Vie de Mohammed/Siège de Taïef

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Traduction par Adolphe-Noël Desvergers.
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Siége de Taief.

Les Benou-Thakif, s’étant enfuis d’Honain vers Taief, en fermèrent les portes ; mais le prophète, marchant contre eux, les assiégea pendant plus de vingt jours et fit usage contre la ville de machines de guerre. Il ordonna ensuite qu’on coupát leurs vignes, ce qui fut exécuté, puis il fit lever le siége et alla camper à Djairrana (139), où il avait laissé tout le butin fait sur les Benou-Hawazin. Quelques gens de cette tribu vinrent l’y trouver et il leur remit ce qui lui était écho en partage, ainsi que la part des enfants d’Abd-el-Mottalib, puis il rendit aux hommes leurs femmes et leurs enfants. Malek, fils d'Aouf, chef des Benon-Hawazin, se rendit alors auprès du prophète et se convertit à l'Islamisme. Comme il paraissait pénétré d'une foi vive, le prophète hui donna le commandement de sa tribu et de toutes celles de cette nation qui avaient embrassé l'Islamisme. Le nombre des captifs qu'il rendit à la liberté dans cette occasion était de six mille. Il fit ensuite le partage de leurs richesses qui se montaient à vingt-quatre mille chameaux, quarante mille brebis et quatre mille onces d'argent. Il en fit des distributions aux Mouallafa-Couloub-houm (140), c'est-à-dire à ceux dont les cours devaient être attirés à l'Islamisme, tels qu'Abou-Sofian et ses fils Yazid et Moawia; Sohail, fits d'Amrou; Acrama, fils d'Abou-Djah!; Harith, fils de Hescham, frère d'Abou-Djahl; et Safouan, fils d'Omaia, tous Koreïschites. Akra, fils de Habes des Benou-Tamim; Oyaïna, fils de Hesn, fils de Hodhaifa, fils de Bedr des Benou-Dhobian; Malck, fils d'Aouf, chef des Benou-Hawazin, et d'autres encore eurent part à ses largesses. Chaque chef eut cent chameaux, chacun des autres en eut quarante.

Abbas, fils de Mardas des Benou-Soulaim, n'ayant point été content des chameaux qui lui furent donnés, fit à cette occasion des vers parmi lesquels étaient ceux-ci (141):

Le butin que j'ai conquis, moi et (mon coursier) Obaid, est donné en partage à Oyaina et à Akra.

Hesn et Habes n'avaient pourtant point le pas sur Mardas dans les assemblées,

Et moi je ne suis point inférieur à ces deux hommes. Celui qui souffre qu'on l'abaisse aujourd'hui ne se relèvera jamais.

On prétend que le prophète s'écria : «Qu'on lui ferme la bouche, » et on augmenta sa part jusqu'à ce qu'il en fut content. Le prophète, en faisant la distribution du butin, ne fit point entrer les Ansariens dans le partage, en sorte qu'ils murmurèrent entre eux; mais le prophète, les ayant fait appeler, leur dit « Vous murmurez, & Ansariens, pour quelques richesses périssables de ce monde avec lesquelles j'ai « attiré des hommes à l'Islamisme quant à vous, je m'en suis remis à votre attachement pour la foi. Est-ce qu'il ne vous plaira pas, lorsqu'ils retourneront chez eux avec des chameaux et des brebis, de revenir vers vos foyers ayant au a milieu de tous le prophète de Dieu? Je vous le dis en vérité Par celui qui tient mon âme entre ses mains, si l'hégire n'avait pas dû s'accomplir, j'aurais voulu naître parmi a les Ansariens; et si les hommes avaient du entrer dans une

  • voie et les Ansariens dans une autre (142), la voie des Ansariens

aurait été la mienne. Que Dieu soit miséricordieux pour les Ansariens, pour leurs enfants, et pour les enfants de leurs enfants!»

Après le partage que fit le prophète du butin pris aux Benou-Hawazin et les dons faits à Oyaina, à Abou-Sofian et aux autres, ainsi que nous venons de le rapporter, Dhou'l-Khowaiçara des Benou-Tamim dit au prophète : Tu ne t'es pas a montré juste. » Mohammed indigné lui répondit : « Malheur a à toi! qui donc serait juste si je ne le suis pas?» Omar s'écria : « Est-ce que je ne tuerai pas cet homme? —Non, reprit le prophète, laisse-le ailer; cet homme aura des sectateurs qui voudront pénétrer si avant dans les profondeurs de la religion, qu'ils en sortiront comme une flèche sort du but qu'elle a traversé de part en part. » Telle est la version de ce fait rapportée par Mohammed-ben-Ishak. Mais d'autres le rapportent de la manière suivante : Dhoul-Khowaiçara ayant dit au prophète, lors du partage du butin: Ce partage n'est «pas juste et n'a point été fait en vue de la gloire de Dieu, » le prophète reprit: De cet homme doit descendre une secte qui sortira des limites de la religion comme une flèche qui passe à travers le but; leur foi ne passera pas la clavicule, « (elle sera sur les lèvres et non dans le cœur). » Les paroles du prophète se réalisèrent; car de Dhou'l-Khowaiçara sortit Harkous, fils de Zohair des Benou-Bodjaila, connu sous le nom de Dhou'l-Thadyé, et qui le premier, ayant été reconnu imam par les Kharidji [hérétiques] (143), s'éloigna de la vraie religion. Dhou'l-Khowaiçara est un surnom qui avait été donné à cet homme par le prophète.

