Vie et opinions de Tristram Shandy/4/46

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 112-113).



CHAPITRE XLVI.

Relique de mon oncle Tobie.


On conçoit aisément que mistriss Wadman varioit ses attaques, à l’exemple de tous les généraux dont l’histoire fourmille ; et par les mêmes motifs qu’eux : — un observateur de l’ordre commun auroit eu peine à les reconnoître pour des attaques réelles ; ou tout au moins n’en auroit pas senti les différences ; mais ce n’est pas pour ces gens-là que j’écris. —

Je reviendrai un jour à ces attaques ; mais ce ne sera pas de quelques chapitres ; et alors je verrai à mettre un peu plus d’exactitude dans mes descriptions. Tout ce que j’ai à dire en ce moment sur ce sujet, c’est que dans une liasse de papiers originaux et de dessins que mon père avoit rassemblés, il y a un plan de Bouchain parfaitement conservé, et que je conserverai soigneusement, tant que je serai en état de conserver quelque chose. — Sur un des coins d’en-bas, et à main droite, on voit encore les marques de tabac d’un pouce et d’un premier doigt : or, il y a tout à parier que ce pouce et ce premier doigt sont ceux de la veuve Wadman, d’autant que le coin opposé, qui sans doute étoit celui de mon oncle Tobie, est sans la moindre tache. — C’est assurément là un acte authentique d’une de ces attaques. On aperçoit vers le haut de la carte les vestiges de deux trous presque effacés, mais encore visibles : or, ces trous sont évidemment ceux des épingles qui attachoient la carte dans la guérite.

Par tout ce qu’il y a de sacré, j’estime plus cette précieuse relique avec ses stigmates, que toutes les reliques souvent apocryphes qu’on montre aux badauds ; — exceptant toujours, lorsque j’écris sur ces matières, les pointes qui entrèrent dans la chair de sainte Radegonde dans le désert ; pointes merveilleuses, que les religieuses de Cluny font voir à tous les passans, pour l’amour de Dieu.