Victor Persat ou Mémoires d’un faux dauphin/1

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Victor Persat ou Mémoires d’un faux dauphin
L’Auvergne historique, littéraire et artistiquesérie 3, tome 1, années 1893-1894 (p. 226-245).
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Victor Persat

Victor PERSAT est un des moins connus parmi les faux Dauphins qui se firent de leur prétendue origine royale une réputation, une situation ou des rentes. Sa silhouette se distingue à peine dans un amas de figures grotesques ou cyniques dignes de la galerie d’Excentriques de Champfleury ou du crayon qui dessina le Panthéon Carnavalesque.

C’est qu’aussi la cohue en est étrange.

Durant près de cinquante ans, à l’époque surtout de la Restauration, une épidémie sévit sur la France, sorte de névrose contagieuse, trouble idiopathique d’une nature spéciale que j’appellerais volontiers la Louis-dix-septomanie.

Comme l’a judicieusement observé Sainte-Beuve : « On ferait une liste curieuse des pseudo-prétendants qui ont surpris un moment la crédulité publique et celle des nations. Depuis le faux Smerdis qu’Hérodote nous raconte, les faux Agrippa, les faux Drusus, les faux Néron rapportés par Tacite, bien des têtes ont travaillé sur ce thème émouvant d’un prince mystérieusement disparu. »

Le romanesque est d’essence celtique, et je ne connais pas de légende inaccessible à notre amour du merveilleux.

Il n’y a pas encore longtemps que le paysan de nos campagnes souriait, incrédule, au récit du trépas de l’Empereur à Sainte-Hélène. Que de fantaisistes croyances germèrent sur le cercueil du roi de Rome ! Ne s’est-il pas trouvé naguère un front assez légitime et assez large pour ceindre la lourde couronne de Charlemagne ? des mains assez puissantes pour relever le sceptre de fer et d’or des empereurs d’Occident ?

Or était-il possible de concevoir un thème plus élastique, plus poétique, plus favorable à l’hypothèse et au mirage que celui du royal Orphelin du Temple ! Chétif oiselet, de si haut tombé si bas, – frêle et délicat chérubin soudain livré à la faim, au froid, aux coups, aux chansons obscènes, aux plaisanteries lugubres, voué sans air, sans lumière, sans jour, dans la pourriture d’un taudis, à une agonie lente et ténébreuse, – blonde victime expiatoire, innocente, ignorante même du mal, « n’y comprenant rien, ni pourquoi hier il s’appelait Louis et s’entend aujourd’hui interpeller Capet, ni pourquoi la veille il était vêtu de velours et se trouve le lendemain quasi en guenilles, ni pourquoi, ayant pour bons parents tous les souverains d’Europe, le voilà seul, sans même sa sœur[1] ».

Le voile couvrant la fin prématurée du jeune duc de Normandie, le mystère impénétré de sa mort, son inhumation presque clandestine, la nuit, dans une fosse du cimetière Sainte-Marguerite où, en vain, le roi son oncle fit plus tard rechercher ses restes, étaient bien propres à échauffer les imaginations simples ou exaltées, les cœurs attendris, les cerveaux étroits ou ébranlés.

Les fanatiques de la royauté, se raccrochant à un prophète, n’admettaient pas le scandale de la Providence qui, en laissant mourir le Dauphin, eût renouvelé le scandale du Christ immolé par les Juifs. Les légitimistes plus rassis ne s’en demandaient pas moins si la mort civile du Temple ne constituait pas un simple escamotage qui faisait jumeaux l’intérêt de la Convention et celui du comte de Provence.

Dès 1795, les rumeurs d’évasion circulaient discrètes. Une fois le branle donné, il devint impossible d’en enrayer la marche. Elles tinrent le pays en haleine. Les douairières, les vieux gentilshommes chuchotaient entre eux en branlant la tête, se racontant, au ras de leurs tabatières, les conspirations de Frotté, de Dilhon, de Pichegru, de Maison-Rouge. L’opinion publique s’agitait. En émigration, la rumeur de délivrance devenait certitude ; en Bretagne, en Vendée un article de foi.

À mesure que croissait le nombre de ceux qui révoquaient en doute le trépas officiel[2], se multipliaient les prétendus fils de Louis XVI, miraculeusement sauvés par la fidélité ou le dévouement.

Leur éclosion spontanée gagnait l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, la Russie et jusqu’aux États-Unis. La plupart des héritiers du trône se remémoraient, à travers les brumes du souvenir, leur enfance à Trianon, les transes des journées d’octobre, leur relégation aux Tuileries, le jardinet de la terrasse du bord de l’eau, l’arrestation à Varennes, leur mise en geôle, leur séparation d’avec la reine, les brutalités de l’infâme Simon, voire même la carmagnole et le deuil de Marat dont on les affubla. Chacun disait au peuple : « Regardez mon nez bourbonien comme celui de Louis XVI, ma lèvre autrichienne comme celle de Marie-Antoinette, sur mes bras les piqûres de l’inoculation, sur mes joues les taches de rousseur, stigmates éloquents, Totem à la mode huronne qui attestent ma légitimité. »

Les uns avaient été escamotés de la prison dans un paquet de linge sale, d’autres dans les flancs d’un cheval de bois ou de carton, d’autres dans la manne d’une repasseuse, ceux-ci dans la hotte d’un colporteur, ceux-là dans le double fond du cercueil, le jour même de l’inhumation de l’enfant substitué.

