Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres/7/Zénon de Citium

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J. H. Schneider, Libraire (Tome IIp. 74-174).
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Livre VII


LIVRE VII.

ZENON.



Zenon, fils de Mnasée, ou de Demée, étoit de Cittie en Chypre. C’est une petite ville grecque, où s’étoit établie une Colonie de Phéniciens. Il avoit le cou un peu penché d’un côté, suivant Timothée l’Athénien dans son livre des Vies. Apollonius Tyrien nous le dépeint mince de corps, assez haut de taille & basané ; ce qui fut cause que quelqu’un le surnomma Sarment d’Égypte, dit Chrysippe dans le premier de ses Proverbes. Il avoit les jambes grosses, lâches & foibles ; aussi évitoit-il la plûpart du tems les repas, selon le témoignage de Persée dans ses Commentaires de Table. Il aimoit beaucoup, Page:Diogène Laërce - Vies - tome 2.djvu/97 dit-on, les figues vertes, & à se chauffer au soleil.

Nous avons fait mention qu’il eut Cratès pour Maître. On veut qu’ensuite il prit les leçons de Stilpon, & que pendant dix ans il fut auditeur de Xénocrate, au rapport de Timocrate dans Dion. Polémon est encore un Philosophe, dont il fréquenta l’école. Hécaton, & Apollonius Tyren, dans le premier livre sur Zénon, rapportent que ce Philosophe ayant consulté l’oracle pour savoir quel étoit le meilleur genre de vie qu’il pût embrasser, il lui fut répondu que c’étoit celui qui le ferait converser avec les morts. Il comprit le sens de l’oracle, & s’appliqua à la lecture des Anciens. Voici comment il entra en connaissance avec Cratès. Il avoit négocié de la pourpre en Phénicie, qu’il perdit dans un naufrage près du Pirée. Pour lors déjà âgé de trente ans, il vint à Athènes, où il s’assit auprès de la boutique d’un Libraire, qui lisait le second livre des Commentaire de Xénophon. Touché de ce sujet, il demanda où se tenoient ces hommes-là. Le hasard voulut que Cratès vînt à passer dans ce moment. Le Libraire le montra à Zénon, & lui dit : ,, Vous n’avez qu’à suivre celui-là''. Depuis lors il devint disciple de Cratès ; mais quoiqu’il fût d’ailleurs propre à la Philosophie, il avoit trop de modestie pour s’accoutumer au mépris que les Philosophes Cyniques faisoient de la honte. Cratès, voulant l’en guérir, lui donna à porter un pot de lentilles à la place Céramique. Il remarqua qu’il se couvrait le visage de honte, il cassa d’un coup de son bâton le pot qu’il portait ; de sorte que les lentilles se répandirent sur lui. Aussitôt Zénon prit la fuite, & Cratès lui cria : Pourquoi t’enfuis-tu petit Phénicien ? Tu n’as reçu aucun mal. Néanmoins cela fut cause qu’il quitta Cratès quelque temps après.

Ce fut alors qu’il écrivit son Traité de la République, dont quelques-uns disent, en badinant, qu’il l’avoit composé sous la queue de Chien[1]. Il fit aussi d’autre ouvrages ; sur la Vie, conforme à la Nature ; sur les Inclinations, ou sur la Nature de l’Homme ; sur les Passions ; sur le Devoir ; sur la Loi, sur l’Érudition Grecque ; sur la Vue ; sur l’Univers ; sur les Signes ; sur les Sentiments de Pythagore ; sur les Préceptes généraux ; sur la Diction ; cinq Questions sur Homère ; de la Lecture des poètes, outre un Art de Solutions, & des Arguments, au nombre de deux traités ; des Commentaires, & la Morale de Cratès. C’est à quoi se réduisent ses œuvres.

Enfin il quitta Cratès, & fut ensuite pendant vingt ans disciple des Philosophes dont nous avons parlé ; à propos de quoi on rapporte qu’il dit, J’arrivai à bon port lorsque je fis naufrage. D’autres veulent qu’il se soit énoncé en ces termes à l’honneur de Cratès ; d’autres encore qu’ayant appris le naufrage de ses marchandises pendant qu’il demeurait à Athènes, il dit : La fortune fait fort bien, puisqu’elle me conduit par là à l’étude de la Philosophie. Enfin on prétend aussi qu’il vendit ses marchandises à Athènes, & qu’il s’occupa ensuite de la Philosophie.

Il choisit donc le Portique, appelé Pacile[2], qu’on nommait aussi Pisianaetée. Le premier de ces noms fut donné au Portique à cause des diverses peintures dont Polygnote l’avoit enrichi ; mais sous les trente Tyrans mille quatre cents citoyens y avoient été mis à mort. Zénon, voulant effacer l’odieux de cet endroit, le choisit pour y tenir ses discours. Ses disciples y vinrent l’écoute, & furent pour cette raison appelés Stoïciens, aussi-bien que ceux qui suivirent leurs opinions. Auparavant, dit Épicure des ses Lettres, on les distinguait sous le nom de Zénoniens. On comprenait même antérieurement sous la dénomination de Stoïciens les poètes qui fréquentoient cet endroit, comme le rapporte Ératosthène dans le huitième livre de son Traité de l’Ancienne Comédie ; mais les disciples de Zénon rendirent ce nom encore plus illustre. Au reste les Athéniens eurent tant d’estime pour ce Philosophe, qu’ils déposèrent chez lui les clefs de leur ville, l’honorèrent d’un couronne d’or & lui dressèrent une statue d’airain. Ses compatriotes en firent autant, persuadés qu’un pareil monument, érigé à un si grand homme, leur serait honorable. Les Cittiens imitèrent leur exemple ; & Antigone lui-même lui accorda sa bienveillance. Il alla l’écouter lorsqu’il vint à Athènes, & le pria avec insistance de venir le voir ; ce qu’il refusa. Zénon lui envoya Persée, l’un de ses amis, fils de Démétrius & Cittien de naissance, qui fleurissait vers la CXXXe Olympiade, temps auquel le Philosophe étoit déjà sur l’âge. Apollonius de Tyr, dans ses Écrits sur Zénon, nous a conservé la lettre qu’Antigone lui écrivit.

Le Roi Antigone au Philosophe Zénon, salut.

,, Du côté de la fortune & de la gloire, je crois que la vie, que je mène, vaut mieux que la vôtre ; mais je ne doute pas que je ne vous sois inférieur, si je considère l’usage que vous faites de la raison, les lumières qui vous sont acquises, & le vrai bonheur dont vous jouissez. Ces raisons m’engagent à vous prier de vous rendre auprès de moi, & je me flatte que vous ne ferez point de difficulté de consentir à ma demande. Levez donc tous les obstacles qui pourroient vous empêcher de lier commerce avec moi. Considérez surtout que non seulement vous deviendrez mon maître ; mais que vous serez en même temps celui de tous les Macédoniens, mes sujets. En instruisant leur Roi, en le portant à la vertu, vous leur donnerez en ma personne un modèle à suivre pour se conduire selon l’équité & la raison, puisque tel est celui qui commande, tels sont ordinairement ceux qui obéissent''

Zénon lui répondit en ces termes :

Zénon au Roi Antigone, salut.

,,Je reconnais avec plaisir l’empressement que vous avez de vous instruire & d’acquérir de solides connaissances qui vous soient utiles, sans vous borner à une science vulgaire, dont l"étude n’est propre qu’à dérégler les mœurs. Celui qui se donne à la Philosophie, qui a soin d’éviter cette volupté si commune, si capable d’émousser l’esprit de la jeunesse, anoblit ses sentiments, je ne dis par inclination naturelle, mais aussi par principe. Au reste, quand un heureux naturel est soutenu par l’exercice, & fortifié par une bonne instruction, il ne tarde pas à se faire une parfaite notion de la vertu. Pour moi, qui succombe à la faiblesse du corps, fruit d’une vieillesse de quatre-vingts ans, je crois pouvoir me dispenser de me rendre auprès de votre personne. Souffrez donc que je substitue à ma place quelque-uns de mes Compagnons d’étude, qui me surpassent pour la vigueur du corps. Si vous les fréquentez, j’ose me promettre que vous ne manquerez d’aucun des secours qui peuvent vous rendre parfaitement heureux''.

Ceux, que Zénon envoya à Antigone, furent Persée, & Philonide Thébain. Épicure a parlé d’eux, comme d’amis de ce Roi, dans sa lettre à son frère Aristobule[3].

Il me paraît à propos d’ajouter ici le Décret que rendirent les Athéniens à l’honneur de Zénon ; le voici.

Décret.

Sous l’Archontat d’Arrenidas, la Tribu d’Acamantis, la cinquième en tour, exerçant le Pritanéat, la troisième dizaine de jours du mois de Septembre, le vingt-troisième du Pritanéat courant, l’Assemblée principale des Présidens a pris ses conclusions sous la présidence d’hippo, fils de Cratistotele , de Xympetéon & leurs Collègues ; Thrason, fils de Thrason du bourg d’Anacaïe, disant ce qui suit :

,, Comme Zénon, fils de Mnasée, Cittien de naissance, a employé plusieurs années dans cette ville à cultiver la Philosophie ; qu’il s’est montré homme de bien dans toutes les autres choses auxquelles il s’est adonné ; qu’Il a exhorté à la vertu & à la sagesse les jeunes gens qui venoient prendre ses instructions ; & qu’il a excité tout le monde à bien faire par l’exemple de sa propre vie, toujours conforme à sa doctrine, le Peuple a jugé, sous de favorables auspices, devoir récompenser Zénon Cittien, fils de Mnasée, & le couronner avec justice d’une Couronne d’or pour sa vertu & sa sagesse. De plus, il a été résolu de lui élever une tombe publique dans la place Céramique, cinq hommes d’Athènes étant désignés, avec ordre de fabriquer la Couronne & de construire la tombe. Le présent Décret sera couché par l’Écrivain sur deux Colonnes, dont il pourra en dresser une dans l’Académie, & l’autre dans le Lycée. Les dépenses de ces Colonnes se feront par l’Administrateur des deniers publics, afin que tout le monde sache que les Athéniens honorent les gens de bien, autant pendant leur vie qu’après leur mort''. Les personnes, choisies pour la construction de ces monuments, furent Thrason du bourg d’Anacaïe, Philoclès du Pirée, Phèdre du bourg d’Anaplyste, Melon du bourg d’Acharne, Mycythus du bourg de Sypallète, & Dion du bourg de Pæanie.

Antigone de Caryste dit qu’il ne céla point sa patrie ; qu’au contraire, comme il fut un de ceux qui contribuèrent à la réparation du bain, son nom ayant été écrit sur une Colonne de cette manière, Zénon le Philosophe, il voulut qu’on y ajoutât le mot Cittien. Un jour il prit le couvercle d’un vaisseau où l’on mettait l’huile pour les Athlètes, & après l’avoir creusé, il le porta partout pour y recueillir l’argent qu’il collectait en faveur de son Maître Cratès. On assure que lorsqu’il vint en Grèce, il étoit riche de plus de mille talents, qu’il prêtait à intérêt aux gens qui alloient sur mer.

Il se nourrissait de petits pains, de miel & d’un peu de vin aromatique. Il ne faisait guère d’attention aux filles, & ne se servit qu’une ou deux fois d’une servante, afin de n’avoir pas le nom de haïr les femmes. Lui & Persée habitoient une même maison, où celui-ci ayant quelque jour introduit auprès de lui une joueuse de flûte, il la tira de là & la reconduisit à celui qui la lui avoit envoyée. Il étoit fort accommodant ; aussi le Roi Antigone venait souvent souper chez lui, ou le menait souper chez Aristoclée le Musicien ; liaison à laquelle il renonça dans la suite.

On dit qu’il évitait d’assembler beaucoup de monde autour de lui, & que pour se débarrasser de la foule, il s’asseyait au haut de l’escalier[4]. Il ne se promenait guère qu’avec deux ou trois personnes, & exigeait quelquefois un denier de ceux qui l’entouroient, afin d’écarter la multitude, comme le rapporte Cléanthe dans son Traité de l’Airain. Un jour que la presse étoit fort grande, il montra aux assistants la balustrade de bois d’un Autel au haut du Portique, & leur dit : Autrefois ceci en faisait le milieu ; mais comme on en recevait de l’embarras, on le transposa dans un endroit séparé : de même si vous vous ôtiez du milieu d’ici, vous nous embarrasseriez moins.

Démochare, fils de Lachès, vint le saluer, & lui demanda s’il avoit quelque commission à lui donner pour Antigone, qui se ferait un plaisir de l’obliger. Ce compliment lui déplut si fort que depuis ce moment il rompit tout commerce avec lui. On rapporte aussi qu’après la mort de Zénon, Antigone dit qu’il avoit perdu en lui un homme qu’il ne pouvait assez admirer, & qu’il envoya Thrason aux Athéniens pour les prier d’enterrer le corps du Philosophe dans la place Céramique. On demandait à ce Prince pourquoi il admirait tant Zénon. Il répondit que c’étoit parce que ce Philosophe, malgré les grands présents qu’il avoit reçus de lui, n’en étoit devenu ni plus orgueilleux, ni plus humilié.

Zénon étoit fort curieux, & apportait beaucoup de soin à ses recherches. De là vient que Timon, dans ses Vers Satyriques, l’apostrophe en ces termes :

J’ai vu une vieille goulue de Phénicienne à l’ombre de son orgueil, avide de tout ; mais ne retenant rien, non plus qu’un petit panier percé, & ayant moins d’esprit qu’un violon[5].

Il étudiait avec Philon le Dialecticien. Comme étant jeune, il disputait assidûment avec lui, cette fréquentation l’accoutuma à n’avoir pas moins d’admiration pour ce compagnon d’étude que pour Diodore son Maître[6].

Zénon avoit souvent autour de lui des gens mal-propres & mal vêtus ; ce qui donna occasion à Timon de l’accuser qu’il aimait à attrouper tout ce qui se trouvait de gens pauvres & inutiles dans la ville. Il avoit l’air triste & chagrin, ridait le front, tirait la bouche, & paraissait fort grossier. Il étoit d’une étrange lésine, mais qu’il traitait de bonne économie. Il reprenait les gens d’une manière concise & modérée, en amenant la chose de loin. Par exemple, il dit à un homme, fort affecté, qui passait lentement par-dessus un égout, Il a raison de craindre la boue ; car il n’y a pas moyen de s’y mirer. Un Philosophe Cynique, n’ayant plus d’huile dans sa fiole, vint le prier de lui en donner. Il lui en refusa, & comme il s’en allait, il lui dit de considérer qui des deux étoit le plus effronté. Un jour qu’Il se sentait de la disposition à la volupté, & qu’il étoit assis avec Cléanthe auprès de Chrémonide, il se leva tout à coup. Cléanthe en ayant marqué de la surprise, J’ai appris, dit-il, que les bons Médecins, ne trouvent point de meilleur remède que le repos contre les inflammations. Il étoit couché à un repas au-dessus de deux personnes, dont l’une poussait l’autre du pied. S’en étant aperçu, il se mit aussi à pousser de genou, & dit à celui qui se retourna sur lui : Si cela vous incommode, combien n’incommodez-vous pas votre voisin ? Un homme aimait beaucoup les enfants. Sachez, lui dit Zénon, que les Maîtres, qui sont toujours avec les enfants, n’ont pas plus d’esprit qu’eux. Il disait que ceux, dont les discours étoient bien rangés, coulants & sans défaut, ressembloient à la monnaie d’Alexandrie, qui quoique belle & bien marquée, n’en étoit pas moins de mauvais aloi : au-lieu que les propos d’autres, où il n’y avoit ni suite, ni exactitude, étoient comparables aux pièces Attiques de quatre drachmes. Il ajoutait que la négligence surpassait quelquefois l’ornement dans les expressions, & que souvent la simplicité de l’élocution de l’un entraînait celui qui faisait choix de termes plus élevés. Un jour qu’Ariston, son disciple, énonçait mal certaines choses, quelques-unes hardiment, & d’autres avec précipitation : Il faut croire, lui dit-il, que votre père vous a engendré dans un moment d’ivresse. Il l’appelait babillard, avec autant plus de raison qu’il étoit lui-même fort laconique. Il se trouva à dîner avec un grand gourmand qui avalait tout, sans rien laisser aux autres. On servit un gros poisson, il le tira vers lui comme s’il avoit voulu le manger seul, & l’autre l’ayant regardé, il lui dit : Si vous ne pouvez un seul jour souffrir ma gourmandise, combien pensez-vous que la vôtre doive journellement déplaire à vos camarades ? Un jeune garçon faisait des questions plus curieuses que ne comportait son âge. IL le mena vis-à-vis d’un miroir ; Voyez lui dit-il, regardez-vous, & jugez si vos questions sont assorties à votre jeunesse. quelqu’un trouvoit à redire à plusieurs pensées d’Antisthene. Zénon lui présenta un Discours de Sophocle, & lui demanda s’il ne croyoit pas qu’il contînt de belles & bonnes choses. L’autre repondit qu’il n’en savoit rien. N’avez vous donc pas honte, reprit Zénon, de vous souvenir de ce qu’Antisthene peut avoir mal dit, & de négliger d’apprendre ce qu’on a dit de bon ? Un autre se plaignoit de la brièveté des discours des Philosophes. Vous avez raison, lui dit Zénon ; il faudroit même, s’il étoit possible, qu’ils abrégeassent jusqu’à leurs syllabes. Un troisième blâmoit Polémon de ce qu’il avoit coutume de prendre une matiere & d’en traiter une autre. À ce reproche il fronça le sourcil, & lui fit cette réponse : Il paroît que vous faisiez grand cas de ce qu’on vous donnoit[7]. Il disoit que celui, qui dispute de quelque chose, doit ressembler aux Comédiens, avoir la voix bonne & la poitrine forte ; mais ne pas trop ouvrir la bouche ; coutume ordinaire des grands parleurs, qui ne débitent que des fadaises. Il ajoutoit que ceux, qui parlent bien, avoient à imiter les bons Artisans, qui ne changent point de lieu pour se donner en spectacle, & que ceux, qui les écoutent, doivent être si attentifs, qu’ils n’ayent pas le temps de faire des remarques[8]. Un jeune homme, parlant beaucoup en sa présence, il l’interrompit par ces paroles : Mes oreilles se sont fondues dans ta langue[9]. Il répondit à un bel homme, qui ne pouvait se figurer que le Sage dût avoir de l’amour : Il n’y a rien de plus misérable que l’homme qui brille par la beauté du corps. Il accusait la plupart des Philosophes de manquer de sagesse dans les grandes choses, & d’expérience dans les petites, & qui sont sujettes au hasard. IL citait Daphesius sur ce qu’entendant un de ses disciples entonner un grand air de Musique, il lui donna un coup pour lui apprendre que ce n’est pas dans la grandeur d’une chose que consiste sa bonté ; mais que sa bonté est renfermée dans sa grandeur. Un jeune drôle disputait plus hardiment qu’il ne lui convenait, Jeune homme, lui dit Zénon, je ne te dirai pas ce que j’ai rencontré aujourd’hui. On raconte qu’un autre jeune homme Rhodien, beau, riche, mais qui n’avoit d’autre mérite de plus, vint se fourrer parmi ses disciples. Zénon, qui ne se souciait pas de le recevoir, le fit d’abord asseoir sur les degrés, qui étoient pleins de poussière, afin qu’Il y salît ses habits. Ensuite il le mit dans la place des pauvres, à dessein d’achever de gâter ses ajustements, jusqu’à ce qu’enfin le jeune homme, rebuté de ces façons, prit le parti de se retirer.

