Vidalenc - William Morris/6

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Félix Alcan (p. 164-196).

CHAPITRE VI


L’INFLUENCE DE WILLIAM MORRIS : LES ESSAIS DE RÉALISATION D’UN ART SOCIAL


L’Influence directe de W. Morris : en Angleterre, aux États-Unis. — Les efforts pour la réalisation d’un art social. — L’Exposition de 1900 et l’art nouveau. — Les théoriciens et les artistes. — Les salons des Artistes décorateurs.


L’influence possible de William Morris a été en général trop sommairement indiquée ; la plupart de ses biographes ont en effet écrit de son vivant, ou peu d’années après sa mort, et faute d’un recul suffisant ils se sont bornés à signaler son influence immédiate sur ses contemporains. Vingt années nous sépareront bientôt de la mort de Morris, la maison de décoration qu’il avait fondée en 1861 a pu, il y a trois ans, fêter son cinquantième anniversaire et l’exposition qui se tient au pavillon de Marsan cette année même nous a permis de voir ce qu’est l’art décoratif anglais. Le moment est peut-être venu de rechercher si l’influence indéniable qu’eut Morris sur sa génération fut profonde et efficace, si le mouvement dont il fut l’un des principaux artisans s’est limité à l’Angleterre. Les années écoulées ont fait dans son œuvre et son enseignement une sélection qui facilitera, notre tâche, certaines parties en furent éphémères et sont aujourd’hui oubliées, mais d’autres sont encore vivantes et leur action est incontestable sur les artistes et les artisans d’aujourd’hui. C’est ce bilan que nous essaierons de faire ici.

Nous n’avons pas la prétention de signaler toutes les manifestations d’art, tous les groupements, toutes les personnalités d’artistes, qui, consciemment ou non, doivent quelque chose à Morris. Beaucoup ont pu nous échapper, mais eussions-nous dressé une liste complète, nous savons que nos conclusions ne pourraient rien avoir d’absolu, ni de définitif. L’étude d’une influence encore agissante doit être soumise à une continuelle révision, c’est une enquête qui demeure ouverte et des renseignements nouveaux pourraient demain venir modifier notre manière de voir d’aujourd’hui. Les grands mouvements artistiques et littéraires ne peuvent être étudiés dans tous leurs détails que quand ils sont achevés ; or il nous apparaît, et ce sera une des conclusions de cette étude, que l’influence de Morris s’exerce encore sur notre époque. Diversement interprétées suivant les pays, les époques, les tempéraments, ses œuvres et ses idées ont inspiré nombre de tentatives intéressantes.

C’est en Angleterre que l’enseignement de Morris a donné le plus de résultats, mais nous consacrerons aussi une bonne part de cette étude à signaler les efforts accomplis en France, non pas pour donner aux esprits une quiétude sans bornes (qui serait d’ailleurs injustifiée), mais pour montrer tout le chemin qui reste à parcourir. Il nous apparaît qu’en ce début du XXe siècle commence à s’élaborer chez nous un art vraiment nouveau et original, que l’idée d’un art social et populaire commence à triompher de tenaces préjugés et nous avons voulu apporter notre contribution à une cause qui n’est pas sans grandeur.


Dans un chapitre précédent nous avons montré qu’après des débuts difficiles, la maison de décoration Morris et Cie avait connu une prospérité extraordinaire. S’agissait-il là d’un succès purement commercial, d’une entreprise qui réussissait grâce aux qualités exceptionnelles, au renom même de ceux qui y avaient collaboré ? On put voir qu’il y avait quelque chose de plus puisque les concurrents ne tardèrent pas à imiter ce qu’ils avaient d’abord condamné.

On pouvait se demander cependant s’il y avait là un engouement passager, une de ces modes comme on en voit apparaître plusieurs par siècle et qui ne tardent pas à disparaître, ou si c’était au contraire l’indice d’une amélioration sensible du goût public ? Les biographes de Morris se sont trop pressés de conclure ; ceux qui travaillèrent avec lui ou le connurent personnellement, qui purent apprécier la séduction de l’homme et la beauté de son effort, qui savaient combien était lamentable l’art décoratif de 1860, étaient naturellement portés à s’exagérer l’importance des progrès accomplis, à les croire définitifs. Les nombreux articles nécrologiques qui parurent dans les journaux et les revues, en Angleterre et sur le continent au lendemain de la mort de Morris étaient unanimes à célébrer la splendeur de son œuvre et l’importance de son action qui avait changé l’aspect de la plupart des maisons anglaises et, selon l’expression de M. Gabriel Mourey, « paré le home d’art joyeux ». Même en tenant compte de l’exagération naturelle en pareil cas, il reste que l’influence de l’artiste s’était exercée profonde et bienfaisante. Nous en avons d’ailleurs d’autres preuves. Quand Morris mourut venait de s’ouvrir à Londres, sous son patronage, une Exposition des arts appliqués qui permettait d’apprécier tous les progrès réalisés depuis 1860 : préoccupation des ensembles, souci de simplicité et d’élégance, moins de lourdes surcharges, de faux luxe, adaptation plus rationnelle des objets à leur destination, tels étaient les caractères essentiels des œuvres exposées.

