Vies des hommes illustres/Caïus Julius César

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Traduction par Alexis Pierron.
Charpentier (Volume 3p. 538-615).
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CAÏUS JULIUS CÉSAR.


(De l’an 100 à l’an 44 avant J.-C.)

Sylla, devenu le maître dans Rome, ne put venir à bout, ni par les promesses, ni par les menaces, de déterminer Cornélie, fille de Cinna, celui qui avait exercé la souveraine puissance, à se séparer de César ; et il confisqua sa dot. La parenté de César avec Marius fut la cause de son inimitié pour Sylla. En effet, Marius l’ancien avait épousé Julie, sœur du père de César, et c’est de Julie qu’était né Marius le jeune, cousin germain, par conséquent, de César. Dans les premiers temps des proscriptions, Sylla, distrait par d’autres soins, et par le grand nombre des victimes qu’il immolait chaque jour, ne songea pas à César ; mais César, au lieu de se laisser oublier, se mit sur les rangs pour le sacerdoce, et se présenta aux suffrages du peuple, quoiqu’il fût à peine entré dans l’âge de l’adolescence. Sylla, par son opposition, fit échouer sa demande : il voulut même le faire mourir. Et, comme ses amis lui représentaient qu’il n’y aurait pas de raison à tuer un si jeune enfant : « Vous êtes, dit-il, bien peu avisés, de ne pas voir dans cet enfant plusieurs Marius. » Cette parole, rapportée à César, le décida à se cacher ; et il erra longtemps dans le pays des Sabins. Puis, comme il se faisait porter pour changer de maison, parce qu’il était malade, il tomba la nuit entre les mains de soldats de Sylla, qui faisaient des recherches dans ce canton, et ramassaient ceux qu’ils y trouvaient cachés. Il obtint sa liberté au prix de deux talents[1], qu’il donna à Cornélius, leur capitaine ; il gagna aussitôt les bords de la mer, et, s’étant embarqué, il se retira en Bithynie, auprès du roi Nicomède.

Après y avoir séjourné peu de temps, il se remit en mer, et fut pris auprès de l’île de Pharmacuse[2] par des pirates, qui, dès cette époque, infestaient déjà la mer avec des flottes considérables et un nombre infini d’embarcations légères. Les pirates lui demandèrent vingt talents[3] pour sa rançon : il se moqua d’eux, de ne pas savoir quel était leur prisonnier, et il leur en promit cinquante[4]. Il envoya ensuite ceux qui l’accompagnaient dans différentes villes pour y ramasser la somme, et demeura avec un seul de ses amis et deux domestiques, au milieu de ces Ciliciens, les plus sanguinaires des hommes. Il les traitait avec tant de mépris que, lorsqu’il voulait dormir, il leur envoyait commander de faire silence. Il passa trente-huit jours avec eux, moins comme un prisonnier que comme un prince entouré de ses gardes. Plein d’une sécurité profonde, il jouait et faisait avec eux ses exercices, composait des poèmes et des harangues, qu’il leur lisait ; et ceux qui n’en étaient pas touchés, il les traitait en face d’ignorants et de barbares. Souvent il les menaça, en riant, de les faire pendre. Ils aimaient cette franchise, qu’ils prenaient pour une simplicité et une gaieté naturelles. Dès qu’il eut reçu de Milet sa rançon, et qu’il la leur eut payée, le premier usage qu’il fit de sa liberté, ce fut d’équiper des vaisseaux du port de Milet, pour tomber sur les brigands : il les surprit à l’ancre dans la rade même de l’île ; il les fit presque tous prisonniers, et s’empara de tout leur butin. Il les remit en dépôt dans la prison de Pergame, et alla trouver Junius, à qui il appartenait, comme préteur d’Asie, de les punir. Junius jeta un œil de cupidité sur l’argent, qui était considérable, et dit qu’il examinerait à loisir ce qu’il ferait des prisonniers. César, laissant là le préteur, retourna à Pergame, et fit mettre en croix tous les pirates, comme il le leur avait souvent annoncé dans l’île avec un air de plaisanterie.

À quelque temps de là, lorsque la puissance de Sylla commençait à s’affaiblir, ses amis de Rome rengagèrent à revenir en Italie. Il se rendit à Rhodes, pour y prendre des leçons d’Apollonius, fils de Molon[5], dont Cicéron avait été le disciple : Apollonius enseignait la rhétorique avec un grand succès, et avait d’ailleurs la réputation d’un homme vertueux. César, né avec les dispositions les plus heureuses pour l’éloquence politique, avait cultivé, dit-on, avec un soin extrême, ce talent naturel ; il tenait, sans contredit, le second rang parmi les orateurs de Rome ; quant au premier, il y avait renoncé, préférant à cette gloire la supériorité que donnent le pouvoir et les armes. Détourné par d’autres soins, il ne s’éleva point, dans l’éloquence, à la perfection où l’appelait la nature ; il se livra uniquement aux travaux militaires et au maniement des affaires politiques, qui le conduisirent à la suprême puissance. Aussi, dans la réponse qu’il fit longtemps après au Caton de Cicéron[6], il prie les lecteurs de ne pas comparer le style d’un homme de guerre avec celui d’un orateur habile, et qui s’occupait à loisir de ces sortes d’études.

De retour à Rome, il accusa Dolabella de concussions dans le gouvernement de sa province ; et plusieurs villes de la Grèce appuyèrent l’accusation de leur témoignage. Cependant Dolabella fut absous ; et César, pour reconnaître la bonne volonté des Grecs, plaida pour eux contre Publius Antonius, qu’ils accusaient de malversations, devant Marcus Lucullus, préteur de Macédoine. Il parla avec tant d’éloquence, qu’Antonius en appela aux tribuns du peuple, alléguant qu’il ne lui était pas possible d’obtenir justice contre les Grecs dans la Grèce même.

À Rome, son éloquence brilla d’un vif éclat dans le barreau, et le mit bientôt en crédit. En même temps que son affabilité, sa politesse, l’accueil gracieux qu’il faisait à tout le monde, qualités qu’il possédait à un degré au-dessus de son âge, lui méritaient l’affection du peuple, d’un autre côté, la somptuosité de sa table et sa magnificence dans sa manière de vivre accrurent peu à peu son influence politique. Ses envieux, persuadés que, faute de pouvoir suffire à ces dépenses, il verrait s’éclipser sa puissance, firent peu d’attention aux progrès qu’elle faisait parmi le peuple. Mais, quand elle se fut tellement fortifiée qu’il n’était plus possible de la renverser, et qu’elle tendait visiblement à ruiner la république, ils sentirent, mais trop tard, qu’il n’est pas de commencement si faible qui ne s’accroisse promptement par la persévérance, tirant, du mépris même qu’inspire cette faiblesse, l’avantage de ne point rencontrer d’obstacle à ses progrès. Cicéron fut le premier, ce semble, à soupçonner et à craindre la douceur de sa conduite politique, comme on fait la bonace de la mer, et à reconnaître, sous ce dehors de politesse et de courtoisie, la perfidie de son caractère. « J’aperçois, disait-il, dans tous ses projets et dans toutes ses actions, des vues tyranniques ; mais, quand je regarde ses cheveux si artistement arrangés, quand je le vois se gratter la tête d’un seul doigt, je ne puis croire qu’un tel homme puisse concevoir le dessein si noir de renverser la république romaine. » Mais il s’agit là de paroles dites longtemps après l’époque qui nous occupe.

César reçut une première marque de l’affection du peuple lorsqu’il se trouva en concurrence avec Caïus Popilius, pour l’emploi de tribun des soldats : il fut nommé le premier. Il en eut une seconde plus grande encore a la mort de Julie, femme de Marius, dont il était le neveu. Il lui fit, dans le Forum, une magnifique oraison funèbre ; et il osa faire porter à son convoi les images de Marius, qui paraissaient pour la première fois depuis que Sylla, maître dans Rome, avait fait déclarer Marius et ses partisans ennemis de la patrie. Quelques cris s’élevèrent pour protester contre l’audace de César ; mais le peuple y répondit par les applaudissements les plus prononcés, témoignant une grande satisfaction de voir ramener, pour ainsi dire, des enfers, les honneurs de Marius, ensevelis depuis si longtemps. C’était, de toute ancienneté, une coutume chez les Romains de faire l’oraison funèbre des femmes qui mouraient âgées ; mais cet usage n’avait pas lieu pour les jeunes femmes. César fut le premier qui l’introduisit : il prononça l’oraison funèbre de la sienne, qui mourut jeune. Cette nouveauté lui fit honneur, et lui concilia la faveur publique. Le peuple vit, dans cette sensibilité, une marque de ses mœurs douces et honnêtes.

Après avoir fait les obsèques de sa femme, il accompagna, comme questeur, en Espagne, le préteur Véter, qu’il honora depuis tant qu’il vécut, et dont il nomma le fils son questeur, quand il fut parvenu lui-même à la préture. Au retour de sa questure, il épousa, en troisièmes noces, Pompéia[7]. Il avait de Cornélie une fille, qui, par la suite, fut mariée à Pompée le Grand. Sa dépense excessive faisait croire qu’il achetait chèrement une gloire éphémère et fragile ; mais, dans la réalité, il acquérait à vil prix les plus grands biens. On assure qu’avant d’avoir obtenu aucune charge, il était endetté de treize cents talents[8]. Mais le sacrifice d’une grande partie de sa fortune, soit dans l’intendance des réparations de la voie Appienne, soit dans son édilité, où il fit combattre devant le peuple trois cent vingt paires de gladiateurs, la somptuosité des jeux, des fêtes et des festins qu’il donna, et qui effaçaient toutes les magnificences de ses prédécesseurs, lui gagnèrent si bien l’affection du peuple, que c’était à qui imaginerait de nouvelles charges et de nouveaux honneurs, pour le payer de retour.

Rome était divisée en deux factions, celle de Sylla, toute-puissante, et celle de Marius, réduite alors à une grande faiblesse, tout en lambeaux, et qui osait à peine se montrer. César voulut relever et ranimer cette dernière : dans le temps que les magnificences de son édilité jetaient le plus d’éclat, il fit faire secrètement des images de Marius, avec des Victoires qui portaient des trophées ; et une nuit il alla les poser dans le Capitole. Le lendemain, quand apparurent à la lumière ces images tout éclatantes d’or, ces chefs-d’œuvre d’un art consommé, et dont les inscriptions rappelaient les victoires remportées sur les Cimbres, on fut effrayé de l’audace de celui qui les avait placées ; car on ne pouvait se méprendre sur l’auteur de cet acte. Le bruit s’en répandit aussitôt, et attira tout le monde à ce spectacle. César, à entendre les cris des uns, aspirait à la tyrannie, en ressuscitant des honneurs enterrés par des lois et des décrets publics ; c’était un essai qu’il faisait pour sonder les dispositions du peuple, apprivoisé déjà ; pour voir si les fêtes publiques qu’il avait données suffisaient à son dessein de séduction, et si on lui laisserait jouer de pareils jeux et entreprendre des nouveautés si téméraires. Les partisans de Marius, de leur côté, reprirent confiance en leur cause : ils se montrèrent tout à coup en foule innombrable, et remplirent le Capitole du bruit de leurs applaudissements. Beaucoup d’entre eux, en voyant la figure de Marius, versaient des larmes de joie ; tous, ils élevaient César jusques aux nues ; ils le proclamaient seul digne de la parenté de Marius. Le Sénat s’assembla à cette occasion ; et Catulus Lutatius, le plus estimé de tous les Romains de son temps, se leva, et, parlant avec force contre César, il dit cette parole, qui est demeurée célèbre : « César n’attaque plus la république par la sape ; le voilà qui dresse ouvertement ses batteries. » Mais, César s’étant justifié auprès du Sénat, ses admirateurs conçurent de plus hautes espérances encore : ils l’encouragèrent à ne rien rabattre de sa fierté ; il l’emporterait sur tous ses rivaux, disaient-ils, du consentement du peuple, et il aurait le premier rang dans Rome.

Sur ces entrefaites, le grand pontife Métellus mourut ; et la dignité qu’il laissait vacante fut briguée avec chaleur par Isauricus et Catulus, deux des plus illustres personnages de Rome, et qui avaient le plus d’autorité dans le Sénat. César ne céda point devant de tels compétiteurs ; il se présenta au peuple, et fit sa brigue de son côté. Les trois rivaux avaient également de quoi soutenir leurs prétentions. Catulus, qui redoutait le plus, à raison de la considération dont il jouissait, les incertitudes de la lutte, fit offrir secrètement à César des sommes considérables, s’il voulait se désister de sa poursuite ; César répondit qu’il en emprunterait de plus grandes encore pour soutenir la rivalité. Le jour de l’élection, sa mère l’accompagna tout en larmes jusqu’à la porte de sa maison. « Ma mère, lui dit César en l’embrassant, tu verras aujourd’hui ton fils ou grand pontife ou banni. » Quand on recueillit les suffrages, les contestations furent très-vives ; mais enfin César l’emporta ; et son succès fit craindre au Sénat et aux meilleurs citoyens qu’il n’entraînât le peuple aux derniers excès.

C’est là ce qui porta Pison et Catulus à blâmer Cicéron d’avoir épargné César, qui avait donné prise sur lui dans la conjuration de Catilina. Catilina avait comploté non-seulement de changer la forme du gouvernement, mais encore de détruire la puissance romaine, et de bouleverser l’État. Dénoncé sur des indices assez légers, il sortit de Rome avant que tous ses projets eussent été découverts ; mais il laissa Lentulus et Céthégus pour le remplacer dans la conduite de la conjuration. Il n’est pas prouvé que César les eût encouragés secrètement, et leur eût donné des secours ; mais, ce qui est certain, c’est que, les deux conjurés ayant été traduits devant le Sénat et convaincus par des preuves évidentes, et Cicéron, qui était consul, ayant demandé l’avis de chaque sénateur sur la punition à infliger aux coupables, tous ceux qui parlèrent, avant César opinèrent à la mort. Pour César, il se leva, et prononça un discours préparé avec le plus grand soin, où il soutint qu’il n’était conforme ni à la justice, ni aux coutumes des Romains, à moins d’une extrême nécessité, de faire mourir des hommes distingués par leur dignité et par leur naissance, sans leur avoir fait leur procès dans les formes ; qu’on pouvait les enfermer sous bonne garde dans telles villes de l’Italie que Cicéron voudrait choisir, jusqu’après la défaite de Catilina ; qu’ensuite le Sénat déciderait en paix et à loisir du sort des accusés. Cet avis, qui parut plus humain, et qu’il avait fait valoir de toute la force de son éloquence, fit une vive impression sur l’assemblée : non-seulement il fut appuyé par les sénateurs qui parlèrent après lui, mais plusieurs même de ceux qui avaient déjà opiné revinrent à son sentiment ; jusqu’au moment où Caton et Catulus furent en tour de dire leur avis. Tous deux ils combattirent avec force la proposition de César ; Caton même insista sans ménagement sur les soupçons qu’on avait contre lui, et les fortifia par de nouvelles preuves. Aussi les conjurés furent-ils envoyés au supplice ; et, lorsque César sortit du Sénat, plusieurs des jeunes Romains qui servaient alors de gardes à Cicéron coururent sur lui l’épée nue à la main. Mais Curion le couvrit de sa toge, et lui donna le moyen de s’échapper ; Cicéron lui-même, sur qui ces jeunes gens jetèrent les yeux, comme pour prendre ses ordres, leur fit signe de s’arrêter, soit qu’il craignit la colère du peuple, soit qu’il crût ce meurtre tout à fait injuste et contraire aux lois. Si le fait est vrai, je ne sais pourquoi Cicéron n’en a rien dit dans l’histoire de son consulat[9] ; mais on le blâma, dans la suite, de n’avoir pas saisi une occasion si favorable de se défaire de César, et d’avoir faibli devant l’affection singulière dont le peuple entourait ce Romain.

Peu de jours après, César étant entré au Sénat pour se justifier des soupçons qu’on avait conçus contre lui, y souleva par ses discours une violente tempête. Comme l’assemblée se prolongeait au delà du terme ordinaire, le peuple accourut en foule, environna le Sénat en jetant de grands cris, et demanda, d’un ton impérieux, qu’on laissât sortir César. Caton craignait une révolte des indigents, qui étaient les boute-feux du peuple, et qui avaient mis en César toutes leurs espérances : il conseilla au Sénat de leur faire tous les mois une distribution de blé. Ce furent cinq millions cinq cent mille sesterces[10] qu’on ajouta ainsi aux dépenses ordinaires de l’année. Cette mesure fit évanouir pour le moment la crainte du Sénat ; elle affaiblit et dissipa même en grande partie l’influence de César : résultat bien opportun, si l’on songe que César était préteur désigné, et que cette magistrature allait le rendre encore plus redoutable. Cependant il ne s’éleva point de trouble pendant sa préture ; mais il lui arriva à lui-même une aventure domestique fort désagréable.

Publius Clodius était un jeune patricien distingué par ses richesses et par son éloquence, mais qui ne le cédait, pour l’insolence et l’audace, à aucun des hommes les plus fameux par leur scélératesse. Il aimait Pompéia, femme de César ; Pompéia, de son côté, ne le voyait pas de mauvais œil ; mais son appartement était gardé avec le plus grand soin : Aurélia, mère de César, femme d’une grande vertu, veillait de si près sa belle-fille, que les rendez-vous des deux amants étaient difficiles et dangereux. Les Romains ont une divinité qu’ils nomment la Bonne-Déesse, comme les Grecs ont leur Gynécéa[11]. Les Phrygiens la revendiquent pour leur pays, alléguant qu’elle était mère du roi Midas ; mais les Romains prétendent que c’est une nymphe dryade, qui eut commerce avec le dieu Faune ; et les Grecs, celle des mères de Bacchus qu’il n’est pas permis de nommer : de là suivant eux, ces branches de vigne dont les femmes couvrent leurs tentes pendant la fête, et ce dragon sacré qui se lient, à ce que l’on conte, au pied de la statue de la déesse. Tant que durent les mystères, il n’est permis à aucun homme d’entrer dans la maison où on les célèbre. Les femmes, retirées dans un lieu séparé, pratiquent plusieurs cérémonies conformes à celles qu’on observe dans les mystères d’Orphée. Lorsque le temps de la fête est venu, le consul ou le préteur chez qui elle est célébrée sort de chez lui avec tous les hommes qui habitent sa maison. Sa femme en reste maîtresse, et l’orne avec la décence convenable. Les principales cérémonies se font la nuit ; et ces veillées sont mêlées de divertissements et de concerts. Cette année-là, Pompéia célébrait la fête. Clodius, qui n’avait pas encore de barbe, se flatta par cette raison qu’on ne le reconnaîtrait point, et se présenta déguisé en costume de ménétrière : on l’eût pris, en effet, pour une jeune femme. Il trouva les portes ouvertes, et fui introduit sans obstacle par une des esclaves de Pompéia, qui était dans la confidence, et qui le quitta pour aller avertir sa maîtresse : comme elle tardait à revenir, Clodius n’osa pas l’attendre dans l’endroit où elle l’avait laissé. Il errait de tous côtés dans cette vaste maison, évitant avec soin les lumières, lorsqu’il fut rencontré par une des suivantes d’Aurélia. Celle-ci, qui croyait parler à une personne de son sexe, l’agaça et voulut jouer avec lui : sur son refus, elle le traîna au milieu de la salle, et lui demanda qui elle était et d’où elle venait. Clodius lui répondit qu’il attendait Abra (c’était le nom de l’esclave de Pompéia) ; mais sa voix le trahit. La suivante s’élance aussitôt du côté des lumières et de la compagnie, criant qu’elle venait de surprendre un homme dans les appartements. L’effroi saisit toutes les femmes ; Aurélia fait cesser toutes les cérémonies, et voiler les choses sacrées. Elle ordonne de fermer les portes, et cherche avec des flambeaux par tous les coins de la maison. On trouva Clodius caché dans la chambre de la jeune fille qui l’avait introduit : il fut reconnu, et chassé ignominieusement par les femmes. Elles sortirent de la maison dans la nuit même, et allèrent raconter à leurs maris ce qui venait de se passer.

