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Vie et opinions de Tristram Shandy/4/11

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 29-31).



CHAPITRE XI.

Fin de l’Histoire de l’Abbesse des Andouillettes.


« Tous les péchés quelconques, dit l’abbesse, (devenue casuiste par la détresse où elle se trouvoit) — tous les péchés, ma chère fille, sont partagés en deux classes ; mortels et véniels. — Telle est la division établie par le saint directeur de notre couvent ; et il n’y en a pas d’autre. — Or, un péché véniel étant déjà par lui-même le plus léger et le moindre de tous, — il est certain que si vous le séparez en deux, prenant une moitié et Laissant l’autre, — ou si vous le partagez à l’amiable entre une autre personne et vous, — ce péché, qui étoit déjà peu de chose, se réduira bientôt à rien. »

« Or, je ne vois aucun péché à dire bou cent fois, mille fois de suite ; de même qu’il n’y a rien de malhonnête à prononcer la seconde syllabe isolée, fut-ce depuis les matines jusqu’aux vêpres. — Ainsi, ma chère fille, continua l’abbesse des Andouillettes, je dirai bou, tu me répondras, je reprendrai ; et ainsi de suite alternativement. — Et comme il n’y a pas plus de mal à dire fou qu’à dire bou, — tu entonneras fou, et moi j’achèverai le mot en guise de répons, comme aux versets de nos complies. — » — L’abbesse toussa, donna le ton, Marguerite suivit ; et il en résulta le plus étrange duo dont les fastes monastiques aient jamais fait mention.

« Bou — bou — bou — bou, disoit l’abbesse. » —

Il n’est personne un peu instruite qui ne sache ce que répondoit Marguerite.

« Fou — fou — fou — fou, disoit Marguerite. » —

Je lis dans vos yeux, mademoiselle, qu’au besoin vous auriez pu achever le mot pour l’abbesse.

À peine l’abbesse et Marguerite eurent-elles commencé leur psalmodie, que les deux mules, croyant reconnoître une musique qui leur étoit familière, remuèrent la queue, mais sans avancer d’un pas. — La recette opère, dit la novice. — Il faut recommencer dit l’abbesse ; — et le duo reprit…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’abbesse — b — b — b — b —

Marguerite g — g — g — g —

« Plus vîte, dit Marguerite. »

Marguerite — f — f — f — f

L’abbesse — t — t — t — t.

« Plus vîte encore, dit Marguerite ; — f-f-f-f-f. »

L’Abbesse -t-t-t-t-t.

« Encore plus vîte, — prestissimò, ma chère mère…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ô ciel ! je n’en puis plus, dit l’abbesse toute essoufflée. Le Seigneur ait pitié de nous ! — les maudites bêtes ne nous entendent pas, dit Marguerite en soupirant. — Mais le diable nous a entendues, dit l’abbesse des Andouillettes. »