Vie de Mohammed/Prise de la Mecque

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Traduction par Adolphe-Noël Desvergers.
Imprimerie royale Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 71-75).

Prise de la Mecque.

Le prophète, ayant fait des préparatifs de guerre, résolut d’aller attaquer les Koreischites dans la Mecque avant qu’ils ne fussent instruits de son dessein ; mais Hateb, fils d’Abou-Baltaa, leur écrivit une lettre pour leur faire connaître les intentions du prophète et en chargea Sara, affranchie des Benou-Haschem. Dieu révéla ce fait à son prophète, qui envoya à la poursuite de Sara Ali, fils d’Ahou-Taleb, et Zobeir, fils d’Awam. Ils l’atteignirent bientôt et lui prirent la lettre dont elle était chargée. Le prophète fit alors venir Hatch en sa présence et lui dit : « Qui a pu te porter à cette action ? « Certes, répondit Hateb, je suis croyant, et je n’ai pas changé ma religion ; mais j’ai parmi les infidèles une famille, des enfants, et n’ayant pas de tribu pour les défendre, j’ai voulu me les attacher par un service. » Omar, fils de Khattab, s’écria : « C’est un traître ! permets-moi de lui couper la tête. » Mais le prophète répondit : « Dieu savait sans doute ce que feraient les guerriers de Bedr lorsqu’il a dit : « Faites ce que vous voudrez, votre pardon vous sera accordé. » Le 10 du mois de ramadhan de la huitième année, le prophète sortit de Médine, suivi des Mohadjériens, des Ansariens et autres Arabes qui formaient, lorsqu’ils approchèrent de la Mecque, une armée de dix mille hommes.

Abbas, monté sur la mule du prophète, sortit du camp,. se disant en lui-même : « Peut-être trouverai-je quelque bûcheron ou quelque autre personne qui puisse apprendre aux Koreischites que le prophète marche contre eux et qu’ils doivent venir près de lui se soumettre à l’Islamisme, sous peine de périr jusqu’au dernier. » « Je cheminais (et main « tenant c’est Abbas qui parle) lorsque j’entendis les voix d’Abou-Sofian, fils de Harb, de Hakim, fils de Hazain, et de Bodail, fils de Warka des Benou-Khozaa. Ils étaient sortis de la Mecque pour aller à la découverte, et je m’écriai : « Holà ! Abou-Hantala (c’est-à-dire Abou-Sofian). Holà ! « Abou-Fadhl, est-ce toi ? » répondit Abou-Sofian. Je répliquai : « C’est moi. » Et Abou-Sofian reprit : « Qu’y a-t-il ? que le ciel conserve tes jours aux dépens de ceux de mon père et de ma mère ! Quelle nouvelle ? » Je repris Le prophète « marche contre vous à la tête de dix mille Musulmans. » Que dois-je donc faire ? » dit Abou-Sofian. « Monte sur ma mule, lui répondis-je, et je demanderai ta grâce au prophète ; sinon il te fera trancher la tête. En effet, il monta a en croupe derrière moi, et nous nous dirigeâmes vers le prophète. En chemin, nous rencontrâmes Omar, fils de Khattab, qui dit à Abou-Sofian : « Louanges au Seigneur qui te remet en mon pouvoir sans que je sois lié par aucun pacte ou serment ! I courut vers le prophète et je le suivis de près. En arrivant, il se hâta de lui dire : « O prophète de Dieu, permets-moi de lui trancher la tête. Je demandai sa grâce et le prophète me répondit : « Je lui accorde protection, et demain, Abbas, tu l’amèneras près de moi. » En conséquence, je le conduisis dans ma tente, et le lendemain je vins avec lui en présence du prophète qui dit au prisonnier : « O Abou-Sofian, ne sais-tu pas qu’il n’y a d’autre Dieu que Dieu ? » « Qui, » répondit-il. « Malheur à toil reprit le prophète, n’est-il pas temps enfin que tu reconnaisses que « je suis le prophète de Dieu ? » « O toi qui m’es plus cher a que mon père et ma mère, dit Abou-Sofian, quant à ceci, je conserve encore quelque doute. » Je lui dis alors : « Malheur à toil rends témoignage avant que ta tête ne tombe. Et Abou-Sofian rendit témoignage. Hakim, fils de lazam, et Bodail, fils de Warka, se convertirent en même temps que lui à l’Islamisme. Le prophète me dit : « Rends-toi avec Abou-Sofian vers l’entrée de la vallée, qu’il puisse y contempler l’armée de Dieu. Je répondis : « O prophète de Dieu, cet homme aime la gloire ; accorde-lui quelque privilège qui le distingue aux yeux de son peuple. » Voici ce que dit à ce sujet le prophète : « Que celui qui se réfugiera dans la maison d’Abou-Sofian soit épargné ! Que celui qui se rendra dans la mosquée soit épargné de même ! qu’il en soit ainsi de celui qui fermera les portes de sa demeure, et de celui qui se retirera dans la maison de Hakim, fils de la zam ! Je partis avec lui ainsi que me l’avait ordonné le prophète, et à mesure que les différentes tribus passaient devant lui, il m’interrogeait sur chacune d’elles et je les lui faisais connaître. Enfin vint à passer le prophète entouré de sa garde d’élite appelée el-Khadhra (127), et composée de Mohadjériens et d’Ansariens tellement couverts d’armes qu’on ne voyait que leur prunelle. « Qui sont ceux-là ? » me dit Abou-Sofian. « C’est, lui répondis-je, le prophète de ieu entouré des Ansariens et des Mohadjériens. » Il me dit alors « La royauté du fils de ton frère est une grande royauté. » « Malheur à toi ! lui répondis-je ; ne sais-tu pas que ce n’est pas un roi, mais un prophète ? » « C’est vrai, me dit-il. »