Il disoit que rien ne sied plus mal que l’orgueil, surtout aux jeunes gens, & qu’il ne suffit pas de retenir les phrases & les termes d’un bon discours ; mais qu’il faut s’appliquer à en saisir l’esprit, afin de ne pas le recevoir comme on avale un bouillon, ou quelque autre aliment. Il recommandait la bienséance aux jeunes gens dans leur démarche, leur air & leur habillement, & leur citait fréquemment ces vers d’Euripide sur Capanée.

Quoiqu’il eût de quoi vive, il ne s’enorgueillissait pas de sa fortune ; il n’avoit pas plus de vanité que n’en a un nécessiteux. Zénon soutenait que rien ne rend moins propre aux Sciences que la Poésie, & que le temps étoit de toutes les choses celle dont nous avons le plus besoin. Interrogé sur ce qu’est un ami, il dit que c’étoit un autre soi-même. On raconte qu’un esclave, qu’il punissait pour cause de vol, imputant cette mauvaise habitude à sa destinée, il répondit : Elle a aussi réglé que tu en serais puni. Il disoit que la beauté est l’agrément[10] de la voix ; d’autres veulent qu’il ait dit que la voix est l’agrément de la beauté. Le Domestique d’un de ses amis parut devant lui, tout meurtri de coups : Je vois, dit-il au Maître, les marques de votre passion. Examinant quelqu’un qui étoit parfumé, il s’informa qui étoit cet homme qui sentait la femme. Denys le Transfuge demandait à Zénon d’où vient qu’il étoit le seul à qui il n’adressât point de corrections ; il répondit que c’étoit parce qu’il n’avoit point de confiance en lui. Un jeune garçon parlait inconsidérément : Nous avons, lui dit-il, deux oreilles & une seule bouche, pour nous apprendre que nous devons beaucoup plus écouter que parler. Il assistait à un repas, où il ne disoit mot ; on voulut en savoir la raison : Afin, répondit-il, que vous rapportiez au Roi qu’il y a ici quelqu’un qui sait se taire. Il faut remarquer que ceux, à qui il faisait cette réponse, étoient venus exprès de la part de Ptolémée pour épier la conduite du Philosophe & en faire rapport à leur Prince. On demandait à Zénon comment il en agirait avec un homme qui l’accablerait d’injures : Comme avez un Envoyé que l’on congédie sans réponse, répliqua-t-il. Apollonius Tyrien rapporte que Cratès le tira par son habit pour l’empêcher de suivre Stilpon, & que Zénon lui dit : Cratès, on ne peut bien prendre les Philosophes que par l’oreille, Quand vous m’aurez persuadé, tirez-moi par là ; autrement si vous me faites violence, je serai bien présent de corps auprès de vous, mais j’aurai l’esprit auprès de Stilpon.

Hippobote dit qu’il conversa avec Diodore, sous lequel il s’appliqua à la Dialectique. Quoiqu’il y eût déjà fait de grands progrès, il ne laissoit pas, pour dompter son amour propre, de courir aux instructions de Polémon. On raconte qu’à cette occasion celui-ci lui dit : ,,En vain, Zénon, vous vous cachez ; nous savons que vous vous glissez ici par les portes de notre jardin pour dérober nos Dogmes, que vous habillez ensuite à la Phénicienne[11]''. Un dialecticien lui montra sept idées de Dialectique dans un Syllogisme, appellé mesurant[12]. Il lui demanda ce qu’il en voulait, & l’autre en ayant exigé cent drachmes, il en paya cent de plus, tant il étoit curieux de s’instruire.

On prétend qu’il est le premier qui employa le mot de devoir, & qu’il en fit un Traité. Il changea aussi deux vers d’Hérode de cette manière : Il faut approuver celui, qui s’instruit, de ce qu’il entend dire de bon, & plaindre celui qui veut tout apprendre par lui-même[13]. Il croyait en effet que tel, qui prêtait attention à ce que l’on disoit, & savoit en profiter, étoit plus louable que tel autre qui devait toutes ses idées à ses propres méditations, parce que celui-ci ne faisait paraître que de l’intelligence, au-lieu que celui-là, en se laissant persuader, joignait la pratique à l’intelligence. On lui demandait pourquoi lui, qui étoit si sérieux, s’égayait dans un repas. Les lupins, dit-il, quoiqu’amers, perdent leur amertume dans l’eau. Hécaton, dans le deuxième livre de ses Chries, confirme qu’Il se relâchait de son humeur dans ces sortes d’occasions, qu’il disoit qu’il valait mieux choir par les pieds que par la langue, & que quoiqu’un chose ne fût qu’à peu près bien faite, elle n’en étoit pas pour cela une de peu d’importance. D’autres donnent cette pensée à Socrate.

Zénon, dans sa manière de vivre, pratiquait la patience & la simplicité. Il se nourrissait de choses qui n’avoient pas besoins d’être cuites, & s’habillait légèrement. De là vient ce qu’on disoit de lui, que ni les rigueurs de l’hiver, ni les pluies, ni l’ardeur du soleil, ni les maladies accablantes, ni tout ce qu’on estime communément, ne purent jamais vaincre sa constance, laquelle égala toujours l’assiduité avec laquelle il s’attacha jour & nuit à l’étude.

Les poètes comiques même n’ont pas pris garde que leur traits envenimés tournoient à la louange, comme quand Philémon lui reproche dans une Comédie aux Philosophes :

Ses mets sont des figues, qu’il mange avec du pain ; sa boisson est l’eau claire. Ce genre de vie s’accorde avec une nouvelle Philosophie qu’il enseigne, & qui consiste à endurer la faim ; encore ne laisse-t-il pas de s’attirer des disciples.

D’autres attribuent ce vers à Posidippe. Au reste il est même presque passé en proverbe de dire : Plus tempérant que le Philosophe Zénon. Posidippe, dans sa Pièce intitulée, Ceux qui ont changé de lieu, dit : Dix fois plus sobre que Zénon.

En effet il surpassait tout le monde, tant du côté de la tempérance & de la gravité, qu’à l’égard de son grand âge, puisqu’il mourut âgé de quatre-vingt-dix-huit ans qu’il passa heureusement sans maladie, quoique Persée, dans ses Recréations Morales, ne lui donne que soixante-et-douze ans au temps de son décès. Il en avoit vingt-deux lorsqu’Il vint à Athènes, & présida à son école cinquante-huit ans, à ce que dit Apollonius. Voici quelle fut sa fin. En sortant de son école, il tomba & se cassa un doigt. Il se mit alors à frapper la terre de sa main, & après avoir proféré ce vers de la Tragédie de Niobé, Je viens, pourquoi m’appelles-tu ? il s’étrangle lui-même. Les Athéniens l’enterrèrent dans la place Céramique, & rendirent témoignage à sa vertu, en statuant à son honneur le décret dont nous avons parlé. L’épigramme suivante est celle qu’Antipater de Sidon composa à sa louange.

Ci-gît Zénon, qui fit les délices de Cittie sa patrie. Il est monté dans l’Olympe, non en mettant le mont Ossa sur le mont Pélion ; car ces travaux ne sont pas des effets de la vertu d’Hercule. La sagesse seule lui a servi de guide dans la route qui mène sans détour au Ciel.

Celle-ci est de Zénodote le Stoïcien, disciple de Diogène.

Zénon, toi dont le front chauve fait le plus bel ornement, tu as trouvé l’art de se suffire à soi-même dans le mépris d’une vaine richesse. Auteur d’une science mâle, ton génie a donné naissance à une secte, qui est la mère d’une courageuse indépendance. L’envie ne peut même te reprocher d’avoir eu la Phénicie pour patrie. Mais ne fut-elle pas celle de Cadmus, à qui la Grèce est redevable de la source où elle a puisé son érudition ? Athenée, poète Épigrammatiste, en a fait une sur tous les Stoïciens en général ; la voici :

Ô vous ! Auteurs des maximes stoïciennes, vous dont les saints ouvrages contiennent les plus excellentes vérités, que vous avez raison de dire que la vertu est le seul bien de l’âme ! Elle seule protège la vie des hommes, & garde les cités. Si d’autres regardent la volupté corporelle comme leur dernière fin ; ce n’est qu’une des Muses qui le leur a persuadé[14] Aux particularités de la mort du Philosophe j’ajouterai des vers de ma façon, insérés dans mon Recueil de vers de toutes sortes de mesures.

On varie sur le genre de mort de Zénon de Cittie. Les uns veulent qu’il finît sa vie, épuisé d’années ; les autres soutiennent qu’il la perdit pour s’être privé de nourriture, quelques autres encore prétendent que s’étant blessé par une chute, il frappa la terre de sa main & dit : ,,Je viens de moi-même, Ô mort ! pourquoi m’appelles-tu ? ''

En effet il y a des Auteurs, qui assurent qu’il mourut de cette dernière manière, & voilà ce qu’on a à dire sur la mort de ce Philosophe. Démétrius de Magnésie, dans son livre des Poètes de même nom, rapporte que Mnasée, père de Zénon, allait souvent à Athènes pour son négoce ; qu’il en rapportait des ouvrages philosophique des disciples de Socrate ; qu’Il les donnait à son fils ; que celui-ci, qui n’étoit encore qu’un enfant, prenait déjà dès lors du goût pour la Philosophie ; que cela fut cause qu’Il quitta sa patrie e vint à Athènes, où il s’attacha à Cratès. Le même Auteur ajoute qu’il est vraisemblable qu’il mit fin aux erreurs où l’on étoit tombé au sujet des Énonciations[15]. On dit aussi qu’il jurait par le Câprier[16], comme Socrate par le Chien. Il y a cependant des Auteurs, du nombre desquels est Cassius le Pyrrhonien, qui accusent Zénon, premièrement de ce qu’au commencement de sa République il avance que l’étude des Humanités est inutile ; en second lieu de ce qu’il déclare esclaves & étrangers, ennemis les uns des autres, tous ceux qui ne s’appliquent pas à la vertu, sans même exclure les parents à l’égard de leurs enfants, les frères à l’égard de leurs frères, & les proches, les uns à l’égard des autres. Ils l’accusent de plus d’assurer dans sa République qu’il n’y a que ceux, qui s’adonnent à la vertu, à qui appartienne réellement la qualité de parents, d’amis, de citoyens & de personnes libres ; de sorte que les Stoïciens haïssent leurs parents & leurs enfants qui ne font pas profession d’être sages. Un autre grief est d’avoir enseigné, comme Platon dans sa République, que les femmes doivent être communes, & d’avoir insinué dans un ouvrage, qui contient deux cents versets[17], qu’il ne faut avoir dans les villes ni Temples, ni Tribunaux de justice, ni Lieux d’exercice ; qu’il est à propos de ne pas se pourvoir d’argent, soit pour voyager, ou pour faire des échanges ; que les hommes & les femmes doivent s’habiller uniformément, sans laisser aucune partie du corps à découvert.

Chrysippe, dans son livre sur la République, atteste que celui de Zénon sous le même titre est de la composition de ce Philosophe. Il a aussi écrit sur l’amour dans le commencement d’un ouvrage, intitulé, de l’Art d’aimer. Il traite encore de pareils sujets dans ses Conversations, Quelques-uns de ces reproches, qu’on fait aux Stoïciens, se trouvent dans Cassius & dans le Rhéteur Isidore, qui dit, que le Stoïcien Athénodore, à qui on avoit confié la garde de la bibliothèque de Pergame, biffa des livres des Philosophes de la Secte tous les passages dignes de censure ; mais qu’ensuite ils furent restitués lorsqu’Athénodore, ayant été découvert, courut risque d’en être puni[18]. Voilà pour ce qui regarde les dogmes qu’on condamne dans les Stoïciens.

Il y a eu huit Zénons. Le premier est celui d’Élée, duquel nous parlerons ci-après. Le second est le Philosophe dont nous avons décrit la Vie. Le troisième, natif de Rhodes, a donné en un volume l’Histoire de son pays. Le quatrième, Historien, a traité de l’expédition de Pyrrhus en Italie & en Sicile, outre un Abrégé, qu’on a de lui, des Faits des Romains & des Carthaginois. Le cinquième, disciple de Chrysippe, a peu écrit, mais a laissé beaucoup de disciples. Le sixième, qui fut Médecin de la Secte d’Hérophile, avoit du génie, mais peu de capacité pour écrire. Le septième, Grammairien, a composé des Épigrammes & d’autres choses, Le huitième, natif de Sidon & Philosophe Épicurien, avoit tout à la fois de l’esprit & du talent pour l’élocution.

Zénon eut beaucoup de disciples, dont les plus célèbres furent Persée Cittien, & fils de Démetrius. Quelques-uns le font ami, d’autres domestique de Zénon, & l’un de ceux qu’Antigone lui avoit envoyés pour l’aider à écrire. On dit aussi que ce Prince lui confia l’éducation de son fils Alcyonée, & que voulant sonder ses sentiments, il lui fit porter la fausse nouvelle que les ennemis avoient ravagé ses terres. Comme Persée en témoignait du chagrin,,,Vous voyez, lui dit Antigone, que les richesses ne sont pas indifférentes''. On lui attribue les ouvrages suivants : De la Royauté. De la République de Lacédemone. Des Noces. De l’Impiété. Thyeste. De l’Amour. Des Discours d’exhortation. Des Conversations. Quatre Discours, intitulés, Chries. Des Commentaires, & sept Discours sur les Lois de Platon.

Zénon eut encore pour disciples Ariston de Chio, fils de Miltiade, lequel introduisit le dogme de l’Indifférence[19] ; Herille de Carthage qui établissait la science pour fin ; Denys d’Heraclée, qui changea de sentiment pour s’abandonner à la volupté, à cause d’un mal lui survenu aux yeux, dont la violence ne lui permettait plus de soutenir que la douleur est indifférente ; Spherus, natif de Bosphore ; Cléanthe d’Asse, fils de Phanius, qui succéda à l’école de son Maître. Zénon avoit coutume de le comparer à ces tablettes enduites de cire forte, sur lesquelles les caractères se tracent avec peine ; mais s’y conservent plus longtemps. Au reste après la mort de Zénon, Spherus devint disciple de Cléanthe, dans la Vie duquel nous nous réservons de parler de ce qui le regarde personnellement. Hippobote range au nombre des disciples de Zénon Athénodore de Soles, Philonide de Thèbes, Calippe de Corinthe, Posidonius d’Alexandrie & Zénon de Sidon.

J’ai cru qu’il étoit à propos d’exposer en général les dogmes des Stoïciens dans la Vie particulière de Zénon, puisqu’il en a institué la Secte. Nous avons une liste de ses ouvrages, qui sont plus savants que ceux de tous ses sectateurs. Voici les sentiments qu’ils tiennent en commun ; nous les rapporterons sommairement à notre ordinaire.

