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Vie et œuvres de Descartes/Préface

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PRÉFACE


L’édition de Descartes que nous avons donnée, pouvait être considérée comme finie après la publication du tome XI. Il n’y manquait qu’un Index général des matières (nous nous réservions d’ailleurs de le publier séparément). Mais cette édition n’avait-elle pas besoin, en outre, d’être complétée par une étude sur la vie et les œuvres du philosophe ? Le lecteur l’attendait, ce semble, et aurait été déçu de ne point la trouver. Nous avons cependant beaucoup hésité à entreprendre une telle étude. À notre avis, dans l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas possible, avant longtemps encore, de la mener à bien. Elle exige un grand nombre d’études préparatoires, dont deux ou trois à peine ont été faites, sur l’état des questions philosophiques et scientifiques au temps de Descartes, sur les influences que lui-même a subies, sur ses relations personnelles avec tel ou tel de ses contemporains. Une vingtaine de monographies au moins, qui demanderaient encore des années de recherches, seraient nécessaires au préalable : faute desquelles on ne peut que fournir des indications, effleurer les problèmes, sans presque en traiter aucun définitivement.

Nous nous sommes résignés cependant à ce travail, forcément imparfait ; et nous avions pour cela deux raisons. La première, c’est qu’on aura toujours de la peine à se retrouver au travers de ces onze volumes d’œuvres ou de lettres, malgré l’index général que nous annonçons : un fil conducteur est indispensable, et cette étude, telle quelle, au moins en tiendra lieu. La seconde raison, c’est que, au cours de ces quinze à vingt années bientôt d’un labeur assidu, nombre de matériaux ont été rassemblés par nous, outre ceux que nous avons déjà publiés à propos de chaque lettre de la correspondance, et dans les introductions, les notes et les appendices, au sujet de chaque ouvrage. Comme cette édition est à l’usage de ceux que l’histoire de la philosophie intéresse, nous en avons fait un instrument de travail aussi utile que possible, n’hésitant pas à y prodiguer les renseignements sans compter : chaque lecteur saura bien y choisir ce qui lui convient, et laisser là le reste. Néanmoins, quantité de documents n’ont pu être utilisés de la sorte, qui méritaient d’être publiés aussi ; leur place était donc indiquée dans une Étude sur la vie et les œuvres de Descartes.

Ce titre a paru préférable à tout autre. C’est, en effet, une étude sur Descartes seulement, que nous avons voulu donner, et non pas sur le Cartésianisme. Aussi n’avions-nous que faire de cette longue liste de livres qui se sont succédé depuis plus de deux siècles et demi, et qui ont pour objet le commentaire ou la critique de la philosophie cartésienne, sans ajouter un document à ceux que possédait déjà le xviie siècle sur la personne de Descartes : chacun de ces livres nous expose la pensée, sans doute fort intéressante, de son auteur propre, bien plus que celle du philosophe lui-même, et sous une apparence historique, il a toujours en réalité un caractère plus ou moins dogmatique. (Et nous craignons bien de n’apporter aussi, en dépit de nos efforts, qu’un livre de plus qui ne sera pas exempt de cet inévitable défaut, un livre à prétentions objectives, mais qui sera seulement peut-être un peu moins subjectif que les précédents.) Pourtant nous étudierons, non pas l’œuvre de Descartes, son œuvre de philosophe, ou son influence sur les siècles suivants et qui dure encore aujourd’hui, mais plutôt ses ouvrages, et les conditions et circonstances dans lesquelles chacun a été composé et publié. Le présent volume n’est pas un livre de philosophie, à proprement parler, mais un livre d’histoire : ajoutons, si l’on veut, d’histoire de la philosophie, et aussi de la science, ou plus simplement une contribution à l’histoire des idées en France et de l’esprit français au xviie siècle.

La seule Vie de Descartes, un peu complète, que l’on eût jusqu’alors, était celle d’Adrien Baillet ; et elle date de 1691[1]. Lui-même raconte, dans sa Préface, que Chanut, bien mieux que personne, eût écrit cette vie, et après Chanut, Clerselier, qui avait aussi connu « intérieurement » le philosophe. Après eux, il nomme un Oratorien, le P. Nicolas Poisson, qui en fut vivement sollicité par la reine Christine et par Clerselier lui-même, et qui se contenta de donner, en 1670, un petit livre de Commentaires ou Remarques sur la Méthode de René Descartes. Enfin, il nomme encore l’abbé Jean-Baptiste Legrand, devenu, après la mort de Clerselier en 1684, le dépositaire des papiers du philosophe, et qui préparait une nouvelle édition de ses œuvres ; Legrand s’empressa de mettre à la disposition de Baillet tous les documents qu’il avait recueillis déjà[2].