Le lendemain, il n’était bruit dans toute la ville que du sacrilège commis par Clodius : il fallait, disait-on tirer du coupable une réparation éclatante, et venger non-seulement ceux qu’il avait personnellement offensés, mais encore la ville et les dieux. Il fut cité par un des tribuns devant les juges, comme coupable d’impiété ; les principaux d’entre les sénateurs parlèrent avec force contre lui, et le chargèrent de plusieurs autres horribles dissolutions, particulièrement d’un commerce incestueux avec sa propre sœur, femme de Lucullus. Mais le peuple prit parti pour lui contre leurs accusations passionnées ; et ce lui fut un grand secours auprès des juges, que cette opposition étonna, et qui craignirent les fureurs de la multitude. César répudia sur-le-champ Pompéia ; mais, appelé en témoignage contre Clodius, il déclara qu’il n’avait aucune connaissance des faits qu’on imputait à l’accusé. Cette déclaration parut étrange. « Pourquoi donc, demanda l’accusateur, as-tu répudié ta femme ? — Parce qu’il ne faut pas même que ma femme soit soupçonnée, » répondit-il. César, suivant les uns, parla comme il pensait ; d’autres croient qu’il cherchait à plaire au peuple, qui voulait sauver Clodius. L’accusé fut donc absous, parce que la plupart des juges donnèrent leur avis sur plusieurs affaires à la fois[12], évitant ainsi et d’attirer sur eux, par une condamnation, le ressentiment du peuple, et de se déshonorer aux yeux des bons citoyens par une absolution formelle.

Le gouvernement de l’Espagne échut à César comme il sortait de sa préture. Ses créanciers, qu’il était hors d’état de satisfaire, le voyant sur son départ, vinrent crier après lui, et solliciter le paiement de leurs créances. Il eut donc recours à Crassus, le plus riche des Romains, qui avait besoin de l’activité et de l’ardeur de César pour se soutenir contre Pompée, son rival politique. Crassus s’entendit avec les créanciers les plus difficiles et les moins traitables, et se porta caution pour huit cent trente talents[13]. César fut libre alors de partir pour son gouvernement. On dit que, traversant les Alpes, et passant par une petite ville de Barbares et qui n’avait qu’un petit nombre de misérables habitants, à cette question que lui firent en riant et par plaisanterie ceux qui l’accompagnaient : « Serait-il bien possible qu’il y eût là aussi des brigues pour les charges, des rivalités pour le premier rang, des jalousies entre les citoyens les plus puissants ? » César répondit très-sérieusement : « J’aimerais mieux être le premier chez eux que le second dans Rome. » Pendant son séjour en Espagne, il lisait, un jour de loisir, quelque passage de l’histoire d’Alexandre ; il tomba, après sa lecture, dans une méditation profonde, puis il se mit à pleurer. Ses amis, étonnés, lui en demandèrent la cause. « N’est-ce pas, dit-il, un juste sujet de douleur, de voir qu’Alexandre, à l’âge où je suis, eût déjà conquis tant de royaumes, et que je n’aie encore rien fait de mémorable ? » À peine arrivé en Espagne il se mit à l’œuvre ; et en peu de jours il eut recruté dix cohortes, qu’il joignit aux vingt qu’il y avait trouvées. Il marcha contre les Calléciens[14] et les Lusitaniens, les vainquit, et s’avança jusqu’à la mer extérieure, en subjuguant des nations qui n’avaient jamais été soumises aux Romains.

À la gloire des succès militaires il ajouta celle d’une sage administration pendant la paix : il rétablit la concorde dans les villes, et s’appliqua surtout à terminer les différends qui s’élevaient chaque jour entre les créanciers et les débiteurs. Il ordonna que le créancier prélèverait chaque année les deux tiers des revenus du débiteur, et que-celui-ci jouirait seulement de l’autre tiers, jusqu’à l’entier acquittement de la dette. Il partit ensuite, laissant dans le pays qu’il avait gouverné une grande réputation, ayant amassé de grandes richesses, et procuré des gains considérables à ses soldats, qui le saluèrent, au départ, du titre d’imperator.

Ceux qui demandaient le triomphe étaient obligés de demeurer hors de la ville ; et, pour briguer le consulat, il fallait être présent dans Rome. César, pris ainsi entre deux lois opposées, car il était arrivé la veille des comices consulaires, envoya demander au Sénat la permission de solliciter le consulat par ses amis, en restant hors de la ville. Caton, armé de la loi, combattit vivement la prétention de César ; mais, voyant que César avait mis plusieurs sénateurs dans ses intérêts, il chercha à gagner du temps, et employa le jour entier à expliquer ses raisons. César alors prit le parti d’abandonner le triomphe, et de s’attacher au consulat. Il entra dans Rome, et exécuta une manœuvre dont tout le monde, excepté Caton, fut la dupe : il s’agissait de réconcilier Crassus et Pompée, les deux plus puissants personnages de Rome. César apaisa leurs dissensions, les remit bien ensemble ; et, par là, il réunit en lui seul la puissance de l’un et de l’autre. On ne s’aperçut pas que ce fut cette action, en apparence si honnête, qui causa le renversement de la république. En effet, ce n’est pas l’inimitié de César et de Pompée, comme on le croit communément, qui donna naissance aux guerres civiles, mais bien plutôt leur amitié, qui les réunit d’abord pour renverser le gouvernement aristocratique, et qui aboutit ensuite à cette irréconciliable rivalité. Caton, lequel prédit souvent ce résultat, n’y gagna alors que le renom d’homme difficile et importun, et, plus tard, de conseiller sage, mais malheureux.

Quoi qu’il en soit, César, en se présentant aux comices, sous la sauvegarde de Crassus et de Pompée, tut nommé consul avec beaucoup d’éclat ; et on lui donna pour collègue Calpurnius Bibulus. À peine entré dans l’exercice de sa charge, il publia des lois dignes, non d’un consul, mais du tribun le plus audacieux. Il proposa, par le seul motif de plaire au peuple, des partages de terres et des distributions de blé. Les premiers et les plus gens de bien du Sénat tirent une vive opposition ; et César, qui depuis longtemps ne cherchait qu’un prétexte, protesta hautement que c’était malgré lui qu’on le poussait vers le peuple ; que c’était l’injustice et la dureté du Sénat qui le forçaient de faire la cour à la multitude ; et sur-le-champ il s’élança au Forum. Là, ayant à ses côtés Crassus et Pompée, il leur demanda à haute voix s’ils approuvaient les lois qu’il venait de proposer. Sur leur réponse affirmative, il les exhorta à le soutenir contre ceux qui le menaçaient de résister l’épée à la main. Ils le lui promirent tous deux ; Pompée ajouta même qu’il viendrait armé de l’épée pour le défendre contre leurs épées, et couvert de son bouclier. Cette parole déplut à l’aristocratie : on la trouvait peu convenable au respect qu’il se devait à lui-même, aux égards qu’il devait au Sénat, et digne tout au plus d’un jeune homme emporté ; quant au peuple, il en eut une grande joie.

César, pour s’assurer de plus en plus la puissance de Pompée, lui fiança sa fille Julie, déjà fiancée à Servilius Cépion ; et il promit à Servilius de lui donner la fille de Pompée, qui elle-même n’était pas libre, ayant été promise à Faustus, fils de Sylla. Peu de temps après, César épousa Calpurnia, fille de Pison, et fit désigner celui-ci consul pour l’année suivante. Caton ne cessait de se récrier, et de protester en plein Sénat contre l’impudence avec laquelle on prostituait l’empire par des mariages ; contre ce trafic de femmes par lequel on gagnait qui des gouvernements de provinces, qui des commandements d’armées et des charges publiques. Bibulus, le collègue de César, convaincu de l’inutilité de ses efforts pour empêcher ces lois, et ayant même souvent couru le risque, ainsi que Caton, de périr dans le Forum, passa le reste de son consulat renfermé dans sa maison. Pompée, aussitôt après son mariage, remplit d’armes le Forum, et fit ratifier ces lois par le peuple. César obtint, pour cinq ans, le gouvernement des deux Gaules cisalpine et transalpine, auquel on ajouta l’Illyrie, avec quatre légions.

Caton essaya de s’opposer à ces décrets : César le fit conduire en prison, dans la pensée que Caton en appellerait de cet ordre aux tribuns ; mais Caton se laissa emmener sans rien dire ; et César, voyant non-seulement les principaux citoyens révoltés de cette indignité, mais le peuple lui-même qui, par respect pour la vertu de Caton, le suivait dans un morne silence, fit prier sous main un des tribuns d’enlever Caton aux licteurs. De tous les sénateurs, il n’y en eut qu’« un très-petit nombre qui suivissent César au Sénat ; la plupart se retirèrent, offensés de sa conduite. Un certain Considius, sénateur fort âgé, lui dit qu’ils n’étaient pas venus, parce qu’ils avaient craint ses armes et ses soldats. « Pourquoi donc, reprit César, la même crainte ne te fait-elle pas rester chez toi ? — Ma vieillesse, repartit Considius, m’empêche d’avoir peur ; le peu de vie qui me reste n’exige pas une bien grande précaution. » Mais, de tous les actes de son consulat, le plus honteux, ce fut d’avoir nommé tribun du peuple ce même Clodius qui avait déshonoré sa femme, et violé les veilles mystérieuses des dames romaines. Ce choix avait pour motif la ruine de Cicéron ; et César ne partit pour son gouvernement qu’après avoir brouillé Cicéron avec Clodius, et l’avoir fait bannir d’Italie.

Tel est le récit des actions de sa vie qui précédèrent ses exploits dans les Gaules. Les guerres qu’il fit depuis, ces glorieuses campagnes par lesquelles il soumit les Gaules, lui ouvrirent, pour ainsi dire, une autre route, et commencèrent pour lui une seconde vie, une nouvelle carrière, où il se montra aussi grand homme de guerre, aussi habile capitaine qu’aucun des généraux qui se sont fait le plus admirer par leurs talents militaires et ont acquis le plus haut renom. Soit qu’on lui compare les Fabius, les Scipions, les Métellus ou ses contemporains, ou ceux qui ont vécu peu de temps avant lui, tels que Sylla, Marius, les deux Lucullus, Pompée lui-même,

Dont la gloire alors montait florissante jusqu’aux cieux[15],


les exploits de César le mettent au-dessus de tous ces capitaines. Il a surpassé l’un par la difficulté des lieux où il a fait la guerre ; l’autre, par l’étendue des pays qu’il a subjugués ; celui-ci, par le nombre et la force des ennemis qu’il a vaincus ; celui-là, par la férocité et la perfidie des nations qu’il a soumises ; cet autre par sa douceur et sa clémence envers les prisonniers ; cet autre encore, par les présents et les bienfaits dont il a comblé ses troupes ; enfin, il leur a été supérieur à tous par le nombre des batailles qu’il a livrées, et par la multitude d’ennemis qu’il a fait périr. En effet, en moins de dix ans que dura la guerre des Gaules, il prit d’assaut plus de huit cents villes, soumit trois cents nations, combattit, en plusieurs batailles rangées, contre trois millions d’ennemis, en tua un million, et fit autant de prisonniers.

Il inspirait à ses soldats une affection et une ardeur si vives, que ceux qui, sous d’autres chefs et dans d’autres guerres, ne différaient pas des autres soldats, se précipitaient, invincibles, renversant tout devant eux, bravant tous les dangers, dès qu’il s’agissait de la gloire de César. En voici quelques exemples. Acilius, dans le combat naval donné près de Marseille, s’étant jeté sur un vaisseau ennemi, eut la main droite abattue d’un coup d’épée : il n’abandonna pas son bouclier, qu’il tenait de la main gauche ; il en frappa les ennemis au visage, les renversa tous, et se rendit maître du vaisseau. Au combat de Dyrrachium, Cassius Scéva eut l’œil percé d’une flèche, l’épaule et la cuisse traversées de deux javelots, et reçut cent trente coups dans son bouclier. Il appelait les ennemis, comme s’il voulait se rendre ; deux s’approchèrent : il abattit à l’un l’épaule d’un coup d’épée, blessa l’autre au visage, et le mit en fuite. Enfin, secouru par ses compagnons, il eut le bonheur de s’échapper. Un jour, en Bretagne, les chefs de bande s’étaient engagés dans des terrains marécageux et pleins d’eau, où ils étaient attaqués vivement par les ennemis. Un soldat de César, sous les yeux mêmes du général, se jette au milieu des Barbares, fait des prodiges incroyables de valeur, et sauve les officiers. Quand il voit les Barbares en fuite, il passe après tous les autres, avec des peines infinies ; il se jette à travers ces courants bourbeux, et finit par atteindre l’autre rive, partie à la nage, partie en marchant ; mais-il avait perdu son bouclier. César, émerveillé de son courage, court à lui avec les témoignages de la joie la plus vive ; mais lui, la tête baissée et les yeux baignés de larmes, il tombe aux pieds de César, et demande pardon d’être revenu sans son bouclier. Une autre fois, en Afrique, Scipion s’empara d’un vaisseau de César monté par Granius Pétro, questeur désigné. Scipion fit massacrer tout l’équipage, et dit au questeur qu’il lui donnait la vie. « Les soldats de César, répondit Granius, sont accoutumés à donner la vie aux autres, non à la recevoir. » Et il se tua d’un coup d’épée.

Cette ardeur et cette émulation, César lui-même les nourrissait, les fomentait en eux par les récompenses et les honneurs qu’il prodiguait, faisant connaître, par les effets, qu’au lieu d’employer à son luxe et à ses plaisirs les richesses qu’il amassait dans ces guerres, il les tenait en dépôt chez lui comme des prix destinés à récompenser la valeur, et auxquels tous pouvaient aspirer ; et qu’il ne prenait d’autre part à sa richesse que le plaisir de récompenser la bonne conduite de ses soldats. D’ailleurs, il s’exposait volontiers à tous les périls, et ne se refusait à aucun des travaux de la guerre. Ce mépris du danger n’étonnait point ses soldats, qui connaissaient son amour pour la gloire ; mais ils étaient surpris de sa patience dans des travaux qu’ils trouvaient supérieurs à ses forces ; car il avait la peau blanche et délicate, était frêle de corps, et sujet à des maux de tête et à des attaques d’épilepsie, affection dont il avait senti, dit-on, les premiers symptômes à Cordoue. Mais, loin de se faire, de la faiblesse de son tempérament, un prétexte pour vivre dans la mollesse, il cherchait dans les exercices de la guerre un remède à ses maladies : il les combattait par des marches forcées, par un régime frugal, par l’habitude de coucher en plein air, et endurcissait son corps à toute sorte de fatigues. Il prenait presque toujours son sommeil dans un chariot ou dans une litière, pour faire servir son repos même à quelque fin utile. Le jour, il visitait les forteresses, les villes et les camps, ayant toujours à côté de lui un de ses secrétaires pour écrire sous sa dictée tout en voyageant, et, derrière sa personne, un soldat armé d’une épée. Il faisait une telle diligence, que, ta première fois qu’il sortit de Rome, il se rendit en huit jours sur les bords du Rhône. Il eut, dès sa première jeunesse, une grande habitude du cheval ; et il avait acquis la facilité de courir à toute bride, les mains croisées derrière le dos. Dans la guerre des Gaules, il s’exerça à dicter des lettres étant à cheval, et à occuper deux secrétaires à la fois, ou même, suivant Oppius, un plus grand nombre. On prétend aussi que César fut le premier qui imagina de communiquer par lettres avec ses amis, lorsque des affaires pressées ne lui permettaient pas de s’aboucher avec eux, ou que le grand nombre de ses occupations et l’étendue de la ville ne lui en laissaient pas le temps.

Voici un trait remarquable du peu de façon qu’il faisait dans son vivre. Valérius Léo, son hôte à Milan, lui donnait à souper : on servit un plat d’asperges assaisonnées avec de l’huile de senteur, au lieu d’huile d’olive. Il en mangea sans avoir l’air de s’en apercevoir, et gronda fort ses amis, qui témoignaient tout haut leur mécontentement. « Ne vous suffisait-il pas de n’en point manger, si vous ne les trouviez pas bonnes ? Relever ce défaut de savoir-vivre, c’est ne pas savoir vivre soi-même. » Surpris dans un de ses voyages par un orage violent, il fut obligé de chercher une retraite dans la chaumière d’un pauvre homme, où il ne trouva qu’une petite chambre, à peine suffisante pour une seule personne. « Il faut, dit-il à ses amis, céder aux grands les lieux les plus honorables ; mais les plus nécessaires, il faut les laisser aux plus malades. » Et il fit coucher Oppius dans la chambre. Pour lui, il passa la nuit avec les autres sous l’auvent du toit, devant la porte.

Les premiers peuples auxquels il eut affaire dans les Gaules, furent les Helvétiens et les Tigurins[16]. Ils avaient brûlé les douze villes et les quatre cents villages de leur dépendance, et ils s’avançaient pour traverser la partie des Gaules qui était soumise aux Romains, comme autrefois les Cimbres et les Teutons, et non moins redoutables, semblait-il, et par leur audace et par leur multitude : ils comptaient trois cent mille hommes, dont quatre-vingt-dix mille en état de combattre. César ne marcha pas en personne contre les Tigurins : il envoya à sa place Labiénus[17], qui les tailla en pièces sur les bords de l’Arar[18]. Il conduisait lui-même son corps d’armée vers une ville alliée[19], lorsque les Helvétiens tombèrent sur lui à l’improviste. Il pressa la marche, et se mit à couvert dans un lieu fort d’assiette, où il rassembla ses troupes et les rangea en bataille. Lorsqu’on lui amena le cheval qu’il devait monter : « Je m’en servirai, dit-il, après la victoire, pour poursuivre les fuyards ; maintenant, marchons aux ennemis. » Et il alla les charger à pied. Il lui en coûta beaucoup de temps et de peine pour enfoncer leurs bataillons ; mais le plus rude effort, ce fut d’enlever leur camp. Outre qu’ils avaient formé avec les chariots un retranchement où s’étaient ralliés ceux qu’il avait rompus, les enfants et les femmes s’y défendirent avec le dernier acharnement : ils se firent tous tailler en pièces ; et le combat finit à peine au milieu de la nuit. César ajouta à l’éclat de cette victoire un acte plus glorieux encore : il réunit tous les Barbares qui avaient échappé au carnage, et les fit retourner dans le pays qu’ils avaient quitté, pour rétablir les villes qu’ils avaient détruites : ils étaient plus de cent mille. Son motif, pour agir ainsi, c’était d’empêcher les Germains de passer le Rhin et de s’emparer de ce pays sans habitants.