Les Stoïciens divisent la Philosophie en trois parties ; en Physique, Morale, & Logique. Cette division, faite premièrement par Zénon le Cittien dans son Traîté de Discours, a été ensuite adoptée par Chrysippe dans la première partie de sa Physique, par Apollodore Ephillus[20] dans le premier livre de son Introduction aux Opinions, par Eudromus dans ses Éléments de Morale, par Diogène de Babylone & par Psidonius. Apollodore donne à ces diverses parties de la Philosophie le nom de Lieux, Chrysippe & Eudromus celui d’Espèces ; d’autres les appellent Genres. Il comparent la Philosophie à un Animal, dont ils disent que les os & les nerfs sont la Logique, les chairs la Morale, & l’âme la Physique. Ils la mettent aussi en parallèle avec un œuf, dont ils appliquent l’extérieur à la Logique, ce qui suit à la Morale, & l’intérieur à la Physique. Ils emploient encore la comparaison d’un champ fertile, dont ils prennent figurément la haie pour la Logique, les fruits pour la Morale, & la terre ou les arbres pour la Physique. D’autres se représentent la Philosophie comme une Ville bien entourée de murailles & sagement gouvernée, sans donner la préférence à aucune des trois parties. Quelques-uns même parmi eux les prennent pour un mélange qui consiste un corps de science, & les enseignent indistinctement comme mêlées ensemble.

Il y en a qui, ainsi que Zénon dans son livre du Discours, Chrysippe, Archédème & Eudromus, admettent la Logique pour la première, la Physique pour la seconde & la Morale pour la troisième. Diogène de Ptolemaïs commence par la Morale, & Apollodore la place dans le second rang. Phanias, au premier livre des Amusements de Posidonius, dit que ce Philosophe son ami, de même que Panétius, commencent par la Physique. Des trois parties de la Philosophie Cléanthe en fait six, la Dialectique, la Rhétorique, la Morale, la Politique, la Physique & la Théologie. D’autres sont du sentiment de Zénon de Tarse, qui regarde ces parties, non comme une division de discours ; mais comme différentes branches de la Philosophie elle-même.

La plupart partagent la Logique en deux sciences, dont l’une est la Rhétorique, & l’autre la Dialectique, à quoi quelques-uns ajoutent une espèce de science définie, qui a pour objet les règles & les jugements ; mais que quelques autres divisent de nouveau, en tant que concernant les règles & les jugements, elle conduit à découvrir la vérité, à laquelle ils rapportent la diversité des opinions. Ils se servent de cette science définie pour reconnaître la vérité, parce que c’est par les idées qu’on a des choses, que se conçoivent les choses mêmes. Les Stoïciens appellent la Rhétorique L’Art de bien dire & de persuader, & nomment la Dialectique La méthode de raisonner proprement par demandes & réponses ; aussi la définissent-ils de cette manière : La science de connaître le vrai & le faux, & ce qui n’est ni l’un ni l’autre[21]. Ils assignent à la Rhétorique trois parties, qui consistent à délibérer, à juger & à démontrer. Ils y distinguent l’invention, l’expression, l’arrangement, l’action, & partagent un discours oratoire en exorde, narration, réfutation & conclusion. Ils établissent dans la Dialectique une division en choses dont la figure porte la signification, & en d’autres dont la connaissance gît dans la voix[22], celles-ci étant encore divisées en choses déguisées sous la fiction & dont le sens dépend de termes propres d’attributs & d’autres choses semblables, de genres & d’espèces directes, de même que du discours, des modes & des syllogisme, tant de ceux de mots que de ceux de choses, tels que les arguments vrais & faux, les négatifs & leurs pareils, les défectueux, les ambigus, les concluants, les cachés & les cornus, les impersonnels & les mesurants[23]. Suivant ce que nous venons de dire de la voix, ils en font un lieu particulier de la Dialectique, fondés sur ce que par l’articulation on démontre certaines parties du raisonnement, les solécismes, les barbarismes, les vers, les équivoques, l’usage de la voix dans le chant, la Musique, & selon quelques-uns, les périodes, les divisions & les distinctions.

Ils vantent beaucoup les Syllogismes pour leur grande utilité, en ce qu’aiguisant l’esprit, ils leur ouvrent le chemin aux démonstrations, qui contribuent beaucoup à rectifier les sentiments. Ils ajoutent que l’arrangement & la mémoire aident à débrouiller de savantes propositions majeures[24] ; que ces sortes de raisonnements sont propres à forcer le consentement & à former des conclusions ; que le Syllogisme est un discours raisonné & fondé sur ces principes ; la démonstration, un discours où l’on rassemble tout ce qui tend à inférer des choses qui sont plus connues, des conséquences pour les choses qui le sont moins ; l’imagination[25], une impression dans l’âme, par comparaison de l’empreinte d’un anneau sur la cire. Selon eux, il y a deux sortes d’imaginations ; celles que l’on saisit, & celles qu’on ne peut saisir[26]. Les imaginations de la première espèce, à laquelle ils rapportent la connaissance des choses, sont produites par un objet existant, dont l’image s’imprime suivant ce qu’il est en effet. Les imaginations de l’autre espèce ne naissent point d’un objet qui existe, ou dont, quoique existant, l’esprit ne reçoit pas d’impression conforme à ce qu’il est réellement.

Les Stoïciens tiennent la Dialectique pour une science absolument nécessaire, laquelle, à leur avis, comprend la vertu en général & tous ses degrés en particulier ; la circonspection à éviter les fautes, & à savoir quand on doit acquiescer, ou non ; l’attention à suspendre son jugement, & à s’empêcher qu’on ne cède à la vraisemblance ; la résistance à la conviction, de crainte qu’on ne se laisse enlacer par les arguments contraires ; l’éloignement pour la fausseté, & l’assujettissement de l’esprit à la saine raison. Ils définissent la science elle-même, ou une compréhension certaine, ou une disposition à ne point s’écarter de la raison dans l’exercice de l’imagination. Ils soutiennent que le Sage ne saurait faire un bon usage de la raison sans le secours de la Dialectique ; que c’est elle qui nous apprend à démêler le vrai & le faux, à discerner les vraisemblable, & à développer ce qui est ambigu ; qu’indépendamment d’elle, nous ne saurions ni proposer de solides questions, ni rendre de pertinentes réponses ; que ce dérèglement dans le discours s’étend jusqu’aux effets qu’il produit, de manière que ceux, qui n’ont pas soin d’exercer leur imagination, n’avancent que des absurdités & des vétilles ; qu’en un mot ce n’est qu’à l’aide de la Dialectique que le Sage peut se faire un fond de sagacité, de finesse d’esprit & de tout ce qui donne du poids aux discours, puisque le propre du Sage est de bien parler, de bien penser, de bien raisonner sur un sujet, & de répondre solidement à une question ; autant de choses qui appartiennent à un homme versé dans la Dialectique. Voilà en abrégé ce que pensent ces Philosophes sur les parties qui entrent dans la Logique. Mais pour dire encore en détail ce qui touche leur science introductrice, nous rapporterons mot à mot ce qu’en dit Dioclès de Magnésie dans sa Narration sur les Philosophes.

Les Stoïciens traitent premièrement de ce qui regarde l’entendement & les sens, en tant que le moyen, par lequel on parvient à connaître la vérité des choses, est originairement l’imagination, & en tant que l’acquiescement ; la compréhension & l’intelligence des choses, qui va devant tout le reste, ne peuvent se faire sans l’opération de cette faculté. C’est elle qui précède ; ensuite vient l’entendement, dont la fonction est d’exprimer par le discours les idées qu’il reçoit de l’imagination.

Au reste elle diffère d’une impression fantastique. Celle-ci n’est qu’une opinion de l’esprit comme sont les idées qu’on a dans le sommeil ; au-lieu que l’autre est une impression dans l’âme, qui emporte un changement, comme l’établit Chrysippe dans son douzième livre de lÂme : car il ne faut point considérer cette impression comme si elle ressemblait à celle que fait un cachet, parce qu’il est impossible qu’il se fasse plusieurs impressions par une même chose sur le même sujet. On entend par imagination, celle produite par un objet existant, imprimée & scellée dans l’âme de la manière dont il existe ; or telle n’est pas l’imagination qui naîtrait d’un objet non-existant. Les Stoïciens distinguent les impressions de l’imagination en celles qui sont sensibles, & celles qui ne le sont point. Les premières nous viennent par le sens commun[27], ou par les organes particuliers des sens. Les impressions non-sensibles de l’imagination sont formées par l’esprit, comme sont les idées des choses incorporelles, & en général de celles dont la perception est l’objet de la raison. Ils ajoutent que les impressions sensibles se font par des objets existants, auxquels l’imagination se soumet & se joint, & qu’il y a aussi des impressions apparentes de l’imagination, qui se font de la même manière que celles qui naissent d’objets existants. Ils distinguent aussi ces impressions en raisonnables & non-raisonnables, dont les premières sont celles des êtres doués de raison ; les secondes celles des animaux qui n’en ont point. Celles-là, ils les appellent des pensées, & ne donnent point de nom aux secondes. Ils distinguent encore les impressions de l’imagination en celles qui renferment de l’Art, & celles où il ne s’en trouve pas, parce qu’une image fait une autre impression sur un Artiste que sur un homme qui ne l’est point. La sensation, suivant les Stoïciens, est un principe spirituel, qui, tirant son origine de la partie principale de l’âme, atteint jusqu’aux sens. Ils entendent aussi par là les perceptions qui se font par les sens, & la disposition des organes des sens, à laquelle ils attribuent la faiblesse d’esprit qui paraît dans quelques-uns. Ils nomment aussi sensation laction des sens.

Au sentiment de ces Philosophes, il y a des choses que l’on comprend par les sens ; c’est ainsi qu’on discerne ce qui est blanc d’avec ce qui est noir, & ce qui est rude d’avec ce qui est mou. Il y en a aussi d’autres que l’on conçoit par la raison ; telles sont les choses qu’on assemble par la voie de la démonstration, comme celles qui regardent les Dieux & leur providence.

Ils disent que l’entendement connaît de différentes manières les choses qu’il aperçoit ; les unes par incidence ; les autres par ressemblance ; d’autres par analogie, d’autres encore par transposition ; celles-ci par composition, celles-là par opposition. Par incidence il connaît les choses sensibles ; par ressemblance, les choses dont l’intelligence dépend d’autres qui leur sont adjointes : c’est ainsi qu’on connaît Socrate par son image. L’analogie fait connaître les choses qui emportent augmentation, comme l’idée de Titye & le Cyclope, & celles qui emportent diminution, comme l’idée de Pygmée : c’est aussi par une analogie, tirée des plus petits corps sphériques, qu’on juge que la terre a un centre. L’esprit pense par transposition lorsque par exemple, on suppose des yeux dans la poitrine ; par composition, comme quand on se figure un homme demi-cheval ; par opposition, relativement à la mort. On pense par translation aux choses qu’on a dites, ou au lieu ; à ce qui est juste & bon, par une action de la Nature ; enfin on pense par privation, comme quand on se représente un homme sans mains. Voilà encore quelques-unes de leurs opinions sur l’imagination, les sens & l’entendement.

Ces Philosophes établissent pour source de la vérité, ou pour moyen de la connaître, l’imagination comprenant, ou saisissant son objet ; c’est-à-dire, recevant les impressions d’un objet existant, comme le remarquent Chrysippe, livre douzième de sa Physique, Antipater & Apollodore. Il est vrai que Boethus admet plus de sources de la vérité, l’entendement, les sens, les affections & la science ; mais Chrysippe, dans son premier livre du Discours, s’éloigne de son sentiment, & ne reconnaît d’autres sources de la vérité que les sens & les notions communes. Ces dernières sont une idée naturelle des choses universelles. Quelques autres des plus anciens Stoïciens dérivent de la droite raison la source de la vérité, témoin Posidonius dans son Traité sur cette matière.

Suivant l’avis unanime de plus grand nombre des Stoïciens, la première partie de l’étude de la Dialectique est l’usage de la voix, qu’ils définissent un Air frappé, ou, comme dit Diogène de Babylone dans son Système de l’Ouïe, l’objet particulier de ce sens. La voix des animaux n’est qu’un effort qui frappe l’air ; mais celle des hommes est articulée, & tout-à-fait formée à l’âge de quatorze ans ou environ. Diogène la nomme un effet de la volonté de l’esprit. La voix est aussi quelque chose de corporel selon les Stoïciens, remarquent Archedème dans son Traité de la Voix, Diogène, Antipater & Chrysippe dans la deuxième partie de sa Physique ; car tout ce qui produit quelque action est corporel[28], & la voix en produit une, en se transportant de ceux qui parlent à ceux qui écoutent. La parole, comme le rapporte Diogène, est, dans l’opinion des Stoïciens, la voix articulée, comme serait cette expression, Il fait jour. Le discours est la voix poussée par une action de la pensée, & donnant quelque chose à entendre. La dialecte est l’expression de la parole, considérée en tant qu’elle porte un certain caractère, soit étranger, soit Grec, ou une expression, quelle qu’elle soit, envisagée dans la manière dont elle est conçue, comme, par exemple, le terme de Mer en idiome Attique, & celui de Jour en dialecte Ionique. Les éléments de la parole sont les lettres, au nombre de vint-quatre. On considère trois choses par rapport à chacune, sa qualité d’élément, sa figure & son nom, comme Alpha. Il y a sept voyelles, a, e, ee, i, o, u, oo, & six muettes, b, g, d, k, p, t. La voix diffère de la parole en ce qu’un son fait aussi une voix, & que la parole est un son articulé. La parole diffère aussi du discours, en ce qu’un discours signifie toujours quelque chose ; au lieu qu’il y a des paroles qui n’emportent point de signification, comme ferait le mot Blitri ; ce qui n’a jamais lieu par rapport au discours. Il y a aussi de la différence entre les idées de parler & de proférer quelque chose ; car on ne profère que les sons, au lieu qu’on parle des actions, de celles du moins qui peuvent être un sujet de discours.

Diogène, dans son Traité de la voix, ainsi que Chrysippe, font cinq parties du discours, le nom, l’appellation, le verbe, la conjonction & l’article ; mais Antipater y en ajoute une moyenne dans son ouvrage sur les Dictions & les choses qui se disent. Selon Diogène, l’appellation est une partie du discours, qui signifie une qualité commune, comme celle d'homme, ou de cheval ; le nom, une partie du discours donnant à connaître une qualité particulière, comme Diogène, Socrate ; le verbe, une partie du discours, qui désigne un attribut simple, ou selon quelques-un, un élément indéclinable du discours, & qui signifie quelque chose de composé par rapport à un, ou à plusieurs, comme J’écris, ou Je parle ; la conjonction, une partie indéclinable, qui unit les diverses parties du discours ; l’article, un élément du discours qui a les cas des déclinaisons, & qui distingue les genres des noms & les nombres, comme il, elle, ils, elles.

Le discours doit avoir cinq ornements, l’hellénisme, l’évidence, la brièveté, la convenance & la grâce. Par l’hellénisme on entend une diction exempte de fautes, conçue en termes d’art, & non vulgaires ; l’évidence, une expression distincte & qui expose clairement la pensée ; la brièveté renferme une manière de parler qui embrasse tout ce qui est nécessaire à l’intelligence d’une chose. La convenance requiert que l’expression soit appropriée à la chose dont on parle. La grâce du discours consiste à éviter les termes ordinaire[29]. Le barbarisme est une manière de parler vicieuse, & contraire à l’usage des Grecs bien élevés ; le solécisme, un discours, dont les parties sont mal arrangées. Le vers, dit Posidonius dans son Introduction à la Diction, est une façon de parler mesurée, une composition nombrée & puisée des règles de la prose. Ils donnent, pour exemple de rythme, ces mots suivants : L’immense Terre, Le divin Ether. La poésie est un ouvrage significatif en vers, & qui renferme une imitation des choses divines & humaines.

La définition est, comme dit Antipater dans le premier lvre de ses Définitions, un discours exprimé suivant une exacte analyse, ou même une explication, selon Chrysippe dans son livre sur cette matière. La description est un discours figuré qui conduit aux matières, ou une définition plus simple, qui exprime la force de la définition. Le genre est une collection de plusieurs idées de l’esprit, conçues comme inséparables ; telle est l’idée d’animal, laquelle comprend celle de toutes les espèces d’animaux particuliers. Une idée de l’esprit est un être imaginaire, formé par la pensée, & qui n’a pour objet aucune chose qui est ou qui agit, mais qui la considère comme si elle étoit, ou comme si elle agissait d’une certaine manière : telle est la représentation qu’on se fait d’un cheval, quoiqu’il ne soit pas présent. L’espèce est comprise sous le genre, comme l’idée d’homme est comprise sous l’idée d’animal. Plus général est ce qui, étant genre, n’a point de genre au-dessus de lui, comme l’idée d’existant. Plus spécial est ce qui étant espèce, n’a point d’espèce au-dessous de lui, comme Socrate.

