Vie de Mohammed/Expédition de Tabouk

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Traduction par Adolphe-Noël Desvergers.
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Expédition de Tabouk (144).

Au mois de redjeb de la neuvième année de l’hégire, le prophète donna les ordres nécessaires pour qu’on se préparat à marcher contre les Grecs, et cette fois il fit connaître le but de l’expédition, à cause de la longueur du chemin et des forces de l’ennemi ; car jusqu’alors, lorsqu’il préparait une attaque, il en feignait une autre. La chaleur était forte, le pays stérile, et le peuple dans la détresse, en sorte que ces motifs réunis firent appeler cette armée l’armée de la détresse. Les fruits étant mûrs, les tribus auraient voulu rester pour vaquer aux soins de la récolte et firent à regret leurs préparatifs de départ. Dans ces circonstances, le prophète ordonna que chacun eût à contribuer d’une partie de ses richesses. Abou-Bekr donna tout son bien ; Othman donna aussi une forte contribution, on prétend qu’elle était de trois cents chameaux pour nourrir l’armée, et de mille dinars. Aussi la tradition rapporte que le prophète dit : « Tout ce qu’Othman a fera à compter d’aujourd’hui ne pourra jamais lui nuire. » Abdallah, fils d’Obayy, le traître, et d’autres traîtres comme lui, ainsi que trois Ansariens sincères (145), Caab, fils de Malek, Morara, fils de Rebi, et Helal, fils d’Omaia, ne prirent point part à l’expédition du prophète. Ali, fils d’Abou-Taleb, fut institué par Mohammed pour vaquer aux soins de sa maison. Les traitres, pour l’inquiéter, dirent que le prophète ne l’avait laissé que parce qu’il lui aurait été important. Instruit de ces propos, Ali prit ses armes et se rendit auprès du prophète auquel il raconta ce qu’avaient dit les traîtres : « Ils ont menti, lui répondit le prophète ; je t’ai mis à ma place pour prendre soin de ceux que j’ai laissés derrière moi. Retourne et veille sur ma famille. Ne te plaît-il donc pas d’être auprès de moi ce qu’Aaron était auprès de Moïse ? avec celte différence qu’après moi il n’y aura plus de prophète. »

Le prophète de Dieu avait avec lui trente mille hommes, dont dix mille hommes de cavalerie. Cette armée souffrit beaucoup, pendant la route, et de la chaleur et de la soif. Lorsqu’ils arrivèrent à Hedjr (146), ancien séjour des Thamoudites, le prophète non-seulement leur défendit de boire F’eau qu’ils y trouvèrent, mais leur ordonna de jeter celle qu’ils avaient puisée et de donner aux chameaux les pains pétris avec l’eau de ces sources. Enfin on parvint à Tabouk, et le prophète s’y arrêta pendant vingt jours. Jean, seigneur d’Aila (147), étant venu l’y trouver, il lui accorda la paix moyennant un tribut de trois cents dinars. I accorda aussi la paix aux habitants d’Adhroh (148), moyennant un tribut de cent dinars payable tous les ans au mois de redjeb. Il envoya ensuite Khaled, fils de Walid, à Ocaidar, fils d’Abd-el-Malek, maître de Daoumat-el-Djandal (149). Cet homme appartenait à la tribu des Benou-Kenda et avait embrassé le christianisine. Khaled le fit prisonnier et tua son frère auquel il enleva un vêtement de soie garni de lames d’or qu’il envoya au prophète et que les Musulmans admirèrent beaucoup. Khaled se rendit se ensuite auprès de Mohammed avec Ocaïdar auquel le prophète fit grâce, et qu’il remit en liberté après l’avoir sournis à un tribut. Ensuite il revint à Médine.