Nous pouvons dire que les deux tomes publiés par Baillet sont passés presque en entier dans les onze volumes de notre édition et dans ce volume XII. C’était, pour une bonne part, un assemblage de documents, dont les originaux sont maintenant perdus, et que nous ne connaissons que par les extraits qu’il en a imprimés : bien des pages ont été découpées, pour être mises chacune à sa place au cours de la correspondance ou des œuvres, comme il a été dit dans l’Introduction du tome I[3]. En outre, Baillet avait rempli en conscience son devoir de biographe, s’adressant de toutes parts à qui pouvait le renseigner : la famille de Descartes, c’est-à-dire ses neveux, fils du frère aîné Pierre (mort en 1660) et du cadet Joachim (mort en 1680), ainsi que les fils de ses amis. C’était déjà la seconde génération, mais par elle on remontait à la première, contemporaine du philosophe ; Baillet eut entre les mains des mémoires laissés par des hommes qui avaient connu celui-ci personnellement : Clerselier, Chanut, Mydorge, Hardy, Le Vasseur, etc. Il écrivit à quelques rares survivants, un M. de la Barre, à Tours, et Adrien Auzout, à Rome, celui-ci bien près de sa mort, en 1691[4]. Baillet fit écrire aussi en Hollande, où vivait toujours Jean de Raey, qui surveilla, avec Schooten, l’édition latine donnée à Amsterdam. Raey, pour toute réponse, se contenta de dire que la vie de Descartes était la chose la plus simple du monde, res simplicissima, et les Français feraient mieux de n’y pas toucher : ils la gâteraient, Galli eam corrumperent ! Nous avons cependant les souvenirs personnels de Jean de Raey sur Descartes : il les avait confiés, une quarantaine d’années plus tôt, à un jeune indiscret, et on les avait mis à profit, en oubliant de nommer l’auteur : d’où la réponse maussade de 1690[5]. Cet oubli avait été commis par un Allemand de Lubeck, Daniel Lipstorp, qui publia en 1653 une vie de Descartes. Baillet ne manqua pas de puiser abondamment à cette source, simple abrégé d’ailleurs de vingt-cinq pages seulement, mais d’une valeur inappréciable[6]. Il puisa de même, dans l’opuscule plus court encore de Pierre Borel, publié un peu après, en 1656, et composé aussi avec les souvenirs d’un autre ami de Descartes, Étienne de Ville-Bressieu[7]. Ces deux essais, ainsi que les Préfaces de Clerselier, de 1657 à 1666, étaient, jusqu’en 1691, à peu près tout ce qu’on avait sur la vie du philosophe[8]. Baillet trouvait donc une matière presque intacte, et il sut la traiter, rendons-lui cette justice, avec un soin et un scrupule religieux, en tous les sens du mot. L’écrivain, en effet, était prêtre, l’abbé Baillet, futur auteur des Vies des Saints, et il écrivait, n’oublions pas la date, aux environs de 1690, c’est-à-dire au plus fort de la réaction religieuse du règne de Louis XIV. Descartes était fortement suspect : n’avait-il pas été condamné à Rome ? Le pieux biographe s’applique manifestement à le réhabiliter, et à présenter son philosophe comme un bon catholique, croyant et pratiquant, dont il exagérerait plutôt la religion. Il en dit trop à cet égard, et les protestants réfugiés en Hollande n’ont point manqué d’en faire la remarque : M. Baillet, ont-ils dit, a fait de Descartes « presqu’un dévot[9] ».

On ne trouvera plus ici, cela va sans dire, les mêmes préoccupations, et tous nos efforts tendront à restituer (si cela est possible) un Descartes historiquement vrai. La principale différence entre l’œuvre de Baillet et la nôtre sera dans l’esprit général qui anime chacune d’elles. Mais les grandes lignes restent à peu près les mêmes, et de nombreux détails se trouvent confirmés, avec d’autres qui s’y ajoutent, grâce à une documentation nouvelle.