La division a pour objet le genre distingué dans les espèces qui lui appartiennent, comme cette phrase, Parmi les animaux les uns sont raisonnables, les autres privés de raison. La contre division se fait du genre dans les espèces à rebours, comme par voie de négation ; par exemple dans cette période, Des choses qui existent, les unes sont bonnes, les autres ne le sont point. La sous-division est la division de la division, comme dans cet exemple, Des choses qui existent, les unes sont bonnes, les autres point, & parmi celles qui ne sont as bonnes, les unes sont mauvaises, les autres indifférentes. Partager, c’est ranger les genres suivant leurs lieux, comme dit Crinis ; tel est ce qui suit, parmi les biens, les uns regardent l’âme, les autres le corps.

L’équivoque est une manière de parler conçue en termes, qui, pris tels qu’ils sont exprimés & dans leur sens propre, signifient plusieurs choses dans le même pays ; de sorte qu’on peut s’en servir pour dire des choses différentes. C’est ainsi que les mots, qui en Grec signifient, La joueuse de flûte est tombée, peuvent signifier aussi dans la même langue, La maison est tombée trois fois.

La Dialectique est, comme dit Posidonius, la science de discerner le vrai, le faux, & ce qui est neutre. Elle a pour objet, selon Chrysippe les signes & les choses signifiées. Ce que nous venons de dire regarde leurs idées sur la théorie de la voix.

Sous la partie de la Dialectique, qui comprend les matières & les choses signifiées par la voix, les Stoïciens rangent ce qui regarde les expressions, les énonciations parfaites, les propositions, les syllogismes, les discours imparfaits, les attributs & les choses dites directement, ou renversées. L’expression, qui naît d’une représentation de la raison, est de deux espèces, que les Stoïciens nomment expressions parfaites & imparfaites. Ces dernières n’ont point de sens complet, comme, Il écrit ; les autres au contraire en ont un, comme, Socrate écrit. Ainsi les expressions imparfaites sont celles qui n’énoncent que les attributs, & les parfaites servent à énoncer les propositions, les syllogismes, les interrogations & les questions. L’attribut est ce qu’on déclare de quelqu’un, ou une chose composée qui se dit d’un ou de plusieurs, comme le définit Apollodore ; ou bien c’est une expression imparfaite, construite avec un cas droit pour former une proposition. Il y a des attributs accompagnés de nom & de verbe, comme, Naviguer parmi des rochers[30] ; d’autres exprimés d’une manière droite, d’une manière renversée, & d’une manière neutre. Les premiers sont construits avec un des[31] cas obliques pour former un attribut, comme, Il entend, Il voit, Il dispute. Les renversés se construisent avec une particule passive, comme, Je suis entendu, Je suis vu. Les neutres n’appartiennent ni à l’une, ni à l’autre de ces classes, comme, Être sage, Se promener. Les attributs réciproques sont ceux, qui, quoiqu’exprimés d’une manière renversée[32], ne sont pas renversés, parce qu’ils emportent une action ; telle est l’expression de se faire raser, dans laquelle celui, qui est rasé, désigne aussi l’action qu’Il fait lui-même. Au-reste, les cas obliques sont le génitif, le datif, & l’accusatif.

On entend par proposition[33] l’expression d’une chose vraie ou fausse, ou d’une chose qui forme un sens complet, & qui se peut dire en elle-même, comme l’enseigne Chrysippe dans ses Définitions de Dialectique. ,,La proposition, dit-il, est l’expression de toute chose qui se peut affirmer, ou nier en elle-même, comme, Il fait jour, ou Dion se promène. ''. On l’appelle proposition relativement à l’opinion de celui qui l’énonce ; car celui qui dit qu’il fait jour, paraît croire qu’il fait jour en effet. Si donc il fait effectivement jour, la proposition devient vraie ; au-lieu qu’elle est fausse s’il ne fait pas jour. Il y a de la différence entre proposition, interrogation, question, ordre, adjuration, imprécation, supposition, appellation, & ressemblance de proposition. La proposition est toute chose qu’on énonce en parlant, soit vraie, ou fausse. L’interrogation est une énonciation complète, aussi bien que la proposition ; mais qui requiert une réponse, comme cette phrase, Est-il jour ? Cette demande n’est ni vraie, ni fausse ; c’est proposition lorsqu’on dit Il fait jour ; c’est interrogation, quand on demande, fait-il jour ? La question est quelque chose à quoi on ne peut répondre oui ou non, comme l’interrogation ; mais à laquelle il faut répondre, comme on dirait, Il demeure dans cet endroit. L’ordre est quelque chose que l’on dit en commandant, comme, Va-t-en aux rives d’Inachus. L’appellation est quelque chose qu’on dit, en nommant quelqu’un comme, Agamemnon, fils d’Atrée, glorieux Monarque de plusieurs peuples. La ressemblance d’une proposition est un discours, qui, renfermant la conclusion d’une proposition, déchoit du genre des propositions par quelque particule abondante, ou passive, comme dans ces vers :

N’est-ce pas ici le beau séjour de ces vierges ? Ce Bouvier ressemble aux enfants de Priam.

Il y a encore une chose qui diffère de la proposition, en ce qu’elle s’exprime d’une manière douteuse, comme si on demandait si vivre & ressentir de la douleur ne sont pas des choses jointes ensemble ? Car les interrogations, les questions & autres choses semblables ne sont ni vraies, ni fausses ; au lieu que les propositions sont, ou l’une, ou l’autre. Il y a des propositions simples & non simples, comme disent Chrysippe, Archédème, Athénodore, Antipater & Crinis. Les simples consistent dans une ou plus d’une proposition où il n’y a aucun doute, comme, il fait jour. Celles, qui ne sont pas simples, consistent dans une ou plus d’une proposition douteuse ; dans une proposition douteuse, comme, S’il fait jour ; dans plus d’une, comme, S’il fait jour, il fait clair. Dans la classe des propositions simples il faut ranger les énonciations, les négations, les choses qui emportent privation, les attributs, les attributs en tant qu’ils appartiennent à un sujet particulier, & ce qui est indéfini. Dans la classe des propositions non simples on doit placer celles qui sont conjointes, adjointes, compliquées, séparées, causales, celles qui expriment la principale partie d’une chose, & celles qui en expriment la moindre. On a un exemple d’une proposition énonciative dans ces paroles : Il ne fait point jour. De l’espèce de ces sortes de propositions sont celles qu’on appelle surénonciatives, qui contiennent la négation de la négation, comme quand on dit, Il ne fait pas non jour, on pose qu’il fait jour. Les propositions négatives sont composées d’une particule négative & d’un attribut, comme, Personne ne se promène. Les privatives se forment d’une particule privative & d’une expression ayant force de proposition, comme, Cet homme est inhumain. Les propositions attributives sont composées d’un cas droit de déclinaison & d’un attribut, comme, Dion se promène. Les propositions attributives particulières se construisent d’un cas droit démonstratif & d’un attribut, comme, Cet homme se promène ; les indéfinies, comme, Quelqu’un se promène. Il se remue. Quant aux propositions non simples, celles qu’on nomme conjointes, sont, selon Chrysippe dans sa Dialectique & Diogène dans son Art Dialecticien, formées par la particule conjonctive si, cette particule voulant qu’une première chose posée, il s’ensuive une seconde, comme, S’il fait jour, il fait clair. Les propositions adjointes sont, dit Crinis dans son Art de la Dialectique, des propositions unies par la conjonction puisque, lesquelles commencent & finissent par deux expressions qui forment autant de propositions, comme, Puisqu’il fait jour, il fait clair. Cette conjonction sert à signifier que posé une premiere chose, il en suit une seconde, & que la premiere est aussi vraye. Les propositions compliquées sont celles qui se lient ensemble par quelques conjonctions qui les compliquent, comme, Et il fait jour, & il fait clair. Les séparées sont celles que l’on déjoint par la particule disjonctive ou, comme, Ou il fait jour, ou il fait nuit ; & cette particule sert à signifier que l’une des deux propositions est fausse. Les propositions causales sont composées du mot de parce que, comme, Parce qu’il fait jour, il fait clair. Ce mot indique que la premiere chose, dont on parle, est en quelque sorte la cause de la seconde. Les propositions, qui expriment la principale partie d’une chose, sont celles où entre la particule conjonctive plutôt, placée entre des propositions, comme, Il fait plutôt jour que nuit ; les propositions, qui expriment une chose par la moindre partie, sont le contraire des précédentes, comme, Il fait moins nuit que jour. Il faut encore remarquer que des propositions, opposées l’une à l’autre quant à la vérité & à la fausseté, l’une renferme la négation de l’autre, comme, Il fait jour, & il ne fait point jour. Ainsi une proposition conjointe est vraye, lorsque l’opposé du dernier terme est en contradiction avec le premier, comme, s’il fait jour, il fait clair. Cette proposition est vraye, parce que l’opposé du dernier terme, qui seroit, il ne fait point clair, est en contradiction avec le premier Il fait jour. Pareillement une proposition conjointe est fausse lorsque l’opposé du dernier terme n’est point contraire au premier, comme, S’il fait jour, Dion se promene ; car la proposition Dion ne se promene point, n’est pas contraire à celle qu’il fait jour. Une proposition adjointe est vraye, lorsque commençant par l’expression d’une vérité, elle finit en exprimant une chose qui en résulte, comme, Puisqu’il fait jour, le soleil est au-dessus de la terre ; au contraire une proposition adjointe est fausse, lorsqu’elle commence par une fausseté, ou qu’elle ne finit pas par une vraye conséquence, comme si l’on disoit, pendant qu’il feroit jour, Puisqu’il fait nuit, Dion se promene.

Une proposition causale est vraye, lorsque commençant par une chose vraye, elle finit par une conséquence, quoique le terme, par lequel elle commence, ne soit pas une conséquence de celui par lequel elle finit ; par exemple, dans cette proposition, Parce qu’il fait jour, il fait clair. Ce qu’on dit qu’il fait clair, est une suite de ce qu’on dit qu’il fait jour ; mais qu’il fasse jour n’est pas une suite de ce qu’il fait clair.

Une proposition probable tend à emporter un acquiescement, comme, si quelque chose en a mis une autre au monde, elle en est la mere ; cela n’est cependant pas vrai, puisqu’une poule n’est pas la mère de l’œuf. Les propositions se distinguent aussi en possibles & impossibles, aussi bien qu’en nécessaire & non nécessaire. Les possibles sont celles qu’on peut recevoir comme vraies, parce qu’il n’y a rien hors d’elles qui empêche qu’elles ne soient vraies, comme, Dioclès est vivant. Les impossibles sont celles qui ne peuvent être reçues pour vraies, comme, La terre vole. Les propositions nécessaires sont celles qui sont tellement vraies, qu’on ne peut les recevoir pour fausses, ou qu’on peut bien en elles-mêmes recevoir pour fausses ; mais qui par les choses, qui sont hors d’elle, ne peuvent être fausses, comme, La vertu est utile. Les non nécessaires sont celles qui sont vraies, mais peuvent aussi être fausses, les choses, qui sont hors d’elles, ne s’y opposant point, comme, Dion se promène. Une proposition vraisemblable est celle que plusieurs apparences peuvent rendre vraie, comme, Nous vivrons demain. Il y a encore entre les propositions d’autres différences & changements qui les rendent fausses ou opposées, & dont nous parlerons plus au long.

Le raisonnement, comme dit Crinis, est composé d’un, ou de plus d’un lemme, de l’assomption & de la conclusion ; par exemple, dans cet argument, S’il fait jour, il fait clair : or il fait jour ; donc il fait clair. Le lemme est cette proposition, S’il fait jour, il fait clair ; l’assomption, celle-ci, il fait jour ; la conclusion cette autre, Donc il fait clair. Le mode est comme une figure du raisonnement ; tel est celui-ci, Si le premier a lieu, le second a lieu aussi : or le premier a lieu ; donc le second a lieu aussi. Le mode raisonné[34] est un composé des deux, comme, Si Platon vit, Platon respire : or le premier est vrai ; donc le second l’est aussi. ce dernier genre a été introduit pour servir dans les raisonnements prolixes, afin de n’être point obligé d’exprimer une trop longue assomption, non plus que la conclusion, & de pouvoir les indiquer par cette manière de parler abrégée, Le premier est vrai, donc le second l’est aussi. Les raisonnements sont, ou concluants, ou non concluants. Dans ceux qui ne concluent point, l’opposé de la conclusion est contraire à la liaison des prémisses, comme, S’il fait jour, il fait clair : or il fait jour, donc Dion se promène. Les raisonnements concluants sont de deux sortes : les unes sont appelés de même nom que leur genre, c’est-à-dire concluants ; les autres, syllogistiques. Ces derniers sont ceux qui, ou ne démontrent point, ou conduisent à des chose qui ne se prouvent pas au moyen d’une ou de quelques positions, comme seroient celles-ci, Si Dion se promène, Dion se remue donc. Ceux, qui portent spécialement le nom de concluants, sont ceux qui concluent, sans le faire syllogistiquement, comme, Il est faux qu’il fase en même temps jour & nuit : or il fait jour ; il ne fait donc pas nuit. Les raisonnements non syllogistiques sont ceux, qui, approchant des Syllogismes pour la crédibilité, ne concluent pourtant pas, comme, Si Dion est un cheval, Dion est un animal : or Dion n’est pas un cheval ; ainsi Dion n’est pas non plus un animal.

Les raisonnements sont aussi vrais, ou faux. Les vrais sont ceux, dont les conclusions se tirent de choses vraies, comme celui-ci, Si la Vertu est utile, le vice est nuisible. Les faux sont ceux qui ont quelque chose de faux dans les prémisses, ou qui ne concluent point, comme, S’il fait jour, il fait clair : or il fait jour ; donc Dion est en vie. I y a encore des raisonnements possibles & impossibles, nécessaires & non nécessaires, & d’autres qui ne se démontrent point, parce qu’ils n’ont pas besoin de démonstration. On les déduit diversement ; mais Chrysippe en compte cinq classes, qui servent à former toutes sortes de raisonnements, & s’emploient dans les raisonnements concluants, dans les syllogistiques & dans ceux qui reçoivent des modes. Dans la première classe des raisonnements qui ne se démontrent point, sont ceux que l’on compose d’une proposition conjointe & d’un antécédent, par lequel la proposition conjointe commence, & dont le dernier terme forme la conclusion, comme, Si le premier est vrai ; le second l’est aussi : or le premier est vrai ; donc le second l’est aussi. La seconde classe renferme les raisonnements, qui, par le moyen de la proposition conjointe & de l’opposé du dernier terme, ont l’opposé de l’antécédent pour la conclusion ; comme, s’il fait jour, il fait clair : or il fait nuit ; il ne fait donc pas jour. Car dans ce raisonnement l’assomption est prise de l’opposé du dernier terme ; & la conclusion, de l’opposé de l’antécédent. La troisième classe de ces raisonnements contient ceux dans lesquels, par le moyen d’une énonciation compliquée, on insère d’une des choses qu’elle exprime le contraire du reste, comme, Platon n’est point mort & Platon vit : mais Platon est mort ; donc Platon ne vit point. À la quatrième classe appartiennent les raisonnements dans lesquels, par le moyen de propositions séparées, on insère de l’une de ces propositions séparées une conclusion contraire au reste, comme, Ou c’est le premier, ou c’est le second : mais c’est le premier ; ce n’est donc pas le second. Dans la cinquième classe des raisonnements qui ne se démontrent point, sont ceux qui se construisent de propositions séparées, & dans lesquels de l’opposé de l’une des choses qui y sont dites, on insère le reste, comme, Ou il fait jour, ou il fait nuit : mais il ne fait point nuit ; il fait donc jour.

Suivant les Stoïciens, une vérité suit de l’autre, comme de cette vérité qu’il soit nuit, il est aussi faux qu’il fasse des ténèbres. On peut insérer aussi une vérité d’une fausseté, comme de celle-ci que la terre vole, on insère cette vérité, que la terre existe. Mais d’une vérité on ne peut point insérer une fausseté, comme de ce que la terre existe, il ne s’ensuit point qu’elle vole. Il y a aussi des raisonnements embarrassés, qu’on nomme diversement, couvert, cachés, les sorites, ceux dits Cornus, & les impersonnels, ou qui ne désignent personne. Voici un exemple de raisonnement caché, N’est-il pas vrai que deux sont un petit nombre ? Que trois sont un petit nombre, & que ces nombres ensemble sont un petit nombre : n’est-il pas vrai aussi que quatre sont un petit nombre & ainsi de suite jusqu’à dix : or deux deux sont un petit nombre ; donc dix en sont un pareil. Les raisonnements, qui ne désignent personne, sont composé d’un terme fini & d’un terme indéfini, & ont assomption & conclusion, comme, Si quelqu’un est ici, il n’est point à Rhodes.

