Vies des hommes illustres/Cicéron
Charpentier, (Volume 4, p. 38-97).
CICÉRON.
Quant à Cicéron, sa mère se nommait, dit-on Helvia : elle était d’une famille distinguée, et elle soutint, par sa conduite, la noblesse de son origine. On a, sur la condition de son père, des opinions très-opposées : les uns prétendent qu’il naquit et fut élevé dans un atelier de foulon ; les autres le font descendre de Tullus Attius[1] qui régna sur les Volsques avec tant de gloire, et qui lutta sans trop de désavantage contre les Romains. Du reste, le premier de cette famille qui eut le surnom de Cicéron paraît avoir été un homme fort recommandable ; et c’est pour cela que ses descendants, loin de rejeter ce surnom, se firent un honneur de le porter, bien qu’il fût une occasion de continuelles moqueries. Cicer, en latin, signifie un pois chiche ; le premier Cicéron avait, dit-on, à l’extrémité du nez une excroissance qui ressemblait à un pois chiche, et c’est là ce qui lui fit donner ce surnom. Cicéron, celui dont nous écrivons la vie, la première fois qu’il brigua une charge, et qu’il mit la main aux affaires publiques, fut sollicité par ses amis de quitter ce nom, et d’en prendre un autre ; mais il répondit, avec une noble fierté : « Je ferai tous mes efforts pour rendre le nom de Cicéron plus célèbre que ceux des Scaurus et des Catulus. » Pendant sa questure en Sicile, il fit aux dieux l’offrande d’un vase d’argent, sur lequel il fit graver ses deux premiers noms, Marcus Tuilius ; mais, à la place du troisième, il commanda par plaisanterie à l’artiste de graver un pois chiche. Voilà ce qu’on rapporte à propos de son nom.
On dit que sa mère le mit au monde sans douleur et sans travail : c’était le 3 de janvier, auquel jour les magistrats de Rome font maintenant des vœux et des sacrifices pour la prospérité de l’empereur. On assure qu’un fantôme apparut à sa nourrice, et lui dit que l’enfant qu’elle allaitait serait le soutien de Rome. Ces prédictions, qu’on taxe ordinairement de rêves et de folie, Cicéron fut à peine en âge de s’appliquer à l’étude qu’il prit à tâche d’en démontrer la réalité. L’excellent naturel qui brillait en lui le rendit si célèbre entre ses camarades, que les pères de ces enfants allaient aux écoles pour voir Cicéron de leurs propres yeux, et pour être témoins par eux-mêmes de tout ce qu’on racontait de son grand sens et de sa vivacité de conception. Quelques-uns d’entre eux, plus grossiers, s’emportaient contre leurs fils, quand ils les voyaient, dans les rues, mettre, par honneur, Cicéron au milieu d’eux.
Il avait cette qualité naturelle qui constitue, suivant Platon[2], l’aptitude littéraire et philosophique : il était capable d’embrasser toutes les sciences, et ne dédaignait aucun genre d’étude ni de savoir littéraire ; mais il se porta d’abord avec plus d’ardeur vers la poésie ; et il existe un petit poëme en vers tétramètres, intitulé Pontius Glaucus[3], qu’il composa étant tout enfant encore. À mesure qu’il avança en âge, il perfectionna ce talent par la culture, et passa, non point seulement pour le meilleur orateur qu’eussent les Romains, mais aussi pour le meilleur de leurs poètes. Le renom de son éloquence subsiste encore, malgré les changements considérables qu’a subis la langue latine ; mais le grand nombre de poètes excellents qui sont venus après lui ont effacé complètement et ruiné sa gloire poétique.
Au sortir de ses premières études, il prit les leçons de Philon l’académique, celui des disciples de Clitomachus[4] dont les Romains avaient particulièrement l’éloquence en admiration, et le caractère en estime. Cicéron fréquentait en même temps la maison de Mucius[5], homme d’État distingué et la lumière du Sénat : il y puisa une connaissance profonde des lois romaines. Il servit quelque temps sous Sylla dans la guerre des Marses ; puis, comme il eut vu la république tomber dans la guerre civile, et de la guerre civile dans une monarchie absolue, il embrassa une vie de méditation et d’étude, conversant avec des savants grecs, et s’appliquant aux sciences, jusqu’au moment où Sylla se fut emparé du pouvoir suprême, et eut donné au gouvernement une sorte de stabilité. En ce temps-là Chrysogonus, affranchi de Sylla, ayant acheté, pour la somme de deux mille drachmes[6], les biens d’un homme qu’on avait fait mourir comme proscrit, Roscius, fils et héritier du mort, indigné de cette vente inique, prouva que ces biens valaient deux cent cinquante talents[7]. Sylla, convaincu de cette énorme injustice, ne se posséda point ; et, à l’instigation de Chrysogonus, il intenta à Roscius une accusation de parricide. Personne n’osait venir à son secours : l’effroi qu’inspirait la cruauté de Sylla éloignait tous ceux qui auraient pu le défendre. Le jeune homme, abandonné de tout le monde, eut recours à Cicéron. Cicéron fut vivement pressé par ses amis de se charger d’une affaire qui lui offrait une occasion d’entrer dans la carrière de la gloire, comme il n’en trouverait jamais de plus éclatante ni de plus belle. Il consentit donc à défendre Roscius, et réussit à le sauver. Ce succès lui valut l’admiration générale ; mais, redoutant la vengeance de Sylla, il quitta Rome, et alla voyager en Grèce. Il répandit le bruit que c’était pour rétablir sa santé délabrée ; et, en effet, il était maigre et décharné, et avait l’estomac si faible, qu’il ne pouvait manger que fort tard, et ne prenait que peu de nourriture. Ce n’est pas que sa voix ne fût forte et sonore ; mais elle était dure et peu flexible ; et, comme il déclamait avec beaucoup de chaleur et de véhémence, montant sans cesse jusqu’aux tons les plus hauts, on craignait que sa vie ne fût compromise.
Arrivé à Athènes, il prit les leçons d’Antiochus l’Ascalonite : la douceur et la grâce des discours de ce philosophe l’enchantaient, quoiqu’il n’approuvât pas les innovations qu’Antiochus avait faites dans les doctrines. Car Antiochus s’était déjà séparé de la nouvelle Académie et de l’école de Carnéade ; soit qu’il n’eût fait que céder à l’évidence des sens, soit, comme d’autres le veulent, qu’une sorte d’ambition, et des différends avec les disciples de Clitomachus et de Philon, lui eussent fait changer de sentiment, et embrasser la plupart des dogmes stoïciens. Cicéron aimait la nouvelle Académie ; c’était l’école dont il étudiait le plus volontiers les écrits : il projetait même, au cas qu’il fût forcé d’abandonner les affaires et de renoncer au Forum et aux emplois, de se retirer à Athènes pour y mener une vie tranquille, dans le sein de la philosophie. Mais, ayant appris la mort de Sylla, et sentant que son corps, fortifié par l’exercice, avait repris toute sa vigueur ; que sa voix, bien formée, joignait la douceur à la force, et correspondait passablement à la complexion de son corps ; pressé par les instances que lui faisaient dans leurs lettres ses amis de Rome, et par les conseils répétés d’Antiochus, il se décida à entrer dans l’administration des affaires. Toutefois il voulut, auparavant, former, avec plus de soin encore qu’il n’avait fait, son éloquence, comme un instrument absolument nécessaire, et développer son talent politique : il s’exerçait à la composition, et fréquentait les rhéteurs les plus estimés. C’est pour cela qu’il passa en Asie et à Rhodes. Il suivit les écoles des rhéteurs asiatiques, Xénoclès d’Adramytte[8], Denys de Magnésie, et Ménippe le Carien. À Rhodes, il s’attacha au rhéteur Apollonius, fils de Molon[9], et au philosophe Posidonius. Apollonius n’entendait pas la langue romaine : il pria, dit-on, Cicéron de déclamer en grec ; ce que Cicéron fit volontiers, assuré que ses fautes seraient mieux corrigées. Quand il eut déclamé, les auditeurs, ravis d’admiration, le comblèrent à l’envi de louanges ; mais Apollonius ne donna, en l’écoutant, aucun signe d’approbation ; et, quand le discours fut fini, il demeura longtemps pensif, sans rien dire. Comme Cicéron paraissait affecté de son silence : « Cicéron, dit Apollonius, je te loue et t’admire ; mais je plains le sort de la Grèce, en voyant que les seuls avantages qui nous restaient, le savoir et l’éloquence, vont, par toi, passer aussi du côté des Romains. »
Cicéron, rempli d’espérances, s’apprêtait à entrer dans les affaires publiques ; mais un oracle émoussa son ardeur. Il avait demandé au dieu de Delphes par quel moyen il pourrait s’élever au faîte de la gloire : « Ce sera, répondit la Pythie, en prenant pour guide de ta vie ton propre naturel, et non point l’opinion de la multitude. » Arrivé à Rome, il s’y conduisit dans les premiers temps avec une extrême réserve : il montrait peu d’empressement à briguer les charges ; on le laissait à l’écart ; et il s’entendait donner les noms injurieux de Grec et d’écolier, termes familiers à la plus vile populace de Rome. Mais son ambition naturelle, et les exhortations de son père et de ses amis, le poussèrent aux plaidoiries ; et il parvint au premier rang, non par des progrès lents et successifs, mais par des succès si brillants et si rapides, qu’il eut dépassé en un instant tous les athlètes des luttes judiciaires.