A son retour, les trois hommes qui ne l’avaient pas suivi demandèrent à rentrer en gråce. Mohammed défendit qu’on leur parlåt et voulut qu’ils demeurassent isolés, en sorte qu’ils furent séparés du reste des hommes, et que la terre, toute large qu’elle est, était devenue étroite pour eux. Ils restèrent dans cet isolement pendant cinquante jours, puis Dieu leur pardonna et fit descendre ce verset : Comme il est plein de miséricorde, il s’est montré bon pour eux et pour les trois hommes qui étaient restés en arrière. La terre, toate large qu’elle est, leur était étroite ; leur esprit était dans la détresse ; mais ils ont pensé qu’ils n’avaient d’autre refage contre Dieu qu’en revenant à lui, et il a été bon pour eux, parce qu’ils se sont convertis et qu’il est indulgent et miséricordieax (150). Le prophète rentra dans Médine au mois de ramadhan, et à peine y était-il de retour que des députés des Benou-Thakif se rendirent de Taief auprès de lui et embrassèrent l’Islamisme. Parmi les demandes qu’ils lui adressèrent était celle de conserver pendant trois ans le culte de Lat sans qu’il le fit détruire ; mais le prophète refusa. Ils réduisirent alors leur demande à un mois qu’il refusa de même. Ils demandèrent encore à être dispensés de la prière ; mais le prophète leur répondit : « Une religion dans laquelle il n’y a pas de prière ne vaut rien. » Enfin ils se soumirent et embrassèrent l’Islamisme. Le prophète envoya avec eux Moghaira, fils de Schoba, et Abou-Sofian, fils de Harb, pour détruire Lat, ce que fit Moghaira, tandis que les femmes des Benou-Thakil étaient dans les larmes et les gémissements.


(144) Tabouk, d’après la Géographie d’Abou’lléda, est situé entre la Syrie et le Hedjr : on y trouve les sources abondantes et des palmiers. Édrizi dit qu’entre cette place et la Syrie il y a quatre journées de marche. Ebn el-Ouardi ajoute que cette ville est défendue par un cháteau construit en pierre. (Rommel, p. 97-) D’après Djentabi, Tabouk est à moitié route entre Médine el Damas. (Gaguier, p. 123.) On lit dans le Meracid el-Ittila, p. 124 : phalal d Tabook est un bourg situé entre Quadillora ot la Syric ; on y trouve une source et des palmiers,

(145) Trois Ansariens sincères. Le mot ce est écrit dans le man. 10 de la Bibliothèque royale, qu’on croit auto- graphe, de manière qu’on pourrait lire, ce qui voudrait dire non Ansariens ; mais on voit dans le Sirat que Caab appartenait à la famille des Benou-Selimè, et Helal à celle des Benou-Ouakif : or ces deux familles, d’après le , étaient ansariennes : par conséquent la leçon doit être la bonne.