Certes le mérite de cette transformation n’appartenait pas à Morris seul, il fut du moins l’initiateur, le chef du mouvement. Autour de lui en effet, sous sa direction parfois ou tout au moins avec ses encouragements se forma toute une pléiade d’artisans dont l’œuvre continua ou compléta la sienne : Walter Crâne, J.-H. Dearle, A.-S. Benson, C.-R. Ashbee et bien d’autres, qui avec des dons et des tempéraments différents, s’inspiraient d’un même exemple et travaillaient à la réalisation d’un même idéal. Des groupements aussi s’étaient formés et nous en voulons citer quelques-uns, "non pour établir une sorte de classement, mais pour mettre en lumière des tentatives trop peu connues qui par leurs résultats ont permis d’affirmer la possibilité d’entreprises tenues jusqu’alors pour chimériques. Ce furent par exemple : « The Century Guild » fondée en 1882 par A.-H. Macmurdo, Selwyn Image, Herbert Home, qui se proposait d’entreprendre tous les travaux de décoration de quelque nature que ce soit, « The Birmingham Guild of Handicraft », « La Société pour l’Organisation d’expositions d’art appliqué » fondée à Londres en 1888, « La Guilde des arts appliqués » fondée en 1886 dont M. C. R. Ashbee architecte fut le principal organisateur et qui mérite une mention particulière. Elle se proposait en effet de faire à la fois l’éducation de l’artisan et celle du consommateur ; elle protestait contre la spécialisation à outrance des ouvriers, l’emploi exclusif des machines, les journées de travail trop longues, mais en même temps elle montrait à l’acheteur qu’il avait sa part de responsabilité dans la fixation des salaires et elle voulait l’habituer à renoncer aux inutilités coûteuses pour leur préférer des œuvres vraiment belles. C’était en somme le programme de Morris, mais sans être soutenu par le grand nom de Morris.

Groupements pour la plupart éphémères, dont l’action ne s’exerçait pas en dehors d’un petit cercle d’amateurs, mais qui cependant attestent l’influence de Morris et qui, avant de disparaître, contribuaient à cette éducation du public, à cet affinement du goût général qui se fait lentement mais finira par rendre possible un art plus vigoureux. La multiplicité des tentatives nous est un sûr garant de la transformation qui s’opérait dans les esprits, les arts décoratifs sont moins méprisés et les grands artistes ne dédaignent plus de produire des objets utiles. Dans les étoffes d’ameublement ou de tenture, dans les vitraux d’église ou d’appartement, dans les papiers peints, la ferronnerie, l’orfèvrerie, les arts du feu, dans la construction et la décoration des meubles comme dans l’exécution des livres, un souci de sobriété élégante s’affirme, la préoccupation d’une harmonie générale apparaît.

Les maisons de décoration actuelles, sans se piquer le moins du monde de faire œuvre d’éducation, mais simplement pour rivaliser entre elles et attirer une clientèle devenue plus délicate, s’efforcent de s’assurer la collaboration d’artistes, et ceux-ci, qui ne jugent plus que de telles besognes soient indignes d’eux, travaillent à la réalisation d’un art nouveau, approprié aux besoins de la vie présente. Les catalogues de maisons comme Jeffrey et Cie pour les papiers peints, Powell pour les vitraux, Liberty ou Wardle et Cie pour les tissus d’ameublement, citent avec complaisance des noms d’artistes comme Walter Crâne, Sydney Mawson, Heywood Sumner, Alexander Gascoyne, Mary J. Nevill, etc., etc.. On pourrait allonger indéfiniment cette liste, passer en revue la plupart des maisons anglaises d’art appliqué, partout nous trouverions des traces de l’influence de Morris dans la richesse du coloris, la complexité harmonieuse du dessin, la préoccupation de l’ensemble. Ce n’est pas que l’on copie ses modèles, ni même qu’on utilise exactement les procédés qu’il employait, c’est plutôt qu’on essaye de travailler dans le même esprit et l’exposition des Arts décoratifs anglais, qui s’est ouverte à Paris au Pavillon de Marsan en avril 1914, nous a permis d’apprécier l’importance de l’action des artistes dans l’industrie. Nous ne prétendons pas qu’il n’y ait plus dans les magasins que des œuvres irréprochables, mais seulement qu’il est parfois possible d’obtenir de belles choses pour le prix dont on payait les laideurs d’autrefois.

