Vie du pape Pie-IX/Pie IX enfant et jeune homme

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CHAPITRE I

Pie IX enfant et jeune homme.


À Sinigaglia, petite ville de l’Ombrie, dans les États de l’Église,[1], naquit le 13 mai 1792, de parents nobles, Jean-Marie Mastaï Ferretti. Son père, le comte Jérôme Mastaï Ferretti, descendant de noble race, était alors gonfalonier ou premier magistrat de Sinigaglia ; sa mère, Catherine Sollazzi, était l’égale de son époux par le rang non moins que par la noblesse du cœur.

Doué d’une belle intelligence et d’une âme sensible, le jeune Jean-Marie répondit admirablement aux premières leçons de vertu qu’il reçut sur les genoux de sa pieuse mère. À peine avait-il appris à balbutier quelques paroles que nous le voyons prier pour le saint Pontife Pie VI, en ce moment prisonnier du Directoire. Il déplorait les malheurs du chef de l’Église et demandait naïvement à sa mère : « Comment le bon Dieu peut-il souffrir cela ? le bon Dieu n’est-il pas le maître. » Et la sainte femme répondait à l’enfant que le Pape est persécuté parce qu’il représente Jésus-Christ, l’Homme de douleurs, et qu’il faut prier pour les ennemis du Pape comme Jésus-Christ a prié pour ceux qui l’ont crucifié.

À la mort de Pie VI, le monde catholique fut consterné. Comment un nouveau pape sera-t-il choisi ? se demandait-on. « Est-ce donc vrai, disait le petit Jean-Marie à sa mère, qu’il n’y aura plus de Pape ? Sois tranquille mon fils, répliquait la comtesse Mastaï ; on peut voir des rois mourir et n’être pas remplacés ; mais les papes ne finiront qu’avec le monde. »

Contre toute prévision humaine, Dieu rendit à l’Église un instant de liberté en arrêtant pour un moment la marche de la révolution ; les cardinaux se réunirent à la hâte à Venise et choisirent le successeur de Pie VI. Puis la tempête se déchaîna de nouveau et Pie VII subit le sort de son illustre prédécesseur. Le pouvoir temporel des papes paraissait alors à jamais détruit, tandis que leur souveraineté spirituelle dépendait, humainement parlant, de la volonté de Napoléon Ier. Mais Napoléon est tombé et son prisonnier est rentré en triomphe dans Rome. C’est en étudiant l’histoire de l’Église que l’on se pénètre de la vérité des paroles du Christ : « Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. »

Nourri des paroles sublimes de sa mère et fortifié par les grands spectacles pleins d’enseignements que lui offrait cette époque tourmentée, le jeune Mastaï grandissait en sagesse et en piété. À l’âge de douze ans il entra au collège de Volterra, en Toscane, dirigé par les frères des écoles pies qui se distinguaient par leur science et par la pureté de leurs mœurs. Il y fit de rapides progrès et acquit une rare éloquence de parole qu’il cultiva et conserva jusqu’à la fin de sa vie ; il s’y livra aussi avec ardeur à l’étude des beaux arts.

Après six années passées dans cette maison où il se fit remarquer par ses grands talents et par des vertus non moins grandes, il quitta à l’âge de dix-huit ans le collège de Volterra qui se souvient encore avec orgueil d’avoir abrité pendant six ans l’homme le plus remarquable des temps modernes.

On croit généralement qu’au sortir de l’école, le jeune Mastaï s’enrôla dans l’armée de Napoléon, disent les uns, dans l’armée autrichienne ou dans l’armée pontificale, affirment les autres. Rien de plus inexact. Pie IX n’a jamais porté les armes et l’on ne lui a jamais connu de goût pour la vie militaire[2]. Au contraire, il songeait à combattre les combats pacifiques du Seigneur ; il soupirait après la gloire d’être au nombre des soldats du Christ qui essuient les larmes et qui ne les font pas couler.

Mais une maladie cruelle et opiniâtre, l’épilepsie, le tourmentait et semblait devoir lui fermer à jamais la carrière du sacerdoce. Néanmoins, il se rendit à Rome en 1809 et demeura au Quirinal avec son oncle, Mgr Paulin Mastaï. Il reçut la tonsure, mais il fut bientôt forcé par les troubles qui bouleversaient à cette époque la ville éternelle, de retourner dans sa ville natale. Là il mena une vie studieuse jusqu’en 1814, date de la rentrée triomphale de Pie VII dans ses États. Il fut présenté au Pontife victorieux lors de son passage à Sinigaglia.

Guéri presque entièrement vers cette époque, contre tout espoir humain, il attribua son rétablissement à la protection de la Sainte-Vierge à qui sa mère l’avait consacré. Il se rendit de nouveau à Rome et entra dans l’Académie ecclésiastique. Voulant travailler au salut des âmes, il obtint la permission de se joindre à des prêtres qui allaient donner une mission à Sinigaglia. Ce fut donc dans sa ville natale et sous les yeux ravis de sa pieuse mère, que l’abbé Mastaï commença ses travaux évangéliques.

De retour à Rome, sa santé s’étant améliorée, il fut promu au sous-diaconat, puis au diaconat le 18 décembre 1818.

L’état de sa santé inspirait toujours des craintes : il lui fallut une dispense pour être reçu prêtre et l’on dut l’astreindre à une condition : celle de ne célébrer la messe qu’assisté d’un autre prêtre. Confiant dans la bonté de Pie VII, le jeune lévite se jeta aux genoux du souverain Pontife et le supplia de lui permettre de dire la messe seul comme les autres prêtres. Le prenant par la main et le relevant avec affection, Pie VII prononça ces paroles prophétiques : « Oui, nous voulons vous faire encore cette grâce, et d’autant plus que nous croyons que désormais ce mal cruel ne vous tourmentera plus. » À partir de ce jour la maladie disparut entièrement.

  1. On dit ordinairement, États pontificaux. Je n’aime pas ce mot, car il vient de la Révolution. Avant Napoléon I, on disait toujours États de l’Église. En effet, le territoire ainsi désigné appartient à l’Église universelle et non au Pape. Voilà pourquoi, comme l’a dit Pie IX, le Pape ne peut pas renoncer à un pouce de ce patrimoine de la Chrétienté.
  2. Voir Villefranche, Pie IX, sa vie, son histoire, son siècle ; Saint-Albin, Histoire de Pie IX ; les Célébrités catholiques, etc.