Celle-ci consiste d’abord dans des pièces d’archives, publiques et privées, notamment sur la famille de Descartes : bon nombre ont été découvertes et publiées, ces cinquante dernières années, par des érudits de Touraine, de Poitou, de Bretagne. Quelques-unes ont été recueillies en Hollande. On les trouvera, chacune à sa place, avec l’indication de leur provenance. Puis nous avions la correspondance complète (ou peu s’en faut) du philosophe, et surtout rétablie dans l’ordre chronologique, ce qui la rend bien plus instructive, et permet de suivre pas à pas la marche de sa pensée. En outre, plusieurs collections de lettres ont été retrouvées et imprimées, que Baillet n’a point connues : lettres de Pollot (publiées en 1869), et de la princesse Élisabeth (en 1879), lettres de Constantin Huygens le père, de Brégy, de Chanut, de Brasset, de Beeckman, la plupart publiées dans cette édition pour la première fois. Sans doute la physionomie générale de Descartes n’en est point changée du tout au tout ; mais elle est mieux éclairée, et bien des particularités curieuses s’y révèlent ou y apparaissent dans un meilleur jour.

Outre cela, plusieurs Recueils MS. ont été pour nous autant de mines précieuses. Ce fut, par exemple, en Hollande, le Journal d’Isaac Beeckman, signalé seulement en 1905 à Middelbourg, et dont la publication est si désirable pour l’histoire des sciences. Ce sont aussi les Lettres latines et françaises, de Constantin Huygens, ami particulier de Descartes, et père de celui qui fut le grand Huygens ; elles sont conservées à la Bibliothèque de l’Académie des Sciences d’Amsterdam ; ajoutons-y le Dagboek du même Huygens, qui seul a été imprimé jusqu’ici, l’année 1884. En France, nous avons utilisé, comme recueils de ce genre, à Paris, Bibliothèque Nationale, d’abord les trois volumes de Lettres au P. Mersenne (MS. fr. n. a., 6204, 6205 et 6206), déjà connues de Baillet, mais où il a emprunté moins largement que nous (et nous avons pu y joindre quelques lettres d’un grand intérêt, des mathématiciens Desargues et Debeaune) ; puis un cahier de Lettres de Saumaise (MS. fr., Collection Dupuy, 713) écrites en Hollande ; enfin deux documents tout à fait de première main : la correspondance de Chanut, résident, puis ambassadeur à Stockholm, (MS. fr. 17962-1796), laquelle avait à peine été utilisée (si même elle l’avait été) ; et une autre, plus importante encore, qui ne l’avait jamais été que nous sachions, celle de Brasset, secrétaire de l’ambassade, puis résident à La Haye (MS. fr. 17891-1790, quinze volumes in-f°, de 1616 à 1654). C’est peut-être cette correspondance, avec celle de Chanut, qui nous a fourni le plus de ces détails si propres à reconstituer le cadre où a vécu notre philosophe.


Est-il besoin de dire que chacun a bien voulu aider, à l’envi, l’éditeur de Descartes dans ses longues et laborieuses recherches. Toutes facilités lui ont été accordées à la Bibliothèque Nationale par Léopold Delisle et M. Henri Omont, et aussi par deux bibliothécaires, entre autres, MM. Blanchet et Dorez ; à la Bibliothèque de l’Institut, par Ludovic Lalanne, et son successeur, mon ami Alfred Rébelliau ; à la Bibliothèque de l’Université enfin, par M. Émile Châtelain

À l’étranger, je dois une mention particulière au Directeur de la Bibliothèque Royale de Hanovre, Eduard Bodemann, et au Dr Karl Kunze, qui l’a remplacé. Mais c’est surtout en Hollande que j’ai eu la bonne fortune de rencontrer de véritables collaborateurs, aux Universités de Groningue, Utrecht, Leyde et Amsterdam. À Leyde notamment, le vénéré Bierens de Haan, éditeur de Christian Huygens, le bibliothécaire, W. N. du Rieu, et son successeur, S. G. de Vries, s’étaient mis tout à ma disposition ; de même à Amsterdam, le professeur D.-J. Korteweg ; et à Harlem, des savants tels que J. Bosscha, et des érudits tels que C.-A. Duker ; enfin à Middelbourg, le jeune Cornelis de Waard.

