Vieilles bonnes chansons

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Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 68-72).
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VIEILLES
« BONNES CHANSONS »[1]

1869-1870.

VŒU FINAL

I


Ô l’Innocente que j’adore
De tout mon cœur, en attendant
Qu’à ce bonheur timide encore
S’ajoute le Plaisir ardent,

Vienne l’instant, ô Innocente,
Où, sous mes mains libres enfin,
Tombera l’armure impuissante
De la robe et du linge fin ;


Et luise au jour chaud de la lampe
Intime de ce premier soir,
Ton corps ingénu vers quoi rampe
Mon désir guettant son espoir,

Et vibre en la nuit nuptiale,
Sous mon baiser jamais transi,
Ta chair naguère virginale,
Nuptiale alors, elle aussi !

L’ÉCOLIÈRE

II


Je t’apprendrai, chère petite,
Ce qu’il te fallait savoir peu
Jusqu’à ce présent où palpite
Ton beau corps dans mes bras de dieu :

Ta chair si délicate est blanche,
Telle la neige et tel le lys ;
Ton sein aux veines de pervenche
Se dresse en deux arcs accomplis ;

Quant à ta bouche, rose unique,
Elle appelle mon baiser fier ;
Mais sous le pli de la tunique,
Rit un baiser encor plus cher.


Tu passeras d’humble écolière,
J’en suis sûr et je t’en réponds,
Bien vite au rang de bachelière
Dans l’art d’aimer les instants bons.

À PROPOS D’UN MOT NAÏF D’ELLE

III


Tu parles d’avoir un enfant
Et n’as qu’à moitié la recette.
Nous baiser sur la bouche, avant,
Est utile, certes, à cette
Besogne d’avoir un enfant.

Mais, dût-s’en voir à tort marri
L’idéal pur qui te réclame,
En ce monde mal équarri,
Il te faut être, en sus, ma femme
Et moi me prouver ton mari.

  1. Ces trois pièces sont écrites de la main de Verlaine sur papier d’hôpital, sans autre indication de date que ce 1869-1870. Pourtant ce ne doit pas être une copie d’anciens vers car il y a des corrections et des surcharges. Le papier d’hôpital porte la mention de série Be-24, la même que la feuille où est écrite le Frontispice pour un livre nouveau qui, lui, est daté du 7 septembre 1894, hôpital Bichat. Ces trois pièces ont donc été faites ou récrites de mémoire vers Septembre 1894. Elles sont destinées au volume : Varia.