Telles sont les idées des Stoïciens sur la Logique, & c’est ce qui les fait insister sur l’opinion que le Sage doit toujours être bon Dialecticien. Ils prétendent que toutes choses se discernent par la théorie du raisonnement, en tant qu’elles appartiennent à la Physique, & de nouveau encore en tant qu’elles appartiennent à la Morale. car ils ajoutent que pour ce qui regarde la Logique, elle n’a rien à dire sur la légitimité des noms concernant la manière dont les Lois ont statué par rapport aux actions, mais qu’y ayant un double usage dans la vertu de la Dialectique, l’un sert à considérer ce qu’est une chose, & l’autre comment on la nomme ; & c’est-là l’emploi qu’ils donnent à la Logique.

Les Stoïciens divisent la partie morale de la Philosophie en ce qui regarde les penchants, les biens & les maux, les passions, la vertu, la fin qu’on doit se proposer, les choses qui méritent notre première estime, les actions, les devoirs, & ce qu’il faut conseiller & dissuader. C’est ainsi que la morale est divisée par Chrysippe, Archédème, Zénon de Tarse, Apollodore, Diogène, Antipater & Posidonius ; car Zénon Cittien & Cléanthe, comme plus anciens, ont traité ces matières plus simplement, s’étant d’ailleurs plus appliqués à diviser la Logique & la Physique.

Les Stoïciens disent que le premier penchant d’un être animal est qu’il cherche sa conservation, la nature se l’attachant dès sa naissance, suivant ce que dit Chrysippe dans son premier livre des Fins ; que le premier attachement de tout animal a pour objet sa constitution & l’union de ses parties, puisqu’il n’est pas vraisemblable que l’animal s’aliène de lui-même, ou qu’il ait été fait, ni pour ne point s’aliéner de lui-même, ni pour ne pas s’être attaché ; de sorte qu’il ne reste autre chose à dire sinon que la nature l’a disposé pour être attaché à lui-même, & c’est par là qu’il s’éloigne des choses qui peuvent lui nuire, & cherche celles qui lui sont convenables.

Ils traitent de fausse l’opinion de quelques uns que la volupté est le premier penchant qui soit donné aux animaux ; car ils disent que ce n’est qu’une addition, si tant est même qu’il faille appeler volupté ce sentiment qui naît après que la nature, ayant fait sa recherche, a trouvé ce qui convient à la constitution. C’est de cette manière que les animaux ressentent de la joie, & que les plantes végètent. Car, disent-ils, la nature ne met point de différence entre les animaux & les plantes, quoiqu’elle gouverne celles-ci sans le secours des penchants & du sentiment, puisqu’il y a en nous des choses qui se font à la manière des plantes, & que les penchants qu’ont les animaux, & qui leur servent à chercher les choses qui leur conviennent, étant en eux comme un surabondant, ce à quoi portent les penchants est dirigé par ce à quoi porte la nature ; enfin, que la raison ayant été donnée aux animaux raisonnables par une surintendance plus parfaite, vivre selon la raison peut être fort bien une vie selon la nature[35], parce que la raison devient comme l’artisan qui forme le penchant.

C’est pour cela que Zénon a dit le premier dans son livre de la Nature de l’Homme, que la fin, qu’on doit se proposer, consiste à vivre selon la nature ; ce qui est la même chose que vivre, car c’est à cela que la nature nous conduit. Cléanthe dit la même chose dans son livre de la Volupté, aussi-bien que Posidonius, & Hécaton dans son livre des Fins. C’est aussi une même chose de vivre selon la vertu, ou de vivre selon l’expérience des choses qui arrivent par la nature, comme dit Chrysippe dans son livre des Fins, parce que notre nature est une partie de la nature de l’Univers. Cela fait que la fin, qu’on doit se proposer, est de vivre en suivant la nature ; c’est-à-dire selon la vertu que nous prescrit notre propre nature, & selon celle qui nous prescrit la nature de l’Univers, ne faisant rien de ce qu’a coutume de défendre la Loi commune, qui est la droite raison répandue par-tout, & la même qui est en Jupiter, qui conduit par elle le gouvernement du Monde. Ils ajoutent qu’en cela même consiste la vertu & le bonheur d’une homme heureux, de régler toutes ses actions de manière qu’elles produisent l’harmonie du génie, qui réside en chacun avec la volonté de celui qui gouverne l’Univers. En effet Diogène dit expressément que la fin, qu’on doit se proposer, consiste à bien raisonner dans le choix des choses qui sont selon la nature. Archédème la fait consister à vivre en remplissant tous les devoirs. Chrysippe par la nature entend une nature à laquelle il faut conformer sa vie ; c’est-à-dire la nature commune, & celle de l’homme en particulier. Mais Cléanthe n’établit, comme devant être suivie, que la nature commune, & n’admet point à avoir le même usage celle qui n’est que particulière. Il dit que la vertu est une disposition conforme à cette nature, & qu’elle doit être choisie pour l’amour d’elle-même, & non par crainte, par espérance, ou par quelque autre motif qui soit hors d’elle ; que c’est en elle que consiste la félicité, parce que l’âme est faite pour jouir d’une vie toujours uniforme, & que ce qui corrompt un animal raisonnable, ce sont quelquefois les vraisemblances des choses extérieures, & quelquefois les principes de ceux avec qui l’on converse, la nature ne donnant jamais lieu à cette dépravation.

Le mot de vertu se prend différemment. Quelquefois il signifie en général la perfection d’une chose, comme celle d’une statue ; quelquefois il se prend pour une chose qui n’est pas un sujet de spéculation, comme la santé ; d’autre fois pour une chose qui est un sujet de spéculation, comme la prudence. Car Hécaton dit, dans son premier livre des Vertus, que parmi celles qui sont un sujet de science, il y en a qui sont aussi spéculatives ; savoir celles qui sont composées des observations qu’on a faites, comme la prudence & la justice, & que celles, qui ne sont point spéculatives, sont celles, qui, considérées dans leur production, sont composées de celles qui sont spéculatives, comme la santé & la force. Car de la prudence, qui est une vertu de spéculation, résulte ordinairement la santé, comme de la structure des principales pierres d’un bâtiment résulte sa consistance. On appelle ces vertus non-spéculatives, parce qu’elles ne sont pas fondées sur des principes, qu’elles sont comme des additions, & que les méchants peuvent les avoir ; telles sont, par exemple, la santé & la force. Posidonius, dans son premier livre de la Morale, allègue, comme une preuve que la vertu est quelque chose de réellement existant, les progrès qu’y ont faits Socrate, Diogène & Anthisthène, & comme une preuve de l’existence réelle du vice, cela même qu’il est opposé à la vertu. Chrysippe dans son premier livres des Fins, Cléanthe, Posidonius dans ses Exhortations, & Hécaton disent aussi que la vertu peut s’acquérir par l’instruction, & en donnent pour preuve qu’Il y a des gens, qui de méchants deviennent bons.

Panætius distingue deux sortes de vertus, l’une spéculative & l’autre pratique. D’autres en distinguent trois sortes, & les appellent Vertus Logique, Physique & Morale. Posidonius en compte quatre sortes, Cléanthe & Chrysippe un plus grand nombre, aussi-bien qu’Antipater. Apollophane n’en compte qu’une, à laquelle il donne le nom de Prudence. Il y a des vertus primitives, & d’autres qui leur sont subordonnées. Les primitives sont la prudence ; la force, la justice & la tempérance, qui renferment, comme leurs espèces, la grandeur d’âme, la continence, la patience, le génie, le bon choix. La prudence a pour objet la connaissance des biens & des maux, & des choses qui sont neutres ; la justice celle des choses qu’il faut choisir & éviter, & des choses qui sont neutres par rapport à celles-là. La grandeur d’âme est une situation d’esprit, élevée au-dessus des accidents communs aux bons & aux méchants.

La continence est une disposition constante pour les choses qui sont selon la droite raison, ou une habitude à ne point se laisser vaincre par les voluptés. La patience est une science, ou une habitude par rapport aux choses dans lesquelles il faut persister, ou ne point persister, aussi-bien que par rapport à celles de cette classe qui sont neutres. Le génie est une habitude à comprendre promptement ce qu’exige le devoir. Le bon choix est la science de voir quelles choses on doit faire & de quelle manière on doit les exécuter pour agir utilement.

On distingue pareillement les vices en primitifs & subordonnés. Ceux-là sont l’imprudence, la crainte, l’injustice, l’intempérance. Les subordonnés sont l’incontinence, la stupidité, le mauvais choix, & en général les vices consistent dans l’ignorance des choses, dont la connaissance est la matière des vertus.

Par le bien les Stoïciens entendent en général ce qui est utile, sous cette distinction particulière en ce qui est effectivement utile, & ce qui n’est pas contraire à l’utilité. De là vient qu’ils considèrent la vertu, & le bien qui en est une participation, de trois diverses manières ; comme bien par la cause d’où il procède, par exemple, une action conforme à la vertu ; & comme bien par celui qui le fait, par exemple, un homme qui s’applique avec soin à la vertu[36]. Ils définissent autrement le bien d’une manière plus propre, en l’appelant la perfection de la nature raisonnable, ou de la nature en tant que raisonnable. Quant à la vertu, ils s’en font cette idée. Ils regardent comme des participations de la vertu, tant les actions qui y sont conformes, que ceux qui s’y appliquent ; & envisageant comme des accessoires de la vertu, la joie, le contentement & les sentiments semblables. Pareillement ils appellent vices l’imprudence, la crainte, l’injustice & autres pareilles participations du vice, tant les actions vicieuses, que les vicieux eux-mêmes ; ils nomment encore accessoires du vice la tristesse, le chagrin & autres sentiments de cette sorte.

ils distinguent aussi les biens en biens de l’âme même, en biens qui sont hors d’elle, & en ceux qui ne sont, ni de l’âme ; ni hors d’elle. Les biens de l’âme même sont les vertus & les actions qui leur sont conformes ; ceux hors d’elle, sont d’avoir une patrie honnête, un bon ami, & le bonheur que procurent ces avantages ; ceux, qui ne sont ni de l’âme même, ni hors d’elle, sont la culture de soi-même, & de faire son propre bonheur. Il en est de même des maux. Les maux de l’âme elle-même sont les vices & les actions vicieuses ; ceux hors d’elle sont d’avoir une mauvaise patrie & un mauvais mai, avec les malheurs attachés à ces désavantages. Les maux, qui ne sont ni de l’âme elle-même, ni hors d’elle, sont de se nuire à soi-même & de se rendre malheureux.

On distingue encore les biens en efficients, en biens qui arrivent comme fins[37], & ceux qui sont l’un & l’autre. Avoir un ami & jouir des avantages qu’il procure, c’est un bien efficient ; l’assurance, un bon jugement, la liberté d’esprit, le contentement, la joie, la tranquillité & tout ce qui entre dans la pratique de la vertu, ce sont les biens qui arrivent comme fins. Il y a aussi des biens qui sont efficients & fins tout à la fois : ils sont efficients, en tant qu’ils effectuent le bonheur ; il sont fins, en tant qu’ils entrent dans la composition du bonheur comme partie. Il en est de même des maux. Les uns ont la qualité de fins, les autres sont efficients, quelques-uns sont l’un & l’autre. Un ennemi, & les torts qu’il nous fait, sont de maux efficients ; la stupidité, l’abattement, la servitude d’esprit, & tout ce qui a rapport à une vie vicieuse, sont les maux qu’on considère comme ayant la qualité de fins. Il y en a aussi qui sont en même temps efficients, en tant qu’ils effectuent la misère, & qui ont la qualité de fins, en tant qu’ils entrent dans sa composition comme parties.

On distingue encore les biens de l’âme elle-même en habitudes, en dispositions, & en d’autres qui ne sont ni celles-là, ni celles-ci. Les dispositions sont les vertus mêmes ; les habitudes sont leur recherche. Ce qui n’est ni des unes ni des autres, va sous le nom d’actions vertueuses. Communément il faut mettre parmi les biens même un heureuse postérité & une bonne vieillesse ; mais la science est un bien simple. Les vertus sont un bien toujours présent ; mais il y a en a qu’on n’a pas toujours, comme la oye, ou la promenade.

Les Stoïciens caractérisent ainsi le bien. Ils l’appellent avantageux, convenable, profitable, utile, commode, honnête, secourable, désirable & juste. Il est avantageux, en ce que les choses qu’il procure, nous sont favorables ; convenable, parce qu’il est composé de ce qu’il faut ; profitable, puisqu’il paye les soins qu’on prend pour l’acquérir, de manière que l’utilité qu’on en retire, surpasse ce qu’on donne pour l’avoir ; utile, par les services que procure son usage ; commode, pas la louable utilité qui en résulte ; honnête, parce qu’il est modéré dans son utilité ; secourable, parce qu’il est tel qu’il doit être pour qu’on en retire de l’aide ; désirable, parce qu’il s’accorde avec l’équité, & qu’il engage à vivre d’une mani`re sociable.

L’honnête, suivant, ces Philosophes, est le bien parfait ; c’est-à-dire celui qui a tous les nombres, requis [38] par la nature, ou qui est par faitement mesuré. Ils distinguent quatre espèces dans l’honnêteté ; la justice, la force, la bienséance, la science, & disent que ce sont-là les parties qui entrent dans toutes les actions parfaitement honnêtes. Ils supposent aussi dans ce qui est honteux quatre espèces, analogues à celles de l’honnêteté ; l’injustice, la crainte, la grossièreté, la folie. ils disent que l’honnête se prend dans un sens simple, entant qu’il comprend les choses louables & ceux qui possèdent quelque bien qui est digne d’éloge ; que l’honnête se prend aussi pour désigner la bonne disposition aux actions particulières qu’on doit faire ; qu’il se prend encore autrement pour marquer ce qui est bien réglé, comme quand nous disons que le sage seul est bon & honnête. Ils disent de plus qu’il n’y a que ce qui est honnête qui soit bon, comme le rapportent, Hecaton dans son troisième livre des Biens, & Chrysippe dans son ouvrage sur l’Honnête. Ils ajoutent que ce bien honnête est la vertu, de même que ce qui est une participation, c’est-dire précisément que tout ce qui est bien est honnête, & que le bien est équivalent à l’honnête, puisqu’il lui est égal ; car dès qu’une chose est honnête lorsqu’elle est bonne, il s’ensuit aussi qu’elle est bonne, si elle est honnête.

Ils sont dans l’opinion que tous les biens sont égaux, que tout bien mérite d’être recherché, & qu’il n’est sujet, ni à augmentation, ni à dimi nution. Ils disent que les choses du monde se partagent en celles qui sont des biens, en celles qui sont des maux, & en celles qui ne sont ni l’un, ni l’autre. Ils appellent biens les vertus, comme la prudence, la justice, la force, la tempérance, & les autres. Ils donnent le nom de maux aux chose contraire à celles-là, à l’imprudence, à l’injustice & au reste. Celles, qui ne sont ni biens, ni maux, n’apportent ni utilité, ni dommage, comme la vie, la santé, la volupté, la beauté, la force de corps, la richesse, la gloire, la noblesse & leurs opposés, comme la mort, la maladie, la douleur, l’opprobre, l’Infirmité, la pauvreté, l’obscurité, la bassesse de naissance, & les choses pareilles à celles-là, ainsi que le rapportent, Hecaton dans son septième livre des Fins. Apollodore dans sa Morale & Chrysippe, qui disent que ces choses-là ne sont point matière de biens, mais des choses indifférentes, approuvables dans leur espèce. Car comme l’attribut propre de la chaleur est de réchauffer & de ne pas refroidir, de même le bien a pour propriété d’être utile & de ne pas faire de mal. Or les richesse & la santé ne font pas plus de bien que de mal ; ainsi ni la santé, ni les richesses ne sont pas un bien. Il disent encore qu’on ne doit pas appeler bien une chose dont on peut faire un bon & un mauvais usage. Or on peut faire un bon & un mauvais usage de la santé et des richesses ; ainsi ni l’un, ni l’autre ne doivent passer pour être un bien. Cependant Posidonius let met au nombre des biens. Ils ne regardent pas même la volupté comme un bien suivant Hecaton dans son dix-neuvième livre des Biens, & Chrysippe dans son livre de la Volupté ; ce qu’ils fondent sur ce qu’il y a des voluptés honteuse, & que rien de ce qui est honteux n’est un bien. Ils font consister l’utilité à régler ses mouvements & ses démarches selon la vertu ; & ce qui est nuisible, à régler ses mouvements & ses démarches selon le vice.

Ils croient que les choses indifférentes sont telles de deux manières. D’abord elles sont indifférentes entant qu’elles ne font rien au bonheur, ni à la misère, telles que les richesses, la santé, la force de corps, la réputation & autres choses semblables. La raison en est, qu’on peut être heureux sans elles, puisque c’est selon la manière dont on en use, qu’elles contribuent au bonheur, ou à la misère. Les choses indifférentes sont encore telles entant qu’il y en a qui n’excitent ni le désir, ni l’aversion, comme serait d’avoir la tête un nombre de cheveux égal ou inégal, & d’étendre le doigt ; ou de le tenir fermé. C’est en quoi cette dernière sorte d’indifférence est distincte de la première, suivant laquelle il y a des choses indifférentes, qui ne laissent pas d’exciter le penchant, ou l’aversion. De là vient qu’on préfère quelques-unes, quoi que par les mêmes raisons on devrait aussi préférer les autres, ou les négliger toutes.