C’est ainsi qu’un tel travail a pu être mené jusqu’au bout. En y mettant la dernière main, cet automne de 1910, je songe avec mélancolie à mon professeur de philosophie au Lycée de Douai en 1875-1876, Victor Brochard : ce fut lui qui, en janvier 1894, voulut bien désigner, pour cette tâche de confiance, son ancien élève, et lui donna le courage de s’en charger ; il en a suivi l’avancement, de volume en volume, avec un intérêt passionné, jusqu’à sa mort, le 25 novembre 1907. J’avais déjà perdu, le 2 janvier 1901, le maître-imprimeur, qui s’était enthousiasmé pour cette édition de Descartes, Léopold Cerf, dont le fils, M. Paul Cerf, a tenu à honneur de recueillir cette part de l’héritage paternel. J’avais aussi perdu, le 27 novembre 1904, le savant, dont la collaboration pour les mathématiques ne pouvait être remplacée, Paul Tannery, dont j’ai voulu que le nom continuât de figurer quand même en tête des volumes suivants à côté du mien[10]. L’édition a pu s’achever, en effet, sous les auspices de la Direction de l’Enseignement supérieur au Ministère de l’Instruction publique, laquelle avait trouvé dès le début un organe auprès du grand public dans la Revue de Métaphysique et de Morale, avec son dévoué directeur, M. Xavier Léon[11].

Mais il est surtout deux hommes, à qui je fais respectueusement hommage de cette œuvre accomplie, grâce à eux : M. Émile Boutroux, mon maître en histoire de la philosophie, de 1877 à 1880, à l’École Normale supérieure, et M. Louis Liard : celui-ci, sans lequel l’édition de Descartes n’aurait pas été entreprise, ni continuée, ni peut-être même achevée, et dont la haute approbation m’a constamment soutenu au cours de tant d’années, et m’a permis de conduire cette œuvre à bonne fin.

Ch. ADAM.


Nancy, 2 novembre 1910.



PORTRAITS ET GRAVURES




La première eau-forte, en tête de ce volume, est l’œuvre d’Achille Jacquet, décédé depuis lors[12]. L’artiste s’est surtout inspiré du portrait de Descartes, qui figure au Musée du Louvre, et qu’on attribue (attribution de moins en moins sûre) au maître de Harlem, Frans Hals. Jacquet, avec sa conscience scrupuleuse, et pour mieux se pénétrer de la pensée du philosophe, se plaisait à relire, au cours de son travail, le Discours de la Méthode.

La seconde eau-forte est l’œuvre du même artiste. C’est une reproduction, ou plutôt une interprétation par la gravure, d’un petit tableau qui était en la possession de l’abbé Le Monnier, curé de Saint-Ferdinand des Ternes à Paris ; après le décès de celui-ci, le tableau fut acheté, dans une vente publique, par M. Jules Feral, expert. L’abbé Le Monnier, qui l’avait signalé à Paul Tannery, voulut bien m’autoriser, en 1904, à le faire graver pour l’édition de Descartes ; il demanda seulement que le travail fût confié à Achille Jacquet. L’authenticité de ce petit tableau est attestée par une note à l’encre, écrite au dos sur le bois, d’une écriture du xviie siècle. La voici textuellement : « C’est le véritable Portrait de Monsieur René Descartes, envoyé par lui-même de Suède à Monsieur l’Abbé Picot, qui a traduit ses Principes de Philosophie en français, lequel en mourant le remit à Monsieur Dalibert, qui a fait venir de Suède les os de Mons. Descartes, & lui a fait efleuer à ses dépens un tombeau à Paris dans l’Église Ste Geneviève. Et après la mort de Monsieur Dalibert mon beau frère, j’ai eu ce portrait en 1671 . Signé : Rollandt P. — No 401 . » Il est douteux que ce portrait ait été « envoyé de Suède ». Ce ne pouvait être, en effet, qu’à la fin de 1649 ou au commencement de 1650 : or il remonte à une date bien antérieure ; car il représente un Descartes assez jeune encore. Baillet parle d’un portrait du philosophe, que l’abbé Picot avait rapporté de son premier voyage en Hollande, l’année 1642 : voir ci-après, page 75, note b. fin. Ce renseignement du biographe concorde, pour une faible partie, avec l’inscription de notre petit tableau ; celui-ci sans doute aurait été fait quelques années plus tôt. On ne sait qui en est l’auteur : un artiste médiocre, disait Jacquet, et il avait raison. Mais le portrait est curieux, et nous le donnons entre les pages 74 et 75.