(146) Hedje suivaut Ebn-laukal, ainsi que le dit Abou’lféda, est placé entre des montagnes, à un jour de distance de Ouadilkora ; mais, continue Abou’lfeda, je pense qu’il y a erreur, et que l’on doit compler entre ces deux places plus de cinq jours de marche. D’après Édrizi (Géogr. Nub. clim. II, p. 5), Hedje est à une demi-journée de El-Ola, du côté de la Syrie. Édrizi (1. 1.), Jakouli et Bakoui (Not. et Extraits des man., vol. II, p. 40g), sont d’accord avec Abou’lféda pour regarder Hedjr comme le lieu qu’habitait la tribu des Benou-Thamoud 3, détruite par la colère divine, pour n’avoir point écouté le prophète Salel, et dont le Tout-Puissant a dit : Ignorez-vous comment Dieu se vengen des Bonou-Thamoud qui avaient laillé les rochiers en vallons ? Ces rochers (d’après Édrisi, troisième clim. p. 5), appelés ut el-Athaleb, c’est-à-dire les rochers fondus, bien que de loin ils aient l’air d’être joints ensemble, sont tellement séparés que lorsqu’on s’en ap- proche on trouve que pas un d’eux no touche à l’autre. D’après le Kitab- Menassik El-Hadj (p. 134 et suiv.), Hedjr, situé à quatre-vingts heures de marche de Quadilkora, fait partie du pays de Thanoud : on y re- marque, dit l’auteur de ce livre, les constructions des Thamoudites formées en partie de pierres sculptées. A neuf heures de marche vers le sud, se trouve El-Ola, village situé entre deux montagnes, riche en caux courantes, en vignes, en dalliers, en citronniers, en orangers et en pastèques. De celle place à Damas, par la route la plus courte, on comple, dit toujours l’auteur du Kitab-Menassik-el-Hadj, cent soixante- deux milles. Voyez sur les Thamoudites, Pococke, Spec. Hist. Arab. p.37 et suiv. On lit dans Burckhardt (t. Il. p. 232) : Le canton le plus in- « téressant sur la partie de la route de Damas à Médine, l’Arabie, parait être le Hedjr, à sept journées au nord de Médine. Le Hedjr a une étendue de plusieurs niilles : le terrain en est fertile, arrosé <par beaucoup de puits et par une rivière ; il renferme de vastes camps de Bédouins. Saoud, chef des Wahhabites, avait le projet d’y bâtir « une ville ; ses oulemas l’en détournèrent en lui déclarant que ce serait « une impiété de rétablir un lien que le Tout-Puissant avait mitanti dans sa colère. Une montagne peu considérable borne cette plaine fertile à l’Ouest, à peu de distance du point où les pèlerins ont cou- tume de camper. On voit dans cette montagne de grandes cavernes ou des habitations creusées dans le roe, avec des figures d’hommes el « de divers animaux sculptées, de pelítes colonnes de chaque côté des entries ; et, à en croire les Bédouins, de nombreuses inscriptions au- traverse dessus des portes, Le Meracid el-Ittila, p. 185, donne des détails à peu près analogues sur les riches et nombrenses habitations taillées. dans la montagne par les Thamoudites. (167) Aila est la ville nommée Exéra par Strabon, ADavou par Étienne de Byzance, et Leeana ou Blana par Pline ; elle était appelée ne Elath ou ni Eloth par les Hébreux (Deuteronom. chap. 1, v. 8), et donne son nom au golfe Olanitique, au fond duquel elle est située. D’après Abou’lfeda et Edrisi (Géogr. Nab., Paris, 161g, clim. III, p. 5), c’était une petite ville, dont les environs étaient peu fertiles, et par laquelle passaient les pèlerins d’Égypte qui allaient à la Mecque.. De notre temps, ajoute Aboulfeda, il y a une tour où réside un com-

  • mandant égyptien ; autrefois il y existait une forteresse construite dans

la mer ; mais elle a été détruite, et le commandant s’est retiré dans la tour bâtie sur le rivage. » D’après Niebuhr (Descr. de l’Arabic, 1. I. p. 277), les Turcs y en- tretiennent encore une garnison dans une petite citadelle. On lui donne aujourd’hui le nom d’Akaba, qu’on trouve dans Edrisi (clim. II, p. ¹) : A Älyk so I guy that 3 ! v, 31 air, De là au promontoire d’Abi-Mohammed, qui est un port manquant d’eau, et c’est le promontoire d’Akaba-Aila ; or Ajla est une ville. etc. etc. etc. Le petit port d’Akaba est toujours le rendez-vous d’une partie des pèlerins d’Egypte et de Barbarie. Voyez au sujet d’Aila, le Mémoire de M. Quatremère, sur les Nabatbéens, Nouveau Journal asiatique, L. XV, p. 44 et suiv.

(148) Adhrok, pl. des Dharuh (sorte d’arbre), nom d’une ville sur les confins de la Syrie ; elle dépend de la contrée de Scherat et avoisine le pays de Balka. Mer. el-Itt. Scherat est une contrée de Syrie entre Damas et Médine. Ibid. Balca est un district dépendant de Damas, situé entre la Syrie et Ouadil-Kora. Ibid.

(149) Daoumat-el-Djandal ; cette place, d’après Abou’lfede, est située entre la Syrie et l’Irak, à sept journées de Damas et à treize de Médine ; Niebulir la regarde comme faisant encore partie du Nodjd (Descript, de l’Arab. t. II, p. 305). Daprès lakouti (Rommel, p. 98), elle est située etans une plaine large de cinq parasanges, au couchant de laquelle se trouvent des sources qui arrosent quelques plantations de palmiers ; an château entouré de fortes murailles la protége. Il est probable qu’on peut identifier cette ville avec celle dont parle Étienue de Byzance sous le nom de Acupála, móds Apabías, et Piolcanée (liv. 5, chap. 19), sous celui de Aouualla. D’après ce dernier, elle est située sur les confins de l’Arabie déserte et de la Mésopotamie.

(150) Voyez le Coran, sourate IX, vers. 120.