Dans un autre domaine devait aussi s’exercer l’action bienfaisante de Morris. Après l’embellissement du home, on se prit à songer à l’embellissement, si nécessaire, de l’école, pour que l’âme enfantine suivisse là aussi l’influence mystérieuse de la beauté ; pour que par l’école pénétrât plus rapidement dans les logis populaires le goût de la lumière, de la propreté, d’une décoration simple et appropriée. C’est l’honneur d’artistes comme ceux qui publièrent les Fitzroy Pictures d’avoir su faire œuvre pratique, d’avoir résisté à la tentation d’édifier des palais ou de transformer les écoles en musées. Ils se contentent de demander des salles spacieuses, claires et gaies, de la verdure, un décor simple et harmonieux. Leurs gravures, signées Heywood Sumner, Selwyn Image, C.-W. Whall, L. Davis et C.-M. Gère illustrent soit des épisodes de l’Evangile, soit des scènes de la vie courante, elles visent beaucoup plus à suggérer qu’à donner une représentation exacte des choses ; par leur simplicité, par la fraîcheur de leur coloris elles s’avèrent puissamment décoratives.

Mais l’influence de Morris devait s’exercer plus

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Cliché Morris et Cie

TAPIS « REDCAR »

Dessiné par W. Morris.
difficilement à l’étranger. Comme les ateliers de Merton Abbey et l’imprimerie de Kelmscott ne faisaient pas de réclame, c’est dans le Royaume-Uni et dans les pays de langue anglaise qu’ils devaient trouver leurs premiers clients. En 1901 devait même se former Eastwood (dans l’État de New-York) un groupement d’artisans qui acceptaient le double programme artistique et socialiste de Morris, ils se proposaient d’entreprendre tous les travaux d’art concernant l’ameublement et de poursuivre la besogne d’éducation commencée par le maître. Les associés se proposaient en outre de former, partout où cela serait possible, d’autres groupements qui travailleraient dans le même sens. Le succès ne répondit pas à leur attente, ils se séparèrent au bout de quelques années sans avoir réussi à déterminer aux États-Unis un grand courant populaire en faveur des réformes sociales et de la beauté. En Europe il ne semble pas non plus que la tentative de Morris ait été rapidement connue et son exemple suivi, et cela s’explique aisément. Il n’est pas impossible que des artisans ou des artistes aient fait le voyage de Londres, au moment des expositions notamment, et étudié là quelques-unes des productions de la maison d’Oxford Street, mais ils durent être assez rares ; d’autre part Morris n’aimait pas à aller au-devant des clients, il exposait peu et n’envoya rien à Paris en 1867, 1878 et 1889 ; c’est seulement en 1900, après sa mort, que le public français put connaître directement sa tentative ; le pavillon britannique de la rue des Nations était en effet décoré avec les tapisseries de La Queste du Graal. Aussi le nom de Morris, ses tentures, ses chintzes, ses vitraux étaient-ils déjà très populaires en Angleterre, qu’ils étaient encore inconnus sur le continent.

Il n’en fut pas de même heureusement des idées qu’il avait contribué à répandre ; sans qu’on en connût toujours l’origine, ou plutôt sans qu’on sût qu’elles avaient déjà été émises, on les dressait un peu partout contre les dogmes académiques défenseurs du grand art et de l’imitation classique. Dans tous les pays, en France, en Belgique et en Allemagne notamment, des groupements, des artisans ou des artistes isolés, commençaient vers la fin du XIXe siècle à marcher vers un idéal nouveau, à essayer de créer un art qui exprimât la société contemporaine et fût à la fois largement décoratif et vraiment populaire. La grande manifestation d’art que fut, malgré ses tares, l’Exposition internationale de 1900, nous permet de marquer une étape dans cette réalisation car elle a donné la possibilité d’étudier de près les différentes tentatives, de comparer les résultats obtenus.

Sans avoir à rappeler ici l’effort des divers pays, nous pouvons, d’un ensemble qui paraissait chaotique à première vue, dégager quelques caractères généraux. À cette exposition triompha vraiment un Art Nouveau en ce sens qu’on pouvait découvrir dans tous les genres des préoccupations esthétiques inconnues jusqu’alors et Jean Lahor pouvait écrire : « On peut différer d’opinion sur les mérites et sur l’avenir du mouvement nouveau de l’art décoratif, on ne peut nier que victorieusement aujourd’hui il n’ait gagné toute l’Europe, et hors de l’Europe tous les pays de langue anglaise. » Sans nul dessein d’apologie excessive, il faut reconnaître que si les expositions de 1878 et de 1889 avaient consacré des triomphes industriels, celle de 1900 y ajouta une notion d’élégance ; elle marque le début d’une collaboration efficace des arts et des métiers, collaboration souvent hésitante encore, parfois mal comprise mais dans l’ensemble pleine de promesses pour l’avenir.