Il avait pourtant, à ce qu’on assure, et dans la prononciation et dans le geste, les mêmes défauts que Démosthène ; mais les leçons de Roscius le comédien et de l’acteur tragique Ésopus l’aidèrent à s’en corriger. On conte que cet Ésopus jouant au théâtre le rôle d’Atrée, qui délibère sur la manière de se venger de Thyeste, un des appariteurs passa devant lui au moment où la violence de la passion l’avait mis hors de lui-même : il lui porta un coup de son sceptre, et l’étendit mort. La grâce de la déclamation donnait à l’éloquence de Cicéron une force persuasive. Aussi se moquait-il de ces orateurs qui n’avaient d’autre moyen de toucher que de pousser de grands cris. « C’est par faiblesse qu’ils crient, disait-il, comme les boiteux montent à cheval parce qu’ils ne peuvent aller à pied. » Ces plaisanteries fines, ces vives reparties qu’il trouvait ainsi à point, sont choses bien séantes dans un plaidoyer, et qu’on passe à l’homme d’esprit ; mais l’usage qu’en faisait Cicéron jusqu’à la satiété blessa une foule de personnes, et lui fit une réputation de malignité.
Nommé questeur dans un temps de disette, le sort lui assigna la Sicile en partage. Il déplut d’abord aux Siciliens, en exigeant d’eux des contributions de blé pour envoyer à Rome ; mais, plus tard, quand ils eurent fait l’essai de sa vigilance, de sa justice et de sa douceur, ils lui donnèrent des témoignages d’estime et d’honneur, comme jamais magistrats romains n’en avaient reçu d’eux. Plusieurs jeunes gens des premières familles de Rome, ayant été accusés d’insubordination et de mollesse dans le service militaire, furent envoyés par-devant le préteur de Sicile. Cicéron plaida leur cause avec un grand éclat, et les fit absoudre. Plein de confiance en lui-même, après tous ces succès, il retournait à Rome, lorsqu’il eut en route une aventure plaisante, qu’il a contée lui-même. En traversant la Campanie, il rencontra un Romain de distinction, qu’il croyait son ami. Persuadé que Rome était remplie de sa renommée, il lui demanda ce qu’on y pensait de lui et de ce qu’il avait fait. « Eh ! où donc étais-tu, Cicéron, pendant tout ce temps-ci ? » répondit cet homme. Cicéron fut tout découragé au premier moment, en voyant que sa réputation s’était perdue dans Rome comme dans une mer immense, et ne lui avait produit aucune gloire solide.
La réflexion diminua depuis son ambition ; et il sentit que cette gloire à laquelle il aspirait était chose sans limite, et qui n’avait point de terme qu’on pût atteindre. Cependant le plaisir de s’entendre louer et l’amour de la gloire furent toute sa vie sa passion dominante, et l’empêchèrent souvent de suivre, dans sa conduite, les sages vues que lui inspirait la raison. Quand il mit la main aux affaires en homme décidé à y réussir, il lui sembla honteux, alors que les artisans, lesquels n’emploient que des outils et des instruments inanimés, savent en détail les noms de chacun et à quel usage ils sont propres, qu’un homme d’État, dont les fonctions publiques ne s’exercent que par le ministère des hommes, mît de la paresse et de la négligence à connaître ses concitoyens. Il s’accoutuma donc, non-seulement à retenir les noms des plus considérables, mais encore à savoir leur demeure à la ville, leurs maisons de campagne, leurs amis, leurs voisins : il n’y avait aucun endroit de l’Italie où Cicéron ne pût nommer facilement sur son passage et montrer les terres et les maisons de ses amis.
Son bien était modique, mais suffisant à sa dépense ; et ce qu’on admirait, c’est que, avec si peu de fortune, il n’acceptait, pour ses plaidoyers, ni salaire, ni présent. Il signala surtout ce désintéressement lorsqu’il se porta l’accusateur de Verrès. Cet homme avait été préteur en Sicile, et avait commis les excès les plus révoltants. Il fut mis en justice par les Siciliens, et Cicéron le fit condamner, non en plaidant contre lui, mais pour ainsi dire en ne plaidant pas. Les préteurs voulaient sauver Verrès : ils avaient fait traîner l’affaire, par des remises continuelles, jusqu’au dernier jour des audiences. Il était évident que la journée ne suffirait pas pour la plaidoirie, et que la sentence ne pourrait être portée : Cicéron se lève, et dit qu’il n’est pas besoin de plaidoiries : il produit les témoins, prend ses conclusions, et oblige les juges de prononcer.
On rapporte cependant plusieurs bons mots qu’il dit dans le cours du procès. Les Romains appellent verres le cochon qui n’est point châtré ; et, comme un affranchi nommé Cécilius, qui passait pour être de la religion des Juifs, voulait écarter les Siciliens de la cause, afin de se porter lui-même pour accusateur de Verrès : « Qu’y a-t-il donc de commun entre un Juif et un verrat ? » dit Cicéron. Verrès avait un fils tout jeune, et qui passait pour ne pas user honnêtement de sa beauté. Cicéron, traité d’efféminé par Verrès : « Ce sont, répondit-il, des reproches qu’il faut faire à ses enfants les portes fermées. » L’orateur Hortensius n’osa pas se charger directement de défendre Verrès ; mais on obtint de lui qu’il l’assisterait au moment où il s’agirait de fixer l’amende, et il reçut, pour prix de cette complaisance, un sphinx d’ivoire. Cicéron lui ayant adressé quelques mots dont le sens était équivoque : « Je ne sais pas deviner les énigmes, répondit Hortensius. — Pourtant, repartit Cicéron, tu as le sphinx chez toi. » Verres fut condamné ; et Cicéron fixa l’amende à sept cent cinquante mille drachmes[10]. On l’accusa d’avoir reçu de l’argent pour la borner à ce taux modique. Cependant, lorsqu’il fut nommé édile, les Siciliens, voulant lui témoigner leur reconnaissance, lui apportèrent de leur île plusieurs choses précieuses pour servir d’ornement à ses jeux ; mais il n’employa pour lui-même aucun de ces présents, et il ne fit usage de la libéralité des Siciliens que pour diminuer à Rome le prix des denrées.
Il possédait à Arpinum[11] une belle maison de campagne, une petite terre aux environs de Naples, et une autre, petite également, près de Pompéi. La dot de Térentia, sa femme, était de cent vingt mille deniers[12], et il eut une succession qui lui en valut quatre-vingt-dix mille[13]. Avec cette fortune il vivait honorablement et sagement, dans la société des Grecs et des Romains les plus instruits. Il était rare qu’il se mît à table avant le coucher du soleil, moins à cause de ses occupations, que pour ménager la faiblesse de son estomac. Il soignait son corps avec des précautions extrêmes : il avait chaque jour un nombre réglé de frictions et de promenades. Il parvint, par ce régime, à se fortifier le tempérament, à le rendre sain et vigoureux, et capable de supporter les luttes pénibles et les rudes travaux. Il abandonna à son frère la maison paternelle, et se logea sur le Palatin, afin que ses clients n’eussent pas l’ennui de l’aller chercher si loin[14] ; car, tous les matins, il se présentait à sa porte autant de monde qu’à celles de Crassus et de Pompée, les plus honorés des Romains, et les plus en renom, l’un à cause de ses richesses, l’autre pour l’autorité dont il jouissait dans les armées. Pompée lui-même recherchait Cicéron ; et l’appui de Cicéron lui fut très-utile pour augmenter sa puissance et sa gloire.
