Vies choisies des Pères des déserts d’Orient/10

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SAINT JEAN CLIMAQUE, ABBÉ DU MONT-SINAÏ, ET PÈRE DE L’ÉGLISE GRECQUE.


Nous sommes obligé de passer à saint Jean Climaque, quoiqu’il ait fleuri plus d’un siècle après, parce que nous ne savons rien de ce qui s’est passé dans cet intervalle dans les déserts d’Arabie. Ils devaient être pourtant habités par de grands religieux ; car le saint dont nous allons parler n’y parut pas comme un réformateur de l’état monastique, mais il y fut élevé aux devoirs de cet état par d’excellents maîtres, qui sans doute avaient succédé à d’autres non moins respectables qu’eux par leurs lumières et leur piété.

Saint Jean est surnommé le Scolastique, à cause de la beauté de son esprit et de l’éminence de sa science ; et l’ouvrage inestimable qu’il a donné à l’Église sous le nom d’Échelle sainte, contenant plusieurs degrés de vertus pour arriver à la plus haute perfection, lui a fait donner aussi le nom de Climaque, qui est celui sous lequel il est plus connu. On présume qu’il était de Palestine, mais on ignore dans quel lieu et en quelle année il était né. On croit pourtant que ce fut vers l’an 525, sous l’empire de Justin Ier. Il est certain, par les études qu’il cultiva et par les pieux sentiments qu’il montra en s’engageant fort jeune dans la vie solitaire, qu’il reçut une belle éducation, qui fut également chrétienne ; ce qui suppose en lui de la naissance, de riches dispositions d’esprit, et des parents pieux.

Il n’avait que seize ans lorsque, nonobstant ses talents et l’espérance qu’ils lui donnaient de briller dans le monde, il se déroba à tout ce qui s’y offrait à lui de flatteur, et vint s’éteindre, pour ainsi dire, dans le silence du désert. Il choisit pour cela la solitude du mont Sinaï, soit qu’elle fût plus à sa portée en sortant de la Palestine, soit qu’il y fût plus attiré par la réputation des religieux qui l’habitaient. Il s’y mit sous la direction d’un saint vieillard nommé Martirius, qui s’attacha d’autant plus à le former aux vertus monastiques, qu’il y excellait lui-même, et qu’il trouva dans son élève les plus heureuses dispositions d’esprit et de cœur, et une docilité parfaite. On peut dire que jamais novice n’embrassa avec plus d’ardeur et de piété les pratiques de la vie religieuse, et n’en prit l’estime avec plus de perfection.

Il fut quatre ans à s’instruire et à s’éprouver avant de s’engager irrévocablement par la profession religieuse ; ainsi il ne la fit qu’à vingt ans. Un très-pieux abbé nommé Stratège, qui était présent à la cérémonie, fut alors éclairé de l’esprit de Dieu, et prédit que le nouveau profès serait un jour une des grandes lumières du monde. Jean continua de demeurer sous la conduite de son directeur, qui, le voyant avancer extraordinairement dans les vertus et la science des saints, voulut le mener à un des plus grands solitaires de ce désert, appelé Anastase, qui depuis fut, dit-on, patriarche d’Antioche. Cet Anastase, voyant saint Jean Climaque, demanda à Martirius qui lui avait coupé les cheveux, c’est-à-dire qui l’avait reçu à la profession religieuse. À quoi Martirius ayant répondu que c’était lui-même, Anastase répliqua avec admiration : « Qui croirait, mon père, que vous eussiez consacré à Dieu un futur abbé du Mont-Sinaï ! »

Après ces deux prédictions de suite, Martirius, voulant éprouver sans doute si l’esprit de Dieu s’expliquerait une troisième fois par la bouche d’un autre célèbre solitaire appelé Jean, et surnommé le Sabaïte parce qu’il avait été disciple de saint Sabas, le conduisit au désert de Gudde où il demeurait, et ce grand solitaire n’eut pas plutôt vu arriver Martirius avec son élève, qu’il se hâta de laver les pieds à celui-ci préférablement à son père spirituel, et lui baisa même la main. Étienne, disciple de Jean le Sabaïte, étonné de cette préférence, lui en demanda la raison. Il lui répondit qu’il ne savait pas qui était ce jeune religieux, mais qu’il avait reçu en lui un futur abbé de Sinaï.

Il y avait dix-neuf ans qu’il s’exerçait avec une simplicité admirable dans la pratique fidèle de l’obéissance, lorsque Dieu appela à lui son père spirituel, le vénérable Martirius. Il se proposa alors d’embrasser la vie des anachorètes ; et il avait travaillé si parfaitement à combattre ses passions, à se dégager de l’affection des choses de la terre, et à acquérir l’esprit d’oraison, qu’il s’était rendu très-propre à cet état non moins laborieux que saint. Ce sont les qualités qu’il exige lui-même, dans son Échelle sainte, de ceux qui veulent vivre seuls dans le désert ; et il en connaissait trop la nécessité pour oser s’y engager sans les avoir acquises. Mais, comme il ne présumait jamais de ses propres lumières, quoiqu’il en eût assez pour instruire les autres, il voulut auparavant prendre conseil d’un saint vieillard appelé George Arsiloïte, qui approuva son dessein ; et il continua depuis, dans sa retraite, de le consulter et de suivre fidèlement ses avis.

