Vie et opinions de Tristram Shandy/4/21

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 59-61).



CHAPITRE XXI.

La paix est faite.


Voyant que le commis de la poste vouloit décidément avoir ses six livres quatre sols, tout ce qui me restoit à faire étoit de lui dire quelque chose d’assez piquant pour valoir à-peu-près mon argent.

Voici donc comment je m’y pris.

« Dites-moi, de grâce, monsieur le commis, par quelle courtoisie, et en vertu de quelle loi, vous traitez un pauvre étranger sans défense tout justement à rebours d’un François ? » —

« J’en suis bien éloigné, me dit-il. » —

« Pardonnez-moi, dis je, monsieur, vous avez commencé par déchirer mes culottes, et à-présent vous me demandez mes poches. — Au lieu que si vous aviez d’abord pris mes poches, et que vous m’eussiez ensuite laissé aller sans culottes, je n’aurois rien à dire. —

» Mais la façon dont on me traite est contraire à la loi de nature, — contraire à la loi de raison, — contraire à la loi de l’évangile. » —

« Mais non pas contraire à ceci, dit-il, en me présentant un papier imprimé. »


DE PAR LE ROI.


« Voilà, dis-je, un préambule touchant ! » Et je me mis à lire…

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… « J’entends, dis-je, après avoir parcouru sa pancarte ; — c’est-à-dire, qu’un homme qui part de Paris en chaise de poste, est obligé de voyager ainsi tout le reste de sa vie, ou de payer l’amende. — Excusez-moi, dit le commis ; ce n’est pas là l’esprit de l’ordonnance. Mais que si vous partez avec le projet d’aller en poste de Paris à Avignon, vous ne pouvez changer d’avis ni prendre une autre manière de voyager, sans payer au préalable aux fermiers des postes plus loin que celle où le repentir vous prend, et cela est fondé, continua-t-il, sur ce qu’il ne faut pas que les revenus du roi souffrent de votre légèreté. » —

« Oh ! par le ciel, m’écriai-je ! si on taxe la légèreté en France, ce que j’ai de mieux à faire c’est de conclure avec vous la meilleure paix que je pourrai. »

Et la paix fut ainsi faite. —

Et si elle ne vaut rien, comme c’est Tristram Shandy qui en a rédigé les articles, Tristram Shandy mérite seul d’être pendu.