Vie de Claire-Clémence de Maillé-Brézé, princesse de Condé, 1628-1694/Avant-propos

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AVANT-PROPOS.



Un hasard m’a jeté sur la trace de la princesse de Condé. Je ne me doutais pas en écrivant le commentaire historique d’un portrait de Petitot[1], que j’en poursuivrais l’original à travers les Mémoires et les Chansonniers du temps.

Un attrait irrésistible pour un ami de l’histoire m’entraînait à cette recherche, l’attrait de l’inconnu, de la nouveauté, du mystère. La vie de Claire-Clémence de Maillé-Brézé, princesse de Condé, n’a jamais été écrite, quoiqu’elle méritât de l’être autant par l’importance de la personne elle-même que par l’intérêt des événements. Cette vie cachée, ignorée appelait la lumière, moins comme gloire que comme réparation ; et ainsi le besoin de justice s’ajoutait à l’attrait de la curiosité.

Une victime est toujours intéressante : on veut savoir néanmoins si elle l’est légitimement, et dans quelle mesure elle mérite l’admiration, ou la pitié. C’est là véritablement, sans vouloir trop grossir les choses ni donner trop d’importance à ces menus problèmes de l’histoire, ce qui m’a conduit des Historiettes de Tallemant des Réaux aux Lettres de Mme de Sévigné et à la Correspondance de Bussy, des Mémoires de Mademoiselle au Recueil de Maurepas, et de Walkenaër à Lord Mahon.

Par l’étrangeté des aventures autant que par la lutte des sentiments et des passions, la vie de Claire de Maillé eût aisément fourni la matière d’une de ces histoires romanesques, telles qu’en ont écrites Mme de la Fayette et Mme de Tencin, telles qu’en écrivait encore au commencement de ce siècle Mme de Genlis. Mais la mode en est passée, et ce n’est pas moi qui la restaurerai.

J’ai donc dû me borner à recueillir et à coordonner entre eux les quelques traits qui nous sont parvenus de cette figure effacée.

J’ai constaté dans le cours de cette notice que les renseignements étaient rares. On ne les rencontre même pas toujours là où on les va chercher et où l’on pourrait le mieux se flatter d’en trouver. Par exemple, M. Cousin dans ses Études sur les Femmes illustres au temps de la Fronde, ne parle qu’en passant de la princesse de Condé, et seulement pour mentionner la déception causée par ce mariage politique au chevaleresque amant de Marthe du Vigean. Le moment, l’épisode où Claire de Maillé, réveillée par le danger, se montra la vraie fille d’un maréchal de France et la digne compagne d’un héros, est resté suspendu entre deux récits : La Jeunesse de Madame de Longueville, et Madame de Longueville pendant la Fronde. Peut-être M. Cousin a-t-il pris le temps de combler cette lacune de son histoire. Peut-être l’épisode qui nous manque s’est-il retrouvé traité et achevé dans ses papiers et viendra-t-il quelque jour relier entre eux et compléter ceux que nous avons déjà. Ce jour-là notre modeste travail perdra le peu d’intérêt qu’il doit à notre seule bonne volonté, car indubitablement l’historien passionné qui trouvait tout et ne négligeait rien aura étendu ses recherches bien au delà de la portée même de notre vision.

À défaut de documents nous trouvons néanmoins dans le second récit un jugement que nous devons rapporter parmi les témoignages favorables à notre obscure héroïne.

« Au premier rang du conseil, et environnée d’universels hommages (il s’agit de la seconde Fronde), était Mme la princesse de Condé qui s’était si noblement conduite dans la première guerre de Guyenne, en 1650. Cette fois, fatiguée par une grossesse pénible, toujours souffrante et éclipsée par sa belle-sœur, elle s’effaçait volontiers et se bornait avec sa douceur accoutumée à recommander autour d’elle la modération et l’union, surtout l’absolue obéissance aux instructions de son mari, dont elle-même ne cessa de donner le plus parfait et le plus touchant exemple[2]. »

Une vue si juste du caractère et du rôle de la princesse de Condé, et si conforme aux attestations de ceux qui l’ont connue, nous fait regretter d’autant plus que M. Cousin ait ajourné l’occasion de nous dire tout ce qu’il savait d’elle et de sa vie.

Un autre ouvrage eût sans doute répandu sur notre sujet une lumière décisive, c’est l’Histoire des Princes de la Maison de Condé, publiée en 1869, chez Michel Lévy. Malheureusement cet ouvrage entravé dans sa publication par des motifs tout à la gloire de l’auteur, s’est arrêté au tome second avant même la naissance du vainqueur de Rocroy. Nul doute que les archives de la maison de Condé, dont disposait l’auteur, n’eussent produit révélation sur révélation, et résolu jusqu’à l’évidence tout ce que nous avons laissé à l’état de problème ou de conjecture. Néanmoins les proportions mêmes de cette simple étude nous rendaient la modestie facile, et nous dispensaient en quelque sorte de l’ambition de viser au définitif et au complet. Nos prétentions sont plus humbles. Nous n’avons voulu que réunir ici les renseignements que nous avons pu rencontrer, sans la moindre pensée de rivalité avec des travaux plus amples et plus prolongés. Nous apportons notre maigre javelle, heureux si nous pouvons ajouter quelques brins à la botte des moissonneurs plus vaillants et plus robustes.

Une perte à jamais regrettable est celle de l’Historiette que le grand informateur des faits et des choses au temps de la Fronde, Tallemant des Réaux, s’était proposé de consacrer à la princesse de Condé. On lit au tome III de son livre (Historiette de la reine de Pologne) :

Comme j’ay dessein de mettre autant qu’il me seroit possible tout de suitte ce qui tousche à l’hostel de Rambouillet, j’ay trouvé à propos d’insérer icy la reyne de Pologne et ses sœurs par occasion, parce qu’elle aimoit fort Mme de Montauzier, et je prétens finir par Madame la Princesse, Mme de Longueville et les précieuses[3]

Et M. Paulin-Paris ajoute dans son excellent commentaire :

« Les trois dernières Historiettes, si précieuses pour nous, ne se retrouvent pas dans le manuscrit de des Réaux. Ou la pensée ne fut pas réalisée, ou l’auteur plus tard jugea convenable de supprimer un cahier de son ouvrage. Peut-être les aura-t-il détachées une fois pour les communiquer à quelque ami discret qui ne les aura pas rendues… Par madame la Princesse il faut entendre sans doute Claire-Clémence de Maillé dont les aventures, les malheurs, les imprudences auraient en effet bien mérité un historien particulier[4]… »

Que ce regret de M. Paulin-Paris serve d’excuse à notre témérité comme à notre insuffisance.


Charles Asselineau.
  1. Au tome Ier des Émaux de Petitot, de la collection du Louvre, publiés par Blaisot en 1862, 2 vol. in-4, grav. de Ceroni.
  2. Madame de Longueville pendant la Fronde.
  3. Édit. Paulin Paris, p. 301.
  4. Édit., p. 315.