Les Stoïciens distinguent encore les choses indifférentes en celles qu’on approuve [39] & celles qu’on rejette. Celles qu’on approuve, renferment quelque chose d’estimable ; celles qu’on rejette, n’ont rien dont on puisse faire cas. Par estimable ils entendent d’abord ce qui contribue en quelque chose à une vie bien réglée ; en quel sens tout bien est estimable. On entend aussi par-là un certain pouvoir, ou usage mitoyen par lequel certaines choses peuvent contribuer à une vie conforme à la nature ; tel est l’usage que peuvent avoir pour cela les richesses & la santé. On appelle encore estime le prix auquel une chose est appréciée par un homme qui s’entend à en estimer la valeur ; comme par exemple, lorsqu’on échange une mesure d’orge contre une mesure & demi [40] de froment.

Les choses indifférentes & approuvables sont donc celles qui renferment quelque sujet d’estime ; tels sont, par rapport aux biens de l’âme, le génie, les Arts, les progrès & autres semblables ; tels, par rapport aux biens du corps, la vie, la santé, la force, la bonne disposition, l’usage de toutes les parties du corps, la beauté ; tels encore, par rapport aux biens extérieurs, la richesse, la réputation, la naissance & autres pareils. Les choses indifférentes à rejeter sont, par rapport sont par rapport aux biens de l’âme ; la stupidité, l’ignorance des Arts & autres semblables ; par rapport aux biens du corps, la mort, la maladie, les infirmités, une mauvaise constitution, le défaut de quelque membre, la difformité & autres pareils ; par rapport aux biens extérieurs, la pauvreté, l’obscurité, la bassesse de condition, & autres semblables. Les choses indifférentes neutres sont celles qui n’ont rien qui doive les faire approuver, ou rejeter. Parmi celles de ces choses qui sont approuvables, il y en a qui le sont par elles-mêmes, qui le sont par d’autres choses, & qui le sont en même temps par elles-mêmes & par d’autres. Celles approuvables par elles-mêmes, sont le génie, les progrès & autres semblables : celles approuvables par d’autres choses, sont les richesses, la noblesse & autres pareille ; celles approuvables par elles-mêmes & par d’autre, sont la force, des sens bien disposés & l’usage de tous les membres du corps. Ces dernières sont approuvables par elles-mêmes, parce qu’elles sont suivant l’ordre de la nature ; elles sont aussi approuvables par d’autres choses, parce qu’elles ne procurent pas peu d’utilité. Il en est de même dans un sens contraire des choses qu’on rejette.

Les Stoïciens appellent devoir un chose, qui emporte qu’on puisse rendre raison pourquoi elle est faite, comme par exemple, que c’est une chose qui suit de la nature de la vie : en quel sens l’idée de devoir s’étend jusqu’aux plantes & aux animaux ; car on peut remarquer des obligations dans la condition des unes & des autres. Ce fut Zénon qui se servit le premier du mot Grec qui signifie devoir, & qui veut dite originairement Venir de certaines choses. Le devoir même est l’opération des institutions de la nature ; car dans les choses qui sont l’effet des penchants, il y en a qui sont des devoirs, il y en a qui ne sont ni devoirs, ni contraires au devoir. Il faut regarder comme des devoirs toutes les choses qui la raison conseille de faire, par exemple, de ne pas avoir soin de son père & de sa mère, de mépriser ses proches, de ne pas s’accorder avec ses amis, de ne point estimer sa patrie, & autres pareils sentiments. Enfin les choses, qui ne sont ni devoirs, ni contraire au devoir, sont celles qui la raison, ni ne conseille, ni ne dissuade de faire, comme de ramasser une paille, de tenir une plume, une brosse & autres choses semblables. Outre cela, il ya des devoirs qui ne sont point accompagnés de circonstances qui obligent, & d’autres que de pareilles circonstances accompagnent. Les premiers sont, par exemple, d’avoir soin de sa santé, de ses sens & autres semblables ; les seconds, de se priver quelquefois d’un membre du corps, & de renoncer à ses biens, Il en est même d’une manière analogue des choses contraire au devoir. Il y a aussi des devoirs qui toujours obligent, & d’autres qui n’obligent pas toujours. Les premiers sont de vivre selon la vertu ; les autres sont, par exemple, de faire des questions, de répondre, & autres semblables. La même distinction a lieu par rapport aux choses contraires au devoir. Il y a même un certain devoir dans les chose moyennes ; tel est celui de l’obéissance des enfants envers leurs précepteurs.

Les Stoïciens divisent l’âme en huit parties ; car ils regardent, comme autant de parties de l’âme, les cinq sens, l’organe de la voix & celui de la pensée, qui est l’intelligence elle-même, auxquelles ils joignent la faculté générative. Ils ajoutent que l’erreur produit une corruption de l’esprit, d’où naissent plusieurs passions, ou causes de troubles dans l’âme. La passion même, suivant Zénon, est une émotions déraisonnable et contraire à la nature de l’âme, ou un penchant qui devient excessif. Il y a quatre genres de passions supérieures, selon Hecaton dans son deuxième livre des Passions, & selon Zénon dans son ouvrage sous le même titre. Ils les nomment la tristesse, la crainte, la convoitise, la volupté. Au rapport de Chrysippe dans son livre des Passions, les Stoïciens regardent les passions comme étant des jugements de l’esprit ; car l’amour de l’argent est une opinion que l’argent est une chose honnête, & il en est de même de l’ivrognerie, de la débauche & des autres. Ils disent que la tristesse est une contraction déraisonnable de l’esprit, & lui donnent pour espèces la pitié, le mécontentement, l’envie, la jalousie, l’addiction, l’angoisse, l’inquiétude, la douleur, & la consternation. La pitié est une tristesse semblable à celle qu’On a pour quelqu’un qui souffre, sans l’avoir mérité ; le mécontentement, une tristesse qu’on ressent du bonheur d’autrui ; l’envie, une tristesse que l’on conçoit de ce que les autres ont des biens qu’on voudrait avoir ; la jalousie, une tristesse qui a pour objet des bines qu’on a en même temps que les autres ; l’addiction, une tristesse qui est à charge ; l’angoisse, une tristesse pressante, & qui présente une idée de péril ; l’inquiétude, une tristesse entretenue, ou augmentée par les réflexions de l’esprit ; la douleur, une tristesse mêlée de tourment ; la consternation, un tristesse déraisonnable qui ronge le cœur, & empêche qu’on ne prenne garde aux choses qui sont présentes.

La crainte a pour objet un mal qu’on prévoit. On range sous elle la frayeur, l’appréhension du travail, la confusion, la terreur, l’épouvante, l’anxiété. La frayeur est une crainte tremblante ; l’appréhension du travail, la crainte d’une chose qui donnera de la peine ; la terreur, un effet de l’impression qu’une chose extraordinaire fait sur l’imagination ; l’épouvante, une crainte, accompagnée d’extinction de voix ; l’anxiété, l’appréhension que produit un sujet inconnu ; la convoitise, un désir déraisonnable, auquel on rapporte le besoin, la haine, la discorde, la colère, l’amour, l’animosité, la fureur. Le besoin est un désir repoussé & mis comme hors de la possession de la chose souhaitée, vers laquelle il tend & est attiré ; la haine, un désir de nuire à quelqu’un qui croît & s’augmente ; la discorde, le désir d’avoir raison dans une opinion ; la colère, le désir de punir quelqu’un d’un tort qu’on croit en avoir reçu ; l’amour, un désir auquel un bon esprit n’est point disposé, car c’est l’envie de se concilier l’affection d’un sujet qui nous frappe par une beauté apparente. L’animosité est une colère invétérée, qui attend l’occasion de paraître, ainsi qu’elle est représentée dans ces vers.

Quoiqu’il digère sa bile pour ce jour même, il conserve sa colère jusqu’à ce qu’elle soit assouvie. La fureur est une colere qui emporte. Quant à la volupté, c’est une ardeur pour une chose qui paroît souhaitable. Elle comprend la délectation, le charme, le plaisir qu’on prend au mal, la dissolution. La délectation est le plaisir qui flatte l’oreille ; le plaisir malicieux, celui qu’on prend aux maux d’autrui ; le charme, une sorte de renversement de l’ame, ou une inclinaison au relâchement ; la dissolution, le relâchement de la vertu. De même que le corps est sujet à de grandes maladies, comme la goute & les douleurs qui viennent aux jointures ; de même l’ame est soumise à de pareils maux, qui sont l’ambition, la volupté & les vices semblables. Les maladies sont des dérangements, accompagnés d’affoiblissement ; & cette opinion subite, qu’on prend d’une chose qu’on souhaite, est un dérangement de l’ame. Comme le corps est aussi sujet à des accidens, tels que les catharres & les diarrhées ; ainsi il y a dans l’ame certains sentimens qui peuvent l’entrainer, tels que le penchant à l’envie, la dureté, les disputes & autres semblables.

On compte trois bonnes affections de l’ame, la joye, la circonspection, la volonté. La joye est contraire à la volupté, comme étant une ardeur raisonnable ; la circonspection, contraire à la crainte, comme consistant dans un éloignement raisonnable. Le Sage ne craint jamais : mais il est circonspect. La volonté est contraire à la convoitise, en ce que c’est un desir raisonnable. Et comme il y a des sentiments qu’on range sous les passions primitives, il y en a aussi qu’on place sous les affections de cette espèce. Ainsi à la volonté on subordonne la bienveillance, l’humeur pacifique, la civilité, l’amitié ; à la circonspection, la modestie & la pureté ; à la joye ; le contentement, la gayeté, la bonne humeur.

Les Stoïciens prétendent que le Sage est sans passions, parce qu’il est exempt de fautes. Ils distinguent cette apathie d’une autre mauvaise qui ressemble à celle-ci, & qui est celle des gens durs, & que rien ne touche. Ils disent encore que le Sage est sans orgueil, parce qu’il n’estime pas plus la gloire que le deshonneur ; mais qu’il y a un autre mauvais mépris de l’orgueil, qui consiste à ne pas se soucier comment on agit. Ils attribuent l’austérité aux Sages, parce qu’ils ne cherchent point à paroître voluptueux dans leur commerce, & qu’ils n’approuvent pas ce qui part des autres & porte ce caractère. Ils ajoutent qu’il y a une autre austérité, qu’on peut comparer au vin rude dont on sert pour les médecines, mais qu’on ne présente point à boire. Ils disent encore que les Sages sont éloignés de tout déguisement, qu’ils prennent garde à ne se pas montrer meilleurs qu’ils ne sont par un extérieur composé, sous lequel on cache ses défauts & on n’étale que ses bonnes qualités. Ils n’usent point de feintes, ils la bannissent même de la voix & de la physionomie.

Ils ne se surchargent point d’affaires, & sont attentifs à ne rien faire qui soit contraire à leur devoir. Ils peuvent boire du vin, mais ils ne s’enivrent pas ; ils ne se livrent pas non plus à la fureur. Cependant il peut arriver qu’ils ayant de monstrueuses imaginations, excitées par un excès de bile, ou dans un transport de délire, non par une conséquence du système qu’ils suivent, mais par un défaut de nature. Ils ne s’affligent point, parce que la tristesse est une contradiction déraisonnable de l’âme, comme dit Apollodore dans sa Morale. Ce sont des esprits célestes, qui ont comme un génie qui réside au-dedans d’eux-mêmes, en cela bien différents des méchants, lesquels sont privés de cette présence de la Divinité. De là vient qu’un homme peut être dit Athée de deux manières, ou parce qu’il a des inclinations qui le mettent en opposition avec Dieu, ou parce qu’il compte la Divinité pour rien du tout ; ce qui cependant n’est pas commun à tous les méchants. Selon les Stoïciens, les Sages sont pieux, étant pleinement instruits de tout ce qui a rapport à la religion. Ils qualifient la piété la Connaissance du culte divin, & garantissent la pureté de cœur à ceux qui offrent des sacrifices. Les sages haïssent le crime, qui blesse la majesté des Dieux ; ils en sont les favoris pour leur sainteté & leur justice. Eux seuls peuvent se vanter d’en être les vrais ministres par l’attention qu’ils apportent dans l’examen de ce qui regarde les sacrifices, les dédicaces de Temples, les purifications, & autres cérémonies relatives au service divin. Les Stoïciens établissent comme un devoir, dont ils font gloire aux sages d’honorer, immédiatement, après les Dieux, père & mère, frères & sœurs, auxquels l’amitié pour leurs enfants est naturelle, au-lieu qu’elle ne l’est pas dans les méchants. Selon Chrysippe dans le quatrième livre de ses Questions morales, Persée & Zénon, ils mettent les péchés au même degré, fondés sur ce qu’une vérité, n’étant pas plus grande qu’une autre vérité, une mensonge plus grand qu’un autre mensonge, une tromperie par conséquent n’est pas plus petite qu’une autre fourberie, ni un pêché moindre qu’un autre : & de même que celui, qui n’est éloigné que d’un stade de Canope, n’est pas plus Canope que celui qui en est à cent stades de distance ; tout de même aussi celui qui pêche plus, & celui pêche moins, font tout aussi peu l’un que l’autre dans le chemin du devoir. Néanmoins Héraclide de Tarse, disciple d’Antipater son compatriote, & Athénodore croient que les pêchés ne sont point égaux. Rien n’empêche que Sage ne se mêle du Gouvernement, à moins que quelque raison n’y mette obstacle, dit Chrysippe dans le premier livre de ses Vies, parce qu’il ne peut que servir à bannir les vices & à avancer la vertu. Zénon, dans sa République, permet au sage de se marier & d’avoir des enfants. Il ne juge pas par opinion, c’est-à-dire qu’il ne donne son acquiescement à aucune fausseté ; il fuit la vie des Philosophes Cyniques, parce qu’elle est une chemin abrégé pour parvenir à la vertu, remarque Apollodore dans sa Morale. Il lui est permis de manger de la chair humaine, si les circonstances l’y obligent. Il est le seul qui jouisse du privilège d’une parfaite liberté, au-lieu que les méchants croupissent dans l’esclavage, puisque l’une est d’agir par foi-même, & que l’autre qui est le fruit de l’acquisition, & dont la sujétion est une suite. A cet esclavage est opposé le droit de seigneur, qui est aussi mauvais.

Non seulement les sages sont libres, ils sont même rois, puisque la royauté est un empire indépendant, & qu’on ne saurait contester aux sages, dit Chrysippe dans un ouvrage où il entreprend de prouver que Zénon a pris dans un sens propre les termes dont il s’est servi. En effet ce philosophe avance que celui, qui gouverne, doit connaître le bien & le mal ; discernement qui n’est pas donné aux méchants. Les sages sont aussi les seuls propres aux emplois de Magiistrature, de Barreau & d’éloquence ; autant de postes que les méchants ne sauroient dignement remplir. Ils sont irrépréhensibles, parce qu’ils ne tombent point en faute ; ils sont innocents, puisqu’ils ne portent préjudice à personne, ni à eux-mêmes, mais aussi ils ne se piquent point d’être pitoyables, ne pardonnent point à ceux qui font mal, & ne se relâchent pas sur les punitions établies par les lois. Céder à la clémence, se laisser émouvoir par la compassion, sont des sentiments dont ne peuvent être susceptibles ceux qui ont à infliger des peines, & à qui l’équité ne permet pas de les regarder comme trop rigoureuses. Le sage ne s’étonne pas non plus des phénomènes & des prodiges de la nature, qui se manifestent inopinément, des lieux d’où exhalent des odeurs empestées, du flux & reflux de la mer, des sources d’eau minérale & des feux souterrains. Né pour la société, fait pour agir, pour s’appliquer à l’exercice, pour endurcir le corps à la fatigue, il ne lui convient pas de vivre solitairement, éloigné du commerce des hommes. Un de ses vœux, disent Posidonius, dans son premier livre des Devoirs, & Hecaton dans son treizième livre de ses Paradoxes, est de demander aux Dieux les biens qui lui sont nécessaires. Les Stoïciens estiment que la vraie amitié ne peut avoir lieu qu’entre des sages, parce qu’ils s’aiment par conformité des sentiments. Ils veulent que l’amitié soit une communauté des choses nécessaires à la vie, & que nous disposions de nos amis comme nous disposerions de nous-mêmes ; aussi comptent-ils la pluralité de ces sortes de liaisons parmi les biens que l’ont doit désirer, & que l’on chercherait en vain dans la fréquentation des méchants. Ils conseillent de n’avoir aucune dispute avec des insensés, toujours prêts à entrer en fureur, & si éloignés de la prudence, qu’ils ne font & n’entreprennent rien que par des boutades qui tiennent de la folie. Le sage au contraire fait toutes choses avec poids & mesure, semblable au musicien Isménias, qui jouait parfaitement bien tous les airs de flûte. Tout est au sage en vertu de la pleine puissance qui lui est accordée par la loi. Quant aux méchants & aux insensés, ils ont bien droit sur certaines choses ; mais on doit les comparer à ceux qui possèdent des biens injustement. Au reste, nous distinguons le droit de possession qui appartient au public, d’avec le pouvoir d’usage[41].