La seconde guerre qu’il entreprit eut pour objet de défendre les Celtes contre les Germains. Il avait fait, quelque temps auparavant, reconnaître Ariovistus, leur roi, pour allié des Romains ; mais c’étaient des voisins insupportables pour les peuples qu’avait soumis César : et l’on ne pouvait douter qu’à la première occasion ils ne sortissent de leur repos pour étendre encore leurs possessions, et n’envahissent le reste de la Gaule. César s’aperçut que ses capitaines, les plus jeunes surtout et les plus nobles, qui ne l’avaient suivi que dans l’espoir de s’enrichir et de vivre dans le luxe, tremblaient à l’idée d’une telle guerre. Il les assembla, et leur dit qu’ils pouvaient quitter le service : « Lâches et mous comme vous êtes, dit-il, à quoi bon vous exposer à contrecœur ? Je n’ai besoin, ajouta-t-il, que de la dixième légion pour attaquer les Barbares ; car les Barbares ne sont pas des ennemis plus redoutables que les Cimbres ; et je ne suis pas un plus mauvais général que Marius. » La dixième légion, flattée de cette marque d’estime, lui députa quelques officiers, pour lui témoigner sa reconnaissance ; les autres légions désavouèrent leurs capitaines ; et tous, également remplis d’ardeur et de zèle, le suivirent pendant plusieurs journées de chemin, et allèrent camper à deux cents stades[20] de l’ennemi. Leur arrivée rabattit beaucoup de l’audace d’Ariovistus ; car, au lieu qu’il s’était flatté que les Romains ne soutiendraient pas l’attaque des Germains, il les voyait fondre sur lui, contre toute attente : il fut étonné de la hardiesse de César, et s’aperçut qu’elle avait jeté le trouble dans son armée. Mais, ce qui émoussa davantage encore la pointe de leur courage, ce furent les prédictions de leurs prêtresses, qui prétendent deviner l’avenir par le bruit des eaux, par les tourbillons que les courants font dans les rivières : elles défendaient qu’on livrât la bataille avant la nouvelle lune. César, averti de cette circonstance, et qui voyait les Barbares se tenir en repos, crut qu’il aurait bien plus d’avantage à les attaquer dans cet état d’abattement, qu’à rester lui-même oisif, et à attendre le moment qui leur serait favorable. Il va escarmoucher contre eux jusque dans leurs retranchements, et sur les collines où ils étaient campés. Irrités de cette provocation, les Barbares n’écoutent plus que leur colère, et descendent dans la plaine pour combattre. Leur déroute fut complète ; et César, les ayant poursuivis jusqu’aux bords du Rhin, l’espace de trois cents stades[21], couvrit toute la plaine de morts et de dépouilles. Ariovistus, qui avait fui des premiers, passa le Rhin avec un petit nombre des siens. Il resta, dit-on, quatre-vingt mille morts sur la place.

Ces deux guerres terminées, César mit ses troupes en quartier d’hiver dans le pays des Séquanais[22] ; et lui-même, pour veiller de près sur ce qui se passait à Rome, il descendit dans la Gaule circumpadane, qui faisait partie de son gouvernement ; car c’est le Rubicon qui est la limite entre la Gaule cisalpine et le reste de l’Italie. Pendant le séjour qu’il y fit, il grossit beaucoup le nombre de ses partisans : on venait à lui en foule, et il donnait libéralement ce que chacun lui demandait : il les renvoya tous ou comblés de présents ou pleins d’espérances[23]. Dans le cours de cette guerre, Pompée ne se douta même pas que tour à tour César domptait les ennemis avec les armes des Romains, et gagnait les Romains avec l’argent des ennemis.

Cependant César apprit que les Belges, les plus puissants des Celtes, et qui occupent la troisième partie de la Celtique, s’étaient soulevés, et avaient mis sur pied une armée nombreuse. Il revint aussitôt sur ses pas, et fit la plus grande diligence : il tombe sur les ennemis pendant qu’ils ravageaient les terres des alliés de Rome, et défait tous ceux qui s’étaient réunis, et qui se laissèrent enfoncer lâchement : il en tua un si grand nombre, que les Romains passaient des étangs et de profondes rivières sur les corps morts dont ils étaient remplis. Quant aux révoltés des pays qui bordent l’Océan, ils se rendirent sans combat.

César conduisit son armée contre les Nerviens, les plus sauvages et les plus belliqueux des Belges : ils habitaient un pays couvert d’épaisses forêts[24], au fond desquelles ils avaient retiré, le plus loin possible de l’ennemi, leurs familles et leurs richesses. Ils vinrent, au nombre de soixante mille, fondre subitement sur César, dans le temps qu’il était occupé à se retrancher et ne s’attendait pas à combattre. La cavalerie fut mise en déroute du premier choc ; puis, les Barbares enveloppent la douzième et la septième légions, et en massacrent tous les officiers ; et si César, arrachant le bouclier d’un soldat, et se faisant jour à travers ceux qui combattaient devant lui, ne se fut jeté sur les Barbares, et si la dixième légion n’eût accouru du haut de la colline qu’elle occupait, au secours de César, et n’eût enfoncé les lignes des ennemis, il ne se serait pas sauvé un seul Romain ; mais, ranimés par l’audace de César, ils combattirent avec un courage supérieur à leurs forces. Cependant ils ne purent venir à bout de faire tourner le dos aux Nerviens ; il fallut les hacher en pièces sur la place qu’ils occupaient. De soixante mille qu’ils étaient, il ne s’en sauva, dit-on, que cinq cents ; et de quatre cents de leurs sénateurs il ne s’en échappa que trois.

Le Sénat de Rome, à la nouvelle de ces succès extraordinaires, ordonna qu’on ferait, pendant quinze jours, des sacrifices et des fêtes publiques. Jamais victoire n’avait été si solennellement célébrée ; mais le soulèvement simultané de tant de nations avait montré toute la grandeur du péril ; et l’affection du peuple attachait plus d’éclat à la victoire, parce que c’était César qui était le vainqueur. On sait, en effet, que César venait chaque année, après avoir réglé les affaires de la Gaule, passer l’hiver aux environs du Pô, pour tenir la main aux affaires de Rome. Il ne se bornait pas à fournir aux candidats l’argent nécessaire pour corrompre le peuple, et à se faire ainsi des partisans qui employaient toute leur autorité à accroître sa puissance : il donnait rendez-vous dans Lucques à tout ce qu’il y avait à Rome de plus illustres personnages et de plus considérables, tels que Pompée, Crassus, Appius, gouverneur de la Sardaigne, et Népos, proconsul d’Espagne ; en sorte qu’il s’y trouva jusqu’à cent vingt licteurs portant faisceaux, et plus de deux cents sénateurs.

Ce fut là qu’avant de se séparer, ils tinrent un conseil, dans lequel on convint que Crassus et Pompée seraient désignés consuls pour l’année suivante ; que l’on continuerait à César, pour cinq autres années, le gouvernement de la Gaule, et qu’on lui fournirait l’argent nécessaire. Ces mesures révoltèrent tout ce qu’il y avait de gens sensés à Rome ; car, ceux à qui César donnait de l’argent engageaient le Sénat à lui en fournir, comme s’il en eût manqué, ou plutôt faisaient violence au Sénat, lequel gémissait lui-même de ses propres décrets. Il est vrai que Caton était absent : on l’avait à dessein envoyé en Cypre. Favonius, imitateur zélé de Caton, tenta de s’opposer à ces décrets ; et, voyant l’inutilité de ses efforts, il s’élança hors du Sénat, et alla dans l’assemblée du peuple, protester hautement contre ces lois. Mais il ne fut écouté de personne : les uns étaient retenus par leur respect pour Pompée et pour Crassus ; le plus grand nombre voulaient faire plaisir à César, et se tenaient tranquilles, parce qu’ils ne vivaient que des espérances qu’ils avaient en lui.

César, de retour à l’armée des Gaules, trouva le pays en proie à une guerre furieuse. Deux grandes nations de la Germanie, les Usipes et les Tenctères[25], avaient passé le Rhin pour s’emparer des terres situées au delà de ce fleuve. César a écrit dans ses Éphémérides[26], en parlant de la bataille qu’il leur livra, que les Barbares, après lui avoir envoyé des députés et fait une trêve avec lui, ne laissèrent pas de l’attaquer en chemin : avec huit cents cavaliers seulement, ils mirent en fuite cinq mille hommes de sa cavalerie, qui ne s’attendaient à rien moins qu’à une attaque ; ils lui envoyèrent de nouveaux députés, à dessein de le tromper encore ; mais il fit arrêter ces députés, et marcha contre les Barbares, jugeant que ce serait pure sottise de se piquer de bonne foi envers des perfides, et qui venaient de manquer à leurs engagements. Canusius dit que, le Sénat ayant décrété des sacrifices et des fêtes pour cette victoire, Caton opina qu’il fallait livrer César aux Barbares, pour détourner de dessus Rome la punition que méritait l’infraction à la trêve, et en faire retomber la malédiction sur son auteur.

De cette multitude de Barbares qui avaient passé le Rhin, quatre cent mille furent taillés en pièces : il ne s’en sauva qu’un petit nombre, qui furent recueillis par les Sicambres, nation germanique. César saisit ce prétexte de satisfaire sa passion pour la gloire : jaloux d’être le premier général qui eût fait passer le Rhin à une armée, il construisit un pont sur ce fleuve, qui est fort large, et qui étend fort loin ses eaux des deux côtés. À l’endroit que César avait choisi, le courant rapide entraînait avec violence les troncs d’arbres et les pièces de bois, qui venaient heurter et rompre les pieux qui soutenaient le pont. Pour amortir la roideur des coups, il fit enfoncer, au milieu du fleuve, au-dessus du pont, de grosses poutres de bois qui brisaient la violence du courant, et protégeaient le pont ; enfin il donna aux yeux un spectacle qui dépassait toute croyance : ce pont entièrement achevé en dix jours. Il fit passer son armée, sans que personne osât s’y opposer ; les Suèves mêmes, les plus belliqueux des Germains, s’étaient retirés dans des vallées profondes et couvertes de bois. César brûla leur pays, ranima la confiance des peuples dévoués de tout temps au parti des Romains, et repassa dans la Gaule, n’ayant demeuré que dix-huit jours dans la Germanie.

L’expédition contre les Bretons témoigna de sa merveilleuse audace. Il fut le premier qui pénétra avec une flotte dans l’Océan occidental, et qui transporta une armée à travers la mer Atlantique pour aller faire la guerre. Cette île, dont l’existence était mise en doute, à raison de l’étendue qu’on lui attribuait ; cette île, qui avait été un sujet de contestation entre tant d’historiens, qui ont cru qu’elle n’avait jamais existé, et que tout ce qu’on en débitait, jusqu’à son nom même, était une pure fable, César tenta d’en faire la conquête, et porta au delà de la terre habitable les bornes de l’empire romain. Il y passa deux fois, de la côte opposée de la Gaule ; et, dans plusieurs combats qu’il livra, il fit plus de mal aux ennemis qu’il ne procura d’avantages à ses troupes : on ne put rien tirer de ces peuples, qui menaient une vie pauvre et misérable. L’expédition n’eut pas tout le succès qu’il eût désiré ; seulement il reçut des otages du roi, lui imposa un tribut, et repassa en Gaule. Il y trouva des lettres qu’on allait lui porter dans l’ile, par lesquelles ses amis de Rome lui apprenaient la mort de sa fille, qui était morte en couches chez son mari Pompée. Cet événement causa une vive douleur et à Pompée et à César ; leurs amis en furent troublés, prévoyant que cette mort allait rompre une alliance qui entretenait la paix et la concorde dans la république, travaillée d’ailleurs de maux dangereux, car l’enfant dont elle était accouchée mourut peu de jours après sa mère. Le peuple, malgré les tribuns, enleva le corps de Julie, et le porta dans le Champ de Mars, où elle fut enterrée.

César avait été obligé de partager en plusieurs corps l’armée nombreuse qu’il commandait, et de la distribuer en divers quartiers pour y passer l’hiver ; après quoi, suivant sa coutume, il avait repris le chemin de l’Italie. Toute la Gaule se souleva de nouveau ; des armées considérables se mirent en campagne, forcèrent les quartiers des Romains, et entreprirent d’enlever leur camp. Les plus nombreux et les plus puissants des rebelles, commandés par Ambiorix, tombèrent sur les légions de Cotta et de Titurius, et les taillèrent en pièces ; de là ils allèrent, avec soixante mille hommes, assiéger la légion qui était sous les ordres de Cicéron[27] ; et peu s’en fallut que ses retranchements ne fussent emportés d’assaut : tous ses soldats avaient été blessés, et se défendaient avec un courage au-dessus de leurs forces. César, qui était fort loin, ayant appris ces nouvelles, revint précipitamment sur ses pas ; et, n’ayant pu rassembler en tout que sept mille hommes, il marcha à grandes journées, pour dégager Cicéron. Les assiégeants, à qui il ne put dérober sa marche, lèvent le siège, et vont à sa rencontre, méprisant le petit nombre des siens, et se croyant surs de l’enlever. César, afin de les tromper, fit une retraite simulée, jusqu’à ce qu’ayant trouvé un poste commode pour tenir tête, avec peu de monde, à une armée nombreuse, il fortifia son camp. Il défendit à ses soldats de tenter aucun combat, fit exhausser le retranchement, et boucher les portes, comme s’il cédait à un sentiment de peur : stratagème qui avait pour but d’attirer sur lui le mépris des Barbares, et qui lui réussit : les Gaulois, pleins de confiance, viennent l’attaquer, séparés et sans ordre : alors, il fait sortir sa troupe, tombe sur eux, les met en fuite, et en fait un grand carnage.

Cette victoire abattit tous les soulèvements des Gaulois dans ces quartiers-là ; et, pendant l’hiver, César, pour en prévenir de nouveaux, se portait avec promptitude partout où il voyait poindre quelque nouveauté. Il lui vint d’Italie trois légions, pour remplacer celles qu’il avait perdues : deux lui furent prêtées par Pompée, et la troisième avait été levée depuis peu dans la Gaule circumpadane. Nonobstant ces précautions, on vit tout-à-coup se développer, au fond de la Gaule, des semences de révolte, jetées en secret depuis longtemps, et répandues par les chefs les plus puissants des nations les plus belliqueuses, et d’où naquit la plus grande et la plus dangereuse guerre qui eut encore eu lieu dans ces contrées. Tout se réunissait pour la rendre terrible : une jeunesse forte et nombreuse, une immense quantité d’armes rassemblées de toutes parts, des trésors considérables fournis par une contribution commune, les places fortes dont les ennemis s’étaient assurés, les lieux presque inaccessibles dont ils avaient fait leurs retraites. On était d’ailleurs dans le fort de l’hiver : les rivières étaient glacées, les forêts couvertes de neige ; les campagnes, inondées, étaient comme des torrents ; les chemins, ou ensevelis sous des monceaux de neige, ou couverts de marais et d’eaux débordées, étaient impossibles à reconnaître. Aussi les rebelles ne s’attendaient nullement à se voir attaqués par César. Beaucoup de nations, s’étaient révoltées ; les plus considérables étaient les Arvernes[28] et les Carnutes[29] : on avait investi de tout le pouvoir militaire Vercingentorix, dont les Gaulois avaient massacré le père, parce qu’ils le soupçonnaient d’aspirer à la tyrannie.

Vercingentorix divisa son armée en plusieurs corps, établit plusieurs capitaines, et fit entrer dans cette ligue tous les peuples des environs, jusqu’à l’Arar : son dessein était de faire prendre d’un seul coup les armes à toute la Gaule, pendant qu’à Rome se préparait un soulèvement contre César. Que si, en effet, il eût différé son entreprise jusqu’à ce que César eût eu sur les bras la guerre civile, il eût rempli l’Italie d’épouvante, à l’égal de ce qu’avaient fait autrefois les Cimbres. Dans cette conjoncture, César, qui tirait parti de tous les avantages que la guerre peut offrir, et qui surtout savait profiter du temps, n’eut pas plutôt appris la révolte, qu’il leva le camp, et marcha sur l’ennemi. Il reprit les mêmes chemins qu’il avait déjà tenus, faisant voir aux Barbares, par sa course impétueuse, dans un hiver si rigoureux, qu’ils avaient en tête une armée invincible, à laquelle rien ne pouvait résister. Car, là où il eût été incroyable qu’un simple courrier arrivât à force de temps, du point d’où César était parti, ils l’y voyaient arrivé lui-même, avec toute son armée, pillant et ravageant leur pays, détruisant leurs places fortes, et recevant ceux qui venaient se rendre à lui. Mais, quand les Éduens[30], qui jusqu’alors s’étaient appelés eux-mêmes les frères des Romains, et qui en avaient été traités avec des honneurs particuliers, se déclarèrent contre César, et entrèrent dans la ligue des révoltés, le découragement se jeta parmi ses troupes. César fut donc obligé de décamper de chez eux, et de traverser le pays des Lingons[31], pour entrer dans celui des Séquanais, amis des Romains, et plus voisins de l’Italie que le reste de la Gaule. Là, pressé par les ennemis, enveloppé par une armée innombrable, il pousse en avant avec tant de vigueur, qu’après un combat long et sanglant, il a partout l’avantage, et met en fuite les Barbares. Il semble néanmoins qu’il y reçut d’abord quelque échec ; car les Arvernes montrent une épée suspendue dans un temple, comme une dépouille prise sur César. Il l’y vit lui-même dans la suite, et ne fit que sourire : ses amis l’engageaient à la faire ôter ; mais il ne le voulut pas, la regardant comme une chose sacrée.