Quand Cicéron brigua la préture, plusieurs personnes d’un haut mérite étaient sur les rangs avant lui : il fut nommé néanmoins le premier de tous ; et les arrêts qu’il rendit pendant sa magistrature lui firent une grande réputation de droiture et de probité. Licinius Macer, homme considérable par lui-même, et soutenu d’ailleurs de tout le crédit de Crassus, fut accusé de péculat devant Cicéron. Plein de confiance dans son pouvoir et dans le zèle de ses amis, il se croyait si sûr de vaincre, que, lorsque les juges commencèrent à donner leurs voix, il courut, dit-on, chez lui, se fit couper les cheveux, prit une robe blanche, et se disposa à retourner au Forum. Cependant, Crassus vint au-devant de lui, et, l’ayant rencontré à la porte de sa cour, il lui annonça qu’il venait d’être condamné à l’unanimité des suffrages. Licinius fut si frappé de ce coup, qu’étant rentré chez lui, il se coucha, et mourut subitement. Ce jugement fit beaucoup d’honneur à Cicéron, à cause de la fermeté qu’il avait déployée pendant tout le cours des débats. Vatinius, homme revêche, et qui, dans ses plaidoyers, traitait fort légèrement les juges, avait le cou plein d’écrouelles : il s’approcha un jour du tribunal de Cicéron, et lui demanda quelque chose. Comme le préteur tardait à lui accorder sa demande, et prenait le temps d’y réfléchir : « Si j’étais préteur, dit Vatinius, je ne balancerais pas. — Aussi, répondit Cicéron, en se tournant vers lui, n’ai-je pas le cou si gros que toi[15]. »
Deux ou trois jours avant l’expiration de sa préture, on intenta par-devant lui, à Manilius, une accusation de péculat. Ce Manilius avait la faveur et l’affection du peuple, qui le croyait en butte à l’envie à cause de Pompée, car Manilius était l’ami de Pompée. L’accusé demanda qu’on lui assignât quelques jours pour répondre aux charges : Cicéron le cita au lendemain ; ce qui irrita fort le peuple, les préteurs étant dans l’usage d’accorder au moins dix jours aux accusés. Les tribuns traduisirent pour ce fait Cicéron devant l’assemblée du peuple, et l’accusèrent d’avoir prévariqué. Il demanda à être entendu : « M’étant toujours montré, dit-il, aussi « favorable aux accusés que le permettent les lois, je me croirais bien coupable si je n’avais pas traité Manilius avec autant de douceur et d’humanité que les autres. Je lui ai donc donné exprès le seul jour de ma préture dont je pouvais encore disposer. En effet, si j’eusse renvoyé à un autre préteur le jugement de son affaire, ce n’eût pas été lui rendre service. » Cette justification produisit dans le peuple un changement merveilleux : Cicéron fut comblé de louanges, et on le pria de défendre lui-même Manilius. Il s’en chargea volontiers, surtout par égard pour Pompée absent ; il reprit toute l’affaire dès l’origine, et parla avec force contre les partisans de l’oligarchie, et contre les envieux de Pompée[16].
Cependant le parti des nobles ne montra pas moins d’ardeur que le peuple pour le porter au consulat. L’intérêt public réunit, dans cette occasion, tous les esprits[17] ; et voici pour quelle raison. Les changements opérés par Sylla dans le gouvernement, qui d’abord avaient paru fort étranges, semblaient, par un effet du temps et de l’habitude, avoir pris une sorte de stabilité, et ne plus tant déplaire à la multitude. Mais des hommes animés par une cupidité particulière, et non par des vues du bien général, cherchaient à remuer, à renverser l’état présent des choses. Pompée était encore occupé à faire la guerre aux rois de Pont et d’Arménie ; et personne à Rome n’avait assez de puissance pour tenir tête aux factieux. Leur chef était Lucius Catilina, homme audacieux et entreprenant, et d’un caractère qui savait se prêter à toutes les conjonctures. À tous les forfaits dont on l’accusait de s’être souillé, il avait ajouté l’inceste avec sa propre fille, et le meurtre de son frère. Craignant qu’on ne le traduisît en justice pour ce dernier crime, il avait engagé Sylla à mettre ce frère au nombre des proscrits, comme s’il eût encore été en vie. Les scélérats de Rome se rallièrent autour de ce chef ; et, non contents de s’être engagé mutuellement leur foi par les serments ordinaires, ils égorgèrent un homme, et mangèrent tous de sa chair.
Catilina avait corrompu une grande partie de la jeunesse de Rome, en lui prodiguant tous les jours festins, plaisirs, banquets, amours de femmes, et en n’épargnant rien pour fournir à cette dépense. Déjà toute l’Étrurie et la plupart des peuples de la Gaule cisalpine étaient disposés à la révolte ; et Rome était menacée d’un bouleversement, à cause de l’inégalité qu’avait mise dans les fortunes la ruine des citoyens les plus distingués par leur naissance et par leur courage, qui, consumant leurs richesses en spectacles, en festins, en brigues pour les charges, en bâtiments, avaient vu passer leurs biens dans les mains d’hommes abjects et méprisables. C’était au point qu’il ne fallait plus, pour renverser le gouvernement malade, qu’une légère impulsion du premier audacieux venu. Quoi qu’il en soit, Catilina, pour assurer à son entreprise un point d’appui solide et ferme, se mit sur les rangs pour le consulat. Il fondait ses plus grandes espérances sur le collègue qu’il se flattait d’avoir : c’était Caïus Antonius, homme incapable par lui-même d’être chef d’aucun parti bon ou mauvais, mais qui deviendrait un appoint de force pour un collègue énergique. Les citoyens honnêtes, prévoyant le danger qui menaçait la république, portèrent Cicéron au consulat, presque tout d’une voix ; le peuple les seconda avec ardeur ; Catilina fut rejeté, et Cicéron nommé consul avec Antonius. De tous les candidats, Cicéron était pourtant le seul né d’un père simple chevalier, et non point sénateur.
Le peuple ignorait encore les complots de Catilina. Cicéron, dès son entrée dans le consulat, fut assailli d’affaires difficiles : c’était le prélude des combats qu’il lui fallut livrer dans la suite. D’un côté, ceux que les lois de Sylla avaient exclus des magistratures, et qui formaient un parti puissant et nombreux, se présentèrent pour briguer les charges : dans leurs discours au peuple, ils s’élevaient, avec autant de justice que de vérité, contre les actes tyranniques de Sylla ; mais ils prenaient mal leur temps pour faire des changements dans la république. D’un autre côté, les tribuns du peuple proposaient des lois qui l’eussent bouleversée non moins sûrement : ils demandaient l’établissement de dix commissaires revêtus d’un pouvoir absolu, et qui, disposant en maîtres de l’Italie, de la Syrie et des nouvelles conquêtes de Pompée, auraient le pouvoir de vendre les terres publiques, de faire le procès à qui ils voudraient, de bannir à leur volonté, d’établir des colonies, de prendre de l’argent dans le trésor public, de lever et d’entretenir toutes les troupes dont ils auraient besoin. Aussi la loi eut-elle pour appui les personnes les plus considérables de Rome, et tout le premier Antonius, le collègue de Cicéron, qui espérait d’être un des décemvirs. On croit qu’il n’ignorait pas les desseins séditieux de Catilina, et qu’il n’eût pas été fâché de les voir réussir, car il était accablé de dettes. C’était là surtout ce qui effrayait les bons citoyens.
Cicéron, pour prévenir ce danger, fit décréter à Antonius le gouvernement de la Macédoine, et refusa pour lui-même celui de la Gaule qu’on lui assignait. Ce service important lui ayant gagné Antonius, il espéra d’avoir en lui comme un acteur à gages, qui jouerait, d’accord avec lui, le second rôle dans une entreprise où il s’agissait du salut de la patrie[18]. Antonius conquis et apprivoisé, Cicéron se sentit plus de hardiesse et de force pour s’élever contre ceux qui proposaient des nouveautés. Il combattit dans le Sénat la nouvelle loi, et atterra si bien ceux-là même qui la voulaient faire passer, qu’ils n’eurent pas un seul mot à lui répondre. Les tribuns firent de nouvelles tentatives, et citèrent les consuls devant le peuple. Mais Cicéron ne se laissa point effrayer : il se fit suivre par le Sénat à l’Assemblée ; et, montant à la tribune, il parla avec tant de force que la loi fut rejetée, et qu’il ôta aux tribuns tout espoir de réussir dans leurs autres projets[19] : tant il les subjugua par l’ascendant de son éloquence !
