Vie et opinions de Tristram Shandy/3/41

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 114-116).



CHAPITRE XLI.

Dissertation savante.


La ville de Limerick, de laquelle on commença le siége sous les ordres du roi Guillaume, en personne, l’année d’après que je fus entré au service, — est située au milieu d’un marais diabolique, et dans un pays couvert d’eau. — Elle est, dit mon oncle Tobie, toute entourée par le Shannon, et sa situation la rend une des places les mieux fortifiées d’Irlande. »

« Je trouve, dit le docteur Slop, que cette façon de commencer un discours sur la médecine est tout-à-fait nouvelle. — Ce que je dis là n’en est pas moins vrai, répondit Trim. — En ce cas, dit Yorick, la faculté feroit bien d’adopter cette méthode. » —

« Avec la permission de monsieur le pasteur, dit le caporal, tout le pays est coupé de tranchées et de fondrières ; et d’ailleurs il tomba pendant le siége une telle quantité de pluie, que tout étoit boue. — Ce fut cela et cela seul, qui fut cause de l’inondation, et qui pensa nous faire périr, monsieur et moi. — Au bout de dix jours, continua le caporal, il n’y avoit pas un soldat qui pût se coucher à sec dans sa tente, sans avoir creusé un fossé tout autour pour égoutter l’eau. — Mais pour ceux qui, comme monsieur, en avoient le moyen, il falloit tous les soirs faire brûler une écuelle pleine d’eau-de-vie ; ce qui absorboit l’humidité de l’air, et rendoit le dedans de la tente aussi chaud qu’un poêle. » —

« Et qu’est-ce que tout cela prouve, caporal, s’écria mon père ? et quelle conclusion en tires-tu ? » —

« J’en conclus, n’en déplaise à votre seigneurie, répliqua Trim, que l’humide radical n’est autre chose que de l’eau de fossé, et que le chaud radical (pour ceux qui peuvent en faire la dépense) est de l’eau-de-vie brûlée. — Oui, messieurs, avec votre permission, le chaud et l’humide radical d’un homme ne sont que de l’eau bourbeuse et une dragme de genièvre. — Que le genièvre ne nous manque pas, ajouta-t-il, et qu’on nous donne une pipe et du tabac, pour ranimer nos esprits et dissiper les vapeurs. — Vienne ensuite la mort quand elle voudra, elle trouvera à qui parler. » —

« Je suis en peine, capitaine Shandy, dit le docteur Slop, de déterminer dans quelle branche de connoissance votre valet brille davantage ; de la physiologie ou de la théologie. — (Slop n’avoit pas oublié les commentaires de Trim sur le sermon. » —

« Il n’y a pas plus d’une heure, dit Yorick, que le caporal a subi un examen en théologie, et qu’il s’en est tiré avec beaucoup d’honneur. » —

« Il faut que vous sachiez, dit le docteur Slop en s’adressant à mon père, que le chaud et l’humide radical sont la base et l’appui de notre existence, comme les racines d’un arbre sont la source et le principe de sa végétation. — Ils sont inhérens au germe de tous les animaux ; et l’on peut les maintenir dans l’équilibre qu’ils doivent conserver par plusieurs moyens, mais principalement, à mon avis, par ceux que l’on dit consubstantiels, incisifs et corroborans. — Ce pauvre garçon, continua le docteur Slop en montrant le caporal, aura entendu quelque empyrique raisonner sur ces matières, et il aura retenu ses absurdités. — Voilà le fait, dit mon père. — Il y a toute apparence, dit mon oncle Tobie. — Je le parierois, dit Yorick. » —