Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres/7/Ariston

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J. H. Schneider, Libraire (Tome IIp. 175-178).
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Livre VII


ARISTON.



Ariston le Chauve, natif de Chio & surnommé Sirene, faisoit consister la fin, qu’on doit se proposer, à être indifférent sur ce où il n’y ni vice, ni vertu. Il n’exceptoit aucune de ces choses, ne penchoit pas plus pour les unes que pour les autres, & les regardoit toutes du même œil. Le sage, ajoutoit-il, doit ressembler à un bon Acteur, qui soit qu’il joue le rôle de Thersite[1], ou celui d’Agamemnon, s’en acquitte d’une maniere également convenable Il vouloit qu’on ne s’appliquât, ni à la physique, ni à la logique, sous prétexte que l’une de ces sciences étoit au-dessus de nous, & que l’autre ne nous intéressoit point. La Morale lui paroissoit être le seul genre d’étude qui fût propre à l’homme. Il comparoit les raisonnemens de la Dialectique aux toiles d’araignées, qui, quoiqu’elles semblent renfermer beaucoup d’art, ne sont d’aucun usage. Il n’étoit ni de l’avis de Zénon, qui croyoit qu’il y a plusieurs sortes de vertus, ni de celui des philosophes Mégariens, qui disoient que la vertu est une chose unique, mais à laquelle on donne plusieurs noms. Il la définissait la manière dont il faut s conduire par rapport à une chose. Il enseignait cette philosophie dans le Cybosarge [2], & devient ainsi chef de secte. Miltiade & Diphilus furent appellés Aristontiens du nom de leur Maître. Au reste il avoit beaucoup de talent à persuader, & étoit extrêmement populaire dans ses leçons. De là cette expression de Timon.

Quelqu’un, sorti de la famille de cet Ariston qui étoit si affable.

Diocles de Magnéfie raconte qu’Ariston, s’étant attaché à Polemon, changea de sentiments à l’occasion d’une grande maladie oz tomba Zénon. Il insistait beaucoup sur le dogme stoïcien, que le sage ne doit point juger par simple opinion. Persée, qui contredirait ce dogme, se servit de deux frères jumeaux, dont l’un vient lui confier un dépôt, que l’autre vient lui redemander, & le tenant ainsi en suspens, il lui fit sentir son erreur. Il critiquait fort & haïssait Arcesilas ; de sorte qu’un jour ayant vu un monstrueux taureau qui avoit une matrice, il s’écria : Hélas ! voilà pour Arcesilas un argument contre l’évidence [3]. Un philosophe académicien lui soutint qu’il n’y avoit rein de certain. Quoi ! dit-il, ne voyez vous pas celui qui est assis à côté de vous ? ,, Non, répondit l’autre". Sur quoi Ariston reprit, Qui vous a ainsi aveuglé ? qui vous a ôté l’usage des yeux[4] ?

On lui attribue les ouvrages suivans : Deux livres d’Exhortations. Des Dialogues sur la Philosophie de Zénon. Sept autres Dialogues d’école. Sept Traités sur la sagesse. Des Traités sur l’Amour. Des Commentaires. Trois livres de Choses mémorables. Onze livres de Cbries. Des Traités contre les Orateurs. des Traités contre les Dialecticiens. Quatre livre de Lettres À Cléanthe.

Panetius & Sosicrate disent qu’il n’y a que ces lettres qui soient de lui, & attribuent les autres ouvrages de ce catalogue à Ariston le Péripatéticien.

Selon la voix commune, celui, dont nous parlons, étant chauve, fut frappé d’un coup de soleil ; ce qui lui causa la mort. C’est à quoi nous avons fait allusion dans ces vrs Choliambes [5] que nous avons composés à son sujet.

Pourquoi vieux & chauve, Ariston, donnais-tu sa tête à rôtir au soleil ? En cherchant plus de chaleur qu’il ne t’en faut, tu tombes, sans le vouloir, dans les glaçons de la mort.

Il y a eu un autre Ariston, natif d’Ioulis, Philosophe Péripatéticien ; un troisieme, Musicien d’Athenes ; un quatrieme, Poëte Tragique ; un cinquieme du bourg d’Alæe, qui écrivit des Systêmes de Rhétorique, & un sixieme, né à Alexandrie, & Philosophe de la Secte Péripatéticienne.



  1. Homme laid & grossier.
  2. Nom d’un temple d’Hercule à Athenes. Pausanias, Voyage de l’aTrique, ch. 18.
  3. Il fut le premier qui soutint le pour & le contre.
  4. Vers d’un poète inconnu. Menage.
  5. Sorte de vers lambes.