C’est de tous les orateurs celui qui a le mieux fait sentir aux Romains quel charme l’éloquence ajoute à la beauté morale, et que le droit est invincible quand il est soutenu par le talent de la parole. Il leur montra que l’homme d’État qui veut bien gouverner doit, dans sa conduite publique, préférer toujours ce qui est honnête à ce qui flatte ; mais qu’il doit aussi, dans ses discours, tempérer par la douceur du langage la rigueur des actes qu’il propose. Rien ne prouve mieux la grâce de son éloquence que ce qu’il fit dans son consulat, par rapport aux spectacles. Jusqu’alors les chevaliers romains avaient été confondus dans les théâtres avec la foule des spectateurs, et s’asseyaient pêle-mêle parmi le peuple ; mais Marcus Othon[20], préteur, sépara, par honneur, les chevaliers de la multitude, et leur assigna des places distinctes, qu’ils conservent encore aujourd’hui[21]. Le peuple se crut offensé par cette mesure ; et, lorsqu’Othon parut au théâtre, il fut accueilli par des huées et des sifflets ; mais les chevaliers le couvrirent de leurs applaudissements. Le peuple redoubla ses sifflets, et les chevaliers leurs applaudissements. De là on en vint réciproquement aux injures ; et le théâtre était plein de confusion. Cicéron, informé du désordre, se transporte au théâtre, et appelle le peuple dans le temple de Bellone : là, il adresse aux mutins de sévères et persuasives remontrances ; et le peuple, retourné au théâtre, applaudit vivement Othon, et dispute avec les chevaliers à qui lui rendra de plus grands honneurs.
Cependant la conjuration de Catilina, frappée d’abord de stupeur et de crainte, avait repris courage : les conjurés s’étaient assemblés, et s’étaient mutuellement animés à mettre la main à l’œuvre avec plus d’audace encore, avant que Pompée, qu’on disait déjà en chemin suivi de son armée, fût de retour à Rome. Ceux qui aiguillonnaient le plus Catilina, c’étaient les anciens soldats de Sylla, répandus dans toute l’Italie, et disséminés parmi les villes étrusques : ces hommes rêvaient une fois encore l’enlèvement et le pillage des richesses qu’ils avaient sous les yeux. Conduits par Mallius, un des officiers qui avaient servi avec honneur sous Sylla, ils entrèrent dans la conjuration de Catilina, et se rendirent à Rome pour l’appuyer dans les comices ; car Catilina briguait une seconde fois le consulat, bien résolu de tuer Cicéron à la faveur du trouble qui accompagne toujours les élections. Des tremblements de terre, des foudres, des apparitions de fantômes semblaient être des avertissements du ciel sur les complots qui se tramaient. On recevait aussi, de la part des hommes, des indices véritables, mais qui ne suffisaient point encore pour accabler un homme aussi considérable par sa noblesse et sa puissance que l’était Catilina. C’est pourquoi Cicéron, ayant différé de jour en jour les comices, cita Catilina devant le Sénat, et l’interrogea sur les bruits qui couraient. Catilina, persuadé qu’il y en avait dans le Sénat plus d’un qui désiraient une révolution, voulant d’ailleurs se relever aux yeux de ses complices, répondit à Cicéron avec une extrême arrogance. « Quel mal fais-je, dit-il, si, voyant deux corps dont l’un a une tête, mais est maigre et épuisé, et l’autre n’a pas de tête, mais est robuste et grand, je veux mettre une tête à celui-ci ? » Cicéron comprit que cette énigme désignait le Sénat et le peuple ; et sa frayeur ne fit que s’en accroître : il mit une cuirasse, et se fit escorter de sa maison au Champ de Mars, par les principaux citoyens et un grand nombre de jeunes gens de Rome. Il entr’ouvrit à dessein sa tunique au-dessous des épaules, et laissa apercevoir sa cuirasse, pour faire connaître aux assistants tout le danger. À cette vue, le peuple, indigné se serra autour de lui. Enfin Catilina échoua encore ; et les suffrages se portèrent sur Silanus et Muréna, qui furent nommés consuls.
Peu de temps après, les soldats d’Étrurie s’étant rassemblés pour se trouver prêts au premier ordre de Catilina, et le jour fixé pour l’exécution du complot étant proche, trois des premiers et des plus puissants personnages de Rome, Marcus Crassus, Marcus Marcellus et Scipion Métellus, allèrent, au milieu de la nuit, à la maison de Cicéron, frappèrent à la porte ; et, ayant appelé le portier, ils lui dirent de réveiller Cicéron, et de lui annoncer qu’ils étaient là. Voici de quoi il s’agissait. Le portier de Crassus avait remis à son maître, comme il sortait de table, des lettres apportées par un inconnu, et qui étaient adressées à différentes personnes : il y en avait une pour Crassus, mais non signée. Crassus ne lut que celle qui portait son adresse ; et, comme on lui donnait avis que Catilina devait faire bientôt un grand carnage dans Rome, et qu’on l’engageait à sortir de la ville, il ne se donna pas le temps d’ouvrir les autres ; et, soit qu’il craignît le danger dont Rome était menacée, soit qu’il cherchât à se laver des soupçons qu’avaient fait naître ses liaisons avec Catilina, il alla sur-le-champ trouver Cicéron. Le consul, après en avoir délibéré avec eux, assemble le Sénat dès le point du jour, remet les lettres à ceux à qui elles étaient adressées, et les invite à en faire tout haut la lecture. Toutes révélaient pareillement l’existence de la conjuration ; mais, après que Quintus Arrius, ancien préteur, eut dénoncé les attroupements qui se faisaient dans l’Étrurie, et qu’on eut su, par d’autres avis, que Mallius, à la tête d’une armée considérable, se tenait autour des villes de cette province pour y attendre les nouvelles de ce qui se passerait à Rome, le Sénat fit un décret, par lequel il remettait les affaires aux mains des consuls, et leur ordonnait de prendre toutes les mesures qu’ils jugeraient convenables pour le bon gouvernement et le salut de la république. C’est un parti auquel le Sénat se décide rarement, et seulement lorsqu’il craint quelque grand danger.
Cicéron, investi de ce pouvoir, confia à Quintus Métellus les affaires du dehors, et se chargea lui-même de celles de la ville : il ne marchait plus dans Rome d’ordinaire qu’escorté d’un grand nombre de citoyens ; et, lorsqu’il se rendait au Forum, la place était presque remplie de la foule qui le suivait. Catilina, impatient d’un plus long retard, résolut de courir au camp de Mallius ; mais, avant de quitter Rome, il chargea Marcius et Céthégus d’aller, dès le matin, avec des poignards, à la porte de Cicéron comme pour le saluer, de se jeter sur lui, et de le tuer. Une femme de grande naissance, Fulvie, se rendit la nuit chez Cicéron, pour lui révéler ce qui se préparait, et lui recommanda de se tenir en garde contre Céthégus. Les assassins vinrent dès la pointe du jour ; et, comme on leur refusa l’entrée, ils se plaignirent hautement, et firent beaucoup de bruit à la porte ; ce qui augmenta encore les soupçons. Cicéron, étant sorti, assembla le Sénat dans le temple de Jupiter Stator, qu’on trouve à l’entrée de la rue Sacrée, en allant au mont Palatin. Catilina s’y rendit avec les autres sénateurs, comme s’il voulait se justifier de ce qu’on lui imputait ; mais pas un des sénateurs ne voulut rester auprès de lui : ils quittèrent tous le banc sur lequel il s’était assis. Il commença néanmoins à parler ; mais sa voix ne put dominer leurs clameurs. À la fin, Cicéron se lève, et lui ordonne de sortir de la ville. « Puisque nous employons dans le gouvernement, lui dit-il, moi la parole, et toi les armes, il faut qu’il y ait entre nous des murailles qui nous séparent. » Catilina sortit sur-le-champ de Rome, à la tête de trois cents hommes armés : il se faisait précéder, comme s’il eût été un commandant militaire, de licteurs avec leurs faisceaux, et on portait devant lui des enseignes. Il se rendit en cet état au camp de Mallius. Là, après avoir assemblé environ vingt mille hommes, il allait par le pays, sollicitant les villes, et les mettant en révolte. C’était là une formelle déclaration de guerre ; et Antonius fut envoyé pour le combattre.