Est-il possible de voir là l’influence de William Morris ? Pour éviter toute équivoque, nous préciserons le sens de ce mot influence. Il ne s’agit pas pour nous d’une action directe, immédiate. Rien ne nous permet de penser en effet que la plupart des exposants de 1900 aient connu les productions des ateliers de Morris, et nous le pensons d’autant moins que les œuvres les plus originales, les plus symptomatiques de l’Exposition n’appartenaient pas aux genres dans lesquels l’activité de Morris s’était surtout dépensée. Tout en rendant hommage aux tentures, tissus et papiers peints d’un Dufrêne ou d’un Prouvé, il nous semble que c’est surtout dans les sections de bijoux et orfèvrerie, d’ameublement, des arts du feu (poteries, grès, pâtes de verre) que se trouvaient les spécimens d’art les plus remarquables.

Cependant nous croyons à une influence indirecte mais profonde de Morris. Il fit l’éducation des artisans anglais et qui plus est celle du public et des commerçants, et par là il devait agir aussi sur les autres pays. Par ces mille liens, insaisissables dans le détail mais très réels, que présente le commerce de deux grandes nations, par ces échanges continuels d’objets usuels, comme par les observations des touristes et des artistes s’ébaucha chez nous la transformation du goût public. Derrière Morris s’était formée en Angleterre toute une génération d’admirables décorateurs et pour pouvoir lutter avec eux, nos artisans durent les suivre sur leur propre terrain, accepter parfois certaines de leurs idées. En révélant à ses contemporains l’importance et la noblesse des arts appliqués, Morris avait puissamment aidé à la formation de ces artisans qui, autant que les peintres, les sculpteurs et les architectes contribuèrent à la beauté de l’Exposition ; en enseignant à tous le respect de l’œuvre d’art il amena les décorateurs et les acheteurs à renoncer, du moins en partie, à l’imitation servile des styles du passé. Plus que tout autre, par sa parole et son exemple, il a contribué à faire naître par-dessus les frontières ce large courant de sympathie pour la beauté qui marque la fin du XIXe siècle, à créer cette atmosphère de compréhension bienveillante, dans laquelle artistes et artisans se sentent plus à l’aise, parce qu’ils se savent plus appréciés. Il a préparé le terrain, accoutumé les esprits, rendu possibles, ou tout au moins facilité, bien des tentatives originales, et c’est dans cette mesure que nous pouvons rattacher l’effort d’un Galle ou d’un Lalique à son oeuvre. Ils furent les artisans d’une commune tâche et si nous avons donné à Morris la place d’honneur, c’est qu’il est venu le premier, qu’il a su voir où il fallait aller alors que beaucoup hésitaient encore.

On n’a pas imité ses vitraux, ses tapisseries, ses papiers

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Caractères et bordure de W. Morris.
peints et c’est tant mieux. Il avait trop de bon sens pour vouloir substituer des formules nouvelles aux formules anciennes et remplacer l’admiration de l’antique par la superstition des styles persan ou gothique. Avec Ruskin il aurait dit, : « Mes véritables disciples seront ceux qui se contenteront d’être eux-mêmes et de suivre les leçons de la nature » et il attachait plus de prix à l’esprit de son enseignement qu’à la lettre.

Mais nous n’avons garde de nous complaire dans un optimisme facile, Les limites de l’influence de Morris apparaissent très nettement, là même où on aurait pu s’attendre à la voir s’exercer davantage. En ce qui concerne la tapisserie par exemple, il semble que ce soit en vain qu’aient été œuvrées La Queste du Graal et L’Etoile de Bethléem. C’est une forme d’art qui n’a pu revivre en Angleterre, et sur le continent, les ouvriers les plus réputés comme ceux des Gobelins semblent avoir perdu de vue le sens des nécessités techniques des tapisseries et de leur utilisation décorative. De là tant de cartons, bien intentionnés sans doute, mais qui ne servent qu’à montrer l’habileté technique de nos tapissiers et la richesse de nos gammes de laines ; de là l’hésitation à faire appel à des artistes dont le talent s’affirme pourtant essentiellement décoratif comme Maurice Denis ou Henri Martin.

Les mêmes réserves pourraient être faites en ce qui concerne le vitrail. Nous rendons hommage aux délicates productions de Powell and sons de Londres, et de Gruber de Nancy, nous connaissons les cartons de M. Denis, mais il faut admettre que bien souvent le vitrail religieux n’est qu’une mauvaise contrefaçon de la peinture ou une maladroite imitation des vitraux du moyen âge. Quant au vitrail d’appartement il ne joue encore, en raison de son prix élevé, qu’un rôle très effacé dans la décoration.

De même on ne semble pas toujours comprendre les exigences spéciales des papiers ou des étoffes de tenture, et le souci presque exclusif du bon marché conduit parfois à de singulières aberrations.