Les stoïciens pensent que les vertus sont tellement unies les unes avec les autres, que celui, qui en a une, les a toutes, parce qu’elles naissent en général du même fond de réflexions, comme le disent Chrysippe dans son livre des Vertus, Apollodre dans sa Physique ancienne, & Hecaton dans son troisième livre des Vertus. Car un homme vertueux joint la spéculation à la pratique, & celle-ci renferme les choses qui demandent un bon choix, de la patience, une sage distribution & de la persévérance. Or, comme le sage fait certaines choses par esprit de choix, d’autres avec patience, celles-ci avec équité, celles-là avec persévérance, il est en même temps prudent, courageux, juste & tempérant. Chaque vertu se rapporte à son chef particulier. Par exemple, les choses, qui exigent de la patience, sont le sujet du courage ; le choix de celles qui doivent être laissées & de celles qui sont neutres, est le sujet de la prudence. Il en est ainsi des autres, qui ont toutes un sujet d’exercice particulier. De la prudence viennent la maturité & le bon sens ; de la tempérance procèdent l’ordre & la décence ; de la justice naissent l’équité & la candeur ; du courage, proviennent la constance, la résolution.

Les Stoïciens ne croient pas qu’il y ait de milieu entre le vice & la vertu, en cela contraires à l’opinion des Péripatéticiens, qui établissent que les progrès sont un milieu de cette nature. Ils se fondent sur ce que comme il faut qu’un morceau de bois soit droit ou courbé, il faut de même qu’on soit juste, & qu’il ne peut y avoir de superlatif à l’un ou à l’autre égard. Ce raisonnement est le même qu’ils font sur les autres vertus Chrysippe dit que la vertu peut se perdre ; Cléanthe soutient le contraire. Le premier allègue pour causes, qui peuvent faire perdre la vertu, l’ivrognerie & la mélancolie ; le second s’appuie sur la solidité des idées qui forment la vertu. Ils disent qu’on doit l’embrasser, puisque nous avons honte de ce que nous faisons de mauvais ; ce qui démontre que nous savons que l’honnêteté seule est le vrai bien. La vertu suffit aussi pour rendre heureux, disent avec Zénon Chrysippe dans son premier livre des Vertus, & Hécaton dans son deuxième livre des Biens. Car si la grandeur d’âme, qui est une partie de la vertu, suffit pour que nous surpassions tous les autres, la vertu elle-même est aussi suffisante pour rendre heureux, d’autant plus qu’elle nous porte à mépriser les choses que l’on répute pour maux. Néanmoins Panetius & Posidonius prétendent que ce n’est point assez de la vertu, qu’il faut encore de la santé, dela force du corps & de l’abondance nécessaire. Une autre opinion des Stoïciens est que la vertu requiert qu’on en fasse toujours usage, comme dit Cléanthe, parce qu’elle ne peut se perdre, & que lorsqu’il ne manque rien à la perfection de l’âme, le sage en jouit à toutes sortes d’égards.

Ils croient que la justice est ce qu’elle est, & non telle par institution. Ils parlent sur le même ton de la Loi & de la droite raison, ainsi que le rapporte Chrisuppe dans son livre de l’Honnête. Ils pensent aussi que la diversité des opinions ne doit pas engager à renoncer à la Philosophie, puisque par une pareille raison il faudroit aussi quitter toute la vie, dit Posidonius dans ses Exhortations. Chrysippe trouve encore l’étude des humanités fort utile. Aucun droit, selon les Stoïciens, ne lie les hommes envers les autres animaux, parce qu’il n’y a entre eux aucune ressemblance, dit encore Chrysippe dans son premier livre du Devoir. Le sage peut prendre de l’amitié pour de jeunes gens qui paraissent avoir de bonnes dispositions pour la vertu. C’est ce que rapportent Zénon dans sa République, Chrysippe dans son premier livre des Vies, & Apollodore dans sa Morale. Ils définissent cet attachement, Un goût de bienveillance qui nait des agréments de ceux qu’il a pour objet, & qui ne va point jusqu’à des sentiments plus fort ; mais demeure renfermé dans les bornes de l’amitié[42]. On est a un exemple dans Thrason, qui, quoiqu’il est sa maitresse en sa puissance, s’abstint d’en abuser, parce qu’elle le haïssait[43] Iles appellent donc cette inclination un Amour d’amitié’, qu’ils ne taxent point de vicieuse, ajoutant que les agréments de la première jeunesse sont une fleur de la vertu.

Selon Bion, des trois sortes de vies, spéculative, pratique & raisonnable, la dernière doit être préférée aux autres, parce que l’animal raisonnable est naturellement fait pour s’appliquer à la contemplation & à la pratique. Les Stoïciens présument que le sage peut raisonnablement s’ôter la vie, soit pour le service de sa patrie, soit pour celui de ses amis, ou lorsqu’il souffre de trop grande douleurs, qu’il perd quelque membre, ou qu’il contracte des maladies incurables. Ils croient encore que les sages doivent avoir communauté de femmes, & qu’il leur est permis de se servir de celles qu’on rencontre. Telle est l’opinion de Zénon dans sa République, de Chrysippe le Cynique & de Platon. Ils la fondent sur ce que cela nous engage à aimer tous les enfants, comme si nous en étions les pères, & que c’est le moyen de bannir la jalousie que cause l’adultère. Ils pensent que le meilleur gouvernement est celui qui est m^lé de la démocratie, de la monarchie & de l’aristocratie. Voilà quels sont les sentiments des Stoïciens sur la morale. Ils avancent encore sur ce sujet d’autres choses, qu’ils prouvent par des arguments particuliers ; mais c’en est assez de ce que nous avons dit sommairement sur les articles généraux.

Quant à la Physique, ils en divisent le système en plusieurs parties, c’est-à-dire en ce qui regarde les corps, les principes, les éléments, les Dieux, les prodiges, le lieu & le vide. C’est là ce qu’ils appellent la division par espèces. Celle, qui est par genres, renferme trois parties ; l’une du monde, l’autre des éléments, la dernière des causes. L’explication de ce qui regarde le monde se divise en deux parties. La première est une considération du monde, où l’on fait entrer les questions des Mathématiciens sur les étoiles fixes & errantes, comme si le soleil & la lune sont des astres aussi grands qu’ils paraissent, sur le mouvement circulaire & autres semblables. L’autre manière de considérer le monde appartient aux Physiciens. On y recherche quelle est son essence, & si le soleil & les astres sont composés de matière & de forme, si le monde est engendré ou non, s’il est animé ou sans âme, s’il est conduit par une Providence, & autres questions de cette nature. La partie de la Physique, qui traite des causes, est aussi double. La première comprend les recherches des Médecins & les questions qu’ils traitent sur la partie principale de l’âme ; sur les choses qui s’y passent ; sur les germes & autres sujets semblables. La seconde comprend aussi des matières que les Mathématiciens s’attribuent, comme la manière dont se fait la vision ; quelle est la cause du phénomène que forme un objet vu dans un miroir ; comment se forment les nuées, les tonnerres, les cercles qui paraissent autour du soleil & de la lune, les comètes, & les autres questions de cette nature.

Ils établissent deux principes de l’Univers, dont ils appellent l’un Agent, & l’autre Patient. Le principe patient est la matière, qui est une substance sans qualités. Le principe, qu’ils nomment agent, est la raison qui agit sur la matière ; savoir Dieu, qui, étant éternel, crée toutes les choses qu’elle contient. Ceux, qui établissent ce dogme, sont Zénon Cittien dans son livre de la Substance, Cléanthe dans son livre des Atomes, Chrysippe dans le premier livre de sa Physique vers la fin, Archédème dans son livre des Éléments, & Posidonius dans son deuxième livre du Système Physique. Ils mettent une différence entre les principes & les éléments. Les premiers ne sont ni engendrés, ni corruptibles ; les seconds se corrompront par un embrasement. Les principes sont aussi incorporels & sans-forme, au lieu que les éléments en on une. Le corps, dit Apollodore dans sa Physique, est ce qui a trois dimensions, la longueur, la largeur & la profondeur ; & c’est ce qu’on appelle un corps solide. La superficie est composée des extrémités du corps, & elle n’a que de la longueur & de la largeur, sans profondeur. C’est ainsi que l’explique Posidonius dans son troisième livre des Météores, considérés, tant selon la manière de les entendre que selon leur subsistance[44]. La ligne est l’extrémité de la superficie, ou une longueur sans largeur ; ou bien ce qui n’a que de la longueur. Le point est l’extrémité de la ligne, & forme la plus petite marque qu’il y ait. Les Stoïcients disent que l’entendement, la destinée & Jupiter ne sont qu’un même Dieu, qui reçoit plusieurs autres dénominations ; que c’est lui qui, par le moyen des principes qui sont en lui, change toute la substance d’air en eau ; & que comme les germes sont contenus dans la matière, il en est de même de Dieu, considéré comme raison séminale du monde ; que cette raison demeure dans la substance aqueuse, & reçoit le secours de la matière pour les choses qui sont formées ensuite ; enfin, qu’après cela, Dieu a créé premièrement quatre éléments, le feu, l’eau, l’air & la terre. Il est parlé de ces éléments dans le premier livre de Zénon sur l'Univers, dans le premier livre de la Physique de Chrysippe & dans un ouvrage d’Archédème sur les Éléments.

Ils définissent l’élément ce qui entre le premier dans la composition d’une chose, & le dernier dans sa résolution. Les quatre éléments constituent ensemble une substance sans qualités, qui est la matière. Le feu est chaud, l’eau humide, l’air froid, la terre sèche, & il y a aussi quelque chose de cette qualité dans l’air. Le feu occupe le lieu le plus élevé, & ils lui donnent le nom d'éther. C’est-là que fut formé premièrement l’orbe des étoiles fixes, puis celui des étoiles errantes, % placent ensuite l’air après l’eau. Enfin, la terre occupe le lieu le plus bas, qui est en même temps le centre du monde.

Ils prennent le mot de monde en trois sens ; premièrement pour Dieu même, qui s’approprie la substance universelle, qui est incorruptible, non engendré, l’auteur de ce grand & belle ouvrage, qui enfin, au bout de certaines révolutions de temps engloutit en lui-même toute la substance, & l’engendre de nouveau hors de lui-même. Ils donnent aussi le nom de monde à l’arrangement des corps célestes, & appellent encore ainsi la réunion des deux idées précédentes. Le monde est la disposition de la substance universelle en qualités particulières, ou, comme dit Posidonius dans ses Elemens sur la Science des Choses célestes, l’assemblage du ciel & de la terre, & des natures qu’ils contiennent ; ou bien l’assemblage des Dieux, des hommes, & des choses qui sont créées pour leur usage. Le ciel est la dernière conférence dans laquelle réside tout ce qui participe à la Divinité. Le monde est gouverné avec intelligence & conduit par une Providence, comme si explique Chrysippe dans ses livres des Elemens des Choses célestes, & Posidonius dans ce sentiment que l’entendement est répandu dans toutes les parties du monde, comme il l’est dans notre âme, moins cependant dans les unes & plus dans les autres. Il y en a de certaines où il n’a qu’un usage de faculté, comme dans les os & les nerfs ; il y en a encore dans lesquelles il agit comme entendement, par exemple, dans la partie principale de l’âme. C’est ainsi que le monde universel est un animal doué d’âme & de raison, dont la partie principale est l’éther, comme le dit Antipater Tyrien dans son huitième livre de Monde. Chrysippe, dans son premier livre de la Providence, & Posidonius dans son livre des Dieux, prennent le ciel pour la partie principale du monde : Cléanthe admet le soleil ; mais Chrysippe, d’un avis encore plus différent, prétend que c’est la partie la plus pure de l’éther, qu’on ap^pelle aussi le Premier des Dieux. qui pénètre, pour ainsi dire, comme un sens, dans les choses qui sont l’air, dans les animaux & dans les plantes ; mais qui n’agit dans la terre que comme une faculté.

Il n’y a qu’un monde, terminé, & de forme sphérique ; forme la plus convenable pour le mouvement, comme dit Posidonius dans son quinzième livre du Système Physique, avec Antipater dans ses livres du Monde. Le monde est environné extérieurement d’un vide infini, & incorporel. Ils appellent incorporel ce qui, pouvant être occupé par des corps, ne l’est point. Quant à l’intérieur du monde, il ne renferme point de vide, mais tout y est nécessairement uni ensemble par le rapport & l’harmonie que les choses célestes ont avec les terrestres. Il est parlé du vide dans le premier livre de Chrysippe sur cet article, & dans son premier livre des Systèmes Physiques, aussi bien que dans la Physique d’Apollophane, dans Apolodore, & dans Posidonius au deuxième livre de son traité de Physique. Ils disent que les choses incorporelles sont semblables, & que le temps est incorporel, étant un intervalle du mouvement du monde. Ils ajoutent que le passé & le futur n’ont point de bornes, mais que le présent est borné. Ils croient aussi que le monde est corruptible, puisqu’il a été produit ; ce qui se prouve par ce qu’il est composé d’objets qui se comprennent par les sens, out que si les parties du monde sont corruptibles, le tout l’est aussi. Or les parties du monde sont corruptibles puisqu’elles se changent l’une dans l’autre ; ainsi, le monde est corruptible aussi. D’ailleurs si on peut prouver qu’il y a des choses qui changent se manière qu’elles soient dans un état plus mauvais qu’elles n’étoient, elles sont corruptibles. Or cela a lieu par rapport au monde, car il est sujet à des excès de sécheresse & d’humidité. voici comment ils expliquent la formation du monde. Après que la substance [45] eût été convertie de feu en eau par le moyen de l’air, la partie la plus grossière se changera en air ; & la plus subtile produisit le feu ; de sorte que leur mélange provinrent ensuite les plantes, les animaux & les autres genres. Ce qui regarde cette production du monde & sa corruption, est traité par Zénon dans son livre de la Physique, par Posidonius dans son premier livre du Monde, par Cléanthe, & par Antipater dans son dixième livre sur le même sujet. Au reste Panetius soutient que le monde est incorruptible. Sur ce que le monde est un animal doué de vie, de raison & d’intelligence, on peut voir Chrysippe dans son premier livre de la Providence, Apollodore dans sa Physique & Posidonius, le monde est un animal au sens de substance, douée d’une âme sensible ; car ce qui est un animal est meilleur que ce qui ne l’est point : or il n’y a rien de plus excellent que le monde ; donc, le monde est un animal. Qu’il est doué d’une âme, c’est ce qui parrait par la nôtre, laquelle en est une portion détachée ; Boèthe nie cependant que le monde soit animé. Qunat à ce que le monde est unique, on peut consulter Zénon, qui l’affirme dans son livre de l'Univers, Chrysippe, Apollodore dans sa Physique, & Posidonius dans le premier livre de son Système Physique. Apollodore dit qu’on donne au monde e nom de tout, & que ce terme se prend aussi d’une autre manière pour désigner le monde avec le vide qui l’environne extérieurement. Il faut ce souvenir, que le monde est borné, mais que le vide est infini.

Pour ce qui est des astres, les étoiles fixes sont emportées circulairement avec le ciel ; mais les étoiles errantes ont leurs mouvements particuliers. Le soleil fait sa route obliquement dans le cercle du Zodiaque, & la lune a pareillement une route pleine de détours. Le soleil est un feu très pur, dit Posidonius dans son dix-septième livre des Météores, & plus grand que la terre, selon le même Auteur dans son seizième livre du Système Physique. Il le dépeint de forme sphérique, suivant en cela la proportion du monde. Il paraît être un globe igné, parce qu’il fait toutes les fonctions du feu ; plus grand que le globe de la terre, puisqu’il l’éclaire en tous sens, & qu’il répand même sa lumière dans toute l’étendue du ciel. On conclut encore de l’ombre que forme la terre en guise de cône, que le soleil la surpasse en grandeur, & que c’est pour cette raison qu’on l’aperçoit apr-tout. La lune a quelque chose de plus terrestre, comme étant plus près de la terre. Au reste les corps ingés ont une nourriture, aussi-bien que les autres astres. Le soleil se nourrit dans l’Océan, étant une flamme intellectuelle. La lune s’entretient de l’eau des rivières, parce que, selon Posidonius dans son sixième livre de Système Physique, elle est mêlée d’air & voisine de la terre, d’où les autres corps tirent leurs nourritures. Ces Philisophes croient que les astres sont de figure sphérique, & que la terre est immobile. Ils ne pensent pas que la lune tire sa lumière d’elle-même, ils tiennent au contraire qu’elle la reçoit du soleil. Celui-ci s’éclipse, lorsque l’autre lui est opposée du côté qu’il regarde la terre, dit Zénon dans son livre de l'Univers. En effet, le soleil disparaît à nos yeux pendant sa conjonction avec la lune, & reparaît lorsque la conjonction est finie. On ne saurait mieux remarquer ce phénomène que dans un bassin où on a mis de l’eau. La lune s’éclipse, lorsqu’elle tombe dans l’ombre de la terre. De là vient que les éclipses de Lune n’arrivent que quand elle est pleine, quoiqu’elle soit tous les mois vis-à-vis du soleil ; car comme elle se meut obliquement vers lui, sa latitude varie selon qu’elle se trouve au Nord, ou au Midi. Mais lorsque sa latitude se rencontre avec celle du soleil & avec celle des corps qui sont entre-deux & qu’avec cela elle est opposée au soleil, alors s’enfait l’éclipse. Posidonius dit que le mouvement de sa latitude se rencontre avec celle des corps intermédiaires dans l’écrevisse, le scorpion, le bélier & lr taureau.