Ceux des citoyens corrompus par Catilina qui étaient restés dans Rome furent assemblés et encouragés par Cornélius Lentulus, surnommé Sura, homme d’une haute naissance, mais que l’infamie de sa conduite et ses débauches avaient fait chasser du Sénat : il était alors préteur pour la seconde fois, comme il est d’usage pour ceux qui veulent être rétablis dans leur dignité de sénateur. Quant au surnom de Sura, voici, à ce que l’on conte, pour quel motif il lui fut donné. Étant questeur, du temps de Sylla, il avait consumé en folles dépenses une grande partie des deniers publics : Sylla irrité lui demanda compte, en plein Sénat, de son administration. Lentulus, s’avançant d’un air d’indifférence et de dédain, dit qu’il n’avait pas de compte à rendre, mais qu’il présentait sa jambe : c’est ce que font les enfants quand ils ont commis quelque faute en jouant à la paume. C’est là ce qui lui fit donner le surnom de Sura, qui, en latin, veut dire jambe[22]. Une autre fois, cité en justice, et ayant corrompu quelques-uns de ses juges, il ne fut absous qu’à la pluralité de deux voix : « J’ai perdu, dit-il, l’argent que j’ai donné à l’un de ceux qui m’ont absous ; car il me suffisait de l’être à la majorité d’une voix. »
Un homme d’un tel caractère fut bientôt ébranlé par Catilina ; et des charlatans, de faux devins, achevèrent de le corrompre par les fausses espérances dont ils le berçaient. Ils lui débitaient des prédictions et des oracles de leur façon, tirés soi-disant des livres sibyllins, et qui annonçaient qu’il était dans les destinées de Rome d’avoir trois Cornélius pour maîtres. « Deux, lui disaient-ils, ont déjà rempli leur destinée, Cinna et Sylla ; tu es le troisième que la Fortune appelle à la monarchie : mets-toi de tout cœur à l’entreprise, et ne laisse pas échapper, comme Catilina par ses délais, l’occasion favorable. » Lentulus ne formait plus que de vastes projets : il avait résolu de massacrer le Sénat tout entier, et autant de citoyens qu’il pourrait, de mettre le feu à la ville, et de n’épargner que les fils de Pompée : il se proposait de les enlever, et de les garder chez lui, pour avoir en eux des otages qui lui faciliteraient sa paix avec leur père ; car un bruit courait déjà partout, qui paraissait certain, que Pompée revenait de sa grande expédition. L’exécution de leur complot était fixée à une nuit des Saturnales[23]. Ils avaient déjà caché dans la maison de Céthégus des épées, des étoupes et du soufre ; ils avaient désigné cent hommes, et autant de quartiers de la ville, attribués chacun par le sort à chacun de ces hommes, afin que, le feu prenant à la fois en plusieurs endroits, la ville fût en un instant la proie des flammes. D’autres devaient se poster auprès des conduits d’eau, pour tuer ceux qui voudraient en puiser.
Pendant qu’ils faisaient ainsi leurs dispositions, il se trouvait à Rome deux députés des Allobroges, peuple durement traité par les Romains, et qui supportait impatiemment leur domination. Lentulus, persuadé que ces deux hommes pourraient leur être utiles pour agiter la Gaule et y fomenter la révolte, les fit entrer dans la conjuration, et leur donna des lettres pour le Sénat de leur pays, dans lesquelles ils promettaient aux Gaulois la liberté. Ils leur en remirent d’autres pour Catilina, qu’ils pressaient d’affranchir les esclaves, et de pousser à Rome. Ils firent partir, avec ces Allobroges, un certain Titus, Crotoniate, qu’ils chargèrent des lettres destinées à Catilina. Mais toutes les démarches de ces hommes inconsidérés, qui ne parlaient jamais ensemble de leurs affaires que dans le vin et avec les femmes, Cicéron les suivait avec une vigilance, un sang-froid et une prudence extrêmes ; il avait d’ailleurs répandu dans la ville un grand nombre de gens affidés, pour épier avec soin et dépister à son profit tout ce qui se passait. Il avait même des conférences secrètes avec plusieurs personnes que les conjurés croyaient être leurs complices, et qui l’informèrent des relations que les conjurés avaient eues avec les étrangers. D’après ces renseignements, il mit des gens en embuscade pendant la nuit ; et, les deux Allobroges étant secrètement d’intelligence avec lui, il fit arrêter le Crotoniate, et saisir les lettres dont il était chargé.
Cicéron, dès le matin, assembla le Sénat dans le temple de la Concorde, fit lecture des lettres qu’on avait saisies, et reçut les dépositions des témoins. Julius Silanus déclara qu’on avait entendu dire à Céthégus qu’il y aurait trois consuls et quatre préteurs d’égorgés. Pison, homme consulaire, fit une déposition à peu près semblable ; et Caïus Sulpicius, l’un des préteurs, envoyé dans la maison de Céthégus, y trouva une grande quantité de traits et d’armes, et surtout d’épées et de poignards fraîchement aiguisés. Enfin le Crotoniate parla, sur la promesse de l’impunité que lui fit le Sénat s’il voulait tout révéler ; et Lentulus, par lui convaincu, se démit sur-le-champ de sa charge de préteur, quitta, dans le Sénat même, sa robe de pourpre, et en prit une plus conforme à sa situation présente. On le confia, lui et ses complices, à la garde des préteurs, dont les maisons leur servirent de prison. Comme il était déjà tard, et que le peuple attendait en foule à la porte, Cicéron sortit, et fit part aux citoyens de ce qui s’était passé. Le peuple le reconduisit jusqu’à la maison d’un de ses amis, son voisin, parce que la sienne était occupée par les femmes romaines, qui y célébraient les sacrés mystères de la déesse qu’on appelle à Rome la Bonne-Déesse et en Grèce Gynécée : tous les ans, la femme ou la mère du consul fait, dans sa maison, un sacrifice à cette divinité, en présence des vestales[24].
Cicéron, étant entré dans la maison de son ami, et n’ayant avec lui que très-peu de personnes, réfléchit sur la conduite qu’il devait tenir envers les conjurés. La douceur de son caractère, la crainte qu’on ne l’accusât d’avoir abusé de son pouvoir en punissant, avec la dernière rigueur, des hommes d’une naissance illustre, et qui avaient dans Rome des amis puissants, le faisaient balancer à leur infliger la peine que méritait l’énormité de leurs forfaits ; d’un autre côté, en les traitant avec douceur, il frémissait du danger auquel la ville serait exposée ; car les conjurés, loin de se calmer si on leur infligeait quelque peine plus douce que la mort, ne feraient que se lancer avec plus d’audace encore que jamais dans tous les crimes, ajoutant à leur ancienne perversité le ressentiment nouveau de cette injure ; lui-même il passerait pour un lâche dans l’esprit du peuple, qui déjà n’avait pas une grande idée de sa hardiesse. Tandis que Cicéron flottait dans cette incertitude, les femmes qui faisaient le sacrifice furent témoins d’un prodige. Le feu de l’autel, qui paraissait presque éteint, jeta tout à coup, du milieu des cendres et des écorces brûlées, une flamme brillante. La vue de cette flamme effraya les autres ; mais les vierges sacrées conseillèrent à Térentia, femme de Cicéron, d’aller sur-le-champ trouver son mari, et de le presser d’exécuter sans retard les résolutions qu’il avait prises pour le salut de la patrie, l’assurant que la déesse avait fait éclater cette lumière comme un présage de sûreté et de gloire pour lui-même. Térentia, qui, du reste, n’était point d’un caractère faible ni timide, qui même avait de l’ambition, et, comme le dit Cicéron lui-même, partageait plutôt avec son mari le soin des affaires publiques qu’elle ne lui communiquait ses affaires domestiques, alla lui porter l’ordre des vestales, et l’anima vivement contre les coupables. Autant en firent Quintus, frère de Cicéron, et Publius Nigidius, son compagnon d’étude dans la philosophie, homme dont il écoutait souvent les conseils dans les plus importantes affaires du gouvernement.