Tous invoquaient le témoignage de personnages fort honorables, généralement décédés, ou présentaient d’anciens pages, de vieux serviteurs édentés de la monarchie, à l’œil éteint, à la voix chevrotante, jurant qu’ils reconnaissaient à merveille les traits du vrai Dauphin qu’ils n’avaient vu qu’au berceau. Tous étayaient leurs dires sur la respectabilité de prélats, d’abbés ou de religieux. Tous avaient des partisans, des zélateurs, une petite cour.

On rencontrait de faux Louis XVII à Bicêtre, à Charenton, à la Salpêtrière, dans tous les asiles d’aliénés. Rien qu’à Bicêtre, en 1836, on en comptait cinq, parmi lesquels un clerc de notaire et un secrétaire d’ambassade, plus deux Louis XVI, un Napoléon et un charcutier qui, en raison sans doute de son embonpoint, se croyait Louis XVIII.

On en rencontrait aussi dans les prétoires de la justice, car la folie ou la superstition ne monopolisaient pas ce genre de mystification. Le charlatanisme, l’effronterie, l’intrigue s’en donnaient à cœur joie. Des apparitions nouvelles coïncidaient avec les variations de la politique, avec les tendances du pouvoir ou les visées de l’opposition constitutionnelle, apparitions plus dangereuses et plus actives que les autres, puisque, sous l’égide d’un parti, elles groupaient autour d’elles un essaim de romanciers, de journalistes, de pamphlétaires, bien ou mal stipendiés, ambitieux faméliques, parasites d’un parasite.

Il est juste de constater que le hasard ou les circonstances s’appliquaient à fournir de temps à autre des aliments aux chimères populaires. Le rapport du froid Cambacérès sur certaines tendances dynastiques de l’esprit public, quand même le fils de Louis XVI aurait cessé d’exister ; les ordres d’arrêt lancés après l’inhumation authentique[3], les affirmations de Barras en 1803, la phrase hypothétique de Napoléon dans sa lettre au comte de Frotté, les déclarations de Pichegru et de Mme de Tourzel, les aveux de la femme Simon aux Incurables de la rue de Sèvres, l’épitaphe du cimetière de Delft, celle du cimetière de Gleizé, mille autres déductions d’observations ou de polémiques développaient ces larves déposées sur la vraie fleur de lys pour en briser le calice ou en altérer le parfum.

Les mille et un fantômes, tantôt sifflés par l’opinion, le plus souvent applaudis, qui défilèrent en feux follets devant la crédulité publique, n’ont pas été catalogués. L’histoire n’en a consigné qu’un nombre restreint sur ses tablettes.

M. de Beauchesne en connaissait bien vingt-sept qui avaient écrit à Mme la Dauphine en lui donnant le titre de sœur, mais il en a gardé pour lui la notion.

M. de La Sicotière, au contraire, en a groupé une trentaine dans une parade d’ensemble et les a passés en revue sous leurs costumes de prétendants[4]. L’exhibition de cette phalange n’a pas été sans soulever quelque surprise. Sous la variété des types et la diversité des physionomies, ne s’est-on pas avisé de leur trouver une tonalité uniforme, un véritable air de famille avec les personnages que Regnaud-Warin avait mis en scène dans son roman : Le Cimetière de la Madeleine ? On s’est demandé si certaines similitudes d’aspect ou de caractères, certaines identités de situations et d’aventures ne constituaient pas un calque involontaire, un inconscient plagiat.

Illusion ou réalité, cela importe peu à notre étude, car le problème dynastique n’a rien à voir ici. Louis XVII aurait aujourd’hui 102 ans, et des compétitions de congénères paraîtraient un peu séniles. Quant à des descendants de congénères, c’est à peine si, là-bas, au pays des tulipes, un sculpteur sur bois, travaillant honorablement pour vivre, revendique platoniquement le droit à l’écusson fleurdelysé, à l’ombre du cippe sur lequel est burinée l’affirmation de la légitimité de son père.

Victor Persat, notre objectif, Victor Persat, qui, dans la chasse aux prétentions régaliennes, ne fut pas un des veneurs les plus en vue, s’il en fut un des plus fantaisistes, n’a laissé aucun héritier présomptif capable de porter ombrage à la susceptibilité la plus chatouilleuse. Il échappe donc à la polémique. Il devrait même échapper au souvenir, et certes n’aurions-nous jamais songé à rappeler sur son odyssée l’attention rétrospective de l’archéologue, si nous n’y avions été incité tout à la fois par les tendances littéraires du siècle et par le piquant d’une récente découverte.

Notre époque, en effet, raffole de petits papiers, de détails intimes, de lettres confidentielles, de révélations posthumes, de feuilles volantes en un mot, tourbillonnant, l’espace d’un matin, au vent capricieux de la mode qui les dispersera bien vite. Or, voilà que vient de nous tomber sous la main le journal manuscrit du monomane d’Ennezat, pages inédites sur lesquelles se prélassent : la grande conspiration du marquis de La Fayette, une charte constitutionnelle octroyée, d’un cabanon, au peuple français qui malheureusement l’ignora toujours ; les confidences épistolaires à Mme la duchesse d’Angoulême d’un frère méconnu ; la rencontre imprévue, en plein XIXe siècle, de Marie-Antoinette dans un magasin de Bordeaux et de Louis XVI à l’hospice de Saint-Yon. Était-il possible, je le demande, de soustraire un pareil document à la curiosité insatiable des chercheurs modernes ? Un consciencieux publiciste ne se devait-il pas au contraire d’en extraire aussitôt la substance et de la déposer en forme de brochure, à côté des Mémoires d’Auguste Nèves, de Richemont, de Naundorff et du Frère Vincent, sur les rayons déjà fléchissants de la bibliothèque Delphinienne ?