Le plus grand nombre de ceux qui s’étaient sauvés par la fuite se retirèrent avec leur roi dans la ville d’Alésia[32]. César fit le siège de cette ville, que la hauteur de ses murailles et la multitude des troupes qui la défendaient faisaient regarder comme imprenable. Pendant ce siège, il se vit dans un danger dont aucun discours ne saurait donner une idée. Ce qu’il y avait de plus brave parmi toutes les nations de la Gaule, s’étant rassemblé au nombre de trois cent mille hommes, vint en armes au secours d’Alésia ; et les combattants qui étaient renfermés dans la ville ne montaient pas à moins de soixante-dix mille. César, enfermé et assiégé entre deux armées si puissantes, fut obligé de se remparer de deux murailles, l’une contre ceux de la place, l’autre contre les survenants : si les deux armées avaient opéré leur jonction, c’en était fait de César. Aussi, le péril extrême auquel il fut exposé devant Alésia lui valut-il, à plus d’un titre, une gloire méritée ; car jamais il n’avait montré dans aucun combat des preuves signalées à ce point de son audace et de son habileté. Mais, ce qui doit particulièrement surprendre, c’est que les assiégés n’aient été instruits du combat livré par César à tant de milliers d’hommes, qu’après qu’il les eut défaits ; et, ce qui est plus étonnant encore, les Romains qui gardaient la circonvallation intérieure du côté de la ville n’apprirent sa victoire que par les cris des habitants d’Alésia et par les lamentations de leurs femmes, car les assiégés voyaient, des deux côtés de la ville, les soldats romains emportant dans leur camp une immense quantité de boucliers garnis d’or et d’argent, des cuirasses souillées de sang, de la vaisselle et des pavillons gaulois. C’est ainsi que s’évanouit et se dissipa cette armée formidable avec la rapidité d’un fantôme ou d’un songe, presque tous ayant péri dans le combat. Les assiégés, après s’être donné bien du mal à eux-mêmes et en avoir beaucoup fait à César, finirent par se rendre. Vercingentorix, qui avait été l’âme de toute cette guerre, se couvrit de ses plus belles armes, et sortit de la ville sur un cheval magnifiquement paré ; puis, après l’avoir fait caracoler autour de César, qui était assis sur son tribunal, il mit pied à terre, se dépouilla de toutes ses armes, et alla s’asseoir aux pieds de César, où il se tint en silence. César le remit en garde à des soldats, et le réserva pour le triomphe.

César avait résolu depuis longtemps de détruire Pompée, comme aussi de son côté Pompée de détruire César. Crassus, le seul adversaire qui eût pu prendre la place du vaincu, avait péri chez les Parthes : il ne restait à César, pour s’élever au premier rang, qu’à renverser celui qui l’occupait, et à Pompée, pour prévenir sa propre perte, qu’à se défaire de celui qu’il craignait. Mais il n’y avait pas longtemps que Pompée avait commencé à s’inquiéter pour sa puissance : il regardait jusque-là César comme peu redoutable, persuadé qu’il ne lui serait pas difficile de perdre celui dont l’agrandissement était son ouvrage. César, déterminé de tout temps à détruire tous ses rivaux, était allé, comme un athlète, se préparer loin de l’arène : il s’était exercé lui-même dans les guerres des Gaules, il avait aguerri ses troupes, augmenté sa gloire par ses exploits, et égalé les hauts faits de Pompée. Il n’attendait que des prétextes pour éclater ; prétextes que lui fournirent et Pompée lui-même, et les conjonctures, enfin les vices du gouvernement. On voyait, à Rome, ceux qui briguaient les charges dresser en public des tables de banque, et acheter sans honte les suffrages de la multitude ; et les citoyens, gagnés à prix d’argent, descendaient à l’assemblée, non pour donner simplement leurs voix à celui qui les avait achetées, mais pour soutenir sa brigue à coups de traits, d’épées et de frondes. Plus d’une fois ils ne sortirent de l’assemblée qu’après avoir souillé la tribune de sang et de meurtre ; et la ville restait en proie à l’anarchie, semblable à un vaisseau sans gouvernail, emporté à la dérive. Aussi les gens sensés eussent-ils regardé comme un grand bonheur que cet état violent de démence et d’agitation n’amenât pas de pire mal que la monarchie. Plusieurs mêmes osaient dire ouvertement que l’unique remède aux maux de la république, c’était la puissance d’un seul, et que, ce remède, il fallait l’endurer de la main du médecin le plus doux ; ce qui désignait clairement Pompée. Pompée affectait, dans ses discours, de refuser le pouvoir absolu ; mais toutes ses actions tendaient à se faire nommer dictateur. Caton pénétra son dessein, et conseilla au Sénat de le nommer seul consul, afin que, satisfait d’une monarchie plus conforme aux lois, il n’enlevât pas de force la dictature. Le Sénat prit ce parti ; et en même temps il lui continua les deux gouvernements dont il était pourvu, l’Espagne et l’Afrique : il les administrait par des lieutenants, et y entretenait des armées payées par le trésor public, et dont la dépense montait à mille talents chaque année[33].

César s’empressa, à cette nouvelle, d’envoyer demander le consulat, et une pareille prolongation pour ses gouvernements. Pompée d’abord garda le silence ; mais Marcellus et Lentulus, qui d’ailleurs haïssaient César, proposèrent de rejeter ses demandes ; et, à une démarche nécessaire ils en ajoutèrent, pour ravaler César, d’autres qui ne l’étaient pas. Ils privèrent du droit de cité les habitants de Néocome[34], que César avait établis depuis peu dans la Gaule. Marcellus, étant consul, fit battre de verges un des sénateurs de cette ville, qui était venu à Rome, et lui dit qu’il lui imprimait ces marques d’ignominie, pour le faire souvenir qu’il n’était pas Romain, et qu’il n’avait qu’à les aller montrer à César. Après le consulat de Marcellus, César laissa puiser abondamment dans les trésors qu’il avait amassés en Gaule tous ceux qui avaient quelque part au gouvernement. Il acquitta les dettes du tribun Curion, qui étaient considérables, et donna quinze cents talents[35] au consul Paulus, qui les employa à bâtir cette fameuse basilique qui a remplacé celle de Fulvius. Pompée alors s’effraya de ces menées : il se décida à agir ouvertement, soit par lui-même, soit par ses amis, pour faire nommer un successeur à César ; et il lui envoya redemander les deux légions qu’il lui avait prêtées pour la guerre des Gaules. César les lui renvoya sur-le-champ, après avoir donné à chaque soldat deux cent cinquante drachmes[36].

Les officiers qui les ramenèrent à Pompée répandirent parmi le peuple des bruits défavorables à César, et corrompirent Pompée par de vaines espérances, en l’assurant que l’armée de César désirait l’avoir pour chef ; que si, à Rome, l’opposition de ses envieux et les vices du gouvernement mettaient des obstacles à ses desseins, l’armée des Gaules lui était toute acquise ; qu’à peine elle aurait repassé les monts, elle se rangerait à l’instant sous sa loi : « Tant, disaient-ils, César leur est devenu odieux par ses campagnes sans cesse répétées ! tant il s’est rendu suspect par la crainte qu’on a de le voir aspirer à la monarchie ! » Ces propos enflèrent si bien le cœur de Pompée, qu’il négligea de faire des levées, croyant n’avoir rien à craindre, et se bornant à combattre les demandes de César par des discours et des opinions ; ce dont César s’embarrassait fort peu. On assure qu’un de ses centurions, qu’il avait dépêché à Rome, et qui se tenait à la porte du conseil, ayant entendu dire que le Sénat refusait à César la continuation de ses gouvernements : « Voici qui la lui donnera, » dit-il, en frappant de la main la garde de son épée.

Cependant la demande faite au nom de César avait une noble apparence de justice : il offrait de poser les armes, pourvu que Pompée en fit autant. Devenus ainsi l’un et l’autre simples particuliers, ils attendraient les honneurs que leurs concitoyens voudraient leur décerner ; mais lui ôter son armée et laisser à Pompée la sienne, c’était, en accusant l’un d’aspirer à la tyrannie, donner à l’autre les moyens d’y parvenir. Ces offres, que Curion faisait au nom de César, furent accueillies par le peuple avec d’unanimes applaudissements : il y en eut même qui jetèrent à Curion des couronnes de fleurs, comme à un athlète victorieux. Antoine, l’un des tribuns du peuple, apporta dans l’assemblée une lettre de César relative à ces difficultés, et la fit lire, malgré les consuls. Scipion, beau-père de Pompée, proposa que si, à un jour fixé, César ne posait pas les armes, il fût traité en ennemi public. Les consuls demandent si l’on est d’avis que Pompée renvoie ses troupes ; puis, si on veut que César licencie les siennes : il y eut à peine quelques voix pour le premier avis ; mais presque toutes appuyèrent le second. Antoine proposa de nouveau qu’ils déposassent tous deux le commandement, et cet avis fut unanimement adopté ; mais les violences de Scipion et les clameurs du consul Lentulus, lequel criait que contre un brigand il fallait des armes et non pas des décrets, obligèrent les sénateurs d’abandonner la délibération ; et les citoyens, effrayés de ce désaccord, prirent des habits de deuil.

Bientôt après, voilà qu’arrive une autre lettre de César, qui parut encore plus modérée : il offrait de tout abandonner, à condition qu’on lui donnerait le gouvernement de la Gaule cisalpine et celui de l’Illyrie, avec deux légions, jusqu’à ce qu’il pût obtenir un second consulat. L’orateur Cicéron, qui venait d’arriver de Cilicie, et qui cherchait à rapprocher les deux partis, travaillait à rendre Pompée plus traitable. Pompée, en consentant aux autres demandes de César, refusait de lui laisser les soldats. Cicéron persuada aux amis de César de se contenter des deux gouvernements avec six mille hommes de troupes, et de faire sur ce pied l’accommodement. Pompée fléchissait, et se rendait à cette proposition ; mais le consul Lentulus n’y voulut point accéder : il traita avec outrage Antoine et Curion, et les chassa honteusement du Sénat. C’était donner à César le plus spécieux de tous les prétextes ; et il s’en servit avec succès pour irriter ses soldats, leur montrant des hommes distingués, des magistrats romains obligés de s’enfuir en habits d’esclaves, dans des voitures de louage ; car c’est sous ce déguisement qu’ils étaient sortis de Rome, dans la crainte d’être reconnus.

César n’avait auprès de lui que cent cavaliers et cinq mille hommes de pied. Il avait laissé au delà des Alpes le reste de son armée ; et ceux qu’il avait dépêchés pour la quérir n’étaient pas encore arrivés. Mais il vit que le commencement de l’entreprise et la première attaque n’exigeaient pas tant un grand nombre de bras qu’un coup de main dont la hardiesse et la célérité frappât ses ennemis de stupeur, et qu’il lui était plus facile de les effrayer en tombant sur eux lorsqu’ils s’y attendaient le moins, que de les forcer en venant avec de grands préparatifs. Il ordonne donc à ses tribuns et à ses centurions de ne prendre que leurs épées pour toute arme, et d’aller se saisir d’Ariminum[37], ville considérable de la Gaule, sans tuer personne, autant que faire se pourrait, et sans y soulever de tumulte. Il remit à Hortensius la conduite de son armée, et passa le jour en public à voir combattre des gladiateurs ; puis, un peu avant la nuit, il prit un bain, et, entrant dans la salle à manger, il resta quelque temps avec ceux qu’il avait invités à souper. Dès que la nuit fut venue, il se leva de table, engageant les convives à faire bonne chère, et les priant de l’attendre, car il reviendrait bientôt. Il avait prévenu quelques-uns de ses amis de le suivre, non pas tous ensemble, mais chacun par un chemin différent ; et, montant lui-même dans un chariot de louage, il poussa d’abord par une autre route que celle qu’il voulait tenir, et tourna ensuite vers Ariminium. Arrivé sur le bord de la rivière qui sépare la Gaule cisalpine du reste de l’Italie, il suspendit sa course, frappé tout à coup des réflexions que lui inspirait l’approche du danger, et tout troublé de la grandeur et de l’audace de son entreprise : fixé longtemps à la même place, il pesa, dans un profond silence, les différentes résolutions qui s’offraient à son esprit, balança tour à tour les partis contraires, et changea plusieurs fois d’avis. Il conféra longtemps avec ceux de ses amis qui l’accompagnaient, et parmi lesquels était Asinius Pollion. Il se représenta tous les maux dont le passage du Rubicon allait être le premier signal, et le jugement qu’on porterait de cette action dans la postérité. Enfin la passion l’emporta. Il repousse les conseils de la raison ; il se précipite aveuglément dans l’avenir, et prononce le mot qui est le prélude ordinaire des entreprises difficiles et hasardeuses : « Le dé en est jeté ! » Il traverse aussitôt la rivière, et fait une telle diligence, qu’il arrive à Ariminum avant le jour, et s’empare de la ville. La nuit qui précéda le passage du Rubicon, il eut, dit-on, un songe sinistre : il lui sembla qu’il avait avec sa mère un commerce incestueux.

La prise d’Ariminum lâcha la guerre, pour ainsi dire à larges portes, et sur la terre et sur la mer ; et César, en franchissant les limites de son gouvernement, parut avoir transgressé toutes les lois de Rome. Ce n’étaient pas seulement, comme dans les autres guerres, des hommes et des femmes qu’on voyait courir éperdus à travers l’Italie ; on eut dit que les villes elles-mêmes se levaient de leur place pour prendre la fuite, et se transportaient d’un lieu dans un autre. Rome se trouva comme inondée d’un déluge de peuples qui s’y réfugiaient de tous les environs ; et, dans cette agitation, dans cette tempête violente, il n’était plus possible à aucun magistrat de la contenir par la raison ni par l’autorité : peu s’en fallut qu’elle ne se détruisit par ses propres mains. Ce n’étaient partout que passions contraires et mouvements convulsifs ; ceux mêmes qui voyaient avec joie l’entreprise de César ne se pouvaient tenir tranquilles : comme ils rencontraient à chaque pas, dans cette grande ville, des gens affligés et inquiets, il les insultaient avec fierté, et les menaçaient de l’avenir. Pompée, déjà étonné par lui-même, était troublé d’ailleurs par les propos qu’il entendait de toutes parts : il était puni avec justice, suivant les uns, d’avoir agrandi César contre lui-même et contre la république ; les autres l’accusaient d’avoir rejeté les conditions raisonnables auxquelles César avait consenti de se réduire, et de l’avoir livré aux outrages de Lentulus. « Frappe donc la terre du pied, » lui dit Favonius ; parce qu’un jour Pompée, étalant ses vanteries en plein Sénat, avait déclaré aux sénateurs qu’ils n’avaient à s’embarrasser de rien, ni à s’inquiéter des préparatifs de la guerre : « Que César se mette en marche, avait-il ajouté ; je n’ai qu’à frapper du pied la terre pour remplir de légions l’Italie. »

Quoi qu’il en soit, Pompée, à ce moment, était encore supérieur à César par le nombre de ses soldats ; mais on ne le laissait jamais le maître de suivre ses propres sentiments : les fausses nouvelles qu’on lui apportait, les terreurs qu’on ne cessait de lui inspirer, comme si l’ennemi eût été déjà aux portes de Rome et maître de tout, l’obligèrent enfin de céder au torrent, et de se laisser entraîner à la fuite générale. Il déclara qu’il y avait tumulte[38] ; et il abandonna la ville, ordonnant au Sénat de le suivre, et intimant à tous ceux qui préféraient à la tyrannie leur patrie et la liberté, la défense d’y rester. Les consuls s’enfuirent sans avoir même fait les sacrifices qu’ils étaient dans l’usage d’offrir aux dieux avant de sortir de la ville ; la plupart des sénateurs prirent aussi la fuite, ravissant, pour ainsi dire, ce qu’ils trouvaient chez eux sous leur main, comme s’ils l’eussent enlevé aux ennemis ; il y en eut même qui, d’abord tout dévoués au parti de César, perdirent la tête dans le premier moment d’épouvante, et, sans aucune nécessité, se laissèrent entraîner par le torrent des fuyards.

C’était un spectacle bien digne de pitié que de voir la ville assaillie par cette terrible tempête, abandonnée comme un vaisseau sans pilote, et emportée à l’aventure. Mais, quelque déplorable que fût cette fuite, c’était dans l’exil que les citoyens voyaient la patrie, à cause de leur attachement pour Pompée ; et ils abandonnaient Rome comme le camp de César. Labiénus lui-même, un des plus intimes amis de César, et qui avait été son lieutenant, Labiénus qui s’était comporté dans toutes les guerres des Gaules avec le zèle d’un brave, quitta son parti, et alla rejoindre Pompée. César ne laissa pas, malgré cette désertion, de lui renvoyer son argent et ses équipages. Il alla camper ensuite devant Corfinium, où Domitius commandait pour Pompée. Domitius, désespérant de pouvoir défendre la place, demanda du poison à un de ses esclaves, qui était son médecin, et l’avala dans l’espérance de mourir ; mais, ayant bientôt appris avec quelle admirable bonté César traitait les prisonniers, il se mit à déplorer son malheur, et la précipitation avec laquelle il avait pris cette résolution funeste. Son médecin le rassura, en lui disant que le breuvage qu’il avait bu n’était pas un poison mortel, mais un simple narcotique. Content de cette assurance, Domitius se lève, et va trouver César, qui le reçoit en grâce. Cependant Domitius se déroba bientôt, et retourna vers Pompée.

Ces nouvelles, portées à Rome, ranimèrent la joie dans le cœur de ceux qui y étaient restés ; et plusieurs des fugitifs y retournèrent. César prit les troupes de Domitius, et les incorpora dans son armée ainsi que les recrues levées dans les villes au nom de Pompée, et qui n’avaient pas eu le temps de rejoindre. Devenu redoutable par ces renforts, il marcha contre Pompée lui-même. Mais Pompée n’attendit point l’ennemi : il se retira à Brundusium, et fit d’abord partir les consuls pour Dyrrachium avec ses troupes ; il y passa lui-même bientôt après, César étant arrivé devant Brundusium, comme je l’exposerai en détail dans la Vie de Pompée. César eût voulu le poursuivre, mais il manquait de vaisseaux : il s’en retourna donc à Rome, après s’être rendu maître, en soixante jours, de toute l’Italie, sans verser une goutte de sang. Il trouva la ville beaucoup plus calme qu’il ne s’y attendait, et, dans la ville, un grand nombre de sénateurs : il parla à ces derniers avec humanité et affabilité, les exhortant à députer vers Pompée, pour lui porter de sa part les conditions raisonnables. Aucun d’eux n’accepta la commission, soit qu’ils craignissent Pompée, qu’ils avaient abandonné, soit qu’ils crussent que César ne parlait pas sincèrement, et que ce n’était qu’un beau discours donné à la bienséance.