Le lendemain on délibéra, dans le Sénat, sur la punition des conjurés. Silanus opina le premier, et proposa qu’on les conduisit dans la prison publique, pour y être punis du dernier supplice. Tous ceux qui parlèrent après lui adoptèrent son opinion, jusqu’à ce que vint le tour de Caïus César, celui qui fut depuis dictateur. César était jeune encore, et commençait, vers ce temps-là, à jeter les fondements de sa grandeur future ; déjà même, par ses menées politiques et par ses espérances, il se frayait la route qui le conduisit enfin à changer en monarchie la république romaine. Personne n’y prenait garde ; Cicéron seul avait contre lui de grands soupçons, mais sans aucune preuve suffisante pour le convaincre. Quelques-uns assurent que Cicéron touchait au moment de le convaincre, mais que César eut l’adresse de lui échapper. D’autres prétendent que Cicéron négligea et rejeta même à dessein les preuves qu’il avait de sa complicité, parce qu’il craignait son pouvoir, et le grand nombre d’amis dont il était soutenu ; car tout le monde était persuadé que les accusés seraient enveloppés dans l’absolution de César bien plutôt que César dans leur châtiment. Quand César fut en tour d’opiner, il se leva, et déclara qu’il n’était pas d’avis qu’on punît de mort les conjurés. « Il faut, dit-il, confisquer leurs biens, et mettre leurs personnes dans telles villes d’Italie que Cicéron voudra choisir, pour les y tenir dans les fers jusqu’à l’entière défaite de Catilina. » Cet avis, plus doux que le premier, et soutenu de toute l’éloquence de César, reçut encore un grand poids de Cicéron lui-même, qui, s’étant levé, discuta les deux avis, et allégua de fortes raisons, d’abord en faveur de celui de Silanus, puis en faveur de celui de César. Ses amis, qui trouvèrent dans l’opinion de César l’intérêt de Cicéron, parce qu’en laissant vivre les coupables il aurait moins à craindre les reproches, adoptèrent ce dernier avis de préférence à l’autre ; Silanus lui-même revint sur son opinion, et se reprit en disant qu’il n’avait pas prétendu conclure à la mort, parce qu’il regardait la prison comme le dernier supplice pour un sénateur romain.
Le premier qui combattit l’avis de César fut Lutatius Catulus ; et Caton, qui parla après Lutatius, ayant insisté avec force sur les soupçons qu’on avait contre César, remplit le Sénat de tant d’indignation et de hardiesse, que la sentence de mort fut prononcée contre les coupables. Quant à la confiscation des biens, César s’y opposa, alléguant qu’il n’était pas juste de rejeter ce que son avis avait d’humain pour n’en adopter que la disposition la plus rigoureuse. Comme le plus grand nombre se déclarait ouvertement contre son avis, il en appela aux tribuns, qui refusèrent d’intercéder ; mais Cicéron prit de lui-même le parti le plus doux, et abandonna la question de confiscation. Il se rendit, à la tête du Sénat, aux lieux où étaient les condamnés ; car on ne les avait pas tous mis dans la même maison : ils étaient confiés à la garde des préteurs, qui de celui-ci, qui d’un autre. Cicéron alla d’abord au Palatin prendre Lentulus, qu’il conduisit par la rue Sacrée, et à travers le Forum : les principaux de la ville se pressaient autour du consul, et lui servaient de gardes ; une foule immense de peuple suivait en silence, frissonnant d’horreur à la pensée de l’exécution qui se préparait. Les jeunes gens surtout assistaient à ce spectacle avec un étonnement mêlé de frayeur, comme à des mystères sacrés que célébrait la noblesse pour le salut de la patrie. Quand Cicéron eut traversé la place, et qu’il fut arrivé à la prison, il livra Lentulus au bourreau, et ordonna qu’il fût mis à mort ; il amena ensuite Céthégus et chacun des autres successivement, qui subirent tous le dernier supplice. Cicéron vit sur la place plusieurs des complices de la conjuration qui se tenaient rassemblés, et qui, ignorant ce qui s’était passé, attendaient la nuit pour enlever les prisonniers, qu’ils croyaient encore en vie. Il leur cria à haute voix : « Ils ont vécu ! » manière de parler dont se servent les Romains pour éviter les paroles funestes, et ne pas dire : « Ils sont morts. »
La nuit approchait ; Cicéron traversa la place pour retourner chez lui, non plus au milieu d’un peuple silencieux et qui l’escortait dans le plus grand ordre, mais entouré d’une multitude de citoyens qui le couvraient d’acclamations et d’applaudissements, et qui l’appelaient le sauveur, le nouveau fondateur de Rome. Les rues étaient illuminées de lampes et de torches devant chaque porte ; les femmes éclairaient aussi du haut des toits, pour lui faire honneur, et pour le contempler remontant avec son majestueux cortège de patriciens, dont la plupart ou avaient terminé des guerres importantes, ou étaient rentrés dans Rome sur des chars de triomphe, ou avaient conquis à l’empire romain une vaste étendue de terres et de mers. Ils marchaient, se faisant les uns aux autres l’aveu que, si le peuple romain devait aux victoires de plusieurs des généraux contemporains de l’or et de l’argent, de riches dépouilles et une grande puissance, Cicéron était le seul qui eût assuré sa sécurité et son salut, en écartant de la patrie cet affreux danger. Ce qu’on trouvait admirable, ce n’était pas d’avoir prévenu l’exécution du complot, et d’avoir fait punir les coupables, c’était d’avoir su étouffer, par les moyens les moins violents, la plus vaste conjuration qui eût jamais été formée, et de l’avoir éteinte sans sédition et sans trouble. Car le plus grand nombre de ceux qui s’étaient ramassés autour de Catilina n’eurent pas plutôt appris le supplice de Lentulus et de Céthégus, qu’ils abandonnèrent leur chef ; et lui-même, ayant combattu contre Antonius avec ceux qui lui étaient restés fidèles, il fut défait et périt avec toute son armée.
Il y avait néanmoins des gens qui critiquaient la conduite qu’avait tenue Cicéron, et qui se préparaient pour l’en faire repentir. À leur tête étaient César, Métellus et Bestia, l’un préteur, les deux autres tribuns, désignés pour l’année suivante. Lorsqu’ils entrèrent en charge, il restait encore quelques jours à Cicéron jusqu’à l’expiration de son consulat : ils ne lui permirent point de parler au peuple, et mirent leurs bancs sur la tribune pour l’empêcher d’y monter. Ils lui laissèrent seulement la liberté d’y venir, s’il le voulait, pour se démettre de sa charge, et d’en descendre aussitôt. Cicéron y consentit, et monta à la tribune comme pour faire le serment. On écoutait en silence ; mais, au lieu du serment traditionnel, Cicéron en prononça un tout nouveau, et qui ne convenait qu’à lui : il jura qu’il avait sauvé la patrie, et conservé l’empire. Tout le peuple répéta, après lui, le même serment. César et les tribuns, irrités de leur déconvenue, machinèrent contre Cicéron d’autres intrigues : ils proposèrent notamment une loi qui rappelait Pompée avec ses troupes, comptant détruire ainsi le pouvoir presque absolu de Cicéron. Heureusement pour lui et pour Rome, Caton était alors tribun ; et, comme il avait une autorité égale à celle de ses collègues, avec une plus grande considération, il mit opposition à leurs décrets. Caton vint aisément à bout de rompre leurs desseins ; et il releva tellement, dans ses discours au peuple, le consulat de Cicéron, qu’on décerna à celui-ci les plus grands honneurs qui eussent jamais été accordés à aucun Romain, et qu’on lui donna le nom de père de la patrie, titre honorable qu’il eut la gloire d’obtenir le premier, et que Caton lui déféra en présence de tout le peuple[25].
Cicéron jouit alors de la plus grande autorité dans Rome ; mais il se rendit lui-même odieux à bien des gens, non point par aucune mauvaise action qu’il eût faite, mais parce qu’on était choqué généralement de l’entendre se vanter sans cesse lui-même, et relever la gloire de son consulat. Il n’allait jamais au Sénat, aux assemblées du peuple et aux tribunaux, qu’il n’eût à la bouche les noms de Catilina et de Lentulus. Il en vint jusqu’à remplir de ses propres louanges tous les livres, tous les écrits qu’il composait ; et son style, si plein de douceur et de grâce, est devenu par là ennuyeux et fatigant pour les auditeurs. Cette affectation importune était comme une maladie fatale attachée à sa personne. Toutefois il demeura pur, malgré cette ambition démesurée, de tout sentiment d’envie à l’endroit des autres : il prodiguait les louanges et aux grands hommes qui l’avaient précédé, et à ses contemporains, comme on le voit par ses écrits. On rapporte aussi de lui plusieurs mots caractéristiques. Il disait, par exemple, d’Aristote, que c’était un fleuve qui roule de l’or à grands flots[26] ; et, des dialogues de Platon, que, si Jupiter voulait parler, ce serait là son style[27]. Il avait coutume d’appeler Théophraste ses délices[28]. On lui demandait un jour quel était le discours de Démosthène qu’il trouvait le plus beau : « Le plus long[29], » répondit-il. Cependant quelques-uns de ceux qui se disent les zélés partisans de Démosthène lui reprochent d’avoir écrit dans une lettre à un de ses amis, que Démosthène, dans ses discours, se laisse aller quelquefois au sommeil[30]. Mais ces censeurs ne se souviennent pas apparemment des éloges admirables qu’il donne à Démosthène en plusieurs endroits de ses ouvrages, et que les discours qu’il a travaillés avec le plus de soin, ceux qu’il a faits contre Antoine, il leur a donné le nom de Philippiques.