Il descendit donc de la montagne, et se retira dans une solitude qui était au bas dans la plaine, et qu’on appelle Thole. Sa cellule était éloignée d’environ cinq milles, c’est-à-dire de près de deux lieues, de l’église, qui était apparemment celle que l’empereur Justinien avait fait bâtir au pied de la montagne : et il s’y rendait les samedis et les dimanches comme les autres solitaires, soit pour l’office, soit pour y participer aux saints mystères.

Dans sa nouvelle retraite, Jean se proposa une vie toute céleste, comme s’il n’eût rien fait jusqu’alors ; mais ce ne fut pas sans soutenir de grands combats, et sans avoir de grandes tentations à surmonter.

Il eut aussi à vaincre une tentation qui lui donna occasion de montrer comment la vaine gloire se glisse quelquefois dans notre âme pour la tromper. « J’étais, dit-il, assis un jour dans ma cellule, et je sentais un si grand découragement dans mon cœur, que je pensais presque à la quitter. Quelques étrangers survinrent dans ce temps-là, et se mirent à relever si hautement le bonheur que j’avais de vivre ainsi dans la solitude, que ces pensées d’ennui et de découragement furent aussitôt chassées par celle de la vaine gloire. J’admirai comment le démon de la vanité, semblable au fer à trois pointes qui a toujours une pointe en haut, fait la guerre à tous les autres démons. » Il fait aussi, au troisième degré de son Échelle sainte, une énumération des différentes tentations dont les ennemis du salut se servent pour porter les anachorètes au relâchement, et il paraît par ses expressions qu’il en avait eu un grand nombre à combattre ; mais il soutenait ces assauts sans se troubler. Il opposait l’abstinence et la fuite des occasions aux désirs de la sensualité ; la retraite et le silence à la vaine gloire ; et la privation des choses même nécessaires, ainsi que la charité envers les pauvres, à qui il faisait part de ce qu’il gagnait du travail de ses mains, à la délicatesse et à l’attache aux choses de la terre.

D’ailleurs il usait en tout de discrétion ; évitant les excès, qui sont souvent des piéges pour l’âme, et son historien remarque qu’il mangeait sans distinction de tout ce que sa profession lui permettait de manger, mais toujours en très-petite quantité et seulement pour soutenir le corps ; et par là il surmontait l’intempérance en mangeant fort peu, et la vanité en mangeant de tout sans affectation. Il en faisait de même à l’égard du sommeil, usant de discrétion pour ne pas se laisser accabler par les veilles ; mais il ne reposait point qu’il n’eût fait auparavant une longue oraison.

Il semble s’être dépeint lui-même, quoiqu’il tâche de s’abaisser en beaucoup d’endroits de son livre, lorsqu’il attribue trois vertus particulières aux anachorètes, qui sont une désoccupation du soin de toutes sortes d’affaires, une prière continuelle, une vigilance qui rend le cœur inaccessible aux démons. Cette privation entière de tout qu’il pratiquait et qu’il chérissait, bannissait de son esprit toute autre sollicitude et toute autre occupation que celle de plaire à Dieu. Sa vigilance sur les moindres mouvements de son cœur n’y laissait aucune ouverture aux esprits de ténèbres qui auraient voulu l’infecter ; et son esprit et son cœur, ainsi dégagés du souvenir et de l’affection de la terre, se trouvaient dans une entière liberté de s’élever à Dieu par l’oraison continuelle. Il explique, dans le degré du repos de la vie solitaire, en quoi consiste cette oraison. « Celui, dit-il, qui court sagement dans cette carrière sainte, à Dieu pour objet et pour règle dans tous ses exercices, dans toutes ses démarches et dans tous ses mouvements, et il ne fait rien qu’en la présence de Dieu et avec une ferveur tout intérieure. »

Par ce continuel souvenir de Dieu, il rectifiait tout ce qu’il faisait et jusqu’à ses moindres pensées ; mais au temps destiné particulièrement pour l’oraison, son esprit était souvent transporté par des ravissements admirables ; il était dans une extase profonde, et son âme, prenant son vol par une opération surnaturelle de la grâce, se trouvait ravie parmi les anges, et s’entretenait avec eux des vérités de nos mystères et de la bonté ineffable de l’Homme-Dieu. On peut dire que dans ces états d’oraison éminente il éprouvait ce qu’il marque dans son Échelle sainte, où il dit que le dernier et le plus parfait degré d’oraison consiste en un transport de l’âme et en un ravissement de l’esprit en Dieu, et, qu’entre plusieurs autres sortes d’illuminations, il y en a une toute singulière qui, par un ravissement d’extase, met l’âme en la présence de Jésus-Christ d’une manière secrète et ineffable, et la remplit d’une lumière spirituelle et céleste.

