Vie et opinions de Tristram Shandy/2/29

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 78-79).



CHAPITRE XXIX.

Dissertation sur l’Éloquence.


Mais à quoi ?…

Que les longues mantes des anciens étoient favorables, et que nos orateurs doivent bien en regretter le costume ! Tout a dégénéré. Sans cela l’éloquence seroit tout aussi florissante parmi nous, qu’elle l’étoit à Athènes et à Rome… C’en étoit un trait singulier que de ne point nommer la chose dont on parloit, lorsqu’elle étoit près de vous in petto, et que vous pouviez physiquement la produire à point nommé dans l’endroit où vous en aviez besoin. Une hache ébréchée..... une épée cassée, un vieux pourpoint déchiré… un casque rouillé… une livre et demie de cendres dans une urne… Et surtout quelque jeune enfant magnifiquement équippé… Oh ! représentez-vous maintenant un orateur sublime qui a si adroitement caché son bambino dans sa robe, que personne ne s’en est aperçu, et qui le montre si à propos, que qui que ce soit ne peut dire qu’il sort de sa tête ou de ses oreilles… Ah ! monsieur, quel effet ! Les digues se rompent, le torrent s’écoule ; il renverse les cervelles ; il ébranle tous les principes ; et la jurisprudence, la politique d’une nation entière sont hors des gonds. —

Mais vous le voyez, ces tours d’adresse ne pouvoient se faire que chez les peuples où la mode avoit donné la plus vaste ampleur aux robes des orateurs. — Vingt ou vingt-cinq aunes de pourpre superfine, loyale et marchande, avec de grands plis redoublés et flottans, et dans un grand style de dessein, en faisoient l’affaire..... Que nous sommes minces à présent ! Mais aussi qu’est devenu l’éloquence ? ce n’est plus qu’un filet d’eau, qui à peine fait éclore quelques fleurs sur le terrain aride où il passe. —