Il s’en faut de beaucoup que la cause de l’art soit définitivement gagnée ; la vie quotidienne avec ses mille spectacles d’affligeante laideur se charge de nous montrer l’insuffisance du goût public. Vers 1896 en présence des louanges et des regrets presque unanimes qui saluaient la mort de William Morris et rendaient hommage à sa tentative, on pouvait croire qu’à défaut d’un art vraiment populaire, il avait du moins réalisé ce prodige d’intéresser toute la nation à la beauté. Les critiques d’art, les industriels, le public se trouvaient d’accord pour l’affirmer. Mais il n’est pas de mouvement en avant qui ne soit suivi d’une réaction ; après quinze ans, le partage s’est fait entre les résultats durables, définitivement acquis semble-t-il, et ceux que des modes nouvelles ont emportés. C’est pourquoi ceux qui étudient aujourd’hui l’art décoratif en Angleterre se montrent moins affirmatifs et moins enthousiastes, l’œuvre d’éducation est loin d’être terminée et des courants contradictoires empêchent de prévoir quel sera le résultat final.

L’effort de Morris ne fut cependant pas vain. Quelque peu soucieuse de beauté que soit notre génération, peut-on dire qu’elle a pour l’art le dédain qu’avaient les hommes de 1850 ? Nous ne le pensons pas. Bien des tentatives ont été faites pour réaliser un art populaire et ce mouvement est international. En Angleterre, en Allemagne, en France, en Belgique, aux États-Unis se sont formés des groupements, des revues ont été fondées qui travaillent pour le même idéal. Le problème n’est plus d’ailleurs aujourd’hui exactement ce qu’il était au temps de Morris ; les années écoulées, la transformation ébauchée dans les esprits, les quelques résultats obtenus, sont des éléments dont il nous faut tenir compte. Peut-être connaissons-nous mieux aussi les nécessités de l’heure présente et n’avons-nous plus cette défiance instinctive du moderne que Morris lui-même éprouvait. Il avait combattu bien des préjugés, réhabilité le moyen âge et la Renaissance, mais n’avait pas osé aller jusqu’aux machines. D’autres sont venus depuis qui ont tenté de faire disparaître les cloisons étanches élevées jadis entre les différentes formes de l’activité humaine et sur bien des points l’effort de Morris a été dépassé.

Des expositions récentes comme celles de Saint-Louis (États-Unis) en 1904, de Bruxelles en 1910, de Turin en 1911, de Milan en 1912, de Gand et de Leipzig en 1913, des Arts décoratifs anglais à Paris en 1914, ont montré que dans tous les pays on avait maintenant souci de la décoration des logis, même modestes, qu’artisans et artistes essayaient de s’adresser au plus grand nombre. Sans doute ce n’est que le commencement d’une évolution qui durera de longues années encore, mais du moins fallait-il signaler cette orientation nouvelle.

Sans méconnaître la valeur, ni la portée de certains exemples étrangers, de l’Allemagne notamment, nous voulons signaler ce qui a été tenté en France. D’avance nous reconnaissons que cette étude sera incomplète, il est impossible qu’elle ne le soit pas, et si nous ne rendons pas à chacun l’hommage qui lui est dû, si certains essais nous échappent, on voudra bien tenir compte de ce que nous écrivons ici l’histoire d’une époque troublée, féconde en recherches audacieuses. Nous n’essaierons pas de déterminer le plus ou moins grand mérite de tel ou tel, mais plutôt de dégager les éléments communs de toutes ces initiatives.

Dans la masse des affirmations et des commentaires qui célèbrent la venue d’un « art nouveau », d’un « art social », d’un « art populaire » ou qui l’appellent de tous leurs vœux, dans tous ces groupements d’artistes, ces cercles d’études, ces revues combatives et éphémères qui s’appellent « Artistes décorateurs », « Art et Science », « Art et Vie », « Arts de la vie », « Art pour Tous », « Maison nouvelle », « Ateliers modernes » se retrouve le même désir de magnifier la vie par la beauté. Que nul ne s’y méprenne ! Les partisans de cet art social qui s’ébauche ne rejettent rien, ils acceptent le passé, tout le passé, avec ses théories et ses œuvres ; ils se distinguent par une large et sympathique compréhension qui leur permet d’admirer le Parthénon comme Notre-Dame de Chartres, le Moïse de Michel-Ange comme la Victoire de

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Dessin de W. Morris.
Samothrace, les fresques de Botticelli comme l’Olympia de Manet. Et ils y ajoutent encore : ils savent apprécier la beauté qu’il peut y avoir dans une tapisserie des Flandres, un vieux bahut sculpté, un vitrail du moyen âge, un meuble de Boulle, de Majorelle ou de Dufrêne, un vase de Gallé, un bijou de Lalique, une ferronnerie de Robert, et même une maison moderne de Plumet, un pont de fer ou une bâtisse en ciment armé. Si on leur demande d’établir une hiérarchie, de reconnaître une dignité plus grande à certaines formes d’art, ils se récuseront pour se contenter d’admirer.