De ce don d’une oraison si parfaite venait en lui ce grand amour de la solitude et du silence, qui le portait à se cacher aux yeux des hommes autant qu’il pouvait, et à se taire, tandis qu’il était si capable de parler de Dieu admirablement. Aussi disait-il que le vrai solitaire, ne voulant rien perdre des douceurs divines dont Dieu le console, ne fuit pas moins tous les hommes, quoiqu’il n’ait aucune aversion pour eux, que les autres les recherchent.

Outre ce grand don d’oraison, Dieu lui en accorda un autre également précieux, qui fut le don des larmes. « Quelle place, dit son historien, donnerai-je dans la couronne de ses vertus à cette source de larmes qui était en lui, et qui est une grâce si rare et qui se trouve en si peu de solitaires ? Il les répandait en secret, et, parce que sa cellule était proche des autres, et qu’on eût pu l’entendre pleurer et gémir, il se retirait à l’écart dans un antre qu’on voit encore au pied de la montagne, et qui n’était éloigné de sa cellule et des autres qu’autant qu’il fallait pour fermer l’entrée à la vaine gloire, qui aurait pu se glisser dans son cœur par les louanges qu’on lui eût données. C’était là qu’il faisait retentir jusqu’au ciel ses soupirs, ses gémissements et ses cris, avec autant de force que pourraient faire ceux que l’on coupe avec le fer, que l’on brûle avec le feu, ou à qui on arrache les yeux. »

Il joignit à l’oraison la lecture des livres saints et des docteurs de l’Église qui l’avaient précédé ; il lisait même quelquefois les ouvrages des hérétiques, pour les combattre par l’Écriture et la tradition des Pères ; mais il donne cet excellent avis au sujet de ces derniers : « Ne lisez point les livres des hérétiques avant que vous ayez été éclairé et fortifié de l’esprit de Dieu, parce que ce sont des paroles de ténèbres qui obscurcissent l’esprit des faibles. » Maxime des plus importantes, puisque, dans tous les temps, c’est par ces pernicieuses lectures que tant de personnes trop curieuses et hors d’état de discerner le venin de l’hérésie, ont eu le malheur de se laisser éblouir par les artificieuses subtilités de ces méchants auteurs, et sont tombées dans ces ténèbres de l’erreur qui ont, comme dit notre saint, obscurci malheureusement leur esprit, et empoisonné leur cœur.

Il donne aussi cette instruction au sujet des livres saints : « La lecture, dit-il, des livres sacrés n’est pas peu utile pour éclairer notre esprit et le recueillir en lui-même, car ce sont les paroles du Saint-Esprit, qui servent de lumière et de guide à ceux qui les lisent avec piété et avec regret. Si votre vie est conforme à l’état saint où Dieu vous a appelés, ayez soin de mettre en pratique les choses que vous lisez ; car, si vous êtes fidèles, la lecture des autres livres vous deviendra superflue. Mais cherchez l’intelligence de la doctrine du salut plutôt dans la pratique des bonnes œuvres que dans la lecture des livres. »

Il recommandait encore de ne point s’obstiner à disputer avec les hérétiques quand ils venaient dans un esprit de contention et de malice plutôt que pour connaître la vérité. « Contentez-vous, dit-il, de leur représenter une ou deux fois leur égarement et leur erreur. Mais, ajoute-t-il, s’il y en a qui aient un désir sincère de s’instruire de la vérité, ne nous lassons point de leur en donner des instructions saintes et salutaires ; mais n’entreprenons l’un et l’autre que selon que nous sentons notre esprit et notre cœur affermis dans la connaissance et la croyance des mystères de la foi. »

Il répète à peu près la même recommandation, dans sa Lettre au Pasteur, comme très-importante, parce qu’il savait que c’est un des artifices des hérétiques de corrompre la foi des religieux et des femmes, pour se donner plus de crédit et étendre davantage leurs erreurs. « Les supérieurs, dit-il, qui n’ont qu’une faible connaissance des mystères et des vérités de la foi, ne doivent point communiquer avec les hérétiques, selon que les canons mêmes nous l’ordonnent ; mais quant à ceux que Dieu a rendus puissants en paroles et en doctrine, si les ennemis de l’Église les appellent au combat, et qu’ils veuillent bien entrer en lice avec eux, qu’ils y entrent pour la plus grande gloire de Dieu. » Il ne faut pas s’étonner que saint Jean donne ces avis contre les hérétiques ; il y en avait plusieurs de son temps qui attaquaient principalement les mystères de la Trinité et de l’Incarnation, et qui troublaient étrangement l’Église d’Orient par leurs erreurs.