Nous avons reproduit encore, pour leur valeur documentaire, deux autres portraits de Descartes. L’un a été dessiné, d’après nature, par Frans Schooten le fils, en 1644 ; il fut gravé pour la traduction latine de la Géométrie, seconde édition, 1659. Le philosophe n’avait pas voulu le voir figurer, de son vivant, dans la première édition en 1649, bien qu’il le trouvât « fort bien fait », écrivait-il ; mais c’était dans une lettre adressée à l’auteur : le moyen de s’exprimer autrement ? Plus tard, Huygens le trouvera, au contraire, « bien mal fait » ; et nous serions plutôt de l’avis de Huygens. Seulement ce portrait, qui n’est pas d’un artiste, mais de quelqu’un qui a bien connu Descartes et qui savait un peu dessiner, a pour nous un double intérêt : il est authentique, et nous en connaissons la date. Nous l’avons donc donné en photogravure, entre les pages 358 et 359.

De même pour un dernier portrait, récemment retrouvé en Suède. En 1906, Gustave Retzius en avisa M. Gaston Darboux, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences de Paris. Puis l’Académie des Sciences de Stockholm fit hommage à celle-ci d’une copie à l’huile, reçue dans la séance du 4 mai 1908, et qu’on peut voir maintenant dans la grande salle de la Bibliothèque de l’Institut. En même temps une photographie de l’original nous fut envoyée pour l’édition de Descartes. Ce portrait aurait été fait à Stockholm, ce qui en fixe la date : novembre ou décembre 1649, ou bien janvier 1650. Ce serait l’œuvre d’un peintre de la reine Christine, David Beck, Hollandais de naissance, mais élève de Van Dyck. (Voir ci-après, p. 545, note f.) Quelques difficultés subsistent bien : Descartes paraît plus jeune, bien qu’il ait près de cinquante-quatre ans, sur ce portrait, que dans le tableau attribué à Frans Hals, qui pourtant serait antérieur. Mais c’est Descartes à la cour, et en représentation, et non plus le philosophe, celui qui dit : Je pense. On s’est même demandé si on n’était pas en présence d’une simple copie du Descartes de Frans Hals, et d’une copie médiocre : la physionomie, certes, est bien différente ; mais ce sont les mêmes détails de costume, la même attitude, et la tête regarde exactement de la même façon. Des mèches grises, cependant, apparaissent parmi les cheveux noirs ; et nous savons que, depuis 1649, Descartes portait des perruques un peu grisonnantes. (Voir t. V, p. 335.) D’ailleurs, le portrait est intéressant, et méritait également une photogravure[13] ; elle est à sa place, entre les pages 546 et 547.

Nous donnons encore deux autres planches hors texte. L’une représente un pavillon habité par Descartes, lors de son séjour à Utrecht, en 1635. Ce pavillon était situé à quelque distance de la ville, dont on aperçoit seulement le clocher, il se trouvait sur le Maliebaan, magnifique promenade plantée d’arbres, qui n’avait que deux maisons, et du même côté, sur les anciens plans. Notre planche est la reproduction d’un dessin du temps, qui appartient à la collection de la reine-mère Emma de Hollande, en son château de Soestdyk. Il nous fut gracieusement envoyé, sur notre demande, pour figurer dans l’édition de Descartes. À vrai dire, le philosophe n’habita pas longtemps ce pavillon, pas même une année. Mais nous n’avions rien qui rappelât le séjour prolongé qu’il fit à Egmond. Et s’il demeura deux ans au petit castel d’ Endegeest, on n’est pas sûr qu’il l’occupait tout entier ; d’ailleurs le domaine a été singulièrement transformé depuis lors : n’y a-t-on pas installé, en ces derniers temps, un asile d’aliénés ? Le pavillon d’Utrecht donne bien une idée du genre d’habitation qui plaisait à notre philosophe.

Restait à donner un fac-similé de son écriture. On avait le choix entre les autographes de Descartes que possèdent la Bibliothèque Nationale, la Bibliothèque de l’Institut, et la Bibliothèque Victor Cousin à la Sorbonne. (Voir t. I, p. lxviii-lxix.) Nous nous en sommes rapportés à M. Henri Omont, conservateur des MS. à la Nationale, qui choisit lui-même le texte le plus propre à être photographié, pour la teinte du papier et la netteté des caractères : c’est la dernière partie d’une lettre à Mersenne, du 4 mars 1641. (Voir t. III, p. 331-332, et Bibl. Nat., MS. fr. n. a. 5160, f. 22-26.) Nous l’avons insérée entre les pages 268 et 269 du présent volume.