Le prophète, après avoir visité les lieux saints, revint à Médine et nomma pour son lieutenant à la Mecque Attab, fils d'Açid, fils d'Abou'l-Is, fils d'Omaïa, jeune homme qui avait moins de vingt ans. Il laissa avec lui Moadh, fils de Djabal, pour enseigner la religion au peuple. Attab, fils d'Açid, présida cette année au pèlerinage qui se fit avec les cérémonies usitées par les anciens Arabes. Au mois de dhou'lhidja de la huitième année, naquit Ibrahim, fils du prophète et de la copte Maria, Dans cette même année mourut Hatim, fils d'Abdallah, fils de Saad, fils de Haschradj de la postérité de Tai, fils d'Odad. On le surnommait Abou-Safana, d'après le nom de sa fille Safana, qui vint trouver le prophète depuis sa mission et se plaignit à lui de sa pauvreté. Ce Hatim, dont la libéralité et la générosité sont passées en proverbe, était un poète très-distingué.

On entra ensuite dans la neuvième année de l'hégire. Des députés envoyés par les Arabes vinrent de tous côtés trouver le prophète à Médine. Parmi eux était Oroua, fils de Maçoud, issu des Benou-Thakif, et leur chef. Il était absent de Taïef lorsque le prophète en avait formé le siège, et ayant embrassé l'Islamisme avec une foi vive, il pria Mohammed de l'envoyer à Taïef auprès de ses concitoyens, pour les appeler à la religion : « Mais ils te tueront, » lui répondit le prophète. Toutefois il persista à se rendre à Taïef pour en convertir les habitants à l’Islamisme, et l’un d’eux lui ayant décoché une flèche qui l’atteignit à la veine médiane, il en mourut : Dieu ait pitié de lui ! Caab, fils de Zohair, fils d’Abou-Solma, que le prophète avait proscrit, se rendit ensuite auprès de lui et lui récita le poëme célèbre à sa louange qui commence ainsi : « Soad s’est éloigné de moi et mon cœur est plongé dans la

tristesse. » Le prophète lui donna son manteau, que Moawia, lors de son khalifat, acheta de la famille de ce Caab pour quarante mille drachmes, et que possédèrent ensuite tous les khalifes Ommiades et Abbassides, jusqu’au jour où il fut pris par les Tartares.


(139) Djairrana, nom dont la prononciation est indiquée ainsi dans le Sirat, se trouve, d’après Djennabi, entre la Mecque et Médine, mais plus rapprochée de la Mecque. (Gagnier, p. 117.) On lit dans le Moracid el-Ittila, p. 165 led, , Jis s ey parts will Djairrana est une station qui se trouve entre Taiel et la Mecque, mais plus près de la Mecque : c’est là que le prophète s’arrête pour faire le partage des dépouilles de « Honain..


(140) Voici ce que le Sirat-er-repoul dil des Mouallafa-Couloubhoum : (TEXTE EN ARABE) Les Mouallafa-Couloubhoum étaient des personnages influents dont le prophète cherchait à se concilier l’amitié pour agir ensuite sur leurs tribus par leur intermédiaire. » Sirat, fol. 233 vª

(141) Les vers cités dans le texte sont du mètre

(142) Les mots (TEXTE EN ARABE) ne se trouvent di dans le texte du manuscrit 101, ni dans celui du manuscrit 615 A, mais bien dans le Sirat-er-reçoul (fol. 235), et ils complètent le sens d’une ma- nière trop naturelle pour ne pas croire qu’ils font partie du texte véritable.

(143)Les Kharidji sont ceux qui refusent de reconnaître l’imani véritable : cette dénomination fut appliquée, pour la première fois, aux Musolnians qui abandonnèrent Ali après la bataille de Seffin. Voyez ce qu’a dit Pococke sur cette secte el les autres sectes HIDsulmanes, Spec. Hist. Arab. p. 264.