Il lisait aussi les vies et les sentences des pères de la solitude, et il paraît, par ce qu’il en rapporte de temps en temps dans son Echelle sainte, qu’il s’animait par leurs exemples et qu’il tâchait de prendre leur esprit. Il ne lui suffit même pas de s’instruire de leurs actions et de leur doctrine spirituelle par les recueils que l’on en avait faits, et qui étaient répandus dans les monastères pour l’usage des religieux : il voulut aussi aller visiter les solitudes d’Égypte, pour recueillir par lui-même l’esprit des anciens habitants de ces déserts dans ceux des solitaires orthodoxes qui s’y conservaient encore. C’est ce qui nous a procuré les édifiantes relations qu’il en a faites dans son Échelle, surtout celle du monastère de la Pénitence, dont on dit des choses admirables, et qui nous paraîtraient incroyables s’il n’en avait parlé en témoin oculaire. Il peut aussi avoir pénétré des déserts d’Égypte à celui de Scété et aux monastères de Tabenne, car il en parle dans son ouvrage ; mais nous ne savons point en quel temps il fit ces pieuses courses. À cela près, sa cellule de Thole lui fut si chère, qu’il parut vouloir s’y concentrer entièrement. Ainsi, semblable à une industrieuse abeille qui va cueillir sur différentes fleurs la liqueur dont elle forme son miel, le bienheureux Jean, revenu de ses voyages, forma dans sa cellule ce miel mystique qu’on goûte en lisant son Échelle sainte, et qu’on ne peut se lasser de goûter.

Mais son humilité était telle, qu’il ne put se déterminer à rien écrire que lorsque, étant élu abbé du Mont-Sinaï, il en fut fortement sollicité par l’abbé Raïthe. Il était alors d’un âge fort avancé, et jusqu’à ce temps-là cette grande lumière, qui n’avait qu’à se montrer pour jeter des rayons si propres à éclairer les âmes, se tint cachée sous le boisseau. C’était là véritablement l’attrait de son humilité. Il eût voulu être oublié, comme il tâchait d’oublier tout pour Dieu. Ce souverain maître lui suffisait, et il n’aspirait qu’à être connu de lui et à le connaître. Ce silence si rigoureux qu’il gardait prouve encore mieux combien il était humble par ce qu’il marque dans sa Lettre au Pasteur ; « Celui, dit-il, qui peut, par ses instructions, servir à l’avancement de son prochain et au salut de ses frères, et qui ne leur départit pas, avec une plénitude de charité, les paroles de vie qu’il n’a reçues de Dieu que pour les répandre sur les autres, sera châtié d’avoir caché le talent qu’il devait faire profiter selon la parole de l’Évangile. » Ce n’était donc que par un bas sentiment qu’il avait de lui-même, et qui lui faisait croire qu’il était incapable de servir les autres, qu’il se tenait ainsi caché.

Il ne le fut pourtant pas toujours. Dieu voulut le faire connaître à quelques personnes d’alentour qui vinrent le consulter dans leurs doutes ; et les avis qu’elles en reçurent parurent si solides et si remplis de l’esprit de Dieu, que le bruit s’en répandant peu à peu, on avait enfin recours à lui à toute heure ; et sa réputation vola au delà du désert de Sinaï, pour y attirer des personnes séculières de tous les états, qui venaient lui demander des règles de conduite.

Il raconte qu’un jour des séculiers qui avaient peu de soin de leur salut, l’étant venus voir, voulaient excuser leur lâcheté et leur négligence, et lui disaient : « Comment avec nos femmes, et étant enveloppés dans les soins des affaires publiques comme dans des filets qui nous tiennent enlacés, pouvons-nous embrasser la vie solitaire et retirée ? — Mais, dit-il, je leur répondis : « Faites toutes les bonnes œuvres que vous pouvez faire ; ne parlez injurieusement de personne ; ne dérobez point ; ne trompez personne par un mensonge ; ne vous élevez audacieusement contre personne ; ne haïssez personne ; ne manquez point d’assister au service de l’Église ; ayez de la charité et de la compassion pour les pauvres ; ne donnez à personne aucun sujet de scandale ; gardez la fidélité conjugale. Si vous agissez de cette sorte, vous ne serez pas éloignés du royaume des cieux. » C’est ainsi que cet homme, éclairé par l’esprit de Dieu, donnait des règles de salut à chacun selon son état, n’exigeant pas des séculiers les pratiques des religieux, comme il ne voulait pas aussi que les religieux, appelés par leur état à la pratique des conseils évangéliques, bornassent leur vertu à la simple observance des commandements.

