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Vie du pape Pie-IX/L’orage

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CHAPITRE XIV.

L’orage.


En apprenant le sacrilége que venait de commettre le roi du Piémont, le monde catholique frémit d’indignation. De toutes les parties de l’univers arrivaient à Rome des adresses écrites dans toutes les langues et couvertes de millions de signatures et accompagnées de dons généreux. Plus que cela, la jeunesse chrétienne accourait de toutes parts offrir son sang au Chef de l’Église. Le fils du noble et le fils du paysan étaient animés du même désir : combattre pour les droits outragés de la religion, pour la Vérité méconnue.

Le Saint-Père offrit le commandement de sa petite armée au vainqueur d’Abdel-Kader, Lamoricière, de glorieuse mémoire, qui accepta avec joie la défense de la cause du Pape, au grand étonnement des sages du monde.

De concert avec Mgr de Mérode, ministre des armes, il organisa une petite armée de vingt-cinq mille hommes qui se distingua bientôt par la moralité et l’héroïsme. “La révolution, disait Lamoricière dans son premier ordre du jour aux troupes, comme autrefois l’Islamisme, menace aujourd’hui l’Europe, et aujourd’hui comme autrefois, la cause de la Papauté est la cause de la civilisation et de la liberté du monde.” Cette parole, qui frappait si juste, souleva une tempête dans la presse impie. On appelait les soldats du Pape des mercenaires, sans doute parce qu’ils n’étaient pas attirés à Rome par la soif de l’or, et des étrangers, parce qu’ils venaient combattre pour leur Père et pour le patrimoine de tous les catholiques.

La Révolution grandissait toujours. Garibaldi, à la tête d’une bande de brigands, soutenus par le gouvernement de Victor-Emmanuel, envahit le royaume de Naples et chassa François II de sa capitale d’abord, puis, avec l’aide des troupes piémontaises, de la ville de Gaëte, où le jeune roi fit une héroïque résistance.

Le 4 septembre, Napoléon eut une entrevue avec deux envoyés de Victor-Emmanuel, Farini et Cialdini, à Chambéry. À cette entrevue, suivant Cialdini, l’empereur des Français, qui avait protesté tant de fois de son dévouement au Saint-Siége, autorisa le Piémont à commettre les forfaits que nous allons raconter. Le traître se serait même servi des paroles de Jésus à Judas « Faites, mais faites vite. » Napoléon a nié cette version de l’entrevue, mais chose certaine c’est qu’immédiatement après l’entrevue de Chambéry, le Piémont somma brutalement le Pape de renvoyer ses volontaires. Et sans donner au Saint-Siége le temps de répondre, sans lui déclarer la guerre, les armées du Piémont entrèrent sur le territoire de l’Église comme une horde de brigands. Pour qu’on ne nous taxe pas d’exagération nous transcrivons ici l’ordre du jour adressé par Cialdini à ses troupes. Il est bon que ces paroles infâmes soient transmises de génération en génération pour la honte éternelle des spoliateurs :

« Soldats, disait Cialdini, je vous conduis contre une bande d’aventuriers que la soif de l’or et du pillage ont amené dans notre pays. Combattez, dispersez inexorablement ces misérables sicaires ; que par votre main ils sentent la force et la colère d’un peuple qui veut son indépendance ! Soldats, Pérouse demande vengeance ; et, bien qu’il soit tard, elle l’aura ! »

C’est ainsi que Cialdini parlait de la fleur de la jeunesse européenne. Et c’est ce sauvage que la France, la France de Charlemagne, a subi plus tard comme ambassadeur du roi-larron.

Victor-Emmanuel tenait un langage plus révoltant encore, car, en s’adressant à son armée, à la veille de violer les droits de l’Église, il osa encore parler de son dévouement au Saint-Siége !

Cialdini tomba comme une bête fauve sur la petite armée du Pape qui n’avait d’autre tort que de défendre les États romains contre les brigands. À Pesaro il écrasa par le nombre une poignée de 800 hommes, commandés par le vaillant colonel Zappi ; il mitrailla même la ville pendant plus de deux heures après que le drapeau blanc eut été hissé. Et pour prouver qu’il était venu uniquement dans le but de protéger la population, il envoya au commandant garibaldien de Molise une dépêche dans laquelle il disait : « Publiez que je fais fusiller tous les paysans pris les armes à la main ; j’ai commencé aujourd’hui. »

Voyant que les troupes piémontaises envahissaient le territoire pontifical sur plusieurs points à la fois, Lamoricière concentra une partie de son armée près de Castelfidardo où il fut rejoint par le marquis de Pimodan, à la tête de 2,600 hommes. La petite armée pontificale comptait 5,600 ; celle de Cialdini 45,000. Il fallait livrer bataille sans délai pour ne pas être enveloppé.