C. A.


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  1. La Vie de Monsieur Descartes. (À Paris, Chez Daniel Horthemels, rue Saint Jacques, au Mécénas. M.DC.XCI.) « Épitre à Monseigneur Le Chancelier », signée : A. B. (6 pages, non numérotées). Ce Chancelier était Louis Boucherat, exécuteur de la révocation de l’Édit de Nantes. Préface, p. i-xxxvi. Tables, p. xxxvii-lix. Privilège du 1er mars 1691, au ſieur Adrien Baillet. Achevé d’imprimer, 6 juillet 1691. Première partie, in-4, pp. 417 ; seconde partie, pp. 602. Abrégé du même ouvrage en 1693, pet. in-12, pp. 318. — Adrien Baillet naquit à La Neuville-en-Hez, près de Beauvais, le 13 juin 1649, et mourut à Paris, le 21 janvier 1706, bibliothécaire de M. de Lamoignon depuis 1680, et prêtre depuis 1676. Publications, entre autres : Traité de la dévotion à la Sainte Vierge, 1693 ; Traité de la conduite des âmes, 1694 ; et surtout Les Vies des Saints, 17 vol. in-8, de 1695 à 1701.
  2. Baillet, loc. cit., préface : pp. x-xi (Chanut), xi-xii (Clerselier), xii-xiii (Poisson), et xxii-xxiii (Legrand).
  3. Ibid., pages xlix-l.
  4. Baillet, loc. cit., p. xlvii-xlviii.
  5. Ces particularités nous sont connues par Baillet, qui les emprunte lui-même à une « Lettre de M. Van Limborch, du 15 avril 1690 : M. de Raey avait un diſciple, nommé M. Van-Berhel, jeune homme de beaucoup d’eſprit & de grande capacité, à qui il avoit donné divers petits mémoires curieux. M. Lipſtorpius, ayant reçu de M. Van-Berhel quelques-uns de ces mémoires qui regardoient M. Deſcartes, les avoit donnez de bonne foy au Public, ſans examiner s’il avoit beſoin du conſentement de M. de Raey, ou s’il devoit les autoriſer de ſon nom. » (Baillet, loc. cit., Préface, p. xiv-xv ; et pour la réponse de Raey. p. xxix-xxx.)
  6. Danielis Lipstorpii | Lubecensis, | Specimina | Philosophiœ | Cartesianœ. | Quibus accedit | Ejusdem Authoris | Copernicus Redivivus. (Lugduni Batavorum, Apud Johannem & Danielem Elsevier. cIo Ioc liii. Marque : le Solitaire. In-4 : t. I, 10 ss. limin., y compris le titre rouge et noir, et 220 pp. ; t. II, 6 ss. limin., et 160 pp.) Dédicace : « Celsissimo » & Reverendissimo Principi Johanni, Electo Lubecensium Episcopo... Dabam Lug. Bat., Kal. April. Anni παρθενοτοκιας cIo Ioc lui. » Signé : « Daniel Lipstorpius Lubecensis, Phil. & Libéral. Artium Mag. » Au tome I, Lipstorp donne, dans un Appendix, une courte biographie de Descartes, p. 69-94 ; encore les cinq dernières pages sont-elles remplies par le texte des inscriptions ou épitaphes en l’honneur du philosophe, si bien que quinze pages et demie tout au plus sont consacrées au récit de sa vie. Il se défend d’ailleurs d’avoir voulu donner une biographie complète : « Vitam hujus incomparabilis Viri describere, nec animus est, nec facultas suppetit. Ea quippe tam nobilis & dissusa est, ut integrum volumen deposcat, & Scriptorem gravissimum. » (Pag. 73.) Et déjà il avait dit, quelques pages plus haut : « Speramus enim omninò futurum, ut Vir aliquis honoratior Vitam Nobilissimi Cartesii prolixo & decente stylo concinnet, & ita summo jure eximias hujus Viri laudes, & nobilissima ejus inventorum praeconia decantet, quæ totus orbis literatorum magno desiderio exspectat, & quasi deposcit. » (Pag. 69.) Ses témoins, pour la vie de Descartes, étaient Frans Schooten et Jean de Raey. Lui-même s’exprime ainsi, Præfatio ad Lectorem : « ...In Bataviam progrediens, salutavi illustria quæque Numina ubique locorum, & inter ea quoque Cl. Virum Dn. Johannem Adolphum Tassium, Hamburgensium Mathematicum & Philosophum gravissimum, Amicum plurimùm colendum, cum quo primo omnium in hâc peregrinatione cœpi Philosophiœ Cartesianae pretium expendere. » (Pag. 2.) « Quàm primùm igitur