Vers les saules/Scène IX

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 32-36).


Scène IX.


MARCEL, PONTCHARTRAIN, ÉLÉONORE, HENRIETTE, HENRI.
Henriette et Henri, attirés par le bruit.

Faites ! Mais pas du tout ! Au secours ! Qu’est-ce ? qu’est-ce ?

Marcel.

Eh ! rien, c’est le fracas de cette grosse caisse.

Henri.

Mon oncle Pontchartrain !

Pontchartrain.

Mon oncle Pontchartrain ! C’est toi ! Dieu soit loué !
Viens défendre ton oncle, ô neveu dévoué !

Henri, majestueux.

Vous n’avez pas toujours, pour moi, l’un de vos proches,
Été, comme Bayard, un oncle sans reproches,
Et je vais demander souvent aux usuriers,
Quand les temps sont mauvais, l’argent que vous pourriez

Me donner. Vous m’avez refusé ma cousine
Pour lui faire épouser je ne sais quelle usine ;
Mais je serai clément, comme le sont les dieux,
Plus peut-être. Je suis miséricordieux,
Mais juste cependant. Parlez, j’ouïs la cause.

Pontchartrain.

Tu seras indigné quand tu sauras ce qu’ose
Ce jeune homme.

Henri.

Ce jeune homme.Monsieur Marcel !

Henriette.

Ce jeune homme. Monsieur Marcel ! Un bon garçon.

Henri.

Spirituel !

Éléonore.

Spirituel ! Aimable.

Pontchartrain.

Spirituel ! Aimable.Et qui vient sans façon
Me dire que je suis ridicule, à ma face !
Mais ce n’est qu’un détail oiseux, et je l’efface.

Henri.

Hé ! diable !

Pontchartrain.

Hé ! diable ! Il tombe aux pieds de mon épouse, puis
Dit qu’il l’aime. Je suis calme autant que je puis,
Je parle doucement d’abord ; monsieur m’envoie
Haranguer les moineaux, et veut que je le voie
Tranquillement conter ses fleurettes en l’air.

Marcel.

Allons, modérez-vous, monsieur, vous avez l’air
D’un dentiste enrhumé. Soyez donc plus auguste.

Henri.

Les ennuis sont un vin que le sage déguste
Quand le moment en vient. Mon oncle, dégustez.

À Marcel.

Mais qui peut vous conduire à ces extrémités
D’aller faire la cour à ma tante ?

Marcel.

D’aller faire la cour à ma tante ? La faute
De tout ceci, monsieur, sur le soleil ressaute.
Que faire un jour de juin, lorsqu’on est dans les champs,
Qu’autour de vous, partout, sur les coteaux penchants,
Sur la route, on entend jaser sous les ombrelles
Des couples de ramiers avec leurs tourterelles ?

On boit l’amour dans l’air. Moi j’étais venu deux,
Et vous avez trompé mon espoir hasardeux.
De là ma rage. Puis vous m’avez dit vous-même :
Lydie est revenue, ô Calaïs ! et m’aime,
Cherchez quelque amoureuse ailleurs, si vous voulez !

Pontchartrain, à Henri.

Tu l’as dit ?

Henri.

Tu l’as dit ? Je l’ai dit.

Pontchartrain.

Tu l’as dit ? Je l’ai dit.Mes esprits sont troublés.

Henri.

Mon oncle, vous voyez, maintenant tout s’explique.

Pontchartrain.

Sa conduite à présent me paraît moins oblique.

Marcel.

Madame se présente. Elle a de fort beaux yeux.
Peut-on n’en pas sentir le charme gracieux ?

Henri.

Ce n’est guère facile en effet.

Marcel.

Ce n’est guère facile en effet.À ma place
Qu’eussiez-vous fait, monsieur ? car on n’est pas de glace,
Les yeux sont faits pour voir et le cœur pour sentir ?

Henri.

L’argument est logique. Essayez d’en sortir.

Pontchartrain.

Mon neveu, tout ceci me rend l’esprit perplexe ;
Certes, il a raison, mais pourtant ça me vexe…
Tiens, je pars.