Le 18 septembre 1860, à quatre heures du matin, les deux braves généraux et leurs soldats, s’étant préparés à la mort par la réception de la sainte Eucharistie, accourent au-devant d’une défaite certaine mais glorieuse. Les défenseurs du Saint-Siége se comportèrent en héros, surtout les troupes françaises et belges. Pimodan tomba sur le champ de bataille couvert de gloire[1]. Mais, écrasés par le nombre de leurs ennemis, les pontificaux durent battre en retraite. À la tête des débris de sa petite année, Lamoricière parvint à gagner Ancône qu’une escadre piémontaise bombardait déjà.

Mais que faisaient la France et l’Autriche pendant que ces iniquités s’accomplissaient ? Le duc de Gramont, ambassadeur à Rome, trompé lui-même, avait promis que l’empereur interviendrait si les troupes piémontaises pénétraient sur le territoire pontifical. Mais Napoléon n’était plus maître de ses actes ; il était l’esclave des sociétés secrètes auxquelles il s’était livré, et il resta spectateur indifférent du guet-apens de Castelfidardo. Quant au jeune empereur François-Joseph, n’écoutant que sa foi, il avait signé un ordre pour faire marcher ses troupes au secours du Saint-Siége, mais il oubliait qu’il n’était plus qu’un roi constitutionnel. Il dut consulter ses ministres, qui, sans être amis de la Révolution, voulaient faire de la prudence humaine. L’ordre fut rappelé, et Pie IX fut abandonné à la fureur de ses ennemis.

Après une héroïque défense, la ville d’Ancône, où Lamoricière s’était réfugié avec les quelques soldats échappés au massacre de Castelfidardo, et où le général Courten et le colonel Kanzler étaient allés le rejoindre, dut capituler le 28 septembre.

La prise d’Ancône fut signalée par un acte de lâcheté sans précédent dans les annales de la guerre. Pendant qu’on discutait les conditions de la capitulation avec le commandant de la flotte piémontaise, l’armée de terre, sous le commandement de Cialdini et de Fanti, recommença le feu sur toute la ligne, et ce bombardement dura douze heures, malgré les signaux annonçant que les assiégés avaient abandonné le feu, malgré une lettre de l’amiral Persano qui protesta lui-même contre cette infamie.

Tandis que le gouvernement français déclarait déchus de leur titre de Français ceux qui étaient allés mourir pour la cause que la France soutenait encore officiellement, le monde catholique rendait hommage aux martyrs de Castelfidardo. Pie IX les glorifia dans le consistoire du 28 septembre 1860, et fonda à leur intention, sur ses deniers privés, la chapellerie de Castelfidardo pour la célébration annuelle et à perpétuité de cent messes. Il fit à Pimodan des funérailles magnifiques et offrit à Lamoricière le titre de comte romain ; celui-ci refusa. Alors le Pape lui écrivit : “Je vous envoie du moins ce que vous ne pouvez pas refuser, l’Ordre du Christ, pour lequel vous avez combattu, et qui sera, je l’espère, votre récompense et la mienne.”


  1. On raconte, au sujet de la mort de ce martyr, une anecdote touchante. Dès qu’on connut ce qui s’était passé à Castelfidardo, une amie alla trouver la marquise de Pimodan. Elle la trouva occupée à écrire : « À qui écrivez-vous ? demanda-t-elle. — À mon mari. — N’écrivez point ; la lettre ne parviendra pas. — Et pourquoi, je vous prie ? — Il est prisonnier. — Prisonnier ? C’est impossible, je le connais trop bien : il est mort ! » La visiteuse avoua par son silence. La marquise, apprenant ainsi son veuvage, tomba à genoux, pleura et pria pour le défunt. Puis, tout à coup, se relevant et attirant avec passion contre son sein l’aîné des fils que lui laissait ce glorieux soldat. Elle le contempla un instant à travers ses larmes et s’écria : « Tu seras soldat. » (Villefranche.)