Un solitaire, nommé Moïse, touché du désir de l’imiter, désira de demeurer avec lui et d’être son disciple. Le saint n’en avait pas eu jusqu’alors, du moins cela ne conste pas par les historiens de sa vie ; mais dans la crainte de ne pouvoir l’obtenir par lui-même, il intéressa dans ses vues plusieurs d’entre les pères du désert. Saint Jean crut devoir se rendre à leurs instances, et le prit en sa compagnie. Dieu fit voir que sa charité lui était très-agréable par un miracle qu’il fit à son sujet. Un jour, il commanda à Moïse d’aller querir en un certain lieu d’excellente terre, et de la transporter à son petit jardin, pour faire mieux pousser les herbes. Moïse s’y rendit, et exécuta de tout son cœur ce qui lui avait été ordonné, jusqu’à ce que se trouvant brûlé par l’excessive chaleur du soleil à midi (c’était au mois d’août), il alla prendre quelque repos dans l’enfoncement d’une grande roche, dont l’ombre pouvait le rafraîchir, et il s’y endormit. Dans ce temps-là le saint, étant à son ordinaire attaché dans sa cellule à la contemplation de Dieu, s’assoupit d’un sommeil léger, et crut voir un homme d’un regard vénérable qui le réveillait et lui reprochait d’être là en repos, tandis que son disciple Moïse courait risque de perdre la vie. Aussitôt il s’éveilla et se mit à prier pour son disciple. Quand celui-ci fut revenu, il lui demanda s’il ne lui était rien arrivé : « J’ai été, répondit Moïse, sur le point d’être écrasé par la chute d’une roche sous laquelle je dormais profondément ; mais ayant cru entendre que vous m’appeliez, je me suis jeté à l’instant hors de ce lieu, tout troublé et tout effrayé, et, au moment que j’en suis sorti, j’ai vu la roche se détacher et tomber sur la place que j’avais quittée. » Le bienheureux Jean ne voulut rien dire à son disciple de la vision qu’il avait eue ; son humilité la tint cachée, et il se contenta d’en rendre à Dieu, au dedans de son cœur, ses actions de grâces, et de lui témoigner sa reconnaissance par son amour.

Dieu voulut faire voir dans une autre rencontre, pour glorifier son serviteur, qu’il ne rendait pas moins ses prières efficaces pour le soulagement des âmes affligées par la tentation, que pour la conservation temporelle de la vie du corps. Un solitaire, nommé Isaac, était si fort assiégé de mauvaises pensées, qu’elles le réduisaient presque au désespoir par leur violence et leur importunité. Il en fut un jour entre autres si vivement attaqué, qu’il vint se réfugier auprès de lui, tout fondant en larmes, comme dans un asile contre l’ennemi qui le poursuivait. Le bienheureux Jean, touché de sa foi et de son humilité, lui dit : « Mon frère, mettons-nous tous deux en oraison, car Dieu, qui est bon et miséricordieux, ne méprisera pas notre prière. » Le malade spirituel se prosterna aussitôt le visage contre terre et se mit à prier avec lui. Ils n’avaient pas encore achevé leur oraison, que ce bon frère se trouva tout à coup comme changé en un autre homme. Une paix parfaite succéda au trouble qui l’agitait. Il sentit que la tentation était dissipée, et, ne pouvant assez admirer cette merveille, qui avait changé son état si humiliant et si affligeant en un si grand calme, il rendit grâce au Seigneur de sa délivrance, et au bienheureux Jean qui l’avait obtenue par la force de sa prière.

Ainsi, dit l’historien de sa Vie, cet illustre directeur des âmes enrichissait tous ceux qui le venaient voir par les paroles de grâce qui sortaient de sa bouche comme autant de fleuves de doctrine qu’il répandait avec une abondance égale à sa charité ; et la vertu de ses prières était un puissant secours auprès de Dieu pour ceux qui se trouvaient en danger de périr par les efforts des ennemis invisibles.

De si grands fruits de vertu méritaient plutôt l’admiration et le respect de la part de ses frères, que leur jalousie ; mais le démon, qui, comme il est dit dans le livre de Job, se trouve quelquefois parmi les enfants de Dieu, voulant empêcher le bien que produisaient ses saintes instructions, tenta quelques solitaires d’une envie maligne contre lui, et ils eurent le malheur de s’y laisser entraîner. Bien loin de profiter eux-mêmes de sa doctrine si utile et si édifiante, ils voulurent le faire passer pour un homme qui, contre son état de solitaire, avait oublié les lois du silence, et ils l’appelèrent un vain discoureur et causeur.

Le saint, toujours guidé par l’esprit de discrétion et d’humilité qui lui était si propre, jugea qu’il valait mieux leur céder, quoique quelques frères dussent souffrir d’être privés de ses entretiens, que de les irriter davantage. Il témoigna à ceux qui venaient le voir qu’il ne voulait plus parler à personne, et renferma dans sa cellule les trésors qu’il avait jusqu’alors répandus dans un esprit de charité.

Il ne lui coûta rien de se taire ; mais ceux qui l’y avaient obligé par leurs murmures, furent enfin contraints eux-mêmes de se joindre aux autres frères pour l’obliger d’ouvrir de nouveau cette bouche d’or, d’où il ne sortait que des oracles célestes. Son humilité et sa modestie touchèrent ses envieux ; les biens dont ils avaient privé leurs confrères par leur jalousie, leur en firent sentir également toute l’injustice.

Ils vinrent le conjurer avec les autres de ne pas suspendre davantage ses salutaires instructions ; et le bienheureux Jean, qui ne savait que céder, se laissa bientôt fléchir, et reprit avec douceur ses premières conférences.