Le Dauphin de 1824 n’abusa pas d’ailleurs, de son vivant, des trompettes de la Renommée. N’ayant pas de commanditaires, il n’eut pas, comme plusieurs de ses confrères, des panégyristes attitrés, révolutionnant les masses à son sujet, arrachant des larmes et des souscriptions aux âmes sensibles. Tout au plus les journaux du temps lui consacrèrent-ils quelques entrefilets entre la chute d’un bolide et la délivrance d’une femme enceinte depuis 14 ans[5].

Après sa mort, les mémorialistes ne lui furent guère plus propices.

Dans son Dictionnaire biographique des Personnages connus du Puy-de-Dôme, M. Ambroise Tardieu ignore même son véritable nom. Il l’appelle Auguste Perrat et se borne à dire : « Il publia à Washington un factum où il se disait fils de Louis XVI. Il signait Charles X, roi de France et de Navarre. On le prit pour fou et le procureur du roi le fit arrêter au Havre. »

Deux autres de ses compatriotes, l’ex-conventionnel Dulaure et le maréchal de camp Molin, le signalent assez brièvement, l’un dans ses Esquisses historiques, l’autre dans sa correspondance[6].

Il est cité par Frédéric Degeorges dans Les Proscrits de la Restauration.

M. de La Sicotière est un peu plus prolixe : son article a 25 lignes. Il y condense les données – dont quelques-unes inexactes – recueillies sur notre personnage, lequel, ajoute-t-il, « avait annoncé des Mémoires qui n’ont jamais paru ».

Seul, M. Francisque Mège, l’érudit historien de l’Auvergne, a donné à ses recherches l’importance d’une notice de cinq ou six pages qu’il a publiée en 1885 dans sa série d’Originaux et d’Excentriques de la province. C’est le travail le plus complet paru sur la matière. L’écrivain y regrette à son tour que les Mémoires promis et introuvables n’aient jamais vu le jour.

Eh bien, les Mémoires sont là, étalant sous nos yeux leurs feuilles jaunies.

Profitons-en pour rompre à l’égard de Persat un trop dédaigneux silence et pour compléter, après en avoir reproduit les principaux traits, l’esquisse tracée par M. Mège, l’esquisse psychique, s’entend, car l’autobiographie d’un anormal reflète avant tout la vie mentale de son auteur. Elle est plus féconde en diagnostics de clinique qu’en sérieux éléments d’information. Elle est le roman et le rêve, un mélange de réalité et de vision, la déformation plus ou moins sensible de la vérité, suivant que le cerveau malade, pareil à un miroir fêlé, perçoit des conceptions plus ou moins inexactes des faits et des situations qui le frappent.

Le journal de Persat fut rédigé à Saint-Yon et achevé le 15 avril 1827, « ce 1er jour de Pâques ». Des extraits en avaient été adressés à toutes les personnes susceptibles de s’intéresser au sort du royal captif et notamment aux autorités judiciaires et administratives du département de la Seine-Inférieure.

L’original que nous possédons fut remis en juillet 1827 à M. Tailhand, futur procureur général près la Cour d’appel de Riom, afin de fournir à cet avocat « l’agréable satisfaction de faire mettre en liberté un prisonnier injustement frappé par un crime juridique ».

Il est illustré de dessins à la plume ou au pastel, dessins grossiers, naïfs, dédaigneux des proportions et des perspectives. Les planches, au nombre de dix-sept, sont accompagnées de légendes explicatives, – Dieu sait que l’explication n’était pas superflue – et généralement signées : « Fils de Louis 16. »

À la suite des événements de sa vie, Persat y a condensé les hétéroclites productions de sa plume débordante. Depuis sa mise en cellule, lors de son débarquement du Galax, le malheureux interné avait été pris en effet d’une formidable démangeaison d’écrire. Il s’exprimait mal, disait-il, mais il pensait bien, et sa pensée gagnait à la reproduction calligraphique. Jamais le papier ne lui était départi par ses gardiens avec assez de largesse au gré de son humeur scriptive. Le recueil contient donc la copie de ses lettres à tout l’Univers, ses défenses et plaidoiries à la barre du tribunal du Havre et devant la cour de Rouen, ses inventions mécaniques et architecturales, des aperçus politiques, religieux et militaires, des notes prises au jour le jour dans sa clôture, à la façon de Silvio Pellico, voire même des poésies où la rime, hélas ! ne brille guère plus que la raison.

Notre manuscrit constitue un in-4o allongé de 270 pages, intercalé de pièces de formats divers. Les cahiers qui le composent, en partie détachés du morceau de cuir à chapeau qui jadis leur servait de lien, et dénués de cartonnage, sont en mauvais état, maculés et parfois déchirés. À l’intérieur du volume se rencontrent encore des fleurs fanées, feuilles de rose, de thym, de jasmin, de lilas et jusqu’à des écorces d’orange qui se sont à la longue creusé un lit de rouille dans la pâte.

