Vie et opinions de Tristram Shandy/4/47

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 113-115).



CHAPITRE XLVII.

Hélas.


Voilà, dit Trim, tout ce que j’y peux faire. — Les fortifications sont entièrement rasées, et le bassin de Dunkerque est de niveau avec le mole. Avec la permission de Monsieur, je pense que tout est fini. — Je le pense de même, répondit mon oncle Tobie, avec un soupir à demi étouffé ; — mais va, Trim, va dans la salle chercher les articles du traité ; ils doivent être sur la table. » —

« Ils y ont été pendant plus de six semaines, dit le caporal ; mais ce matin la servante les a pris pour allumer le feu. » —

« Tout est donc fini, Trim, dit mon oncle Tobie ! la cour n’a plus besoin de nos services ! — Ô ciel, dit le caporal, tout est fini ! » En disant ces mots, il jette sa bêche dans la brouette avec l’air du désespoir le plus expressif qui puisse s’imaginer ; puis se retournant lentement, il ramasse sa pioche, sa pelle, ses piquets, et tout le reste de ses ustensiles militaires ; et il se disposoit à emporter le tout hors du boulingrin, — quand un hélas partit de la guérite, et se glissant à travers une petite fente du sapin, vint frapper son oreille du son le plus lamentable ; — il s’arrêta tout court.

« Non, dit le caporal en lui-même, je n’en ferai rien à l’heure qu’il est ; — il vaut mieux attendre à demain matin, avant que monsieur soit levé, pour que monsieur n’en voie rien. » Le caporal prit sa bêche dans sa brouette, avec un peu de terre dessus, comme s’il eût eu à combler un petit trou au pied du glacis, mais réellement pour se rapprocher de son maître et tâcher de le distraire. — Il leva une motte ou deux, les tailla, les façonna avec sa bêche ; — enfin il s’assit aux pieds de mon oncle Tobie, et commença ainsi.