Le tribun Métellus voulut l’empêcher de prendre de l’argent dans le trésor public, et allégua des lois qui le défendaient. « Le temps des armes, lui dit César, n’est pas celui des lois ; si tu n’approuves pas ce que je veux faire, retire-toi : la guerre n’a que faire de cette liberté de paroles. Quand l’accommodement sera fait, et que j’aurai posé les armes, tu pourras alors haranguer à ta fantaisie. Au reste, ajouta-t-il, quand je te parle ainsi, je n’use pas de tous mes droits ; car vous m’appartenez par le droit de la guerre, toi et tous ceux qui vous êtes déclarés contre moi, et qui êtes tombés entre mes mains. » Après cette leçon adressée à Métellus, il s’avança vers les portes du trésor ; et, comme on ne trouvait pas les clefs, il envoya chercher des serruriers, et leur ordonna d’enfoncer les portes. Métellus voulut encore s’y opposer ; et plusieurs personnes le louaient de sa fermeté. César alors prit un ton plus haut, et menaça de le tuer s’il ne cessait ses importunités : « Et tu n’ignores pas, jeune homme, ajouta-t-il, qu’il m’était plus difficile de le dire que de le faire. » Métellus se retira, effrayé de ces dernières paroles ; et l’on s’empressa de fournir à César, sans plus de difficulté, tout l’argent dont il avait besoin pour la guerre.

Il se rendit aussitôt en Espagne avec une année, résolu de chasser Afranius et Varron, lieutenants de Pompée, et de commencer par se rendre maître de leurs troupes et de leurs gouvernements avant de marcher contre Pompée : il ne voulait laisser derrière aucun ennemi. Dans cette guerre, sa vie fut souvent en danger, par les embûches qu’on lui dressa, et son année manqua de périr par la disette ; mais il n’en mit pas moins d’ardeur à poursuivre les ennemis, à les provoquer au com-bat, à les environner de tranchées : il ne s’arrêta point qu’il n’eût en sa puissance leurs camps et leurs troupes. Les chefs prirent la fuite, et se retirèrent vers Pompée. Quand César fut de retour à Rome, Pison, son beau-père, lui conseilla de députer à Pompée afin de traiter d’un accommodement ; mais Isauricus, pour faire sa cour à César, combattit cette proposition. Élu dictateur par le Sénat, César rappela les bannis, rétablit dans leurs honneurs les enfants de ceux qui avaient été proscrits par Sylla, et déchargea les débiteurs d’une partie des intérêts de leurs dettes. Il fit d’autres ordonnances semblables, mais en petit nombre ; car il ne garda que onze jours l’autorité suprême : il se nomma lui-même consul avec Servilius Isauricus, et ne s’occupa plus que de la guerre.

Il laissa derrière lui une grande partie de son armée, et, avec six cents chevaux d’élite et cinq légions, en plein solstice d’hiver, au commencement de janvier, qui répond à peu près au mois Posidéon des Athéniens, il s’embarqua, traversa la mer Ionienne, et s’empara d’Oricum et d’Apollonie. Il renvoya les vaisseaux de transport à Brundusium, pour amener les troupes qui étaient restées en arrière. Ces soldats, épuisés de fatigue, rebutés de ces combats qu’il leur fallait livrer sans relâche contre tant d’ennemis, se plaignaient de César dans leur route : « Où donc, disaient-elles, cet homme veut-il nous mener ? et où s’arrêtera-t-il enfin ? Ne cessera-t-il de nous traîner partout à sa suite, et de se servir de nous comme d’êtres infatigables, et dont la vie ne saurait s’user ? Le fer même cède aux coups dont on le frappe ; les boucliers et les cuirasses ont à la longue besoin de repos. César ne s’aperçoit donc pas, à nos blessures, qu’il commande à des hommes mortels, et que nous sommes sujets à tous les maux, à toutes les souffrances de la condition mortelle ? Dieu lui-même ne peut pas, sur la mer, forcer la saison de l’hiver et des vents. Et cependant, c’est dans cette saison que César nous expose au péril : on dirait, non qu’il poursuit ses ennemis, mais qu’il fuit devant eux. » En parlant de la sorte, ils s’acheminaient lentement vers Brundusium ; mais, lorsqu’en arrivant, ils trouvèrent que César était déjà parti, alors ils changèrent de langage : ils se firent à eux-mêmes de vifs reproches ; ils s’accusèrent d’avoir trahi leur général ; ils allèrent même jusqu’à s’emporter contre leurs officiers, qui n’avaient pas pressé la marche ; et, assis sur les rochers de la côte, ils portaient leurs regards sur la mer et vers l’Épire, pour voir s’ils apercevraient les vaisseaux qui devaient les porter à l’autre bord.

Cependant César était à Apollonie, avec une armée trop faible pour rien entreprendre, parce que les troupes de Brundusium tardaient à arriver. Livré à une incertitude affligeante, il prit enfin la résolution hasardeuse de s’embarquer seul, à l’insu de tout le monde, sur un bateau à douze rames, et de se rendre à Brundusium, quoique la mer fut couverte de vaisseaux ennemis. À l’entrée de la nuit, il se déguise en esclave, monte sur le bateau, se jette dans un coin, comme un simple passager sans conséquence, et se tient là sans rien dire. L’esquif descendait le fleuve Anius[39], qui le portait vers la mer. L’embouchure du fleuve était ordinairement tranquille, parce qu’une brise de terre, qui soufflait tous les matins, repoussait les vagues de la mer, et les empêchait d’entrer dans la rivière ; mais, cette nuit-là, il s’éleva tout à coup un vent de mer si violent, qu’il fit tomber la brise de terre. Le fleuve, soulevé par la marée et par la résistance des vagues qui luttaient contre son courant, devint dangereux et terrible : ses eaux, repoussées violemment vers leur source, tournoyaient avec une effroyable rapidité et d’affreux mugissements ; et le pilote ne pouvait venir à bout de maîtriser les flots. Il ordonna aux matelots détourner la proue, et de remonter le fleuve. César, ayant entendu donner cet ordre, se fit connaître ; et, prenant la main du pilote, tout stupéfait de sa présence : « Allons, mon brave, dit-il, continue ta route, et ne crains riens ; tu conduis César et sa fortune. » Les matelots oublient la tempête, forcent de rames, et emploient tout ce qu’ils ont d’ardeur pour surmonter la violence des vagues ; mais tous leurs efforts furent inutiles ; et, comme l’esquif faisait eau de tous côtés, prêt à couler à fond dans l’embouchure du fleuve, César permit au pilote, avec bien du regret, de retourner en arrière, et regagna le camp : les soldats, sortant en foule au-devant de lui, se plaignent douloureusement de ce qu’il désespère de vaincre avec eux seuls, et veut aller, dans son chagrin, s’exposer au plus terrible danger, pour chercher les absents, comme s’il se défiait de ceux qui sont près de lui Bientôt après, Antoine arriva avec les troupes de Brundusium ; et César, plein de confiance, présenta le combat à Pompée.

Pompée, campé dans un poste avantageux, tirait abondamment de la terre et de la mer tout ce qu’il lui fallait de provisions ; tandis que César, qui, dès le commencement, n’avait pas été dans l’abondance, se trouva plus tard réduit à manquer même des choses les plus nécessaires. Ses soldats, pour se nourrir, pilaient une certaine racine, qu’ils détrempaient avec du lait ; quelquefois même ils en faisaient des pains ; et, s’avançant jusqu’aux premiers postes des ennemis, ils jetaient de ces pains dans leurs retranchements, en leur disant que, tant que la terre produirait de ces racines, ils ne cesseraient pas de tenir Pompée assiégé. Pompée défendit qu’on montrât ces pains à ses soldats, et qu’on leur rapportât ces discours ; car son armée se décourageait, et frissonnait à l’idée de la dureté et de l’insensibilité farouche des ennemis, comme s’ils eussent eu affaire à des bêtes sauvages. Il se faisait chaque jour, près du camp de Pompée, des escarmouches où César avait toujours l’avantage ; une fois pourtant ses troupes furent mises en pleine déroute, et il se vit en danger de perdre son camp.

Pompée avait attaqué avec vigueur : aucun des corps de César ne tint ferme ; ils prirent tous la fuite ; les tranchées furent remplies de morts ; et ils furent poursuivis jusque dans leurs lignes et leurs retranchements. César court au-devant des fuyards, et tâche de les ramener au combat ; mais tous ses efforts sont inutiles : il veut saisir les enseignes, mais ceux qui les portaient les jettent à terre, et trente-deux tombent au pouvoir de l’ennemi. César lui-même manqua de périr : il avait voulu retenir un soldat grand et robuste, qui fuyait comme les autres, et l’obliger de faire face à l’ennemi : cet homme, troublé par le danger, et hors de lui-même, leva l’épée pour le frapper ; mais l’écuyer de César le prévint, et d’un coup d’épée lui abattit l’épaule. César croyait déjà tout perdu ; mais Pompée, ou par un excès de précaution, ou par un caprice de la Fortune, ne conduisit pas à son terme un si heureux commencement : satisfait d’avoir forcé les fuyards à se renfermer dans leur camp, il se retira. Aussi César, en s’en retournant, dit à ses amis : « La victoire était aujourd’hui aux ennemis, s’ils avaient eu un chef qui sût vaincre. » Rentré dans sa tente, il se coucha, et il passa la nuit dans la plus cruelle inquiétude, et en proie à une affreuse perplexité : il se reprochait la faute qu’il avait faite, lorsque, ayant devant lui un pays abondant et les villes opulentes de la Macédoine et de la Thessalie, au lieu d’attirer la guerre de ce côté, il était venu camper sur les bords de la mer, sans avoir rien à opposer à la flotte des ennemis, et bien plus assiégé par la disette qu’il n’assiégeait Pompée par les armes.

Déchiré par ces réflexions, affligé de la nécessité qui le pressait et de la situation fâcheuse où il était réduit, il lève son camp, résolu d’aller dans la Macédoine combattre Scipion : il espérait ou attirer Pompée sur ses pas, et l’obliger de combattre dans un pays qui ne lui donnerait plus la facilité de tirer ses provisions par mer, ou venir aisément à bout de Scipion, si Pompée l’abandonnait. La retraite de César enfla le courage des soldats et des officiers de Pompée : ils voulaient qu’on le poursuivît sur-le-champ, comme un homme déjà vaincu et mis en fuite. Mais Pompée était trop prudent pour mettre de si grands intérêts au hasard d’une bataille : abondamment pourvu de tout ce qui lui était nécessaire pour attendre le bénéfice du temps, il croyait plus sage de tirer la guerre en longueur, et de laisser se flétrir le peu de vigueur qui restait encore aux ennemis. Les plus aguerris des soldats de César montraient dans les combats beaucoup d’expérience et d’audace ; mais, dès qu’il leur fallait faire des marches et des campements, assiéger les places fortes et passer les nuits sous les armes, leur vieillesse les faisait bientôt succomber à ces fatigues : ils étaient trop pesants pour des travaux si pénibles ; et leur courage cédait à la faiblesse de leur corps. On disait d’ailleurs qu’il régnait dans leur armée une maladie contagieuse, dont la mauvaise nourriture avait été la première cause ; et, ce qui était encore plus fâcheux pour César, il n’avait ni argent ni vivres, et il semblait inévitable qu’il se consumât lui-même en peu de temps.

Tous ces motifs déterminèrent Pompée à refuser le combat. Le seul Caton approuva sa résolution, par le désir d’épargner le sang des citoyens : il n’avait pu voir les corps des ennemis tués à la dernière action, au nombre de mille, sans verser des larmes ; et, en se retirant, il s’était couvert la tête de sa robe, en signe de deuil. Tous les autres accusaient Pompée de refuser le combat par lâcheté : ils cherchaient à le piquer, en l’appelant Agamemnon et roi des rois, en lui imputant de ne vouloir pas renoncer à cette autorité monarchique dont il était investi, à ce concours de tant de capitaines qui venaient dans sa tente prendre ses ordres, et dont sa vanité était flattée. Favonius, qui affectait d’imiter la franchise du langage de Caton, déplorait, d’un ton tragique, le malheur qu’on aurait encore cette année de ne pas manger des figues de Tusculum, parce qu’il fallait à Pompée une autorité monarchique. Afranius, nouvellement arrivé d’Espagne, où il s’était fort mal conduit, et qu’on accusait d’avoir vendu et livré son armée, lui demanda pourquoi il n’allait pas combattre contre ce trafiquant qui avait acheté de lui ses gouvernements. Tous ces propos forcèrent Pompée de se décider au combat ; et il se mit à la poursuite de César.

César avait éprouvé de grandes difficultés dans les premiers jours de sa marche. Personne ne voulait lui fournir de vivres, et sa récente défaite lui attirait un mépris général ; mais, lorsqu’il eut pris la ville de Gomphes[40] en Thessalie, il eut de quoi nourrir son armée ; et, pour surcroît de bonheur, ses soldats furent guéris de la maladie, d’une façon vraiment étrange. Ayant trouvé une quantité prodigieuse de vin, ils en burent avec excès, et se livrèrent à la débauche, menant, tout le long du chemin, une espèce de bacchanale. L’ivresse chassa la maladie, qui venait d’une cause contraire, et changea entièrement la disposition de leurs corps. Quand les deux généraux furent entrés dans la plaine de Pharsale, et qu’ils eurent assis leur camp l’un vis-à-vis de l’autre, Pompée revint à sa première résolution, d’autant plus qu’il venait d’avoir des présages sinistres et un songe alarmant. Il lui avait semblé se voir à Rome dans le théâtre, accueilli par les applaudissements des Romains[41]

Mais ceux qui l’entouraient étaient, au contraire, tout pleins de présomption, et prévenaient la victoire par leurs espérances. Déjà Domitius, Spinther et Scipion se disputaient la dignité de grand pontife, que possédait César ; plusieurs avaient envoyé retenir et louer d’avance, à Rome, des maisons propres à loger des consuls et des préteurs, assurés qu’ils se croyaient d’être élevés aux magistratures aussitôt après la guerre. Mais, ceux qui se montraient le plus impatients de combattre, c’étaient les chevaliers, tout fiers de la beauté de leurs armes, du bon état de leurs chevaux, de leur bonne mine et de leur nombre, car ils étaient sept mille contre mille que César en avait. L’infanterie de Pompée l’emportait aussi par le nombre : elle était de quarante-cinq mille hommes, et celle des ennemis ne montait qu’à vingt-deux mille. César, ayant rassemblé ses troupes, leur dit que Cornificius, qui lui amenait deux légions, ne tarderait pas d’arriver ; que quinze autres cohortes étaient postées autour de Mégare et d’Athènes, sous le commandement de Calénus ; et il leur demanda s’ils voulaient attendre ce renfort, ou hasarder seuls la bataille. Ils le conjurèrent, d’un cri unanime, de ne pas attendre, mais plutôt d’imaginer quelque stratagème afin d’attirer le plus tôt possible l’ennemi au combat.

Il fit un sacrifice, pour purifier son armée ; et, après l’immolation de la première victime, le devin lui annonça que dans trois jours on en finirait avec les ennemis par un combat. César lui demanda s’il apercevait dans les entrailles sacrées quelque signe favorable. « Tu répondras toi-même à cette question mieux que moi, dit le devin ; les dieux me font voir un grand changement, une révolution générale de l’état présent à un état tout contraire : si donc tu crois tes affaires en bon point maintenant, attends-toi à une pire fortune ; si tu trouves ta position fâcheuse, espère un meilleur sort. » La veille de la bataille, comme il visitait les gardes, on aperçut, sur le minuit, une traînée de feu dans le ciel, laquelle, passant par-dessus le camp de César, se changea tout à coup en une flamme vive et éclatante, et alla tomber dans le camp de Pompée. Quand on posa les gardes du matin, on reconnut qu’une terreur panique s’était répandue parmi les ennemis.

Toutefois, César ne s’attendait pas à combattre ce jour-là ; et il s’apprêtait à lever le camp, pour se retirer vers Scotuse. Déjà les tentes étaient pliées, lorsque les coureurs vinrent annoncer à César que les ennemis sortaient pour donner la bataille. Ravi de cette nouvelle, il fait sa prière aux dieux, il range son armée en bataille, et la divise en trois corps. Il donne à Domitius Calvinus le commandement du centre, met Antoine à la tête de l’aile gauche, et se place lui-même à la droite, afin de combattre avec la dixième légion. La cavalerie des ennemis était opposée à cette aile droite : César, à l’aspect de cette troupe brillante et nombreuse, sentit le besoin d’un renfort : il tira secrètement de sa dernière ligne six cohortes qu’il plaça derrière son aile droite, après leur avoir prescrit ce qu’elles devaient faire quand les cavaliers ennemis viendraient à la charge. Pompée était à son aile droite ; Domitius commandait la gauche ; Scipion, beau-père de Pompée, conduisait le centre. Toute la cavalerie s’était portée à l’aile gauche, dans le dessein d’envelopper la droite des ennemis, et de mettre en déroute le corps même dans lequel combattait le général : nul doute, pensaient-ils, que cette infanterie, si profonds qu’en fussent les rangs, ne cédât à leurs efforts ; que le premier choc d’une cavalerie si nombreuse ne culbutât les bataillons ennemis, et ne les rompît entièrement.

Des deux côtés on allait sonner la charge, lorsque Pompée ordonna à son infanterie de rester immobile et bien serrée, pour attendre le choc de l’ennemi, et de ne s’ébranler que lorsqu’il serait à la portée du trait. César dit que Pompée commit en cela une faute, pour avoir ignoré qu’au commencement de l’action l’impétuosité de la course rend le choc bien plus terrible, qu’elle donne plus de roideur aux coups, et que le courage s’enflamme, allumé par le mouvement de cette multitude. César, prêt à ébranler ses bataillons et à commencer la charge, voit un des plus proches capitaines, homme d’une grande expérience dans la guerre et d’une fidélité à toute épreuve, qui animait ses soldats à combattre en gens de cœur. César, lui adressant la parole : « Eh bien ! Caïus Crassinius, dit-il, que devons-nous espérer ? avons-nous bon courage ? » Crassinius lui tendant la main : « Nous vaincrons glorieusement, César, dit-il d’une voix forte ; pour moi, tu me loueras aujourd’hui mort ou vif. » En disant ces mots, il s’élance le premier au pas de course sur l’ennemi, entraînant après lui sa compagnie, qui était de cent vingt hommes. Il taille en pièces les premiers qu’il trouve sur son passage, pénètre au milieu des plus épais bataillons, et s’entoure de morts, jusqu’à ce qu’enfin il reçoit dans la bouche un coup d’épée si violent, que la pointe sortit par la nuque du cou.

Quand l’infanterie des deux armées fut ainsi engagée dans une mêlée très-vive, les cavaliers de l’aile gauche de Pompée s’avancèrent avec fierté, et étendirent leurs escadrons, pour envelopper l’aile droite de César ; mais, avant qu’ils eussent eu le temps de charger, les six cohortes que César avait placées derrière son aile courent sur eux ; et, au lieu de lancer de loin leurs javelots, suivant leur coutume, et de frapper à coups d’épée les jambes et les cuisses des ennemis, elles portent leurs coups dans les yeux, et cherchent à les blesser au visage, suivant l’instruction qu’elles avaient reçue de César. César s’était bien douté que ces cavaliers, novices dans les combats, et peu accoutumés aux blessures, jeunes d’ailleurs, et qui faisaient parade de leur beauté et de cette fleur de jeunesse, redouteraient particulièrement ces sortes de blessures, et ne soutiendraient pas longtemps un genre de combat où ils auraient à craindre et le danger actuel et la difformité pour l’avenir. Et c’est ce qui arriva : ces délicats ne supportèrent pas les coups de javeline pointés en haut ; et, n’osant fixer ce fer qui brillait de si près à leurs yeux, ils détournaient la vue, et se couvraient la tête pour préserver leur visage. Ils rompirent enfin eux-mêmes leurs rangs, prirent honteusement la fuite, et causèrent la perte du reste de l’armée ; car les soldats de César, après les avoir vaincus, enveloppèrent l’infanterie, et, la chargeant à dos, il la taillèrent en pièces.