De tous les orateurs et de tous les philosophes célèbres de son temps, il n’en est pas un seul dont il n’ait augmenté la réputation, par les louanges qu’il leur a décernées dans ses discours ou dans ses écrits. Il appuya de tout son crédit auprès de César, déjà dictateur, Cratippus le péripatéticien, pour lui faire obtenir le droit de cité romaine. Il lui fit obtenir aussi de l’Aréopage un décret, par lequel on le priait de rester à Athènes pour y instruire les jeunes gens, comme étant un des ornements de leur ville. On a des lettres de Cicéron à Hérode[31] et d’autres à son fils, pour les exhorter à prendre les leçons de Cratippus. Il reproche au rhéteur Gorgias d’inspirer à son fils le goût des plaisirs et de la table ; et il le somme de n’avoir plus aucun rapport avec lui. C’est la seule à peu près des lettres de Cicéron, avec une autre à Pélops de Byzance, qui soit écrite de ce ton d’aigreur[32] ; mais il avait raison de se plaindre de Gorgias, s’il était réellement aussi vicieux et aussi corrompu qu’il semblait l’être ; au lieu qu’il y a bien de la petitesse dans les reproches qu’il fait à Pélops sur sa négligence à lui procurer, de la part des Byzantins, des honneurs et des décrets qu’il désirait.
C’est sans doute à son ambition qu’il faut attribuer ces misères, ainsi que le tort qu’il eut souvent de sacrifier toute convenance à la réputation de bien dire. Munatius[33], que Cicéron avait défendu et fait absoudre, poursuivait en justice Sabinus, un de ses amis. Cicéron en fut si irrité, qu’il s’oublia jusqu’à lui dire : « Crois-tu donc, Munatius, que ce soit à ton innocence que tu as dû d’être absous, plutôt qu’à mon éloquence, qui a offusqué la lumière aux yeux des juges ? » Il fit un jour, à la tribune, un éloge de Marcus Crassus qui fut très-applaudi ; et, peu de temps après, il fit de lui une censure amère. « N’est-ce pas en ce même lieu, lui dit Crassus, que tu m’as loué il y a quelques jours ? — Oui, répondit Cicéron ; je voulais essayer mon talent sur un sujet ingrat. » Une autre fois, Crassus avait dit que pas un des Crassus à Rome n’avait vécu plus de soixante ans ; mais ensuite il se rétracta : « À quoi pensais-je, dit-il, quand j’ai avancé un tel fait ? — Tu savais, dit Cicéron, que les Romains l’entendraient avec plaisir ; et tu voulais leur faire la cour. » Crassus ayant dit qu’il approuvait la maxime des stoïciens, que le sage est riche : « Prends garde, dit Cicéron, que tu n’aimes plutôt cette autre maxime stoïcienne, que tout appartient au sage. » C’est que Crassus était fort décrié pour son avarice. Un des deux fils de Crassus ressemblait tellement à un certain Axius, qu’on en conçut contre sa mère des soupçons désavantageux. Ce jeune homme ayant été fort applaudi pour un discours qu’il avait fait dans le Sénat, on demanda à Cicéron ce qu’il en pensait. « Ἄξιος Κράσσου[34], » répondit-il. Crassus, au moment de son départ pour la Syrie, sentit qu’il lui serait plus utile de se réconcilier avec Cicéron, que de l’avoir pour ennemi : il lui fit donc beaucoup de prévenances, et lui dit qu’il voulait aller souper chez lui. Cicéron le reçut avec plaisir. Quelques jours après, il y eut de ses amis qui vinrent lui dire que Vatinius, avec qui il était brouillé, désirait fort de se remettre bien avec lui. « Vatinius, dit Cicéron, voudrait-il donc aussi souper chez moi ? » C’est ainsi qu’il en usait envers Crassus. Ce même Vatinius avait au cou des écrouelles. Un jour, qu’il avait plaidé dans un procès : « Voilà, dit Cicéron, un orateur bien enflé. » On vint lui dire un jour, que Vatinius était mort ; mais, comme on lui eut appris, quelque temps après, d’une façon certaine, qu’il était vivant : « Maudit soit donc celui qui a menti si mal à propos ! » César avait ordonné qu’on distribuât aux soldats les terres de la Campanie, et cette loi mécontentait plusieurs sénateurs ; Lucius Gellius, qui était fort vieux, déclara que le partage n’aurait point lieu tant qu’il serait en vie. « Attendons, dit Cicéron ; car Gellius ne demande pas un long délai. » Un certain Octavius, à qui l’on reprochait son origine africaine, dit un jour à Cicéron qu’il ne l’entendait pas. « Ce n’est pas, lui répondit Cicéron, que tu n’aies l’oreille ouverte[35]. » — « Tu as fait périr plus de citoyens, lui disait Métellus Népos, en rendant témoignage contre eux, que tu n’en as sauvé par ton éloquence. — Je conviens, repartit Cicéron, que j’ai encore plus de créance auprès des autres que de talent pour la parole. » Un jeune homme, accusé d’avoir empoisonné son père dans un gâteau, s’emportait contre Cicéron, et le menaçait de l’accabler d’injures. « Je crains moins tes injures que ton gâteau, » répondit Cicéron. Publius Sestius, dans une affaire criminelle qu’il avait, pria Cicéron et quelques autres orateurs de le défendre[36] ; mais il voulait toujours parler, et ne laissait pas dire un mot à ses défenseurs. Comme les juges étaient aux opinions, et qu’elles paraissaient favorables à l’accusé : « Profite du temps, Sestius, dit Cicéron ; car demain tu seras un homme privé. » Publius Cotta, qui se donnait pour un jurisconsulte, quoiqu’il fût sans connaissances et sans esprit, appelé un jour en témoignage par Cicéron, répondit qu’il ne savait rien. « Tu crois peut-être, dit Cicéron, que je t’interroge sur le droit. » Métellus Népos disputant contre lui, et lui répétant à plusieurs reprises : « Cicéron, quel est ton père ? — Grâce à ta mère, dit Cicéron, tu serais plus embarrassé que moi pour répondre à une pareille question. » Or, la mère de Népos n’avait pas une bonne réputation ; et il était lui-même d’un caractère fort léger : pendant qu’il était tribun, il se démit tout à coup de sa charge, pour aller trouver Pompée en Syrie[37], et il en revint avec moins de raison encore. Philagre[38], son précepteur, étant mort, il lui fit de magnifiques obsèques, et mit sur son tombeau un corbeau de marbre. « Tu ne pouvais mieux faire, lui dit Cicéron ; car ton précepteur t’a bien plus appris à t’envoler qu’à parler[39]. » Marcus Appius ayant dit, dans l’exorde d’un plaidoyer, que l’ami qu’il défendait l’avait conjuré d’apporter à cette cause exactitude, raisonnement et bonne foi : « Comment donc, lui dit Cicéron, as-tu le cœur assez dur pour ne rien faire de tout ce que ton ami t’a demandé ? »
Sans doute c’est une des qualités de l’orateur de savoir lancer contre des ennemis ou contre sa partie adverse de ces brocards aigres et mordants ; mais Cicéron, qui les employait indifféremment contre tout le monde, afin de jeter du ridicule sur les personnes, se rendit odieux par là à une foule de gens. J’en citerai quelques exemples. Marcus Aquilius avait deux de ses gendres bannis : Cicéron le nommait Adraste. Lucius Cotta, qui aimait fort le vin, était censeur, lorsque Cicéron brigua le consulat. Pressé par la soif le jour de l’élection, Cicéron but, au milieu de ses amis qui l’entouraient : « Vous faites bien d’avoir peur, leur dit-il, que le censeur ne se fâche contre moi, s’il me voyait boire de l’eau. » Il rencontra dans les rues Voconius menant avec lui ses trois filles, toutes extrêmement laides ; il s’écria tout haut :
Cet homme est devenu père en dépit de Phébus[40].