Enfin le temps de l’accomplissement des prophéties d’Anastase et de Jean le Sabaïte, dont nous avons parlé, arriva. « Le bienheureux Jean, dit Daniel son historien, possédant toutes les vertus avec éminence par-dessus tous les autres, et étant également admiré de tous, ils le choisirent d’une commune voix, comme un nouveau Moïse, pour être leur conducteur dans la vie spirituelle. Ils l’établirent, malgré tous ses efforts et toute sa résistance, dans la charge de supérieur de Sinaï, et tirant cette lampe de dessous le boisseau qui l’avait tenue si longtemps cachée, la mirent sur le chandelier pour éclairer tous ceux qui étaient dans cette maison. »

Il avait passé quarante ans dans le désert, depuis la mort du bienheureux vieillard Martirius, sous lequel il s’était exercé pendant dix-neuf ans dans une humble obéissance ; ce qui, joint à seize ans qu’il avait lorsqu’il embrassa la vie religieuse, nous prouve qu’il en avait soixante-quinze lorsqu’il fut chargé du gouvernement des solitaires de Sinaï. Cet emploi était de conséquence, et ne pouvait être qu’un pesant fardeau pour lui dans un si grand âge ; mais Dieu, qui avait manifesté la grâce de sa vocation au jour de sa profession monastique par la prophétie de Stratége, voulut aussi confirmer par une merveille le choix qu’on avait fait de lui en qualité d’abbé, et montrer combien il lui était agréable.

Un second historien de sa Vie, religieux de Sinaï, et qui en parlait sans doute en témoin oculaire, raconte ainsi cet événement miraculeux : « Lors, dit-il, que saint Jean Climaque fut devenu notre supérieur et notre abbé, il vint un grand nombre d’hôtes dans le monastère, lesquels s’étant assis à table, on vit comme un maître d’hôtel, qui était revêtu d’une tunique blanche à la façon des Hébreux, qui allait et venait dans le réfectoire, et qui ordonnait à tous ceux qui étaient à la cuisine et dans les autres offices tout ce qui était nécessaire pour bien traiter ces hôtes. Après que ces étrangers furent partis, et que ceux qui les avaient servis se furent mis à table, on chercha partout cet ordonnateur qui avait tant pris de peine pour bien régler toutes choses, afin qu’il vînt manger avec les frères ; mais on eut beau le chercher, on ne le trouva point, et alors le serviteur de Dieu, notre vénérable père Jean, nous dit : « Cessez de le chercher, car le Seigneur et le Maître de Moïse n’a rien fait d’étrange ni d’étonnant, d’avoir voulu ordonner lui-même ce qui était nécessaire pour exercer l’hospitalité dans le lieu qui lui appartient et qui lui est particulièrement consacré. »

Le même auteur dit aussi, qu’y ayant dans la Palestine une sécheresse extrême, les peuples de cette province vinrent en foule le conjurer de leur obtenir de Dieu la pluie abondante dont ils avaient besoin. Il le fit, et le Seigneur vérifia aussitôt, en l’exauçant, cette parole du prophète royal, qui dit qu’il fait la volonté de ceux qui le craignent et qui le servent, et qu’il écoute favorablement leur oraison.

Il faut rapporter à présent, sur la foi du même écrivain, la conduite qu’il garda dans sa nouvelle charge. « Il monta, dit-il, sur le mont Sinaï, comme Moïse ; il entra dans une nue inaccessible, et, par une sublime contemplation, il s’éleva vers Dieu par des degrés tout célestes ; il reçut la loi gravée de la main divine, c’est-à-dire les règles de la conduite qu’il devait garder ; il ouvrit sa bouche pour recevoir la parole de vérité et de vie ; il attira l’Esprit-Saint ; et s’étant de nouveau rempli des lumières de la grâce, il tira de ce riche trésor de son cœur les précieuses et inestimables richesses de sa doctrine, qu’il répandit sur les âmes avec une abondance et une bénédiction merveilleuses. »

Ces eaux de grâce et de salut ne s’arrêtèrent pas dans le désert de Sinaï ; Dieu les fit couler, par son livre admirable de l’Échelle sainte, dans le désert de Raïthe, et ensuite dans toute l’Église, et ce fut alors que se vérifia littéralement ce que le pieux abbé Stratége en avait prédit cinquante-cinq ans auparavant, comme nous l’avons déjà dit. Il y avait toujours eu une étroite union de charité entre les solitaires de Sinaï et ceux de Raïthe ; la gloire d’avoir eu des martyrs de Jésus-Christ leur était commune, ainsi que nous l’avons remarqué ailleurs, et si le mont de Sinaï avait donné de grands hommes pour éclairer l’Église par leurs lumières et l’édifier par la bonne odeur de leurs vertus, Raïthe avait eu aussi le même avantage.