Pompée n’eut pas plutôt vu, de son aile droite, la déroute de sa cavalerie, qu’il ne fut plus le même qu’auparavant : oubliant qu’il était le grand Pompée, et semblable à un homme dont un dieu aurait troublé la raison, ou peut-être accablé d’une défaite qu’il regardait comme l’ouvrage de quelque divinité, il se retira dans sa tente, sans dire un seul mot, et s’y assit pour attendre l’issue du combat. Son armée ayant été entièrement rompue et mise en fuite, les ennemis assaillirent les retranchements, et combattirent contre ceux qui les défendaient ; à ce moment, comme revenu à lui-même, il s’écria, dit-on : « Hé quoi ! jusque dans mon camp ! » Et, sans ajouter un mot de plus, il quitte sa cotte d’armes avec toutes les autres marques du commandement, et, prenant un habillement plus propre à la fuite, il se dérobe du camp. La suite de ses aventures et son assassinat par les Égyptiens, auxquels il s’était livré, seront rapportés en détail dans sa Vie.

César, entrant dans le camp de Pompée, vit ce grand nombre d’ennemis dont la terre était couverte, et ceux qu’on massacrait encore : ce spectacle lui arracha un soupir. « Hélas ! dit-il, ils l’ont voulu ; ils m’ont réduit à cette cruelle nécessité ; oui, moi Caïus César, malgré tant de guerres terminées par la victoire, si je me fusse dessaisi de mes armées, j’aurais été condamné. » Asinius Pollion dit que César prononça ces paroles en latin, et que lui, il les a mises en grec dans son histoire. Il ajoute que le plus grand nombre de ceux qui furent tués à la prise du camp étaient des valets de l’armée, et que dans la bataille il ne périt pas plus de six mille hommes. César incorpora dans ses légions la plupart des gens de pied qu’on avait faits prisonniers. Il fit grâce à plusieurs personnages distingués : de ce nombre fut Brutus, celui qui le tua depuis. César, ne le voyant pas paraître après la bataille, avait témoigné, dit-on, une vive inquiétude ; et, quand il le vit venir à lui sain et sauf, il montra la plus grande joie.

Une foule de présages annoncèrent la victoire : le plus remarquable est celui qu’on en eut à Tralles[42]. Il y avait, dans le temple de la Victoire, une statue de César ; le sol d’alentour était formé d’une terre fort dure naturellement, et, de plus, pavé d’une pierre plus dure encore : de ce sol pourtant il s’éleva, dit-on, un palmier, près du piédestal de la statue. À Padoue, Caïus Cornélius, homme habile dans l’art des augures, compatriote et ami de Tite Live, se trouvait occupé, ce jour-là, à contempler le vol des oiseaux. Il connut d’abord, au rapport de Tite Live, que la bataille se donnait en cet instant, et dit à ceux qui étaient présents que l’affaire allait se vider, et que les deux généraux en étaient aux mains. Puis, s’étant remis à ses observations, et ayant examiné les signes, il se leva avec enthousiasme, et s’écria : « Tu l’emportes, ô César ! » Et, comme les assistants étaient étonnés de cette prophétie, il déposa la couronne qu’il avait sur la tête, et jura qu’il ne la remettrait que lorsque l’événement aurait justifié sa prédiction. Voilà, selon Tite Live, comment la chose se passa[43].

César consacra sa victoire par un monument glorieux, en donnant la liberté à la nation thessalienne ; puis il se mit à la poursuite de Pompée. Arrivé en Asie, il accorda la même grâce aux Cnidiens, en faveur de Théopompe[44], celui qui a fait le recueil des récits mythologiques ; et il déchargea tous les habitants de l’Asie du tiers des impôts. Il aborda à Alexandrie après l’assassinat de Pompée. Quand Théodotus lui présenta la tête de Pompée, il détourna la tête avec horreur ; et, en recevant le sceau du vaincu, il pleura. Il combla de présents ceux des amis de Pompée qui s’étaient dispersés, après sa mort, dans la campagne, et avaient été pris par le roi d’Égypte ; il se les attacha, et il écrivit, à ses amis de Rome, que le fruit le plus réel et le plus doux qu’il retirât de sa victoire, c’était de sauver tous les jours quelques-uns de ceux des citoyens qui avaient porté les armes contre lui.

Quant à la guerre d’Alexandrie, les uns disent que son amour pour Cléopâtre, et non point une nécessité réelle, le détermina à cette entreprise, aussi honteuse pour sa réputation que dangereuse pour sa personne ; les autres en accusent les amis du roi, et surtout l’eunuque Pothin, qui jouissait auprès de Ptolémée du plus grand crédit. Pothin venait de tuer Pompée, avait chassé Cléopâtre, et tendait secrètement des embûches à César. C’est à partir de cette découverte, dit-on, que César se mit à passer les nuits dans les festins, pour se tenir mieux sur ses gardes. D’ailleurs, en public même, Pothin n’était pas supportable : il ne cessait de travailler, par ses paroles et par ses actes, à rendre César odieux et méprisable. Il donnait, pour les soldats romains, le blé le plus vieux et le plus gâté, et disait que, vivant aux dépens d’autrui, ils devaient se contenter et prendre patience. Il ne faisait servir à la table du roi que de la vaisselle de bois et de terre, sous prétexte que César avait reçu, pour gage d’une dette, la vaisselle d’or et d’argent. Le père du roi régnant devait, en effet, à César dix-sept millions cinq cent mille sesterces[45] ; César avait fait remise aux enfants de ce prince de sept millions cinq cent mille sesterces, et demandait les dix millions restants pour l’entretien de ses troupes. Pothin l’assurait qu’il pouvait partir sans plus attendre, et aller terminer ses grandes affaires ; qu’il recevrait bientôt son argent, ainsi que les bonnes grâces du roi. César répondit qu’il n’avait nul besoin de prendre conseil des Égyptiens ; et il manda secrètement à Cléopâtre de revenir à la ville. Cléopâtre prend avec elle un seul de ses amis, Apollodore le Sicilien ; elle monte dans un petit bateau, et arrive de nuit devant le palais. Comme il n’y avait pas moyen qu’elle y entrât sans être reconnue, elle s’enveloppe dans un sac à matelas, qu’Apollodore lie avec une courroie, et qu’il fait entrer chez César par la porte même du palais.

Cette ruse de Cléopâtre fut, dit-on, le premier appât qui captiva César : émerveillé de cet esprit inventif, puis ensuite subjugué par sa douceur, par les grâces de sa conversation, il la réconcilia avec son frère, à condition qu’elle partagerait la puissance royale ; et un grand festin suivit cette réconciliation. Un des esclaves de César, qui était son barbier, le plus timide et le plus soupçonneux des hommes, découvrit, en parcourant le palais, en prêtant l’oreille à tout, en examinant tout ce qui se passait, un complot tramé contre la vie de César par Achillas, général des troupes du roi, et par l’eunuque Pothin. César, en ayant eu la preuve, place des gardes autour de la salle, et fait tuer Pothin. Pour Achillas, il se sauva à l’armée, et suscita contre César une guerre difficile et dangereuse, dans laquelle, avec très-peu de troupes, il eut à résister à une ville puissante et à des forces considérables.

Le premier danger auquel il se vit exposé fut la disette d’eau ; car les ennemis avaient bouché tous les aqueducs qui en apportaient dans son quartier. Il courut un second péril lorsque les Alexandrins voulurent lui enlever sa flotte : il fut forcé, pour échapper au danger, de la brûler lui-même ; et l’incendie prit de l’arsenal au palais, et consuma la grande bibliothèque. Enfin, dans le combat qui se donna près de l’île de Pharos, il sauta de la digue dans un bateau, pour aller au secours de ses troupes, qui étaient pressées par l’ennemi : les navires égyptiens accourent de toutes parts pour l’envelopper. César se jette à la mer, et se sauve à la nage, avec beaucoup de peine et de difficulté. Il tenait à la main, dit-on, en ce moment, des papiers qu’il ne lâcha point, malgré les traits qui pleuvaient sur lui, et qui l’obligeaient souvent de plonger : il soutenait ces papiers d’une main au-dessus de l’eau, pendant qu’il nageait de l’autre. Quant au bateau, il avait bientôt coulé à fond. Le roi alla rejoindre son armée ; César le suivit, lui livra bataille, et remporta une victoire complète. Un grand nombre d’ennemis périrent dans ce combat ; et le roi disparut, sans qu’on en eût jamais depuis aucune nouvelle. César donna tout le royaume d’Égypte à Cléopâtre, qui, peu de temps après, accoucha d’un fils que les Alexandrins appelèrent Césarion ; et aussitôt César partit pour la Syrie.

Arrivé en Asie, il apprit que Domitius, après avoir été battu par Pharnace, fils de Mithridate, s’était enfui du Pont avec une poignée de soldats ; que Pharnace, poursuivant vigoureusement ses succès, s’était emparé de la Bithynie et de la Cappadoce, et se préparait à envahir la petite Arménie, dont il avait fait soulever tous les rois et tous les tétrarques. César marche contre lui avec trois légions, et lui livre une grande bataille près de la ville de Zéla[46] : il taille en pièces toute son armée, et le chasse du Pont. Pour marquer la rapidité inouïe de cette victoire, il écrivit à Amintius, un de ses amis de Rome, ces trois mots seulement : « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu[47]. » Dans le latin, les trois mots ont la même désinence, ce qui donne à cette concision un caractère plus frappant encore.

Après cette victoire, il repassa en Italie, et arriva à Rome vers la fin de l’année où devait se terminer sa seconde dictature : cette charge, avant lui, n’avait jamais été annuelle. Il fut nommé consul pour l’année suivante. On blâma fort son extrême indulgence pour ses soldats, qui avaient tué, dans une émeute, deux personnages prétoriens, Cosconius et Galba : il se borna, pour tout châtiment, à leur donner le nom de citoyens[48], au lieu de celui de soldats ; il leur distribua même mille drachmes[49] par tête, et leur assigna des terres considérables dans l’Italie. On lui reprochait aussi les fureurs de Dolabella, l’avarice d’Amintius, l’ivrognerie d’Antoine, et le luxe de Cornificius, lequel s’était adjugé la maison de Pompée, et, ne la trouvant pas assez grande pour lui, en construisait sur le même terrain une plus grande. Les Romains s’indignaient de ces désordres ; et César ne les ignorait ni ne les approuvait ; mais il était forcé, pour arriver à ses fins politiques, d’employer de pareils agents.

Après la bataille de Pharsale, Caton et Scipion s’étaient enfuis en Afrique ; là, par le secours du roi Juba, ils avaient ramassé une armée considérable. César, résolu de marcher contre eux, passe en Sicile vers le solstice d’hiver ; et, pour ôter à ses officiers tout espoir de retard et de délai, il dresse sa tente sur le bord de la mer, et, au premier vent favorable, il fait voile avec trois mille hommes de pied et quelques chevaux ; il les débarque sans être aperçu, et se remet aussitôt en mer, tremblant qu’il n’arrive malheur à la plus importante partie de son armée : il la rencontra qui faisait route, et l’amena tout entière dans son camp. Il apprit en arrivant que les ennemis se confiaient sur un ancien oracle, qui portait que la race des Scipions serait toujours victorieuse en Afrique. Il serait difficile de dire s’il se fit un jeu de tourner en ridicule Scipion, général des troupes ennemies, ou s’il voulut sérieusement s’approprier le bénéfice de l’oracle : toujours est-il qu’il y avait dans son camp un homme obscur et méprisé, qui était de la famille des Scipions, et qui se nommait Scipion Sallutio. César le mettait dans les combats à la tête de l’armée, comme s’il eût été un véritable général.

César était obligé d’en venir souvent aux mains avec les ennemis ; car il avait peu de vivres pour les hommes, et peu de fourrages pour les chevaux, qu’il fallait nourrir avec de la mousse et de l’algue marine, qu’on faisait macérer dans de l’eau douce, et à laquelle on mêlait quelque peu de chiendent pour lui donner un peu de goût. Les Numides, montés sur leurs légers chevaux, se montraient tous les jours en grand nombre, et étaient maîtres de la campagne. Un jour, les cavaliers de César, n’ayant rien à faire, s’amusaient à regarder un Africain qui dansait et jouait de la flûte à ravir ; charmés de son talent, ils étaient assis à l’admirer, et avaient laissé les chevaux à leurs valets : tout à coup les ennemis fondent sur eux, les enveloppent, tuent les uns, mettent les autres en fuite, et les poursuivent jusqu’à leur camp, où ils entrent pêle-mêle avec eux. Il fallut que César lui-même et Asinius Pollon sortissent des retranchements, pour voler à leur secours et arrêter la déroute, sans quoi la guerre se terminait ce jour-là. Dans une seconde rencontre, où les ennemis eurent encore l’avantage, César, voyant le porte-aigle prendre la fuite, court à lui, le saisit au cou, et le force de tourner tête, en lui disant : « C’est là que sont les ennemis. »

Scipion, enflé de ses succès, résolut de risquer une bataille : il laisse d’un côté Afranius, de l’autre Juba, qui campaient séparément à peu de distance de lui, et fortifie son camp au-dessus d’un lac, près de la ville de Thapsus, pour appuyer ses opérations, et donner un lieu de retraite à son armée. Tandis qu’il travaillait à ces retranchements, César traverse avec une incroyable rapidité un pays marécageux et coupé de défilés, vient prendre ses soldats les uns en queue, les autres de front, et les met en déroute. Puis, saisissant l’occasion et profitant de sa fortune, il enlève d’emblée le camp d’Afranius, et pille celui des Numides, que Juba avait abandonné. Ainsi, dans une petite partie d’un seul jour, il s’empare de trois camps, et tue cinquante mille ennemis, sans avoir perdu seulement cinquante des siens. Tel est le récit que quelques-uns font de cette bataille. D’autres prétendent que César ne fut pas présent à l’action ; qu’au moment où il rangeait son armée en bataille et donnait ses ordres, il aurait été pris d’un accès de la maladie à laquelle il était sujet : dès qu’il en sentit la première atteinte, et avant que la maladie lui eût entièrement ôté l’usage de ses sens et de ses forces, il se serait fait porter, déjà saisi du tremblement, dans une des tours voisines, où il attendit en repos la fin de l’accès. D’un grand nombre d’hommes consulaires et prétoriens qui échappèrent au carnage, et qui furent faits prisonniers, les uns se tuèrent eux-mêmes, un grand nombre furent mis à mort par l’ordre de César.

Il avait un extrême désir de prendre Caton vivant ; il marcha promptement vers Utique : Caton, chargé de la défense de cette ville, ne s’était pas trouvé à la bataille. César apprit en chemin qu’il s’était lui-même donné la mort. Il parut visiblement contrarié ; mais, ce qui le peinait, on l’ignore. Que s’il s’écria : « Ο Caton, j’envie ta mort, puisque tu m’as envié la gloire de te donner la vie ! » le discours qu’il écrivit ensuite contre Caton mort, n’est pas d’un homme adouci à son égard, ni qui fût disposé à lui pardonner. Eût-il épargné vivant un homme dont il a couvert des flots de sa bile les restes inanimés ? Il est vrai que la clémence dont il usa envers Cicéron, Brutus, et mille autres qui avaient porté les armes contre lui est une raison de le croire ; et l’on peut dire que, s’il composa ce discours, ce fut moins par un sentiment de haine contre la personne de Caton, que par une rivalité politique. Voici l’occasion qui fit naître cet écrit. Cicéron avait composé un éloge de Caton, et l’avait intitulé Caton. Cet ouvrage, sorti du plus grand orateur de Rome, et sur un aussi beau sujet, était, comme on peut le croire, fort estimé et fort couru. César en eut du chagrin : il regarda comme une censure qui s’adressait à lui-même l’éloge d’un homme dont il avait occasionné la mort. Il ramassa dans un écrit beaucoup de charges contre Caton, et intitula ce livre Anti-Caton. Les noms de César et de Caton font encore aujourd’hui à ces deux ouvrages de zélés partisans.

À son retour d’Afrique, son premier soin, à Rome, fut de développer devant le peuple, en termes magnifiques, les résultats de sa victoire : il dit que les pays qu’il venait de conquérir étaient si étendus, que le peuple romain en tirerait tous les ans deux cent mille médimnes attiques de blé et trois millions de livres d’huile. Il triompha trois fois : la première pour l’Égypte, la seconde pour le Pont, et la troisième pour l’Afrique. Dans le dernier triomphe Scipion n’était pas nommé, mais seulement le roi Juba. Juba, fils du roi, qui n’était encore qu’un tout jeune enfant, suivit le char du triomphateur. Cette captivité fut pour lui le plus heureux des accidents : né Barbare et Numide, il lui dut d’être compté parmi les plus savants des historiens grecs. Après ces triomphes, César fit de grandes largesses à ses soldats, et donna des festins et des spectacles au peuple : vingt-deux mille tables de trois lits chacune furent dressées à la fois pour traiter tous les citoyens. Il fit représenter, en l’honneur de sa fille Julie, morte depuis longtemps, des combats de gladiateurs et des naumachies[50]. Quand tous ces spectacles furent terminés, on fit le dénombrement du peuple ; et, au lieu de trois cent vingt mille citoyens qu’il y avait auparavant, il ne s’en trouva que cent trente mille : tant la guerre civile avait été meurtrière ! tant elle avait emporté de citoyens, sans compter tous les fléaux qui avaient dévasté le reste de l’Italie et les provinces !

Après ce dénombrement, César, nommé consul pour la quatrième fois, alla en Espagne faire la guerre aux fils de Pompée. Malgré leur jeunesse, ils avaient mis sur pied une armée formidable par le nombre des soldats, et ils montraient une audace digne des chefs d’une telle puissance : aussi mirent-ils César dans un extrême péril. Il se livra, sous les murs de la ville de Munda[51], une grande bataille, dans laquelle César, voyant ses troupes, vivement pressées, n’opposer aux ennemis qu’une faible résistance, se jeta au fort de la mêlée, en criant à ses soldats : « N’avez-vous pas honte de vous livrer aux mains de ces enfants ? » Ce ne fut qu’avec des efforts extraordinaires qu’il parvint à repousser les ennemis : il leur tua plus de trente mille hommes, et perdit mille des siens, qui étaient les plus braves de l’armée. En rentrant dans son camp après la bataille, il dit à ses amis : « J’ai souvent combattu pour la victoire, mais je viens de combattre pour la vie. » Il remporta cette victoire le jour de la fête des Dionysiaques[52], auquel jour le grand Pompée était sorti de Rome pour cette guerre, quatre ans auparavant. Le plus jeune des fils de Pompée échappa par la fuite ; quant à l’aîné, Didius vint, quelques jours après, en mettre la tête aux pieds de César.