Le texte est libellé sans marge, d’un caractère cursif et négligé, avec force ratures et surcharges. Sa caractéristique est une désinvolture absolue en matière de style et d’orthographe. L’auteur s’en explique d’ailleurs dans une sorte de préface où il fait en ces termes sa déclaration de principes :

« Mé sécrit, dit-il, ne sont que de premier sécrit qui nont put aitre corriger. Dune autre pare je sui aubliger de les lescer exisetant afin de démontrer la métode dont je me sui exprimer dan les tems et lieux. Lé changemant ne pouron céfectuer quapret que des guges complétant auron pu porter leur jugement. Car jentant prouver que de tout tems jai possaider et fait husage de toute mé faculter fisique et moral.

» Les fautes de langue et d’ortografe ne son des fautes que pour ceux qui ont aprit la langue. Je nai aprit a pouvoire me faire lire que depuis mon narestation, sen savoire pu me procurer les livre qui mauret pu guider ; et ci jaitait parvenut a men procurer on mauret tauté la fasiliter de pouvoire en faire husage. »

Une pareille fantaisie de grammaire et de syntaxe rend la lecture de l’œuvre d’une digestion laborieuse. Mais si l’on considère que le fond du journal est aussi confus, aussi incohérent, aussi enchevêtré qu’en est la forme, qu’il fourmille de redites oiseuses, qu’il manque de cohésion et se ressent du vague inhérent à un esprit sans boussole, on comprendra qu’avant de l’offrir au public nous ayons dû le soumettre au préalable à un travail de groupement, d’émondage et de coordination qui, tout en respectant l’originalité de l’idée et l’exactitude des détails, lui imprime une allure et une mise décentes. Un petit bout de toilette ne nuit pas plus à la physionomie d’une œuvre qu’à celle d’un individu.

Il y a, nous l’avons dit, dans le personnage que nous mettons en scène, deux individualités distinctes : celle de la vie réelle et celle de la vie factice ; la première terne et vulgaire, prosaïquement enchâssée dans les arides formules d’un état civil, d’un livret militaire et d’un casier judiciaire ; la deuxième romanesque et fantomatique, dans un cadre de fictions et de mirages ; une face en grossière argile, l’autre en chrysocale. Toutefois, comme face et revers ne forment qu’une même médaille, il est indispensable d’en examiner séparément les deux profils.

Avant donc de laisser la parole à l’Enfant de France, nous croyons devoir dire quelques mots de l’humble enfant de la Limagne.


Victor Persat n’était pas né Dauphin, de même qu’il n’était pas né fou.

Il avait vu le jour, par une froide nuit d’hiver, le 10 décembre 1790, tandis que le vent soufflait du puy de Dôme et que la neige blanchissait la plaine marécageuse au centre de laquelle s’élève la petite ville d’Ennezat, son berceau. Il était le huitième rejeton d’une tige qui devait en produire deux autres encore après sa naissance[7].

Son père, Antoine Persat, originaire des environs de Lezoux, entreprenant, actif, fiévreux même, avait mené une jeunesse aventureuse et nomade. Ouvrier habile en ferronnerie et en mécanique, il avait poussé son tour de France jusqu’en Amérique. Après avoir parcouru les Antilles, il s’était fixé successivement à Port-au-Prince et au Cap-Français, principaux centres de la florissante île haïtienne, où les dissensions de castes et de couleurs n’avaient pas introduit encore des germes de décadence. Ses entreprises prospérèrent si bien que dix ans lui suffirent à amasser une fortune relative.

Il épousa en 1776 une jeune bordelaise, Marie-Jeanne Kaüsat[8], nature excellente, mais névrosée, impressionnable, exaltée. Il dit adieu à l’Amérique après y avoir acclamé le général marquis de La Fayette, son compatriote, dont le nom commençait à voler de bouche en bouche d’un bout à l’autre du Nouveau Monde. De retour au pays natal, il acheta dans le Marais d’Ennezat une propriété assez importante et s’y établit à la fin de 1785.

Riche et par suite considéré, grandi par ses prétendues relations avec le héros de l’Indépendance que Riom venait de députer à l’Assemblée nationale, remuant et agissant à une époque particulièrement agitée, Antoine Persat ne tarda pas à être en relief au sein de la bourgeoisie paysanne de la contrée. On le trouve, en l’an IV, agent municipal des communes réunies d’Entraigues et d’Ennezat, et, dès l’an VI, président de l’administration cantonale.

En signe de concession aux principes d’Égalité et de Fraternité proclamés par la Déclaration des Droits de l’homme, le nouvel évangile politique de la nation, Victor Persat fut tenu sur les fonts baptismaux par un des domestiques de son père. L’enfant grandit sous la double influence atavique que les chefs de famille exercent sur leur descendance. Ses premières années furent bercées des légendes américaines, des drames de la Tour du Temple, des variantes de l’opinion qui tantôt déifiait le général au cheval blanc comme le sauveur de la patrie, tantôt suspectait ses tendances, tantôt enfin le taxait de trahison envers la cause populaire.

La jeunesse de Victor Persat s’écoula sans apporter avec elle de symptômes révélateurs. Cependant, au cours d’un voyage qu’il fit à Bordeaux en 1806 avec ses parents, d’étranges anomalies se produisirent dans sa conduite. On ne s’en effraya pas trop, ces troubles singuliers pouvant être attribués à une poussée de sève, à une crise de puberté.