Le prophète donna l’ordre à Zobeir, fils d’Awam, d’entrer à la Mecque avec une partie des troupes par le côté de Koda. A Saad, fils d’Abbada, chef des Benou-Khazradj, il ordonna d’entrer avec une autre partie de l’armée par la colline de Kada ; mais il commanda ensuite à Ali de prendre à la place de Saad l’étendard, signe du commandement, et de pénétrer dans la ville ; car il avait appris que Saad avait dit : « C’est aujourd’hui le jour du carnage, le jour où rien ne sera respecté. » Quant à Khaled, fils de Walid, il reçut ordre d’entrer avec ses troupes par le bas de la ville. Tous ces corps d’armée pénétrèrent sans combattre, ainsi qu’ils en avaient le commandement précis ; si ce n’est toutefois que Khaled, ayant rencontré un corps de Koreischites qui l’attaquèrent à coups de flèches et s’opposèrent à son entrée, il les repoussa et en tua vingt-huit. Le prophète en ayant été instruit s’écria : « N’avais-je pas défendu tout combat ? » Mais on hi dit que Khaled ne s’était battu qu’après avoir été attaqué, Deux Musulmans périrent dans cette affaire. La reddition de la Mecque eut lieu un vendredi, dix jours avant la fin du mois de ramadhan. Le prophète pénétra dans cette ville et la soumit par la force des armes. Telle est l’opinion de Schafei, mais Abou-Hanifa prétend qu’il s’en rendit maitre par capitulation. Dieu ayant ainsi courbé la tête des Koreischites sous la main de son prophète, Mohammed leur dit : « Comment pensez-vous que je me conduirai à votre égard ? » « Avec bonté, répondirent-ils, tu es un frère et un neveu généreux. » « Allez donc, leur dit-il alors, vous êtes libres. » Après avoir ainsi rétabli la paix, le prophète monté sur sa chamelle fit autour de la maison sainte les sept tours sacrés et toucha la pierre noire d’un bâton recourbé qu’il tenait à la main ; il entra ensuite dans la Caaba, et y ayant vu représentées des fi gures d’anges (128) et celle d’Ibrahim (Abraham) tenant dans sa main les flèches qui servaient à consulter le sort, il s’écria : « Que Dieu les combatte ! Ils ont placé dans les mains de notre scheikh les emblèmes de la superstition. Qu’a de commun Ibrahim avec les flèches du sort ? » Il fit détruire toutes ces figures et pria dans la maison sainte.


(127) Sa garde d’élite, surnommée el-Khadhra. On lit dans le Sirat, f. 216 : وانما قيل لها الخضرا لكثرة الحديد وظهوره فيها , on l’appelait Khadhra (noire) à cause de la quantité de fer dont les yeux étaient frappés à son aspect.


(128)Ayant vn représentées des figures d’anges. Burckhardt, d’après l’histoire de la Mecque par El-Azraki, observe un fait remarquable dont il croit qu’il n’a pas encore été fait mention : c’est que, parmi les figures qui ornaient la Caaba, celle de la Vierge Marie, avec le jeune Aiça (Jésus) sur ses genoux, se trouvait sculptée sur une des colonnes qui soutiennent l’intérieur de l’édifice. (Voyez Burckhardt, t. I, p. 221.) Le témoignage d’El-Azraki est complétement confirmé par le passage suivant, emprunté à la Description du temple de la Mecque, par Harawi :

وكان فيها ست سواري وكان بها صور الملايكة والنبياء عليهم السلام والشجر وصورة ابراهيم الخليل عليه اليلام والازلام بيده وصورة عيسى ابن مريم وامه عليهما السلام فلما كان عام الفتح امر رسول الله فطمست جميع الصور

« Il y avait six colonnes dans la Caaba ; on y voyait des figures d’anges, celles des prophètes, l’arbre ; Abraham, l’ami de Dieu, tenant dans ses mains les flèches du sort, puis encore une figure de Jésus, fils de Marie, avec sa mère. L’année de la conquête de la Mecque, le prophète ordonna que toutes ces images fussent détruites.» The travels of Ibn-Batuta, p. 51.