Ce fut la dernière guerre de César ; et le triomphe qui la suivit affligea plus les Romains qu’aucune chose qu’il eût faite encore ; car c’était, non pour ses victoires sur des généraux étrangers ou sur des rois barbares qu’il triomphait, mais pour avoir détruit et éteint la race du plus grand personnage que Rome eût produit, et qui avait été victime des caprices de la Fortune. C’était une honte, à leurs yeux, de triompher des malheurs de la patrie, et de se glorifier de succès que pouvait excuser la nécessité seule et devant les dieux et devant les hommes : d’autant que jusqu’alors César n’avait jamais envoyé de courriers, ni écrit de lettres publiques pour annoncer les victoires qu’il avait remportées dans les guerres civiles, et en avait toujours rejeté la gloire, par un sentiment de pudeur. Cependant les Romains pliaient sous l’ascendant de sa fortune, et se soumettaient au frein sans résistance. Persuadés que le seul moyen de se remettre de tous les maux qu’avaient causés les guerres civiles, c’était l’autorité d’un seul, ils le nommèrent dictateur perpétuel. C’était là une véritable tyrannie, puisqu’à l’autorité sans contrôle de la monarchie on ajoutait l’assurance de n’en être jamais dépossédé. Cicéron fut le premier qui proposa de lui décerner de grands honneurs ; mais ces honneurs étaient dans les bornes d’une grandeur humaine ; d’autres y en ajoutèrent d’immodérés, disputant à l’envi à qui lui en prodiguerait le plus ; et, par ces distinctions excessives, ils rendirent César odieux et insupportable aux hommes même du naturel le plus doux. Aussi croit-on que ses ennemis ne contribuèrent pas moins que ses flatteurs à les lui faire décerner, pour se préparer plus de prétextes contre lui, et pour colorer leurs entreprises des apparences les plus graves et les plus légitimes ; car, du reste, les guerres civiles une fois terminées, il se montra irréprochable dans sa conduite.

Ce fut donc une justice qu’on lui rendit en ordonnant que, pour consacrer la douceur avec laquelle il avait usé de la victoire, on bâtirait un temple à la Clémence. En effet, il avait pardonné à la plupart de ceux qui avaient porté les armes contre lui ; il donna même à quelques-uns d’entre eux des dignités et des emplois, ainsi à Brutus et à Cassius, qu’il nomma tous deux préteurs. Il ne vit pas avec indifférence qu’on eût abattu les statues de Pompée, et il les fit relever ; et Cicéron dit, à ce sujet, que César, en relevant les statues de Pompée, avait affermi les siennes. Ses amis l’engageaient à prendre des gardes pour sa sûreté ; plusieurs même d’entre eux s’offraient à lui en servir. Il refusa, disant : « Il vaut mieux mourir une fois, que d’appréhender la mort à toute heure. » Persuadé que l’affection du peuple était la plus honorable sauvegarde et la plus sûre dont il pût s’entourer, il s’appliqua de nouveau à gagner les citoyens par des repas publics et des distributions de blé, et les soldats par l’établissement de nouvelles colonies. Les plus considérables furent Corinthe et Carthage[53] : ainsi, par une étrange fortune, ces deux villes, détruites en même temps, furent en même temps rétablies alors. Il ralliait les grands à sa cause, en promettant aux uns des consulats et des prétures, en consolant les autres de leurs pertes par des charges et des honneurs ; il donnait à tous des espérances, et cherchait à rendre la soumission volontaire. Le consul Maximus étant mort la veille de l’expiration de son consulat, César nomma Caninius Rébilius consul pour le seul jour qui restait ; et, comme on allait en foule, suivant l’usage, chez le nouveau consul, pour le féliciter, et l’accompagner au Sénat : « Hâtons-nous, dit Cicéron, de peur qu’il ne sorte de charge avant notre arrivée. »

César se sentait né pour les grandes entreprises ; et, loin que ses nombreux exploits lui fissent désirer la jouissance paisible du fruit de ses travaux, il n’y trouvait qu’une amorce et un appât pour son audace. Tout entier à l’avenir, il formait des desseins plus vastes que jamais ; et le désir d’acquérir une gloire nouvelle flétrissait, pour ainsi dire, à ses yeux, la gloire qu’il avait acquise. Cette passion était une sorte de jalousie contre lui-même, telle qu’il aurait pu l’avoir à l’égard d’un étranger ; une obstinée persévérance à vouloir surpasser ses exploits précédents par ceux qu’il se proposait d’accomplir. Il avait formé le dessein de porter la guerre chez les Parthes ; et il en faisait les préparatifs. Eux subjugués, il devait traverser l’Hyrcanie, le long de la mer Caspienne et du mont Caucase, se jeter ensuite dans la Scythie, soumettre tous les pays voisins de la Germanie et la Germanie même, et revenir en Italie par les Gaules, après avoir arrondi l’empire romain, et lui avoir donné de tous côtés pour borne l’Océan. Pendant qu’il préparait cette expédition, il prenait des mesures pour couper l’isthme de Corinthe : il avait même chargé Aniénus de cette entreprise[54]. Il songeait à creuser un canal profond depuis Rome jusqu’à Circéum[55], pour conduire le Tibre dans la mer de Terracine, et ouvrir au commerce une route commode et sûre jusqu’à Rome. Il voulait aussi dessécher les marais qui entourent Pométium et Sétia[56], et changer des terres inondées en des campagnes fertiles et qui fourniraient le labour à des milliers de charrues. Il avait enfin le projet d’opposer des barrières à la mer la plus voisine de Rome, en élevant des digues sur le rivage ; de nettoyer la rade d’Ostie[57], que des rochers couverts par les eaux rendaient périlleuse pour les navigateurs, et d’y faire des ports et des abris suffisants pour contenir le grand nombre de vaisseaux qui s’y rendaient de toutes parts.

Ces grands ouvrages restèrent en projets ; mais la réforme du calendrier, et l’ingénieuse correction qu’il imagina pour remédier à la perturbation du calcul du temps, fut heureusement conduite à fin, et devint depuis d’un usage aussi commode qu’agréable. Dans la haute antiquité, les Romains n’avaient jamais eu des périodes fixes et réglées pour accorder leurs mois avec l’année ; d’où il résultait que les sacrifices et les fêtes, en reculant peu à peu, se trouvaient successivement dans des saisons entièrement opposées à celles où on les devait célébrer. À l’époque même de César, où l’année solaire était seule en usage, le commun des citoyens n’en connaissait pas la révolution ; les prêtres, qui avaient seuls la connaissance des temps, ajoutaient tout à coup, sans que personne s’y attendit, le mois intercalaire, qu’ils appelaient Mercédonius[58] : ce mois, dont l’usage fut, dit-on, introduit par le roi Numa, n’était qu’un faible remède et un moyen bien court, pour corriger les mécomptes du calcul de l’année, comme je l’ai écrit dans la Vie de Numa[59]. César proposa le problème aux plus savants philosophes et mathématiciens de son temps, et publia, d’après les méthodes déjà trouvées, une réforme particulière et exacte, dont les Romains font encore usage, et à laquelle ils doivent de se tromper, ce semble, moins que ne font tous les autres peuples sur l’inégalité des temps. Cependant ses envieux, et ceux qui ne pouvaient souffrir sa domination, en prirent sujet de le railler. L’orateur Cicéron, si je ne me trompe, ayant entendu dire à quelqu’un que la constellation de la Lyre se lèverait le lendemain : « Oui, dit-il, elle se lèvera par édit ; » comme si ce changement même n’avait été reçu que par contrainte.

Mais ce qui fit éclater surtout la haine contre lui, et décida sa mort, ce fut le désir qu’il eut de se faire déclarer roi : de là naquit l’aversion que le peuple lui porta depuis, et le prétexte le plus spécieux que ses ennemis secrets pussent saisir. Ceux qui voulaient lui faire décerner cet honneur, allaient semant dans le public que, d’après les livres sibyllins, les Parthes seraient soumis par les armées romaines lorsqu’elles seraient commandées par un roi ; mais qu’autrement elles n’entreraient jamais dans leur pays. Un jour, qu’il revenait d’Albe à Rome, ils eurent l’audace de le saluer du nom de roi. Cette tentative ne fit que soulever des murmures parmi le peuple ; et César s’écria, d’un ton fâché : « Je ne m’appelle pas roi, mais César. » Ce mot fut suivi d’un silence profond de la part de tous les assistants ; et César continua son chemin fort triste et fort mécontent. Un jour, que le Sénat lui avait décerné des honneurs extraordinaires, les consuls et les préteurs, suivis de tout le Sénat, se rendirent au Forum, où il était assis dans la tribune, pour lui faire part du décret. Il ne se leva point à leur arrivée : il leur donna audience comme il l’eût fait à de simples particuliers, et répondit qu’il fallait réduire ses honneurs plutôt que de les augmenter. Cette conduite n’affligea pas seulement le Sénat, mais le peuple lui-même, qui crut voir Rome méprisée dans la personne des sénateurs : tous ceux qui n’étaient pas obligés de rester s’en retournèrent à l’instant même, accablés d’une morne douleur. César s’en aperçut, et rentra sur-le-champ dans sa maison : là, se découvrant la gorge, il criait à ses amis qu’il était prêt à la présenter au premier qui voudrait le tuer. Enfin, il s’excusa de l’inconvenance de sa conduite, sur sa maladie ordinaire : « Ceux qui en sont attaqués, disait-il, perdent l’usage de leurs sens quand ils parlent debout devant une assemblée nombreuse : saisis d’abord d’un tremblement général, ils éprouvent des éblouissements et des vertiges qui les privent de toute connaissance. » Mais cette excuse était fausse ; car il avait voulu se lever devant le Sénat ; mais il en fut empêché, dit-on, par un de ses amis ou plutôt de ses flatteurs, Cornélius Balbus, qui lui dit : « Ne te souviendras-tu pas que tu es César ; et veux-tu rejeter les honneurs dus à ta dignité ? »

À tous ces sujets de mécontentement vint se joindre l’outrage qu’il fit aux tribuns du peuple. C’était le jour de la fête des Lupercales, qui, selon plusieurs écrivains, fut anciennement une fête de bergers, et a quelques rapports avec les Lycéennes d’Arcadie[60]. Ce jour-là, les jeunes gens de familles nobles et la plupart des magistrats courent nus par la ville, armés de bandes de cuir qui ont tout leur poil, et dont-ils frappent, par manière de jeu, les personnes qu’ils rencontrent. Les femmes, même les plus distinguées par leur naissance, vont au-devant d’eux, et tendent la main à leurs coups, comme font les enfants dans les écoles, persuadées que c’est un moyen sûr pour les femmes grosses d’accoucher heureusement, et, pour les stériles, d’avoir des enfants. César assistait à la fête, assis dans la tribune sur un siège d’or, et vêtu d’une robe triomphale. Antoine, en sa qualité de consul, était un de ceux qui figuraient dans la course sacrée. Quand il arriva sur le Forum, et que la foule se fut ouverte pour lui donner passage, il s’approcha de César, et lui présenta un diadème enlacé d’une branche de laurier. On n’entendit, à ce moment, qu’un battement de mains faible et sourd, qui venait de gens apostés. Mais, César ayant repoussé la main d’Antoine, tout le peuple applaudit. Antoine lui présenta une seconde fois le diadème, et très-peu de personnes battirent des mains ; César le repoussa encore, et la place retentit d’applaudissements universels. Convaincu, par cette épreuve, des dispositions du peuple, César se lève, et commande qu’on porte ce diadème au Capitole. Quelque temps après, on vit ses statues couronnées d’un bandeau royal : deux tribuns du peuple, Flavius et Marullus, allèrent sur les lieux arracher ces diadèmes ; et, ayant rencontré ceux qui, les premiers, avaient salué César roi, ils les arrêtèrent, et les conduisirent en prison. Le peuple suivait ces magistrats en battant des mains, et les appelait des Brutus, parce que c’était Brutus qui avait détruit jadis la royauté, et transféré des mains d’un seul le pouvoir souverain au Sénat et au peuple. César /irrité de cet affront, dépouilla Marullus et Flavius de leur charge, et mêla à ses accusations contre les tribuns des insultes contre le peuple lui-même, en appelant les Romains, à plusieurs reprises, des brutes et des Cuméens[61].

Cet événement attira les regards de la multitude sur Marcus Brutus : il passait pour être, du côté paternel, un descendant de l’ancien Brutus ; par sa mère, il était de la famille Servilia, autre maison non moins illustre ; il était d’ailleurs neveu et gendre de Caton. Ce qui émoussait en lui le désir de ruiner la monarchie, c’étaient les honneurs et les bienfaits qu’il avait reçus de César. Non content de lui avoir donné la vie après la bataille de Pharsale et la fuite de Pompée, et d’avoir, à sa prière, sauvé plusieurs de ses amis, César lui témoignait une entière confiance : il lui avait conféré, cette année même, la préture la plus honorable[62], et l’avait désigné consul pour quatre ans après, de préférence à Cassius, son compétiteur. César avoua, dit-on, dans cette occasion, que Cassius apportait de meilleurs titres, mais qu’il ne pouvait le faire passer avant Brutus ; et, lorsqu’on le lui dénonça comme engagé dans la conjuration qui se tramait déjà, il n’ajouta pas foi à cette accusation ; mais, se prenant la peau du corps avec la main : « Ce corps, dit-il, attend Brutus ; » faisant entendre par là que la vertu de Brutus le rendait digne de régner, mais que, pour régner, il ne deviendrait pas ingrat et criminel. Cependant, ceux qui désiraient un changement, et qui avaient les yeux sur Brutus seul, ou du moins sur lui plutôt que sur tout autre, n’osaient pas, à la vérité, lui en parler ouvertement ; mais, la nuit, ils couvraient le tribunal et le siège où il rendait la justice comme préteur, de billets conçus, la plupart, en ces termes : « Tu dors, Brutus ; tu n’es pas Brutus. » Cassius s’aperçut que ces reproches réveillaient insensiblement en Brutus l’amour de la gloire : il le pressa plus vivement qu’il n’avait fait encore ; car il avait contre César des motifs particuliers de haine, que nous avons fait connaître dans la Vie de Brutus[63]. Aussi César, qui avait des soupçons sur le compte de Cassius, dit-il un jour à ses amis : « Que croyez-vous que projette Cassius ? Pour moi, il ne me plaît guère : je le trouve trop pâle. » Une autre fois, on accusait auprès de lui Antoine et Dolabella de machiner des nouveautés. « Je ne crains pas beaucoup, dit-il, ces gens gras et bien peignés, mais plutôt ces hommes pâles et maigres. » Il désignait Brutus et Cassius.

Mais il est bien plus facile, ce semble, de prévoir sa destinée que de l’éviter ; car celle de César fut annoncée, dit-on, par des présages extraordinaires et des apparitions. Il peut bien être que, dans un événement de cette importance, les feux célestes, les bruits nocturnes qu’on entendit en plusieurs endroits, les oiseaux solitaires qui vinrent, en plein jour, se poser sur le Forum, ne méritent pas d’être remarqués. Mais, au rapport de Strabon le philosophe, on vit en l’air des hommes de feu marcher les uns contre les autres. Le valet d’un soldat fit jaillir de sa main une flamme très-vive : on eût dit que la main brûlait ; mais, quand la flamme fut éteinte, l’homme n’avait aucune trace de brûlure. Dans un sacrifice que César offrait, on ne trouva point de cœur à la victime ; et c’était un prodige effrayant, car il est contre nature qu’un animal puisse subsister sans cœur. Plusieurs personnes racontent, encore aujourd’hui, qu’un devin avertit César de se mettre en garde contre un grand danger dont il était menacé pour le jour que les Romains appellent les ides de mars[64], et que, ce jour-là, César, allant au Sénat, rencontra le devin, le salua, et lui dit, en plaisantant de la prédiction : « Eh bien ! voilà les ides de mars venues. — Oui, lui répondit tout bas le devin, elles sont venues ; mais elles ne sont pas passées. » La veille du même jour, il soupait chez Lépidus, et, suivant sa coutume, il signait des lettres à table. On proposa, dans la conversation, la question : « Quelle mort était la meilleure ? » César, prévenant toutes les réponses, dit tout haut : « C’est la moins attendue. » Après le souper, comme il était couché avec sa femme, à son ordinaire, toutes les portes et les fenêtres de la chambre s’ouvrirent tout à coup d’elles-mêmes. Réveillé en sursaut par le bruit et par la clarté de la lune, il entendit sa femme Calpurnia, qui dormait d’un sommeil profond, pousser des gémissements confus, et prononcer des mots inarticulés. Calpurnia rêvait qu’elle pleurait son époux et le tenait égorgé dans ses bras. Selon d’autres, telle n’avait point été la vision de Calpurnia. Le Sénat, dit Tite Live, avait fait placer par un décret, au faîte de la maison de César, un pinacle qui y était comme un ornement et une distinction : Calpurnia avait songé que ce pinacle était brisé ; et c’était là le sujet de ses gémissements et de ses larmes. Quand le jour parut, elle conjura César de ne pas sortir, s’il lui était possible, ce jour-là, et de remettre l’assemblée du Sénat. « Si tu fais peu d’attention à mes songes, ajouta-t-elle, aie du moins recours à d’autres divinations, et consulte les entrailles des victimes, pour connaître l’avenir. » Les alarmes de Calpurnia donnèrent des soupçons et des craintes à César : il n’avait jamais remarqué jusque-là dans sa femme les faiblesses ordinaires à son sexe, ni aucun sentiment superstitieux ; et il la voyait alors en proie aux plus vives inquiétudes. Les devins, après plusieurs sacrifices, déclarèrent que les signes lui étaient défavorables ; et il se décida à envoyer Antoine au Sénat pour congédier l’assemblée.