L’année suivante, Victor, qui avait 17 ans, déclara vouloir embrasser la carrière des armes. On était en pleine épopée impériale. Les camps dépeuplaient les campagnes. Toute la population masculine de la France affluait sur les champs de bataille qui en faisaient une effrayante consommation. Deux de ses frères, Maurice et Pierre, de deux ans et d’un an plus âgés que lui, avaient déjà revêtu l’uniforme du soldat et guerroyaient sous les aigles napoléoniennes.

Le jeune volontaire entra d’abord au 25e régiment de chasseurs à cheval, puis au 29e qu’il quitta pour être incorporé dans la Garde. Il franchit dans ces divers corps les glorieuses étapes que nos légions accomplissaient à travers l’Italie, l’Autriche et l’Espagne.

On mourait vite alors à l’ombre du drapeau, mais ceux qu’épargnait la mitraille faisaient rapidement aussi leur trouée vers l’avenir. Son frère Pierre avait disparu à Esling dans le tourbillon d’une charge de kaiserliks. Maurice, l’aîné, était déjà légionnaire et capitaine au 6e lanciers. Lui cependant n’avançait pas. Au bout de cinq ans, il était encore brigadier. C’est qu’à vrai dire tout dans sa manière d’être semblait anormal et bizarre. Son cerveau s’hallucinait parfois et l’inconsciente aberration de son esprit tenait en échec sa destinée.

Il faisait partie de la colonne du duc de Reggio durant la sinistre retraite de Moscou. Un coup de sabre qu’il reçut à la tête au passage de la Bérésina et le froid du bivouac durant sa convalescence amenèrent un dérangement de plus en plus sensible dans ses facultés mentales.

En 1814, Victor rentra dans ses foyers avec un congé de réforme. En 1815, Maurice y rentra à son tour avec une mise en demi-solde. La mise en demi-solde était la situation faite aux anciens officiers du Titan foudroyé, non ralliés au nouveau régime.

Alors commença pour les deux frères une vie d’aventures et de vagabondage international en partie double, qui fait que l’on se demande lequel des deux se montra le plus excentrique.

Maurice, impatient des loisirs que lui faisait la politique, incapable de se plier aux calmes habitudes d’une vie sédentaire, ne fit qu’un bond de sa bourgade auvergnate aux gorges du Venezuela. Là se battait le libérateur de la Colombie, l’intrépide Bolivar, pour l’indépendance de l’Amérique du Sud ; là par suite était la place d’un débris de la grande armée. Il se joignit aux bandes irrégulières, prit part aux guérillas contre Monteverde et Morillo ; mais climat et tactique lui déplurent bien vite. Après quelques semaines de lutte sous les murs de Caracas, il reprit la mer et aborda au golfe de Naples. Il se rangea sous la bannière du général Pepe, commandant supérieur des troupes insurgées contre l’Autriche. Son séjour au sein de la république Parthénopéenne ne fut pas de longue durée. Il alla guerroyer en Espagne, puis en Grèce, et revint enfin en Auvergne.

Ces exodes singuliers, sans but apparent, sans motifs plausibles, coupés de retours imprévus, d’allées et venues en province, de voyages à Paris, d’apparitions dans des conciliabules suspects ne pouvaient manquer d’éveiller la sollicitude du gouvernement méfiant et ombrageux de la Restauration. La police du royaume et les administrations publiques étaient peuplées de fonctionnaires zélés, trop zélés souvent, voyant partout des complots contre l’État et des machinations de mécontents ourdies contre le trône. Le directeur de la Sûreté générale signala l’aventurier à M. du Martroy, préfet du Puy-de-Dôme, qui, sans autre forme de procès, ordonna qu’on le reconduisît à la frontière par application de la loi qui fait perdre la qualité de Français à tout individu ayant pris, sans autorisation préalable, du service à l’étranger.

L’ex-capitaine de lanciers n’était pas homme à s’incliner devant l’ukase qui tranchait arbitrairement une question d’état du ressort de la justice. Il regagna Paris sans attendre la visite de la maréchaussée et annonça qu’il allait saisir de sa protestation la Chambre des députés. Il informa M. du Martroy de ses intentions par une lettre fort cavalière que publièrent les feuilles de l’opposition : « Si la Chambre, disait-il, ne me rend pas justice et que décidément je ne sois plus Français, je ne ferai pas de réclamation. Je n’aurai pas besoin d’être escorté par la gendarmerie pour sortir de France, et je puis vous assurer que je ne suis pas en peine de me faire une nouvelle patrie où je n’aurai pas à craindre l’inquisition d’un préfet... Vous ne devez pas douter que votre attitude ne vous ait pas gagné mon estime ni mon amitié ; et il faut que vous soyez préfet français et moi pas même citoyen pour que je borne la satisfaction que je désirerais tirer de vous à publier votre conduite à mon égard. »

Maurice Persat donna-t-il suite à son projet ou recula-t-il devant les difficultés de l’entreprise ? Quoi qu’il en soit, il se réfugia en Angleterre.

