Vie et opinions de Tristram Shandy/4/67

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 186-187).



CHAPITRE LXVII.

Il tremble.


Mon oncle Tobie retourna la tête plus de dix fois, pour voir si le caporal se tenoit prêt à le soutenir ; et autant de fois le caporal fit un petit moulinet de son bâton, non pas d’un air avantageux, mais avec l’accent le plus doux du plus respectueux encouragement, comme pour dire à son maître : ne craignez rien.

Son maître se mourroit de peur. —

Il ne savoit pas distinguer, ainsi que mon père le lui avoit reproché, le bon côté d’une femme de son mauvais côté. Aussi n’avoit-il jamais été à son aise auprès d’aucune d’elles ; — sauf dans les momens d’affliction. Car alors sa pitié étoit extrême ; et le chevalier le plus courtois de la chevalerie errante n’auroit pas fait plus de chemin que mon oncle Tobie, tout boiteux qu’il étoit, pour essuyer une larme de l’œil d’une femme. — Et cependant, excepté l’occasion où Mistriss Wadman avoit abusé de sa bonne foi, il n’avoit jamais osé arrêter ses regards sur l’œil d’aucune femme.

Il disoit souvent à mon père, dans l’admirable simplicité de son cœur, que fixer une femme, c’étoit presque (sinon tout-à-fait) la même chose que de lui tenir un propos obscène.

« — Et quand cela seroit, disoit mon père. »