Sur ces entrefaites, arrive Décimus Brutus, surnommé Albinus, en qui César avait une telle confiance, qu’il l’avait institué son second héritier. Il était un des complices de la conjuration de l’autre Brutus et de Cassius ; et, craignant que, si César ne tenait pas l’assemblée ce jour-là, la trame ne fût découverte, il fit des plaisanteries sur les devins, et remontra vivement à César quels sujets de plaintes et de reproches il fournirait au Sénat, qui verrait dans cette remise une atteinte à sa dignité. « C’est sur ta convocation, dit-il, que les sénateurs se sont assemblés : tous sont disposés à te déclarer roi de toutes les provinces situées hors de l’Italie, et à te permettre de porter le diadème partout ailleurs qu’à Rome, sur terre et sur mer. Si, maintenant qu’ils sont assis à leurs places, quelqu’un vient leur dire de se retirer, et de revenir un autre jour, où Calpurnia aura eu de plus favorables songes, quels propos ne vont pas tenir tes envieux ? Et qui voudra écouter tes amis, lorsqu’ils diront que ce n’est pas là servitude et tyrannie ? Si toutefois, ajouta-t-il, tu crois ce jour vraiment néfaste, le meilleur parti, c’est encore de te rendre toi-même au Sénat, pour déclarer que tu remets l’assemblée à un autre jour. » En disant ces mots, il prend César par la main, et le fait sortir. César avait à peine passé le seuil de sa porte, qu’un esclave étranger, qui voulait absolument lui parler, n’ayant pu percer la foule et arriver jusqu’à lui, alla se jeter dans sa maison, et se remit aux mains de Calpurnia, la priant de le garder jusqu’au retour de César, à qui il avait des choses importantes à communiquer. Artémidore de Cnide, qui enseignait à Rome les lettres grecques, et qui se trouvait par là dans des rapports fréquents avec quelques-uns des complices de Brutus, et savait une partie de la conjuration, vint pour remettre à César un papier où était détaillé ce qu’il voulait lui révéler. Mais, voyant que César, à mesure qu’il recevait chaque écrit, le remettait aux licteurs qui l’entouraient, il s’approcha le plus près qu’il lui fut possible ; et, en présentant le sien : « César, dit-il, lis ce papier, seul et promptement : il s’y agit de choses importantes, et qui t’intéressent personnellement. » César le prit de sa main, et essaya plusieurs fois de le lire ; mais il en fut toujours empêché par la foule de ceux qui venaient lui parler. Il entra dans le Sénat, tenant toujours à la main ce papier, le seul qu’il eût gardé. Quelques-uns disent qu’Artémidore, sans cesse repoussé dans le chemin par la foule, n’avait pu arriver lui-même jusqu’à César, et lui avait fait remettre ce papier par un autre.

Mais ces circonstances peuvent avoir été l’effet du hasard. On ne saurait en dire autant du lieu où le Sénat fut assemblé ce jour-là, et où se passa cette scène sanglante. Il y avait dans la salle une statue de Pompée ; et la salle elle-même était un des édifices que Pompée avait dédiés, et qui servaient d’ornement à son théâtre : preuve évidente qu’un dieu conduisait l’entreprise, et avait marqué cet édifice pour le lieu de l’exécution. On dit même que Cassius, avant de mettre la main à l’œuvre, porta ses yeux sur la statue de Pompée, et l’invoqua en silence, quoiqu’il fût d’ailleurs dans les sentiments d’Épicure ; mais la vue du danger présent pénétra son âme d’un vif sentiment d’enthousiasme, et lui fit démentir ses anciennes opinions. Antoine, qui était tout dévoué à César, et dont on craignait la vigueur extraordinaire, fut retenu par Albinus[65], qui engagea à dessein avec lui une longue conversation.

Lorsque César entra, les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur. Des complices de Brutus, les uns se langèrent derrière le siège de César, les autres allèrent au-devant de lui, pour joindre leurs prières à celles de Tullius Cimber, qui demandait le rappel de son frère exilé ; et ils l’accompagnèrent jusqu’à son siège, en lui taisant de vives instances. Il s’assit, en rejetant leurs prières ; et, comme ils le pressaient plus vivement encore, il leur témoigna à chacun en particulier son mécontentement. Alors Tullius lui prit la toge de ses deux mains, et lui découvrit le haut des épaules : ce qui était le signal de l’attaque. Casca le premier le frappe de son épée près du cou ; mais la blessure ne fut pas mortelle, le fer n’ayant pas pénétré bien avant. Il y a apparence que, chargé de commencer une si hardie entreprise, il se sentit troublé. César se tourne vers lui, saisit l’épée, et en suspend les coups. Ils s’écrièrent tous deux en même temps, César en latin : Scélérat de Casca, que fais-tu ? » et Casca en grec, s’adressant à son frère : « Mon frère, au secours ! »

Au premier moment, tous ceux qui n’étaient pas dans le secret du complot furent saisis d’horreur ; et, frissonnant de tout leur corps, ils n’osèrent ni prendre la fuite, ni défendre César, ni même proférer une parole. Cependant les conjurés, tirant chacun leur épée, environnent César de tous côtés : de quelque part qu’il se tourne, il ne trouve que des épées qui le frappent aux yeux et au visage : tel qu’une bête féroce assaillie par les chasseurs, il se débattait entre toutes ces mains armées contre lui ; car chacun voulait avoir sa part au meurtre, et goûter à ce sang, comme aux libations d’un sacrifice ; et Brutus lui-même lui porta un coup dans l’aine. César, qui se défendait contre les autres, et traînait son corps çà et là en poussant de grands cris, n’eut pas plutôt vu, dit-on, Brutus l’épée nue à la main, qu’il se couvrit la tête de sa robe, et s’abandonna au fer des conjurés. Soit hasard, soit dessein formé de la part des meurtriers, il fut repoussé jusqu’au piédestal de la statue de Pompée, qui fut couverte de son sang. Il semblait que Pompée présidât à la vengeance qu’on tirait de son ennemi, étendu à ses pieds, et expirant sous les nombreuses blessures qu’il avait reçues. Il fut percé, dit-on, de vingt-trois coups ; et plusieurs des conjurés se blessèrent les uns les autres e*n frappant tous à la fois sur un seul homme.

Quand César fut achevé, Brutus s’avança au milieu du Sénat pour rendre raison de ce qui venait de s’accomplir ; mais les sénateurs n’eurent pas la force de l’entendre : ils s’enfuirent précipitamment par les portes, et jetèrent parmi le peuple le trouble et l’effroi. On ferme les maisons, on abandonne les banques et les comptoirs : partout des gens qui courent, les uns allant au Sénat pour voir cet affreux spectacle, les autres revenant après l’avoir vu. Antoine et Lépidus, les deux plus grands amis de César, s’échappent secrètement, et cherchent un asile dans des maisons étrangères. Mais Brutus et ses complices, encore tout fumants du meurtre, l’épée nue à la main, sortent tous ensemble du Sénat, et prennent le chemin du Capitole, non point avec l’air de gens qui fuient, mais avec un visage serein, et pleins d’une entière confiance. Ils appelaient le peuple à la liberté, et s’arrêtaient à parler aux nobles qu’ils rencontraient sur leur passage. Il y en eut même qui montèrent avec eux, pour faire croire qu’ils avaient pris part à l’action, et en usurper la gloire. De ce nombre furent Caïus Octavius et Lentulus Spinther, qui, dans la suite, furent bien punis de leur vanité. Antoine et le jeune César les firent mettre à mort. Ils ne jouirent pas même de l’honneur qu’ils avaient ambitionné : personne ne crut qu’ils eussent trempé dans le meurtre ; et ceux-là même qui les condamnèrent punirent en eux, non l’exécution du crime, mais l’intention.

Le lendemain, Brutus et les autres conjurés se rendirent au Forum, et parlèrent au peuple, qui les écouta sans donner aucun signe de blâme ni d’approbation, témoignant à la fois, par son profond silence, et sa pitié pour César, et son respect pour Brutus. Le Sénat prononça une amnistie générale de tout le passé, et décréta qu’on rendrait à César les honneurs divins, et qu’on ne changerait pas la moindre chose aux ordonnances qu’il avait faites pendant sa dictature. Il distribua à Brutus et à ses complices des gouvernements, et leur décerna des honneurs convenables. Aussi tout le monde put-il se figurer que les affaires étaient arrangées, et la république remise dans le meilleur état.

Mais, quand on eut ouvert le testament de César, et qu’on y eut lu qu’il laissait à chaque Romain un legs considérable ; quand on eut vu porter, à travers le Forum, son corps déchiré de plaies, la multitude, violemment agitée, ne sut plus se contenir : on se précipite, on amoncelé les bancs, les barrières et les tables du marché ; on en forme un bûcher sur la place même, et on y brûle le cadavre. Prenant ensuite des tisons enflammés, ils couraient aux maisons des meurtriers, pour y mettre le feu ; plusieurs même se répandirent dans la ville, cherchant les conjurés eux-mêmes, afin de les mettre en pièces ; mais on ne les put découvrir, parce qu’ils se tinrent bien enfermés. Un des amis de César, nommé Cinna, avait eu, dit-on, la nuit précédente, un songe extraordinaire : il avait cru voir César qui l’invitait à souper, et qui, sur son refus, l’avait pris par la main, et l’avait entraîné malgré sa résistance. Apprenant qu’on brûlait sur la place publique le corps de César, il se leva ; et, tout inquiet qu’il fût du songe qu’il avait eu, et quoique malade de la fièvre, il courut pour lui rendre les derniers honneurs. Dès qu’il eut paru sur le Forum, quelqu’un du peuple le nomma à un citoyen qui lui demandait son nom ; celui-ci dit ce nom à un autre ; et bientôt il courut dans toute la foule que c’était un des meurtriers de César. Il y avait, en effet, un des conjurés qui s’appelait Cinna. Le peuple, prenant cet homme pour le meurtrier, se jeta sur lui, et le mit en pièces sur la place même. Effrayés de cet exemple, Brutus et les siens sortirent de la ville peu de jours après. J’ai écrit dans la Vie de Brutus ce qu’ils firent depuis, et les malheurs qu’ils éprouvèrent.

César mourut âgé de cinquante-six ans, et n’avait survécu guère que de quatre ans à Pompée. Cette domination, ce pouvoir souverain qu’il n’avait cessé de poursuivre, durant toute sa vie, à travers tant de dangers, et qu’il avait obtenu avec tant de peine, ne lui procura (l’autre fruit qu’un vain titre, et cette gloire qui l’exposa en butte à la haine de ses concitoyens. Il est vrai que le génie puissant qui l’avait conduit pendant sa vie le suivit encore après sa mort : vengeur acharné, il s’attacha sur les pas de ses meurtriers, et par terre et par mer, jusqu’à ce qu’il ne restât plus un seul de ceux qui avaient trempé les mains dans son sang, ou même qui n’avaient fait qu’approuver le complot. Admirons surtout, parmi les signes humains, l’aventure de Cassius, qui, vaincu à Philippes, se tua de la même épée dont il avait frappé César ; et, parmi les phénomènes célestes, cette grande comète qui, après le meurtre de César, brilla avec tant d’éclat pendant sept nuits et disparut ensuite, et l’obscurcissement de la lumière du soleil : cet astre se leva fort pâle toute cette année-là, et n’envoyait, au lieu de rayons étincelants, qu’une lueur terne et une chaleur languissante ; l’air demeura toujours ténébreux et épais, par la débilité de la chaleur, qui seule le raréfie ; et l’intempérie de l’air fit avorter les fruits, qui se flétrirent avant que d’arriver à leur maturité.

Rien ne prouve davantage combien le meurtre de César avait déplu aux dieux, que le fantôme qui apparut à Brutus Voici cette histoire. Brutus se disposait à faire passer son année d’Abydos[66] au continent opposé, et se reposait la nuit dans sa tente, suivant sa coutume, sans dormir, et réfléchissant sur l’avenir ; car il n’y eut jamais, dit-on, de général qui eut moins besoin de sommeil, et que la nature eut fait pour supporter plus longtemps l’activité des veilles. Il lui sembla entendre quelque bruit à la porte de sa tente ; et, en regardant à la clarté d’une lampe prête à s’éteindre, il aperçut un spectre horrible, d’une grandeur démesurée et d’une figure hideuse. Brutus fut d’abord saisi d’effroi ; mais, quand il vit que le spectre, sans faire aucun mouvement et sans rien dire, se tenait en, silence auprès de son lit, il lui demanda qui il était. « Brutus, lui répondit le fantôme, je suis ton mauvais génie ; et tu me verras à Philippes. — Eh bien ! reprit alors Brutus d’un ton assuré, je t’y verrai ! » Et aussitôt le spectre disparut. Quelque temps après, à la bataille de Philippes, contre Antoine et César, Brutus, vainqueur à la première attaque, renversa tout ce qui se trouvait devant lui, poursuivit les ennemis en déroute, et pilla le camp de César, il se préparait à un second combat, lorsque le même spectre lui apparut encore la nuit, et sans proférer une seule parole. Brutus comprit que son destin était accompli, et se jeta tête baissée au milieu du danger. Cependant il ne périt pas dans le combat : ses troupes ayant été mises en fuite, il se retira sur une roche escarpée, où il se tua, en se jetant sur son épée, aidé, dit-on, d’un de ses amis, qui appuya le coup pour le rendre mortel.




(Le parallèle d’Alexandre et de César n’existe plus).



  1. Environ douze mille francs de notre monnaie.
  2. À quelque distance de Salamine, en Cypre
  3. Environ cent vingt mille francs de notre monnaie.
  4. Environ trois cent mille francs.
  5. Il n’était pas fils Molon, mais il se nommait Apollonius Molon.
  6. C’était un pompeux éloge de Caton d’Utique, auquel César répondit par une satire violente contre le même personnage, sous le titre d’Anti-Caton. Ces deux ouvrages n’existent plus.
  7. Fille de Quintus Pompeius, et petite-fille de Sylla.
  8. Près de huit millions de francs.
  9. Cet ouvrage n’existe plus.
  10. Environ douze cent mille francs. Dans la Vie de Caton le Jeune, Plutarque, évaluant autrement la somme, la porte à douze cent cinquante talents, ce qui ferait plus de sept millions. Il est probable que ce chiffre est le véritable, et qu’il y a ici quelque erreur dans l’énoncé en sesterces.
  11. Ce mot signifie la déesse des femmes.
  12. On appelait ce mode de jugement ferre sententias per saturam, par allusion à ces bassins ou à ces plats où l’on mettait plusieurs mets ensemble.
  13. Environ cinq millions de francs.
  14. La position des Calléciens n’est pas bien connue ; il paraît seulement, d’après Strabon, qu’ils étaient limitrophes de la Lusitanie.
  15. Citation poétique empruntée à quelque ouvrage aujourd’hui perdu.
  16. Les Tigurins habitaient le pays qui est aujourd’hui le canton de Zurich.
  17. César dit pourtant lui-même qu’il avait laissé Labiénus en Helvétie, pour garder le retranchement qui joignait le lac de Genève au mont Jura, et qu’il alla lui-même attaquer les Tigurins, ei leur tua une grande partie de leur armée.
  18. Aujourd’hui la Saône.
  19. Bibracte, aujourd’hui Autun.
  20. Environ dix lieues.
  21. Environ quinze lieues.
  22. Habitants du pays situé entre la Saône, le Rhône et les montagnes du Jura : Franche-Comté et Bresse.
  23. Voyez la Vie de Pompée dans ce volume, où Plutarque donne plus de détails.
  24. Une grande partie de la Flandre et du Hainaut.
  25. Ces deux peuples habitaient ce qu’on nomme aujourd’hui la Westphalie, les pays de Clèves et de Munster.
  26. Ce fait se trouve au quatrième livre des Commentaires. Mais l’ouvrage que cite ici Plutarque, et qui n’existe plus, était le journal détaillé de ce qui était arrivé à César, et comme la matière qui avait servi à la rédaction des Commentaires. Je ne vois donc pas pourquoi l’on a dit que Plutarque donnait ici aux Commentaires le nom d’Ephémérides, et pourquoi on ne veut pas qu’il ait cité les Éphémérides elles-mêmes.
  27. Quintus Cicéron, frère de l’orateur.
  28. Auvergne.
  29. Chartres, Orléans, Blois, Vendôme, etc.
  30. Entre la Loire, la Saône et la Seine : Autun, Lyon, Mâcon, Nevers, etc.
  31. Langres en était la capitale.
  32. On en trouve, dit-on, les ruines près de Sainte-Reine, en Bourgogne ; suivant d’autres, il huit la chercher dans le village d’Alise, entre Semur et Saint-Seine.
  33. Environ six millions de francs.
  34. La ville de Come, qui avait pris le nom de Nouvelle, Néocome ou Novocome, depuis que César y avait établi de nouveaux colons.
  35. Environ neuf millions de francs.
  36. Deux cent trente francs environ de notre monnaie.
  37. Aujourd’hui Rimini, dans la marche d’Ancône.
  38. Voyez plus haut la Vie de Pompée dans ce volume.
  39. Cette rivière, que Strabon nomme Aoüs, passait à dix stades ou une demi-lieue d’Apollonie.
  40. César dit que cette ville était la première qu’en rencontrât en Thessalie, à partir des frontières de l’Épire.
  41. Il y a ici une lacune, qu’on peut suppléer au moyen du récit détaillé que Plutarque a fait de ce songe dans la Vie de Pompée.
  42. Ville de l’Asie Mineure, dans la Lydie.
  43. Cette partie de l’ouvrage de Tite Live, ou était racontée l’histoire de la guerre civile, n’existe plus
  44. Ce Théopompe était un contemporain et un ami de César.
  45. Environ trois millions cinq cent mille francs.
  46. César nomme cette ville Ziéla.
  47. Veni, vidi, vici.
  48. En les appelant Quirites, César les châtiait véritablement : c’était leur déclarer qu’ils n’étaient plus soldats, qu’ils ne combattraient plus sous ses ordres ; c’était, pour ainsi dire, les noter d’infamie. Quant à l’argent et aux terres qu’il leur donna ensuite, c’était le salaire de leurs longs travaux, dont César ne pouvait les frustrer sans manquer a sa parole, et sans démentir toute sa conduite antérieure.
  49. Environ neuf cents francs de notre monnaie.
  50. Combats de vaisseaux dans de grands bassins où l’on introduisait de l’eau.
  51. Dans la Bétique, à peu de distance du détroit de Gibraltar.
  52. C’est le nom grec des fêtes de Bacchus : les Romains leur donnaient celui de Libéralia.
  53. Il est bien vrai que ce lui César qui rebâtit Corinthe ; mais Carthage ne fut rétablie que par Auguste.
  54. J’ai suivi à cet endroit l’interprétation de Moses Dusoul.
  55. Ville des Volsques, dans le Latium, près de Terracine et sur les marais Pontins.
  56. Les marais Pontins.
  57. À l’embouchure du Tibre.
  58. Il est nommé Mercédinus dans la Vie de Numa.
  59. Voyez cette Vie dans le premier volume.
  60. Le mot Lupercalia vient de lupus, loup, et le mot Λύκαια de λύκος, qui a la même signification. Voyez la Vie de Romulus dans le premier volume.
  61. Les habitants de Cumes, en Éolie, passaient pour des gens grossiers et stupides.
  62. La préture urbaine.
  63. Voyez cette Vie dans le quatrième volume.
  64. C’est le quinze de ce mois.
  65. Dans la Vie de Brutus, Plutarque, d’accord avec tous les autres historiens, dit que ce fut Caïus Trébonius qui retint Antoine hors du Sénat.
  66. Ville d’Asie sur l’Hellespont.