Art social ne veut pas dire vulgarité, ni contrefaçon. Il ne s’agit pas de décorer le logis d’un ouvrier comme le palais d’un prince ou l’hôtel d’un financier, ni de reproduire à bon marché, avec des matériaux de qualité inférieure et un souci moindre de perfection, ce qu’admirent les classes cultivées, ni de réaliser en zinc pour le peuple le sujet de pendule exécuté en bronze pour la bourgeoisie.

Cette idée d’un art populaire souleva à son apparition des polémiques passionnées. On vit, ou feignit de voir, des prétentions inacceptables chez ses défenseurs, et leurs adversaires n’eurent pas de mal à démontrer l’absurdité de certaines exagérations qui n’avaient peut-être jamais été formulées. Les partisans d’un art populaire ne veulent rien détruire, ils n’entendent pas contester l’admiration dont jouissent, à juste titre, les chefs d’œuvre du passé, mais ils pensent qu’à une société nouvelle peuvent et doivent correspondre des formes d’art nouvelles. C’est pourquoi ils n’ont garde de décourager les tentatives originales, quelque étranges qu’elles puissent paraître, car c’est souvent de l’erreur d’aujourd’hui qu’est faite la vérité de demain.

Une double tâche s’imposait à eux : d’une part une véritable propagande pour habituer les esprits à l’idée d’un art populaire, d’autre part la production d’œuvres montrant que cet art était possible. Déjà en 1856 Léon de Laborde avait protesté contre la hiérarchie dans les arts, et essayé d’amener une collaboration des artistes et des artisans, mais on ne l’avait guère écouté. C’est l’honneur d’écrivains comme Jean Lahor, comme Roger Marx, comme M. Victor Champier, M. Gabriel Mourey, M. Lucien Magne, M. Léon Rosenthal, pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus proches de nous, d’avoir repris la protestation de L. de Laborde et lutté contre l’emprisonnement de l’art dans des formules. Quelles que soient les réserves de détail qu’on puisse faire à certaines de leurs idées, on ne peut nier l’importance du service qu’ils ont rendu. C’est à eux en effet que nous devons un commencement d’union des arts décoratifs et du grand art, c’est grâce à leurs comptes-rendus compréhensifs et enthousiastes sur les arts appliqués à l’Exposition de 1889, qu’en 1892 la Société nationale des Beaux-Arts consentit à admettre quelques envois d’artisans dans ses salons annuels.

Plus tard en 1904 Jean Lahor eut l’audace de fonder une société « d’art et d’hygiène populaires », il se fit le champion de la demeure saine et gaie, voulant réaliser « l’art pour le peuple à défaut de l’art par le peuple ». D’autres critiques comme Roger Marx, comme M. G. Mourey, M. L. Rosenthal insistèrent dans leurs écrits sur la nécessité pour l’artiste de vivre de la vie de son temps, de partager les préoccupations, de se mêler aux grandes luttes des hommes, non qu’on lui demande de gaspiller son temps et ses forces dans les vaines agitations de la politique, mais parce que l’art ne peut tenir lieu de tout et que s’il ne repose pas sur une observation directe de la vie il ne peut être que convention et formules. Aux disciplines, un peu étroites parfois, de l’enseignement officiel si lent à se transformer, ils substituèrent cette école de la rue que souhaitait Carrière, c’est-à-dire les leçons de la vie données un peu partout à qui sait les comprendre, celles que donnent les ouvriers et les paysans au travail, les foules qui se ruent le dimanche vers les banlieues, les lentes théories des femmes vers les églises, les grandes manifestations populaires, l’humble vie quotidienne au foyer. De son côté M. Lucien Magne a rappelé dans ses cours au Conservatoire des Arts et Métiers, qu’un enseignement abstrait de l’art décoratif n’était pas suffisant, il a montré toute l’importance et toute la noblesse des connaissances techniques et du travail manuel.

De telles entreprises ne sauraient donner de résultats généraux immédiats, il faudra attendre bien des années avant de pouvoir constater pratiquement les progrès accomplis, mais cependant on ne peut nier la transformation qui s’effectue lentement dans l’esprit du public. Là où il n’y avait autrefois qu’indifférence ou dénigrement systématique, apparaît aujourd’hui sinon un appui efficace, du moins une curiosité souvent sympathique, L’enseignement de M. L. Magne donne une sorte de consécration officielle à des idées longtemps combattues, et c’est un symptôme à ne pas négliger.

Cette sympathie générale a permis la réussite de tentatives comme celle de l’Art à l’Ecole qui veut rendre « l’École parée et joyeuse » pour donner à l’enfant, sans qu’il s’en doute, le plus précieux de tous les enseignements : la révélation de la beauté.