Dieu selon, les stoïciens, est un animal immortel, raisonnable, parfait, ou intellectuel dans sa félicité, inaccessible au mal, lequel prend soin du monde & des choses y contenus. Il n’a point de forme humaine, il est l’architecte de l’univers, & le père de toutes choses. On donne aussi vulgairement la qualité d’architecte du monde à cette partie de la divinité qui est répandue en toutes choses, & qui reçoit diverses dénominations, eu égard à ses différents effets. On l’appelle Jupiter, parce que, selon la signification de ce terme, c’est d’elle que viennent toutes choses, & qu’elle est le principe de la vie, ou qu’elle est unie à tout ce qui vit ; Minerve, parce que sa principale action est dans l’éther ; Junon, en tant qu’elle domine dans l’air ; Vulcain, en tant qu’elle préside au feu artificiel ; Neptune, en tant qu’elle tient l’empire des eaux ; Cerès, en tant qu’elle gouverne la terre. Il en est de même des autres dénominations sous lesquelles on la distingue relativement à quelque propriété. Le monde entier & le ciel sont la substance de dieu, disent Zénon, Chrysippe dans son livre onzième des Dieux, & Posidonius dans son livre, intitulé de même. Antipater, dans son septième livre du Monde, compare la substance divine à celle de l’air, & Boêthe, dans son livre de la Nature, veut qu’elle ressemble à la substance des étoiles fixes.

Quant à la nature, tantôt ils donnent ce nom à la force qui unit les parties du monde, tantôt à celle qui fait germer toutes choses sur la terre. La nature est une vertu, qui, par un mouvement qu’elle a en elle-même, agit dans les semences ; achevant & unissant dans des espaces de temps marqués ce qu’elle produit, & formant des choses pareilles à celles dont elle a été séparée[46]. Au reste elle réunit dans cette action l’utilité avec le plaisir, comme cela paraît par la formation de l’homme. Toutes choses sont soumises à une destinée, disent Chrysippe dans ses livres sur ce sujet, Posidonius dans son deuxième livre sur la même matière, & Zénon, aussi bien que Boêthe, dans son onzième livre de la Destinée. Cette destinée est l’enchaînement des causes, ou la raison par laquelle le monde est dirigé.

Les Stoîciens prétendent que la division a un fondement réel, & qu’elle est même une prévision. Ils la réduisent en art par rapport à certains événements, comme disent Zénon, Crysippe dans son deuxième livre de l aDivination, Athénodore, & Posidonius dans son douzième livre du Système physique, ainsi que dans son cinquième livre de la Dviniation. Panetius est d’un sentiment contraire ; il refuse à la divination ce que lui prêtent les autres.

Ils disent que la substance de tous les êtres est la matière première. C’est le sentiment de Chrysippe dans son premier livre de Physique, & celui de Zénon. La matière est ce, dont toutes choses, quelles qu’elles soient, sont produites. On l’appelle substance & matière en deux sens, en tant qu’elle est substance & matière dont toutes choses sont faites, & en tant qu’elle est substance & matière de choses particulières. Comme matière universelle, elle n’est sujette, ni à augmentation, ni à diminution ; comme matière de choses particulières, elle est susceptible de ces deux accidents. La substance est corporelle & bornée, disent Antipater dans son deuxième livre de la Substance, & Apollodore dans sa physique. Elle est aussi paisible, selon le même auteur ; car si elle n’étoit pas muable, les choses, qui se font, ne pourroient en être faites. De là viens aussi, qu’elle est divisible à l’infini.. Chrysippe trouve cependant que cette division n’est point infinie, parce que le sujet, qui reçoit la division, n’est point infini ; mais il convient que la division ne finit point.

Les mélanges se font par l’union de toutes les parties, & non par une simple addition de l’une à l’autre, ou de manière que celles-ci environnent celles-là, comme dit Chrysippe dans son troisième livre de Physique. Par exemple, un peu de vin, jetté dans la mer, résiste d’abord en s’étendant ; mais s’y perd ensuite.

Ils croient aussi qu’il y a certains démons qui ont quelque sympathie avec les hommes, dont ils observent les actions, de même que des héros, qui sont les âmes des gens de bien.

Quant aux effets qui arrivent dans l’air, ils disent que l’hiver est l’air refroidi par le grand éloignement du soleil ; le printemps, l’air tempéré par le retour de cet astre ; l’été, l’air échauffé par son cours vers le Nord ; & l’automne l’effet de son départ vers les lieux d’où viennent les vents[47]. La cause de ceux-ci est le soleil, qui convertit les nuées en vapeurs. L’arc-en-ciel est composé de rayons, réfléchis par l’humidité des nuées, où, comme dit Posidonius dans son traité des Choses célestes, c’est l’apparence d’une portion du soleil, ou de la lune vue dans une nuée pleine de rosée, concave & continue, qui se manifeste sous la forme d’un cercle de la même manière qu’un objet vû dans un miroir. Les comètes, tant celles qui sont chevelues, que les autres qui ressemblent à des torches, sont des feux produits par un air épais, qui s’élève jusqu’à la sphère de l’éther. L’étoile volante est un feu rassemblé, qui s’enflamme dans l’air, & qui, étant emporté sort rapidement, paraît à l’imagination avoir une certaine longueur. La pluie se forme des nuées, qui se convertissent en eau lorsque l’humidité, élevée de la terre, ou de la mer par la force du soleil, ne trouve pas à être employée à d’autres effets. La pluie, condensée par le froid, se ressoude en gelée blanche. La grêle est une nuée compacte, rompue par le vent ; la neige, une nuée compacte qui se change en une matière humide. dit Posidonius dans son huitième livre du Système Physique. L’éclair est une inflammation des nuées, qui s’entrechoquent & se déchirent par la violence du vent, dit Zénon dans son livre de l'Univers. Le tonnerre est un bruit, causé par les nuées qui se heurtent & se fracassent. La foudre est une forte & subite inflammation, qui tombe avec impétuosité sur la terre par le choc, ou la rupture des nuées, & selon d’autres, un amas d’air enflammé & rudement poussé sur la terre. L’ouragan est une sorte de foudre, qui s’élance avec une sorte extrême, ou un assemblage de vapeurs embrasées, & détachées d’une nuée qui se brise. Le tourbillon est une nuéee environnée de feu & accompagnée d’un vent qui sort des cavités de la terre, ou jointe à un vent comprimé dans les souterrains, comme l’explique Posidonius dans son huitième livre. Il y en a de différentes espèces. Les uns causent les tremblements de terre, les autres les gouffres, ceux-ci des inflammations, ceux-là des bouillonnements.

Voici comme ils conçoivent l’arrangement du monde. Ils mettent la terre au milieu, & la font servir de centre ; ensuite ils donnent à l’eau, qui est de forme sphérique, le même centre qu’a la terre ; de sorte que celle-ci se trouve être placée dans l’eau ; après ce dernier élément, vient l’air qui l’environne comme une sphère. Ils posent dans le ciel cinq cercles, dont le premier est le cercle arctique qu’on voit toujours ; le second, le tropique d’été ; le troisième, le cercle équinoxial ; le quatrième, le tropique d’hiver ; le cinquième, le cercle antarctique, qu’on n’aperçoit pas. On appelle ces cercles Prallèles parce qu’ils sont décrits autour du même pôle. Le zodiaque est un cercle oblique, qui, pour ainsi dire, traverse les cercles parallèles. La terre est aussi partagée en cinq zones : en zone septentrionale au-delà du cercle arctique, inhabitable par la froidure ; en zone tempérée ; en zone torride, ainsi nommée à cause de sa chaleur, qui la rend inhabitable ; en zone tempérée comme celle qui lui est opposée, & en zone australe, aussi inhabitable pour sa froidure que le sont les deux autres.

Les stoïciens se figurent que la nature est un feu plein d’art, lequel renferme dans son mouvement une vertu générative ; c’est-à-dire un esprit qui a les qualités du feu & celle de l’art. Ils croient l’âme douée de sentiment, & l’appellent un Esprit formé avec nous ; aussi en font-ils un corps, qui subsiste bien après la mort, mais qui cependant est corruptible. Au reste ils tiennent, que l’âme de l’univers, dont les âmes des animaux sont des parties, n’est point sujette à corruption.

Zénon Cittien, Antipater dans ses livres de l'Ame & Posidonius nomme l’âme un Esprit doué de chaleur, qui nous donne la respiration & le mouvement. Cléanthe est d’avis que toutes les âmes se conservent jusqu’à la conflagration du monde ; mais Chrysippe restreint cette durée aux âmes des sages. Ils comptent huit parties de l’âme ; les cinq sens, les principes de génération, la faculté de parler, & celle de raisonner. La vue est une figure conoïde, formée par la lumière entre l’œil & l’objet vu, dit Chrysippe dans son deuxième livre de Physique. Selon l’opinion d’Apollodore, la partie de l’air, qui forme la pointe du cône, est tournée vers l’œil, & la base vers l’objet, comme si on écartait l’air avec un bâton pour rendre l’objet visible. L’ouïe se fait par le moyen de l’air qui se trouve entre celui qui parle & celui qui écoute, lesquels, frappé orbiculairement, ensuite agité en ondes, s’insinue dans l’oreille de la même manière qu’une pierre, jetée dans l’eau, l’agite & y cause une ondulation. Le sommeil consiste dans un relâchement de l’âme. Ils donnent pour cause des passions les changements de l’esprit.

La semence, disent les stoïciens, est une chose propre à en produire une pareille à celle dont elle a été séparée. Par rapport aux hommes, elle se mêle avec les parties de l’âme, en suivant la proportion de ceux qui s’unissent. Chrysippe, dans son deuxième livre de Physique, appelle les semences un Esprit joint à la substance ; ce qui paraît par les semences qu’on jette à terre, & qui, lorsqu’elles sont flétries, N’ont plus la vertu de rien produire, parce que la force en est perdue. Sphoerus assure que les semences proviennent des corps entiers ; de sorte que la vertu générative appartient à toutes les parties du corps. Il ajoute que les germes des animaux femelles n’ont point de fécondité, étant foibles, en petite quantité & de nature aqueuse.

La partie principale de l’âme est ce qu’elle renferme de plus excellent. C’est-là que se forment les images que l’âme conçoit, que naissent les penchants, les désirs, & tout ce qu’on exprime par la parole. On place cette partie de l’âme dans le cœur.

Ceci, je crois, peut suffire pour ce qui regarde les sentiments des stoïciens sur la physique, autant qu’ils concernent l’ordre de cet ouvrage Voyons encore quelques différences d’opinions qui subsistent entre ces philosophes.



  1. Selon Mer. Casanbon, c’est une allusion à la constellation de Chien.
  2. Le mot Pacile signifie varié. Cet endroit étoit situé sut le Marché. Ménage. Le mot Stoïcien vient d’un terme qui signifie portique.
  3. D’autres corrigent, Aristodème.
  4. Ménage & autres Interprètes Latins ne disent rien sur ce passage ; Boileau & Fougerolles le défigurent. Je crois qu’il s’agit du monde qui s’assemblait autour de Zénon lorsqu’il donnait ses leçons, & je suppose qu’il y avoit des degrés au portique du Poecile, où il se tenait, & que c’est de ce Portique que parle Diogène Laërce.
  5. Étienne traduit le mot original un instrument à quatre cordes. C’étoit apparemment une espèce de violon.
  6. Il y a des variations sur ce passage.
  7. Allusion à ce que Polémon enseignoit pour rien. Fougerolles
  8. Selon Kuknius, il faut traduire, de faire des gestes d’applaudissement ; l’un vaut l’autre pour le sens.
  9. C’est-à-dire qu’il devrait écouter autant qu’il parlait.
  10. Il y a dans le Grec, la fleur de la voix.
  11. Diodore étoit de la Secte Mégarique. Ces Philosophes enseignoient dans un jardin. ’Ménage.
  12. C’est le nom d’une espèce de Syllogisme. Les Anciens appeloient leurs Syllogismes de divers noms.
  13. Hérode avoit dit tout le contraire.
  14. C’est-à-dire Thalie, nom d’une des Grâces de la fable, & aussi d’une des Muses qui présidait sur les fruits de la terre. De là vient que Thalie signifie quelquefois la volupté. Voyez le Thrésor d’Étieme. La fin de ces vers paraît désigner les Épicuriens. Meiboom. Au reste Diogène Laërce les a déjà rapportés dans la vie d’Antisthène.
  15. Terme de Logique, qui revient à celui de proposition.
  16. Plante. Voyez Étienne, Pline, Riebelet.
  17. Le mot de versets n’est point dans l’original. Aldebrandin ne sait personne qui ait expliqué ces deux cents, Ménage croit que c’est un ouvrage, & se fonde sur un endroit pareil de la Vie de Chrysippe, où il est parlé d’un ouvrage sur Jupiter & Junon.
  18. Le savant le Clerc a fait usage de cet exemple dans son Art Critique, T. 2. p. 277. où il parle des corruptions frauduleuses des Manuscrits, & on peut remarquer, par cet exemple même, que ce qui empêche qu’on ne puisse insérer de là le Pyrrhonisme historique, c’est que des corruptions considérables, comme celle-là, ne pouvoient guère rester cachées.
  19. C’est-à-dire qui en faisait le souverain bien. Is Casaubon.
  20. Ménage corrige le nom Ephillus ; il est pourtant dans Vossius, Hist. Gr.
  21. Je crois que cela veut dire vraisemblable.
  22. En Grec lieux de la voix.
  23. Ce sont, comme on l’a remarqué plus haut, divers noms de Syllogismes qu’on ne pourrait rendre autrement que par de longues périphrases. L’argument, nommé impersonnel, est expliqué à la fin de cette Dialectique, ce sont ceux qui ne désignent personne.
  24. Voyez le Trésor d’Étienne au mot : lemme.
  25. Ce mot est pris ici au sens de chose imaginée, ou de représentation d’un objet.
  26. Il y a en Grec imaginations compréhensibles & incompréhensibles. Cicéron, Questions Académ. L. I. vers la fin, prend le mot de comprendre au sens de saisir. Is. Casaubon croit qu’il manque quelque mot dans ce passage.
  27. Le mot signifie ici l’organe commun des sensations.
  28. Voici, je crois, une trace de mot de Corps, pris au sens de substance : Cela vient à propos dans l'Histoire Ecclésiastique.
  29. La manière de parler en termes ordinaires étoit ce qu’on appelait Idiotisme. Elles consistait à exprimer chaque chose par les termes qui lui étoient propres, & c’étoit, dit-on, le style des gens sans lettres, l’éloquence consistant à employer des termes recherchés. Ménage.
  30. On croit qu’il manque ici quelque chose. Ménage.
  31. Il appelle ici droits les verbes actifs. Alderandin
  32. Cette construction paraît donner à connaître que le terme de l’original, que nous avons traduit renversé, & qui est assez difficile à rendre, est pris par Diogène pour signifier le passif.
  33. Il y a en Grec Axiome ; mais le sens fait voir que Cicéron a fort bien traduit ce mot par Énonciation, ou Proposition.
  34. Le mot Grec, que je traduis Mode, est Trope ; & Mode raisonné Logotrope.
  35. Je fais une correction de Menage.
  36. On croit que la troisième distinction manque ; c’est-à-dire, comme bien par la nature de l’action. Ménage.
  37. C’est-à-dire comme fins de la conduite qu’on tient.
  38. Les Stoïciens mettoient des nombres dans la vertu. Tout devoir est composé de certains nombres. Marc Antoine, VI. ? 26. Dacier a traduit, d’un certain nombre de choses
  39. Nous préférons les expressions approuver & rejeter, justifiées par la définition de Diogène, à d’autres plus littérales, mais qui ne forment pas de sens en Français.
  40. Je suis une correction de Kidbnius.
  41. C’est-à-dire que toutes choses appartiennent aux sages, entant qu’ils sont propres à faire un bon usage de tout. C’est une manière de parler, comme quelques autres traits de ce portrait du sage.
  42. Il faut prendre garde à cette définitions, parce qu’elle justifie les anciens philosophes du reproche qu’on a fait à quelques-uns d’avoir de mauvais attachements.
  43. Casaubon croit cet endroit défectueux.
  44. Il paraît y avoir ici quelques équivoque, ou obscurité, & il n’y a point de note.
  45. La matière. Voyez ci-dessus.
  46. c’est-à-dire, je crois, dont elle a été séparée avec les semences dans lesquelles elle agit.
  47. . Il manque ici quelque chose dans le Grec ; on y supplée par toute une période. J’ai mieux aimé suivre Fongerelles, qui ne supplée qu’un mot, quoiqu’il ne soit pas d’ailleurs herbeux dans presque tout ce livre.