Lugdunum rursus appuleram ex Flandriâ & Brabantià redux, nihil prius habui, nihil antiquius, quàm ut sitim meam Mathematicam & Philosophicam sedarem : nec diu moratus, perrexi ad Clariss. Dn. Scotenium, cui jam ab aliis Viris elegantioribus eram commendatus, ejusque fummam in me benevolentiam provocavi, ut mecum amicitiœ dexteras jungeret, & artem Analyticam atque hanc Methodum summà fidelitate doceret. » (Pag. 3.) — Daniel Lipstorp naquit à Lubeck, le 10 mai 1631, et y mourut, le 1er septembre 1684. En 1652, il était à Leyde, et se fit inscrire à l’Université, comme étudiant en philosophie, le 4 juillet. Il était dans sa vingt-deuxième année.
  7. Vitæ Renati Cartesij, summi Philosophi, Compendium. Authore Petro Borello, Medico Regio. (Parisiis, Apud loannem Billaine, fub signo S. Augustini, & Viduam Mathurini Dupuis, sub signo Coronæ Aureæ, via Iacobæâ. M.DC.LVI. Cum privilegio Regis.) Pet. in-8, pp. 59. À la fin du volume se trouve un extrait du privilège, avec la date de celui-ci : « …anni 1653. 10 Nouembris. » Cette date de 1653 est parfois donnée comme celle de la première édition de l’opuscule de Pierre Borel. Mais, dans les exemplaires que nous avons eus sous les yeux, cet opuscule est imprimé à la suite d’un autre ouvrage et dans le même volume, qui porte ce titre général : Petri Borelli, Medici Regij Castrensis, Historiarum & Obseruationum Medico-Physicarum Centurice IV… Accesserunt D. Isaaci Cattieri, Doctoris Monspeliensis, & Medici Regij, Obseruationes Médicinales raræ, Dom. Borello communicatæ : & Renati Cartesij Vita eodem P. Borello Authore. Quæ omnia nunc primium in lucem prodeunt. (Parisiis, &c., mêmes noms de libraires. M.DC.LVI. Cum privilegio Regis.) Cette Vie de Descartes n’aurait donc été imprimée pour la première fois qu’en 1656. (Borel cite d’ailleurs, p. 26 et p. 47, non seulement l’ouvrage de Lipstorp, qui porte la date de 1653, mais encore, p. 26, d’autres ouvrages datés de 1654.) Dédicace à Pellisson : « Domino Paulo Pellissonio. Fontanerio, Consiliario & Secretario Regis, Domûs & Coronæ Franciæ. » Borel parle ainsi de son travail . « Patere, Vir Clarissime, opusculum hoc, maioris expromissorem, tuo nomini dicari. » À plusieurs reprises, Borel cite son principal témoin : « Stephanus Bressieus noster (p. 5), …cum familiari nostro Bressieo (ibid.)… » ; trois fois encore, p. 8 ; « audiuique à D. Bressiaeo », p. 34 et enfin p. 41-42 : « …D. Bressiæum Gratianopolitanum, Medicum Chimicum, qui eius Philosophias amasius eum accessit & diu cum eo ad experimenta facienda remansit ; ingeniosissimus enim est (sic) & optimus artifex. » — Peut-être cependant une première édition avait-elle été donnée en 1653, à Castres : « Sur la fin de la même année (1653) l’on vit paraître à Castres en Languedoc [en marge : Avec les Centur. de ses Hist. & Observ. Médico-Phys.] une espèce d’Abrégé de la même vie, composé par le Sieur Pierre Borel Médecin du Roy, & dédié à M. Pélisson. Il fut réimprimé à Paris trois ans après, puis à Francford & à Leipfick en 1670 & en 1676, & enfin inséré parmi les Mémoires du sieur Henning Witte, imprimés à Francford l’an 1677. « (Baillet, loc. cit., Préface, p. xv.) — Pierre Borel naquit à Castres, vers 1620, et mourut en 1689.