Le grand public est intéressé sinon convaincu ; nous n’en voulons pas d’autre preuve que la multiplicité de ces groupements « Art pour tous », « Art et Science », « Art et Vie » qui veulent unir étroitement l’art et la vie. Souvent éphémères faute d’argent ces groupements ne furent cependant pas inutiles ; ils ne disparaissent que pour renaître sous une autre forme. Et il nous semble que de tous ces essais chaotiques, désordonnés, puérils quelquefois se dégage l’ardent désir de tout un peuple de vivre d’une vie intellectuelle et émotive plus large, de s’intéresser à plus de choses, de pénétrer enfin dans des domaines dont jadis il n’osait ou ne désirait franchir le seuil.

C’est avec le même dessein d’éducation générale que furent fondées des revues comme les Arts de la vie en 1904, Notes sur les Arts (l’Art social) en 1911, l’Art de France en 1913. Si de toutes les revues, qui durant ces vingt dernières années menèrent le bon combat en faveur des arts appliqués, nous ne retenons que celles-là, c’est à cause de leurs ambitions particulières. Elles ne se contentèrent pas d’être des instruments de travail pour les artisans, des recueils d’illustrations, mais voulurent s’adresser au grand public, surtout au peuple. Retenons cette phrase significative de M. Rosenthal, qui sert de programme à l’Art social. « La démocratie a besoin d’art, celui-ci est un luxe dans une société où quelques hommes ont le loisir de penser et de sentir, il devient un besoin dans un ordre où chacun doit pouvoir s’élever à la vie supérieure de l’esprit, à la vie véritable.»

Evidemment la portée de pareilles tentatives n’est pas toujours considérable, mais il faut en retenir l’impression d’un effort d’ensemble, et à qui sait voir il apparaîtra qu’une évolution s’ébauche dans notre art décoratif contemporain. À côté des groupements d’amateurs sympathiques, de littérateurs ou de critiques, nous avons pu voir des artistes qui, comme Morris, voulurent être aussi des maîtres d’ œuvre et contribuèrent, sinon à créer un style nouveau, du moins à en préparer la venue. C’est la gloire de maîtres admirables comme Emile Gallé, comme Victor Prouvé, comme Lachenal, comme Frantz Jourdain et Francis Jourdain d’avoir par leurs écrits et leur exemple réhabilité le travail manuel de l’artisan, d’avoir compris que l’art du XXe siècle devait être démocratique.

Le mouvement ne devait pas se borner à quelques efforts individuels. En 1906 les artisans ne se contentèrent plus de l’hospitalité que leur offrait la Société nationale des Beaux-Arts et de celle, un peu dédaigneuse, que leur concédait la Société des Artistes français et ils se jugèrent assez forts pour ouvrir un premier salon des Artistes décorateurs au Pavillon de Marsan. Des plaisanteries faciles purent au début opposer l’ambition des organisateurs aux résultats obtenus, il n’en est pas moins vrai que le salon des décorateurs est devenu une des manifestations annuelles d’art avec lesquelles il faut compter ; il rencontre des détracteurs passionnés et des admirateurs enthousiastes, mais plus guère d’indifférents. Le neuvième salon qui vient de fermer ses portes (en mars 1914) nous a permis d’apprécier les résultats obtenus. Sommairement nous voudrions montrer qu’à défaut d’un style moderne il y a du moins quelques principes généraux qui dominent aujourd’hui l’ameublement et le décor.

D’abord le désir d’originalité. Non plus cette originalité des temps héroïques qui, il y a une dizaine d’années, proclamait la nécessité du nouveau, qui rêvait des formes inédites pour les objets les plus usuels et dans laquelle il entrait un peu du désir d’étonner le « bourgeois ». Dirons-nous que les tempéraments se sont assagis, nous préférons penser que les décorateurs se rendent mieux compte des nécessités pratiques des objets à exécuter, et qu’ils ont appris à s’y conformer. Aussi leur désir d’originalité les conduit-il seulement à éviter la répétition des styles d’autrefois.

Sobriété ensuite, qui n’exclut pas l’élégance, ni même la richesse, mais qui bannit le décor trop somptueux nuisant à l’effet général. Un souci d’équilibre, de rationnel, une adaptation précise de l’objet à une fin utile condamnent toute surabondance peu pratique, car il importe qu’un meuble soit autant que possible maniable et peu encombrant.

Sincérité aussi. Et par sincérité nous entendons l’honnêteté dans le choix et l’emploi des matériaux et des couleurs, qui n’accepte rien que d’excellent, qui condamne le trompe-l’œil et l’imitation. Nous lui devons la faveur dont jouissent à nouveau dans l’ameublement les bois apparents, sans placage ; les bois de nos forêts longtemps dédaignés : le chêne, le noyer, le hêtre ont repris leur place à côté des bois exotiques et précieux : palissandre ou acajou.

Honnêteté aussi dans le travail de l’artisan qui ne veut rien laisser passer qui ne soit parfait à ses yeux car il a appris à avoir conscience de sa dignité et de la beauté de son œuvre.