Un grand personnage nommé Jean, comme notre saint, et son ami particulier, gouvernait alors le monastère de Raïthe. La connaissance qu’il avait de ses talents et de sa doctrine profonde pour la conduite des âmes, le détermina à le prier, tant en son nom qu’au nom de tous ses religieux, de vouloir bien écrire ce que le Saint-Esprit lui inspirerait touchant la pratique des vertus, et de leur faire part de la grande expérience qu’il avait acquise dans la science spirituelle. La lettre qu’il lui écrivit pour cela fait tant d’honneur à saint Jean Climaque par l’éloge qu’elle contient de ses mérites, que nous la rapporterions volontiers ici en entier si nous ne craignions de nous trop étendre. Il s’adresse à lui comme à un homme égal aux anges, comme à un père commun des Pères de la solitude, comme à un docteur capable d’instruire les autres docteurs.

Il le conjure ensuite, par l’obéissance qu’il doit à Dieu à l’égard de toutes les personnes qui ont besoin de son assistance, de lui tracer par écrit les vérités que Dieu lui a fait voir dans ses célestes contemplations sur la même montagne où il se montra autrefois à Moïse. « Nous les recevrons, dit-il, comme de nouvelles tables écrites de sa propre main, qu’il nous enverra par votre entremise, ainsi qu’à de nouveaux et spirituels Israélites qui sont sortis des agitations du monde comme du fond des abîmes de la mer Rouge. Puis donc, ajouta-t-il, que vous avez fait tant de merveilleuses opérations par votre langue animée de l’esprit de Dieu, comme Moïse fit autrefois tant de prodiges par sa baguette miraculeuse, et que vous êtes le grand conducteur et le premier maître de ceux qui ont embrassé cette vie tout angélique, ne rejetez pas l’instante supplication que nous vous faisons de nous marquer par écrit les principaux devoirs de notre état. Nous avons une ferme confiance que vous nous donnerez cet excellent ouvrage que nous espérons de votre zèle. Nous recevrons avec une consolation extraordinaire ces règles vénérables, qui seront comme une échelle sainte dressée à la porte du ciel, par laquelle ceux qui voudront y monter y arriveront sûrement, sans qu’ils en puissent être empêchés par les esprits de ténèbres. »

Le bienheureux Jean avait de si bas sentiments de lui-même, qu’il ne put lire cette lettre qu’en s’humiliant encore plus profondément que l’abbé de Raïthe ne lui marquait de vénération. Il sentit la même difficulté à commencer cet ouvrage, qu’il avait eue à se charger du gouvernement des solitaires de Sinaï, et il ne l’entreprit enfin que par cet esprit d’obéissance qui, lui faisant regarder Jean de Raïthe comme son maître dans la science spirituelle et les vertus religieuses, le soumettait à ses désirs comme à des ordres d’un supérieur.

« Lorsque j’ai reçu, lui dit-il dans sa réponse, la lettre dont vous m’avez honoré, ou plutôt le commandement qu’il vous a plu de me faire et qui est au-dessus d’un pécheur indigent et destitué de vertu, tel que je suis, je l’ai regardé comme très-convenable à la sainteté de votre vie et à la profonde humilité de votre cœur. Vous devriez plutôt vous adresser à ceux qui sont des maîtres dans la science spirituelle, et non pas à moi, qui suis encore au rang des disciples ; mais puisque ceux de nos pères qui ont été les plus éminents en doctrine et en sainteté nous ont enseigné que l’obéissance consiste à obéir sans discernement dans des choses même qui vont au delà de notre pouvoir, cette considération m’a fait oublier ma faiblesse et entreprendre humblement plus que je ne pouvais accomplir. Ce n’est pourtant pas à vous que j’adresse ce petit ouvrage, Dieu me garde d’une si folle et si indiscrète simplicité ! Je sais combien vous êtes capable, par la grâce de Jésus-Christ, de nous instruire tous ; mais je l’adresse à cette bienheureuse compagnie que Dieu a appelée à son service, et qui reçoit de vous, comme nous autres, les instructions qu’on doit attendre d’un homme aussi éclairé que vous l’êtes, et sur les prières de qui me confiant comme sur des mains spirituelles qui m’aident à porter le poids de mon insuffisance, j’ai comme tendu les voiles au vent en prenant la plume, et j’ai abandonné à Jésus-Christ, cet excellent pilote, le gouvernail du vaisseau, et la conduite de ce que je vais dire par votre ordre et avec le secours de vos prières. »

Ce fut alors qu’on vit paraître cette excellente traduction de son génie éminent, de son expérience consommée et de son ardente piété. Cet ouvrage le rendit bientôt célèbre parmi les Grecs, quoiqu’il ait été connu beaucoup plus tard chez les Latins. Il y traite les matières autrement que les autres auteurs grecs, qui sont ordinairement fort étendus dans leurs discours ; mais comme il avait l’esprit très subtil, et d’ailleurs grave et solide, il renferme beaucoup de pensées et de raisons en peu de paroles ; et, s’exprimant plutôt par sentences que par des raisonnements liés, il expose sa doctrine en des idées raccourcies et des vérités de principes et des maximes, sans s’arrêter à les développer par des amplifications.

