Vie et opinions de Tristram Shandy/4/68

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 188-190).



CHAPITRE LXVIII.

Il hésite.


« Elle ne peut pas, caporal, dit mon oncle Tobie, faisant halte quand ils furent à vingt pas de la porte de Mistriss Wadman, — elle ne peut pas s’en offenser. » —

« Non plus, dit le caporal, que la veuve du Juif à Lisbonne ne s’offensa de la visite de mon frère Thomas. » —

« Et comment la prit-elle, dit mon oncle Tobie, se retournant vers le caporal ? » —

« Monsieur connoît, répliqua le caporal, les malheurs de Tom ; mais ceci n’y a aucun rapport : sinon que le pauvre Tom n’avoit pas épousé la veuve, ou si Dieu eût permis qu’après leur mariage ils n’eussent mis dans leurs saucisses que de la chair de porc, le malheureux n’auroit pas été enlevé dans son lit et traîné à l’inquisition. — C’est une épouvantable chose que l’inquisition, ajouta le caporal ; quand une fois un pauvre homme y est renfermé, monsieur sait bien que c’est pour sa vie. » —

« Hélas ! oui, dit mon oncle Tobie d’un air rêveur, et les yeux fixés sur la porte de la veuve Wadman. » —

« Et qu’y a-t-il d’aussi affreux qu’une éternelle prison ? — Qu’y a-t-il d’aussi doux que la liberté ? — Rien au monde, Trim, dit mon oncle Tobie toujours d’un air rêveur. »

« Tant qu’un homme est libre, s’écria le caporal… » Et en même-temps il fit avec son bâton le moulinet par-dessus sa tête, à-peu-près en cette manière :



— Un million de syllogismes les plus subtils de mon père, n’en auroit pas dit davantage en faveur du célibat.

— Mon oncle Tobie jeta un regard pensif vers sa chaumière et son boulingrin. —

Le caporal, avec sa baguette, avoit imprudemment évoqué l’esprit de calcul ; il se dépêcha de le conjurer, en poursuivant son histoire en manière d’exorcisme, lequel ne se trouve dans aucun rituel que je connoisse.