Pendant ce temps, que devenait Victor que nous avons laissé dans ses pénates après la campagne de Russie ? M. Francisque Mège va nous le dire :

«  Pour s’occuper, il essaya d’abord de l’agriculture et se mit à faire valoir les terres que son père lui avait laissées. Mais son exploitation ne pouvait être bien productive ; il passait une partie de son temps à boire et à chevaucher. D’autres fois il conduisait lui-même au marché les produits de son domaine, à Clermont ou à Riom ; puis, après en avoir touché le prix, il le dépensait aussitôt en libations ou en largesses populaires. Les rapports de police constatent en effet que plusieurs fois il fut vu se promenant à cheval dans les rues de Clermont et jetant à pleines mains son argent aux passants.

» Un peu plus tard, il vendit tout ce qu’il possédait à Ennezat et acheta, pour y habiter, une petite propriété à Persignat, commune d’Aubiat, près Aigueperse. Il la revendit bientôt.

» Toujours en route, il allait et venait d’auberge en auberge, gaspillant sans compter ce qui lui restait de son patrimoine. Il parlait et gesticulait sans retenue, déclamant à tout propos contre les Bourbons. Dans les derniers mois de 1817, il se fit emprisonner plusieurs fois, notamment à Gannat et à Clermont. Dans cette dernière ville, il avait parcouru les rues à cheval en tirant des coups de pistolet et en criant : « Vive l’Empereur ! » Il fut chaque fois relâché comme ayant l’esprit quelque peu dérangé et n’ayant d’ailleurs causé de préjudice à personne.

» À la suite de ces diverses frasques, Persat quitta le département et se dirigea sur Cherbourg où il fit viser son passeport pour Londres. Mais au lieu de partir, il se mit à parcourir la Normandie, prenant tantôt la qualité de marchand de grains, tantôt celle d’ancien soldat de la garde impériale. Il se fit emprisonner une fois pour avoir arrêté un voyageur près de Honfleur et l’avoir forcé à crier : « Vive l’Empereur ! » Il fut renvoyé faute de preuves.

» Il voulut ensuite s’engager dans les dragons du Calvados, en garnison à Châteaudun. Le colonel refusa de le recevoir... Il ne fut pas plus heureux dans ses démarches pour être admis dans la garde royale, car l’autorité militaire ne voulut pas se charger d’une pareille recrue[9]. »

Vers la fin d’août 1818, on le retrouve à Ennezat, continuant à vaguer çà et là et soulevant, comme son frère, les préoccupations de la police.

Le 20 mai, Victor Persat eut fantaisie d’une chasse aux loups dans les bois de Lezoux. Il chaussa ses bottes d’ordonnance, mit en bandoulière sa carnassière et sa gourde, posa sur l’épaule un fusil à deux coups et arriva vers midi à Pont-du-Château. Là, il s’attabla à l’auberge Mallet, en compagnie de deux paysans, en face de six bouteilles de vin, d’une bouteille de rhum et d’une bouteille d’eau-de-vie. Il annonça qu’il était le piéton de l’Empereur avec le grade de général, et qu’il ne précédait que de quelques jours son maître qui débarquait de Sainte-Hélène. Puis, après force libations, il gagna la route de Vertaizon.

Il cheminait dans son attirail de chasse lorsque, à l’entrée du village de Chignat, il se trouva face à face avec le brigadier Favet, de la brigade de Cunlhat, qui se rendait à Riom avec un de ses hommes pour témoigner dans un procès criminel. Étonné de voir un individu « au menton fourchu » gesticulant avec un fusil, le brigadier l’interpelle et lui demande son port d’armes. Pour toute réponse, il reçoit un coup de feu qui l’étend par terre, le flanc labouré de trois chevrotines et le bras gauche percé de part en part. Et tandis que le blessé est secouru par son compagnon, Persat s’éloigne à toutes jambes à travers champs.

Deux heures plus tard, la maréchaussée de Pont-du-Château, partie en hâte à la poursuite du fuyard, l’aperçoit perdu dans les vignes, faisant à sa gourde de fréquents appels dans l’espoir d’y repuiser des forces et d’y retremper son sang-froid. Les gendarmes fondent sur lui ; l’un d’eux lui assène un coup du canon de son mousquet sur la figure, un autre un coup de crosse dans la poitrine. En vain cherche-t-il à parer l’attaque à l’aide de son fusil dont le chien s’abat, mais dont l’amorce fait long feu. Il est saisi, garrotté et conduit en prison.

Traduit pour ce fait devant la justice, il comparut aux assises du Puy-de-Dôme le 19 novembre suivant. L’organe du ministère public, M. Rochon de Valette, se montra impitoyable dans ses réquisitions. Heureusement, l’accusé avait pour défenseur M. Tailhand, l’avocat à la langue d’or, qui sut apitoyer ses juges au point d’en obtenir un acquittement pur et simple.

Persat recouvra donc sa liberté, mais il ne recouvra pas son bon sens.

Les brutalités dont il avait été victime au moment de son arrestation, les angoisses de la prévention, les émotions de l’audience avaient cruellement éprouvé cette intelligence vacillante dont le trouble s’aggravait de jour en jour. Tout se brouillait à certaines heures dans son esprit où se confondaient, dans un amalgame inexprimable, les souvenirs du passé et les impressions du présent.

Explique qui pourra ces combinaisons qui s’opèrent dans la boîte crânienne aux confins de la raison et de la folie et le jeu mystérieux des fibres et des moelles dont Gall et ses disciples ont été impuissants à surprendre le secret au cours de leurs observations d’anatomie physiologique.