C’est ce qui a rendu son ouvrage obscur en beaucoup d’endroits, tout le monde n’étant pas capable, en le lisant, de l’atteindre dans la sublimité de ses pensées. Aussi tâcha-t-on de les rendre plus claires et de les mettre plus à la portée du commun par des éclaircissements que l’abbé Jean de Raïthe donna en grec, et environ cent cinquante ans après, Élie, métropolitain de Crète, en publia de nouveaux qui donnèrent un grand jour à tout l’ouvrage, et dont on s’est servi de notre temps dans la traduction française qu’on en a faite pour le rendre utile à tout le monde.

On a remarqué que notre saint avait une grande conformité de génie avec saint Grégoire de Nazianze, dont il suivit les manières dans l’élégance et le tour du style ; qu’il propose ses réflexions et ses préceptes dans un discours figuré, où il fait allusion à des passages de l’Écriture, qu’il entremêle d’exemples quelquefois rares et peu connus du commun des hommes. On y trouve aussi des imitations ingénieuses du langage du Saint-Esprit, diverses allégories de l’ancien Testament, des paroles semblables à celles de l’Évangile, qui, sous le voile des choses humaines, contiennent des vérités morales et spirituelles ; et enfin les questions importantes qu’il propose à ses lecteurs pour les exercer à en rechercher ailleurs la décision, et que sa modestie l’a empêché de résoudre.

Quoique saint Jean Climaque proteste dans cet ouvrage, en l’envoyant à l’abbé de Raïthe, qu’il n’a garde de le lui adresser dans l’intention de l’instruire, et qu’il ne l’a fait que pour les religieux que ce saint abbé avait sous sa direction, il y a joint un petit traité en forme de lettre pour ce même abbé, et qui a pour titre la Lettre au Pasteur. Sans doute que l’abbé Jean de Raïthe l’y avait obligé par de fortes instances ; et cet ouvrage, dans lequel il traite des devoirs de ceux qui sont chargés de la conduite des autres, n’est pas moins utile pour l’instruction des supérieurs que son Échelle sainte peut l’être à tout le monde, et plus particulièrement à tous les religieux. Il s’y exprime également de la même manière, par maximes et par aphorismes, et dans la même précision et la même élévation de pensées qui lui est propre.

Il y a apparence que saint Jean Climaque ne survécut pas beaucoup à la composition de l’ouvrage dont nous avons parlé. Il avait à peine gouverné quatre ans le monastère de Sinaï, qu’il résolut de le quitter et de retourner dans sa chère solitude de Thole, qu’il avait prise depuis si longtemps, selon l’expression d’un de ses historiens, pour sa compagne et son épouse. Il y entra avec le même attrait et la même inclination pour la vie cachée, qu’on voit une pierre tendre vers son centre. En quittant la supériorité, il établit en sa place un frère qu’il avait, nommé George, qui menait dans la solitude de Sinaï une vie parfaite.

Enfin le bienheureux Jean, étant âgé de plus de quatre-vingts ans et approchant de sa dernière heure, son frère vint le visiter et lui dit, tout fondant en larmes : « Quoi ! mon frère, me laissez-vous ainsi après vous sans secours et sans assistance ? J’avais demandé à Dieu que vous m’envoyassiez à lui (car on croit qu’il était son aîné) avant que d’y aller vous-même, parce que je ne puis pas gouverner cette sainte famille sans vous ; et je suis aujourd’hui si malheureux que de vous voir partir avant moi ! » Saint Jean le fortifia et le consola. « Ne vous affligez point, mon frère, lui dit-il ; si je puis quelque chose auprès de Dieu, il ne se passera pas un an que je ne vous attire après moi. » C’est ce qui arriva, en effet, car l’abbé George mourut dix mois après son bienheureux frère. On croit que saint Jean Climaque est mort en 605, ou au plus tard l’année d’après.

Outre ce qu’on peut recueillir de ses ouvrages pour l’histoire de sa Vie, il y a deux auteurs contemporains qui nous ont laissé ce que nous venons d’en rapporter. L’un est un religieux de Sinaï, qui vivait de son temps et qui en a parlé en témoin oculaire ; l’autre est un moine de Raïthe, qui a écrit peu de temps après la mort du saint, et qui l’a fait sur le témoignage de ceux qui l’avaient bien connu.

Les Grecs célèbrent la fête de ce saint le 30 mars, auquel ils présument qu’il est mort. Les Latins l’ont connu fort tard à cause des ravages que les Sarrasins firent depuis dans l’Égypte, l’Arabie et la Palestine. Ce n’a donc été que plusieurs siècles après sa mort qu’on l’a inséré dans le Martyrologe, après que l’étude de la langue grecque, négligée en Occident, dans l’ignorance du moyen âge, ayant mieux été cultivée, on y a enfin connu son précieux ouvrage, qui l’a rendu célèbre dans l’Église latine autant qu’il l’était dans la grecque, et l’a fait regarder par les plus grands hommes comme un Père de l’Église, et comme un excellent maître de la vie spirituelle.