  8. Baillet cite encore trois autres ouvrages imprimés : « Un Allemand…, sans s’épouvanter des obstacles qui rebutaient les autres, a voulu enfin donner au Public le grand ouvrage qu’on attendait depuis tant de temps. Il le fit paraître à Nuremberg, l’an 1674, sous le titre magnifique de : M. Johannis Tepelii Historia Philosophiœ Cartesianœ. C’est un ouvrage de quatre petites feuilles d’impression, divisé en six Chapitres, dont il n’y a que le premier qui regarde précisément la vie de M. Descartes. Il serait peut-être plus utile, s’il était moins superficiel, ou s’il avait pu se garantir des fautes de ceux qu’il a Copiés. » (Pages xvi-xvii.) « …M. de Vries, Professeur en Philosophie à Utrecht, a donné de son côté une Introduction historique à la Philosophie de M. Descartes en forme de thèses qu’il a fait soutenir par deux de ses écoliers en 1683. Mais son dessein a été de nous représenter les âges différents ou du moins quelques aventures de la Philosophie en général jusqu’à M. Descartes, plutôt que d’entrer dans un détail particulier de ce qui le regarde, si l’on en excepte la troisième partie de son Introduction, où il emploie la valeur d’une feuille d’impression pour quelques faits qui concernent la personne ou la doctrine de notre Philosophe. » (Pages xvii-xviii.) L’ouvrage en question est ainsi intitulé : Gerardi de Vries, Prof. Philos. Ultraj., De Renati Cartesii Meditationibus à Petro Gassendo impugnatis Dissertatiuncula Historico-Philosophica. (Ultrajecti, apud Guillielmum van de Water, 1691, in-8, p. 115.) Le troisième ouvrage dont parle Baillet, venait de paraître, « en 1690, sur la fin ». C’était un livre anonyme, avec ce titre : Voyage du Monde de Descartes. « On ne peut refuser à l’Auteur la gloire d’avoir bien exécuté le dessein qu’il a en de faire un roman… » Il avait le droit « de bâtir même des vérités historiques sur un fondement fabuleux. Mais puisqu’il a jugé à propos de dépouiller ces vérités de la plupart des circonstances qui pourraient les faire reconnaître, nous n’oserions les regarder comme des vérités… » Ce petit livre était d’un Jésuite, le P. Daniel : Voyage du Monde de M. Descartes. (À Paris, chez la Veuve de Simon Benard, 1691, in- 12, pp. 308.)
  9. Le propos se trouve, Histoire des Ouvrages des Savans. juin 1693, art. I, p. 540 (3e édit.). Clerselier, d’ailleurs, était dans les mêmes sentiments ; lorsqu’il mourut à Paris, le 13 avril 1684 (à l’âge de soixante-dix ans, étant né le 21 mars 1614), les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1684, crurent devoir mentionner spécialement sa piété : on ne croyait pas « qu’il y eut aucun bourgeois de Paris qui allât plus souvent à la messe ».
  10. Voir en tête du t. VII, et surtout du t. VIII, p. v-xiv, la part de Paul Tannery dans cette édition.
  11. Voir surtout le numéro spécial de la Revue, en juillet 1896 : Troisième centenaire de la naissance de Descartes. (Paris, A. Colin, in-8, p. 385-572.)
  12. Achille Jacquet était né à Pau, le 28 juillet 1846. Prix de Rome, 1870. Médaille d’honneur au Salon de 1889. Membre de l’Académie des Beaux-Arts, 1893. Décédé à Paris, le 30 octobre 1908.
  13. Toutefois un renseignement, fourni par Baillet (voir ci-après, p. 335, I. 27-28), donne à réfléchir : la reine Christine aurait fait « tirer un tableau de Descartes après sa mort ». Ce tableau est sans doute le portrait récemment retrouvé : en ce cas, Beck l’aurait peint d’après ses souvenirs, et non d’après nature, d’où une ressemblance telle quelle ! Ajoutons que, dans une lettre du 16 mai 1821 (voir ci-après, p. 627, 1. 12-13), Alexandre Lenoir parle de deux portraits de Descartes au Musée du roi (le Louvre), l’un de Bourdon et l’autre de Le Nain. Le tableau de Bourdon n’offre aucune ressemblance avec les traits de Descartes, tels que nous les connaissons, et doit représenter un autre personnage ; d’ailleurs Bourdon ne vint à Stockholm qu’en 1652, deux ans après la mort du philosophe : il ne l’aurait donc pas non plus peint d’après nature. Quant au tableau de Le Nain (Lenoir était, paraît-il, coutumier de cette sorte d’erreur), c’est le portrait de Descartes attribué communément aujourd’hui à Frans Hals. (Voir ci-après, p. 546, note.)