Ce que seulement nous constatons, c’est que ce fut en cette année 1818 que se développèrent d’une façon décisive les germes encéphaliques préexistants qui devaient obséder désormais l’entendement du pauvre Persat et préparer sa métempsycose.

Son enfance, nous l’avons dit, avait été hantée par trois visions impressionnantes : celles de la libre Amérique, de l’orphelin du Temple et du légendaire La Fayette. Or voilà qu’en 1818 ces trois visions réapparaissaient à ses yeux comme de fatidiques réalités.

Au mois de novembre, en effet, le collège électoral de la Sarthe venait d’envoyer pour le représenter à la Chambre le fameux général, que son constitutionnalisme avait mis en défiance auprès des Bourbons et qui, depuis trois ans, vivait dans une retraite absolue. Il s’était assis à l’extrême gauche de l’Assemblée et avait pris dès le premier moment, vis-à-vis de la Cour, l’attitude d’hostilité irréconciliable et de bravade qui devait le faire qualifier par le général Foy d’agent provocateur et de vétéran de l’insurrection. Aussi les gazettes étaient-elles pleines de son nom, souvent accolé à d’âpres commentaires sur les ténébreuses visées de son ambition à l’aurore révolutionnaire. On ne parlait que de lui.

Je me trompe : on parlait aussi, et avec une égale passion, d’un prétendu Louis XVII, dit Mathurin Bruneau, qui venait de passer en jugement devant le tribunal de Rouen.

Mathurin Bruneau n’était pas le premier prétendant qui eût revendiqué le titre de Dauphin de France arraché par miracle aux geôliers de la Convention. Déjà, vers le commencement du siècle, Hervagault, surnommé le petit Messie, avait agité la Normandie, la Bourgogne et la Champagne, faisant par milliers des dupes, quelques-unes illustres, qui lui étaient restées fidèles, même au-delà de la prison. Le nouveau compétiteur qui surgissait, aussi fabuleux mais plus effronté encore, posait derechef devant la nation le problème de la légitimité. On avait beau le convaincre d’imposture, établir qu’il était le fils d’un sabotier du canton de Chollet, que le passeport par lui invoqué, au nom de Charles de Navarre, n’était qu’une pièce apocryphe, il n’en maintenait pas moins ses affirmations grossières qui, par delà les murs du Mont Saint-Michel où il était détenu, réchauffaient toute une légion d’adeptes recrutés dans la finance, dans le clergé et dans l’armée, caressaient les imaginations avides de prodige ou d’invraisemblance et procuraient enfin à la presse de combat, de nouveaux projectiles pour ses escarmouches contre le pouvoir.

Dernier concours de circonstances ! À la suite de son procès devant le jury du Puy-de-Dôme, la famille Persat n’avait eu qu’un souci : se débarrasser par une expatriation temporaire d’un membre aussi dangereusement compromettant. Elle avait tout mis en œuvre pour parvenir à ce but, qu’elle considérait tout à la fois comme un dérivatif et comme une sauvegarde. Elle y parvint en faisant miroiter devant son imagination les horizons de l’Amérique, cette terre quasi familiale vers laquelle son père d’abord, son frère ensuite avaient successivement porté leurs pas.

La perspective sourit à Victor qui, sans trop d’hésitation, prit passage à bord du premier navire en partance pour le Nouveau Monde.

Il relâcha à l’île de Cuba où son séjour se prolongea durant près de cinq ans. Il y subit bien des tribulations, des avanies et des déboires, – il le crut du moins, car tout tournait déjà chez lui à la monomanie de la persécution, même les étonnements que faisaient éprouver aux autorités espagnoles ses allures inconsidérées. Changeant et versatile, tantôt maçon, tantôt charpentier, employé parfois aux sucreries de riches planteurs, établissant ici des fours et des cheminées économiques, là des moulins à mouture intensive, notre personnage parcourut le cycle des professions usuelles. Rien toutefois n’autorise à prétendre, ainsi que l’a fait M. de La Sicotière, qu’il exerça le métier de corsaire et qu’il se livra à la piraterie.

Il se trouvait à la Havane quand s’accomplit dans son état moral le définitif avatar qui allait le transformer en un prince méconnu et opprimé. La révélation lui fut faite du mystère de sa naissance et la grandeur de ses origines. Soudain, raconta-t-il plus tard, le voile du passé se déchira, ses yeux se dessillèrent, sa mémoire, longtemps obscurcie par l’effet d’un pernicieux breuvage, redevint lucide. Aucun doute n’était possible : c’était lui le royal rejeton de France, qui avait servi de souffre-douleur au savetier Simon ; lui qu’un génie malfaisant, abritant sa perfidie sous le masque du dévouement, avait fait enlever de son cachot par un joueur d’orgue en 1793 ; lui que l’on avait substitué à un enfant appelé Victor Persat, dont il avait inconsciemment usurpé le nom et la place au foyer d’une famille plébéienne ; lui dont on avait voulu paralyser l’intelligence et que l’on faisait passer pour fou ; lui enfin que l’on tenait éloigné du trône par la plus machiavélique des combinaisons. Son oppresseur, il le connaissait : il n’était autre que l’infâme marquis de La Fayette, dont les sombres intrigues avaient amené la mort de Louis XVI et provoqué toutes les horreurs de la Révolution ; dont le secret dessein avait toujours été de s’emparer du pouvoir, et qui ne le retenait captif que pour l’amener à souscrire à son plan de gouvernement. Durant sa vie entière, il avait subi la néfaste influence de cet implacable persécuteur qui venait encore jusque sur le sol américain le poursuivre de ses obsessions et le convier à une honteuse complicité.

