous chercher une querelle ?
J’accepte !
Ma femme est…
Et vous boirez mon sang, énorme spadassin !
Spadassin !
Faites !
Mais pas du tout !
Au secours !