Notre pays peut, à juste titre, s’enorgueillir d’artisans qui sont aussi de très grands artistes comme Majorelle, Gaillard, Tony Selmersheim, Gallerey, Dufrêne aux mobiliers d’une élégance sobre et joyeuse et d’un confortable délicat, comme Moreau-Nélaton, Lachenal, Delaherche, Dammouse, Daum qui ont porté les arts du feu à une perfection inconnue jusqu’alors, comme Chadel, Jacques Bonnier, Marie Laurencin, André Groult, Jules Coudyser dont les papiers peints et les tentures sont des merveilleuses harmonies de couleur, comme Emile Robert qui a fait revivre chez nous la ferronnerie, comme l’admirable Lalique. Nous savons combien cette liste est incomplète, il nous faudrait citer les noms de presque tous ceux qui, chaque année, exposent aux sections décoratives des salons, non pas parce que toutes leurs œuvres sont irréprochables, mais parce que l’ensemble donne une impression de recherche active, d’efforts originaux.

Ne nous hâtons pas trop cependant de chanter victoire ; il serait prématuré et dangereux de croire que la cause est définitivement jugée et que l’art industriel a désormais acquis droit de cité à côté du grand art. Il s’en faut de beaucoup ; il y a encore des préjugés tenaces à détruire, des résistances que l’on croyait disparues à combattre, des équivoques à dissiper surtout et nous penserions que notre travail n’a pas été tout à fait vain si nous réussissions à en dissiper quelques-unes. Continuellement des incidents, des polémiques montrent que les partisans exclusifs du grand art n’ont pas désarmé et que l’éternel malentendu entre l’art et l’industrie, entre les artisans et les artistes subsiste. Reconnaissons d’ailleurs, avec regret mais sans amertume, que d’aucuns semblent même s’efforcer de l’entretenir ; l’école des Beaux-Arts continue à donner un enseignement qui délibérément veut ignorer la vie contemporaine et certains fanatiques du grand art, semblables à l’autruche qui se cache la tête pour ne point voir le danger qui la menace, nient avec assurance l’existence des arts décoratifs et du problème de l’art social.

Plus grave encore que cette hostilité persistante du monde officiel, un autre danger menace d’entraver chez

Pl. XX.


Cliché Bell et Cie

SPÉCIMEN DE LA KELMSCOTT PRESS

Dessin de W. Morris.
nous l’essor des arts appliqués : la concurrence étrangère. Nos artisans ont été distancés par l’effort des autres nations et il est à craindre pour eux ou le découragement, ou l’imitation stérile des modes étrangères. Des expositions récentes nous ont révélé l’avance qu’avaient prise les Allemands, et nous ont montré la nécessité de faire notre examen de conscience, de savoir quelle était exactement la situation de la France par rapport à ses concurrents étrangers. Le renom de bon goût et d’élégance qu’avaient jadis nos produits leur appartient-il toujours sans conteste, ou au contraire sommes-nous en état d’infériorité dans la lutte industrielle et artistique ? On avait songé à s’en assurer en organisant à Paris, en 1916 ou 1917 une Exposition internationale des Arts Décoratifs, mais l’affirmation catégorique et presque unanime que nos artisans ne seraient jamais prêts, que c’était aller à un échec a fait échouer le projet. C’est à nos yeux une raison de plus pour réagir promptement.

Nous savons qu’il existe déjà dans ce pays un nombre considérable d’amateurs éclairés ou simplement d’hommes de goût, que ne satisfont pas les imitations des styles d’autrefois ; il s’agit maintenant d’atteindre la masse du grand public souvent indifférent, mais on ne le pourra faire que si nos artisans démocratisent vraiment leur tentative. Nous n’ignorons pas tous les efforts accomplis en ce sens, depuis le mouvement en faveur des habitations à bon marché qui se propose de soustraire l’artisan à la promiscuité des grandes bâtisses des quartiers pauvres, jusqu’au concours de mobiliers à bon marché organisé en 1905, sans oublier l’excellente leçon que donne le Touring Club en essayant de faire pénétrer l’hygiène et la beauté par la propreté et la simplicité dans les hôtels de campagne ; nous regrettons seulement que ces efforts ne soient pas plus nombreux, plus soutenus, mieux encouragés et que la beauté reste encore trop souvent le privilège de la richesse. Entendons bien qu’il ne s’agit pas de la recherche exclusive du bon marché, les partisans d’un véritable art social savent que l’abaissement systématique des prix ne peut s’obtenir que par la mauvaise qualité des matériaux employés, le soin insuffisant dans le travail ou un salaire de famine accordé aux artisans et ils ne veulent rien de tout cela, mais il leur semble que l’art ne perdrait rien de sa dignité si au lieu de s’adresser à une petite minorité de privilégiés il s’adressait au peuple entier.