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Vie et opinions de Tristram Shandy/2/1

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 1-4).


LIVRE II


CHAPITRE PREMIER.

Le Docteur Slop va aussi son petit train.


Eh ! arrive ! arrive ! Le voilà ! Oui, c’est lui, c’est Obadiah, et il est chargé de tous les instrumens chirurgicaux du docteur Slop, et il montre de loin le sac verd où ils sont renfermés....

— Les voici, dit Obadiah, en mettant le sac verd sur la table ; et voilà la couronne que je t’ai promise, dit mon père, et voilà aussi la mienne, dit mon oncle Tobie.

— À présent que j’ai mes outils, dit le docteur Slop, et que je puis être utile à madame Shandy, je crois qu’il est à propos d’envoyer savoir comment elle se trouve.

— Point d’inquiétude, dit mon père ; j’ai donné des ordres précis à la vieille sage-femme de nous avertir aussitôt qu’il surviendrait quelque difficulté…

— Des ordres à la vieille sage-femme ? reprit le docteur Slop. Quoi ! que voulez-vous dire ? Qu’est-ce que cela signifie ?

— Ne vous fâchez point, docteur, dit mon père en souriant, avec un air d’embarras. Il faut que vous sachiez que vous n’êtes ici qu’en qualité d’auxiliaire. Ce sont les termes d’un traité solennel qui s’est fait, bien contre mon gré, entre ma femme et moi. Il est même convenu que vous ne serez d’aucun secours, si la vieille sage-femme est assez adroite pour se passer de vous.

— Mais, comment diable ?…

— J’ai fait ce que j’ai pu, continua mon père, mais les femmes ne se mènent pas toujours comme on veut ; elles ont leurs idées : et puis, à parler vrai, ce n’est pas nous qui sommes là. Elles portent tout le fardeau ; il faut bien leur passer quelque chose, et le moins qu’on puisse leur permettre en cette occasion, c’est d’agir en souveraines, et de se mettre entre les mains de qui bon leur semble….

Elles ont raison, dit mon oncle Tobie… Mais, monsieur, reprit le docteur Slop, en s’adressant à mon père, et sans égard pour l’opinion de mon oncle Tobie, j’aimerois beaucoup mieux leur céder quelque chose de moins essentiel. Un père de famille attentif, et qui veut perpétuer sa race, ne doit pas souffrir qu’elles s’arrogent une pareille prérogative..... Il y a tant d’autres choses qu’on peut leur laisser à gouverner.

— Je ne sais, dit mon père avec un peu de vivacité, ce qu’on pourroit leur abandonner… Mais il me semble qu’il n’y a rien de si simple, que de leur laisser le choix de la personne qui doit les aider à mettre nos enfans au monde.

— Pour moi, dit le docteur Slop, j’aimerois presque autant leur laisser le privilége de les faire faire par qui elles voudroient.

— Puisque la chose est si sérieuse, dit mon oncle Tobie au docteur, je vous demande excuse…

— Monsieur, répliqua le Docteur, elle est de la plus grande importance. Aussi ne peut-on concevoir jusqu’à quel point l’émulation des grands maîtres s’est excitée depuis quelques années… Lucine en personne seroit aujourd’hui une ignorante. — L’art est parvenu à son plus haut degré de perfection. C’est singulièrement sur l’extraction prompte et sûre du fœtus que l’on s’est attaché à faire des découvertes. — Les soins qu’on a pris n’ont pas été inutiles… On a acquis, sur ce point, des lumières qui...... en vérité, sont… tout-à-fait surprenantes, et qui…

— Je voudrois, docteur Slop, dit mon oncle Tobie, que vous eussiez vu les armées prodigieuses que nous avions en Flandre… peut-être…