Dès ce moment, l’incarnation fut complète et Persat vécut deux existences parallèles. Il pensa, il agit, il souffrit d’une pensée, d’une volonté, d’une douleur imaginaires. De bonne foi et sans calculs de lucre, il prit au sérieux sa qualité de « fils de Louis XVI » et échafauda autour de sa prétendue légitimité tout un système de conceptions puériles.

Il écrivit aux journaux différentes lettres qu’il signait des noms de Charles X ou de Philippe VI, roi de France et prince de Navarre, et il rédigea une proclamation comme fait tout prétendant qui se respecte.

En 1824, il partit pour la capitale de l’Union et présenta ses revendications au congrès de Washington vers l’époque où le congrès, ayant à sa tête le président Monroe, accueillait le général La Fayette qui accomplissait, en compagnie de son fils, un voyage triomphal à travers les districts de la grande République.

Bientôt il éprouva le désir de se rapprocher de son peuple et de se faire reconnaître dans son pays. Ce n’était pas à New York, mais à Paris qu’il importait de se produire et d’agir sur l’opinion.

En conséquence, il avisa le consul de France de sa résolution, monta à bord du Galax dont le capitaine l’inscrivit sous son nom supposé qui lui garantissait l’incognito, et débarqua au Havre le 20 octobre 1824.

À peine touchait-il du pied le sol de sa patrie, qu’il fut appréhendé au corps par des agents de la Sûreté et immédiatement incarcéré. On le trouva porteur d’un sceau royal, de papiers divers, de vingt-cinq louis et de 3,000 proclamations imprimées.

Ce fut durant les trois années d’internement qui suivirent cette arrestation que Persat écrivit son autobiographie. Nous lui laissons le soin de raconter lui-même les phases de son procès et les péripéties de sa captivité. C’est la partie la plus vraie de ses Mémoires.

Que le lecteur veuille donc bien nous suivre sans trop de stupéfaction à travers les données incohérentes de ce récit, sans oublier que, si nous traduisons la pensée et si nous tenons la plume, c’est Victor Persat qui parle.

  1. Mme Séverine : Capet... dors-tu ? (Le Journal, 8 juin 1895.)
  2. Beaucoup de gens d’esprit soutiennent encore de nos jours la vraisemblance ou au moins la possibilité de l’enlèvement du prisonnier du Temple : tels Louis Blanc, Frédéric Bulau, Henri Provins, Victorien Sardou... sans compter la légion de ceux qui se sont déclarés solidaires d’Hervagault, de Bruneau, de Richemont, de Naundorff ou d’un des autres prétendants.
  3. Le décès officiel du Dauphin est du 8 juin 1795, l’inhumation du 8 et l’acte de l’état civil du 12. Or, au mois de juillet, à Thiers (Puy-de-Dôme), on arrêta, comme étant le Dauphin évadé, un enfant de 10 ans, Morin de la Guérivière, conduit par M. Ojardias. Il ne fut relâché qu’après enquête, sur l’ordre du représentant Chazal.
    Des faits analogues se produisirent sur d’autres parties du territoire.
  4. Revue des Questions historiques. 1882. Tome II.
  5. Le Constitutionnel du 24 juin 1824. — La Feuille Nouvelle de Rouen, 1824-1825.
  6. Dulaure : Esquisses historiques sur la Révolution, t. IV, p. 174. — Joseph Molin : Bibl. nat. Auvergne. Autographes. Lettre du 26 juillet 1830, écrite « sous Alger ».
  7. Les autres enfants étaient : 1° Jeanne-Marie, née à ... le 17 octobre 1778, mariée à Ennezat, le 23 nivôse an VI, à Antoine-Jacques Bordes, de Riom ; — 2° Marie-Anne, née à ... le 8 mars 1780, mariée à Ennezat, le 20 frimaire an VII, à J.-B.-Charles Latour, de Vichy ; — 3° Jeanne-Victoire (?) ; —Charles, né à Ennezat le 8 novembre 1785, mort le 14 octobre 1787 ; — 5° Jeanne, née à Ennezat le 1er décembre 1786, morte le 22 mai 1789 ; — 6° Maurice, né à Ennezat le 30 avril 1788 ; — 7° Pierre, né à Ennezat le 8 novembre 1789 ; — 8° Victor ; — 9° Michel, né à Ennezat le 26 prairial an II ; — 10° Pierre, né à Ennezat le 13 messidor an IV.
  8. Les registres de l’état civil portent indifféremment Kaüsat, Kaüssat, Caussat, Kauzac, Kaussac, Caussac.
    Le nom de Cahuzac, adopté par M. Mège, est peut-être plus normal, mais moins authentique.
  9. Une lettre du 17 mai 1818, adressée à Mme Persat, propriétaire à Riom, par M. Dutour de Salvert, sous-préfet, indique à cette dernière que le ministre de la police générale refuse catégoriquement l’entrée de la garde et même de tout corps de troupe à son fils, qui a donné tant de preuves d’extravagance et dont la famille encourra une responsabilité légale si elle n’empêche pas ses divagations.