Marcus Gellius, qui passait pour être né dans une condition servile, lisait un jour des lettres devant le Sénat d’une voix très-forte et très-claire. « Ne vous émerveillez pas, dit Cicéron : il est de ceux qui ont été crieurs publics. » Faustus, fils de Sylla, celui qui avait possédé à Rome l’autorité souveraine et avait fait périr par les proscriptions un grand nombre de citoyens, ayant dissipé la plus grande partie de sa fortune, et se trouvant accablé de dettes, fit afficher une cession de tous ses biens à ses créanciers. « J’aime mieux ses affiches, dit Cicéron, que celles de son père. » Il amassa ainsi contre lui bien des haines. Quant à l’inimitié que lui vouèrent Clodius et ses partisans, voici à quelle occasion il la fit naître.
Clodius, jeune Romain d’une grande naissance, mais insolent et audacieux, aimait Pompéia, femme de César : il se glissa secrètement dans la maison de César, déguisé en musicienne ; car les femmes célébraient ce sacrifice mystérieux dont les hommes sont exclus[41]. Il n’y avait pas un seul homme dans la maison ; mais Clodius, tout adolescent encore, et qui n’avait pas de barbe au menton, espéra qu’il pourrait se glisser, parmi les femmes, jusqu’auprès de Pompéia, sans être reconnu. Entré la nuit dans une maison très-vaste, il s’égara ; et il errait de côté et d’autre, lorsqu’il fut rencontré par une des esclaves d’Aurélia, mère de César, qui lui demanda son nom. Forcé de répondre, il dit qu’il cherchait une des suivantes de Pompéia, qui se nommait Abra. L’esclave, qui reconnut que ce n’était pas la voix d’une femme, appela à grands cris les femmes : celles-ci font fermer les portes, fouillent partout, et trouvent Clodius dans la chambre de la jeune fille avec laquelle il était entré. Le bruit que fit cet événement obligea César de répudier Pompéia, et d’intenter à Clodius, devant le tribunal, une accusation d’impiété[42].
Cicéron était ami de Clodius ; et, dans l’affaire de Catilina, Clodius l’avait servi avec le plus grand zèle, et avait été comme un de ses gardes. Clodius, en réponse à l’accusation, affirmait qu’il n’était pas à Rome ce jour-là ; qu’il l’avait passé à la campagne, fort loin de la ville. Mais Cicéron déposa qu’il était venu ce jour-là même chez lui pour traiter de quelque affaire ; ce qui était vrai. Au reste, il fit cette déposition, moins pour attester la vérité que pour guérir les soupçons de Térentia, sa femme, qui haïssait Clodius, parce que sa sœur Clodia avait envie d’épouser Cicéron et se servait, pour négocier ce mariage, d’un certain Tullus, ami intime de Cicéron. Tullus allait tous les jours chez Clodia, et lui faisait assidûment la cour ; et la maison de Clodia était voisine de celle de Cicéron. Térentia soupçonna leurs desseins. C’était d’ailleurs une femme d’un caractère difficile ; et, comme elle menait Cicéron, elle l’anima à courir sus à Clodius, et à déposer contre lui. Plusieurs citoyens distingués déposèrent aussi contre Clodius, et l’accusèrent de s’être parjuré, d’avoir commis des friponneries, d’avoir corrompu le peuple à prix d’argent, et séduit plusieurs femmes. Lucullus produisit des femmes esclaves, qui attestèrent que Clodius avait entretenu un commerce incestueux avec la plus jeune de ses sœurs, pendant qu’elle était femme de Lucullus. C’était d’ailleurs un bruit généralement répandu, que Clodius avait déshonoré ses deux sœurs, dont l’une, Térentia[43], avait épousé Marcius Rex, et l’autre, Clodia, Métellus Celer. On donnait à Clodia le surnom de Quadrantaria, parce qu’un de ses amants lui avait envoyé, dans une bourse, de petites pièces de cuivre, au lieu de pièces d’argent. Or, les Romains appellent quadrans la plus petite de leurs monnaies de cuivre. Ce qui diffama le plus Clodius dans Rome, ce fut son inceste avec cette dernière de ses sœurs. Cependant le peuple se montra fort mal disposé envers ceux qui s’étaient ligués contre Clodius pour le charger par leurs dépositions : les juges craignirent qu’on n’usât de violence, et environnèrent le tribunal de gens armés ; et la plupart, en écrivant leur opinion sur les tablettes, brouillèrent à dessein les mots. Il parut pourtant qu’il y avait eu plus de voix pour l’absoudre ; et le bruit courut qu’on avait corrompu les juges à prix d’argent. Aussi Catulus, les ayant rencontrés : « Vous avez eu raison, leur dit-il, de demander des gardes pour votre sûreté, de peur qu’on ne vous enlevât votre argent. » Clodius reprochait à Cicéron que les juges n’avaient pas ajouté foi à sa déposition. « Au contraire, lui répondit Cicéron, il y en a eu vingt-cinq qui m’ont cru, puisque c’est le nombre de ceux qui t’ont condamné, et trente qui ne t’ont pas voulu croire, car ils ne t’ont absous qu’après avoir reçu ton argent. » César, appelé en témoignage contre Clodius, ne voulut pas déposer. « Ma femme, dit-il, n’a pas été convaincue d’adultère : je l’ai répudiée, parce que la femme de César doit être exempte, non-seulement de toute action honteuse, mais encore de tout soupçon. »
Clodius, échappé à ce péril, et nommé tribun du peuple, se mit aussitôt à persécuter Cicéron : il lui suscita le plus d’embarras qu’il lui fut possible, et souleva contre lui toute sorte de gens. Il se ménagea la faveur de la multitude par des lois populaires, et il fit décerner aux deux consuls des provinces considérables : Pison eut la Macédoine, et Gabinius la Syrie. Il fit passer ses mesures politiques à l’aide d’une foule d’indigents, et tint toujours auprès de sa personne une troupe d’esclaves armés. Des trois hommes qui avaient alors le plus de pouvoir dans Rome, Crassus était l’ennemi déclaré de Cicéron ; Pompée se faisait valoir auprès de l’un et de l’autre ; et César était sur le point de partir pour la Gaule avec son armée. Cicéron chercha à s’insinuer auprès de César, quoique César ne fut point son ami, et qu’il lui fût suspect depuis l’affaire de Catilina. Il le pria donc de l’emmener avec lui, en qualité de son lieutenant. César accueillit sa demande ; et Clodius, qui vit que Cicéron allait échapper à son tribunal, fit semblant de vouloir se réconcilier avec lui : c’était de Térentia presque uniquement, disait-il, qu’il avait à se plaindre ; quant à Cicéron, il ne parlait plus de lui que dans les termes les plus honnêtes et les plus doux. Il protestait qu’il ne lui voulait point de mal, et qu’il n’avait contre lui nulle rancune ; il ne lui faisait que de légers reproches, et d’un ton d’ami. Il parvint ainsi à dissiper toutes les craintes de Cicéron, lequel remercia César de sa lieutenance, et se remit au maniement des affaires comme auparavant.
César, offensé de cette conduite, fortifia Clodius dans ses desseins, aliéna complètement à Cicéron l’esprit de Pompée, et déclara devant le peuple que Cicéron lui paraissait avoir blessé la justice et les lois, en faisant mourir Lentulus et Céthégus sans aucune formalité de justice ; car c’était sur ce point que portait l’accusation intentée à Cicéron, et c’était sur ce fait qu’il était sommé de répondre. Cicéron, pour conjurer le péril et échapper à la poursuite de ses ennemis, prit la robe de deuil, laissa croître sa barbe, et alla partout suppliant le peuple de lui être favorable. Clodius se trouvait sur ses pas dans toutes les rues, suivi d’une troupe de gens audacieux et violents, qui raillaient Cicéron de son changement d’habit et de son air abattu, qui lui faisaient mille outrages, et souvent même lui jetaient de la boue et des pierres pour l’empêcher de faire ses sollicitations. Néanmoins l’ordre équestre presque tout entier prit, comme lui, l’habit de deuil ; et plus de vingt mille jeunes gens l’accompagnaient, les cheveux négligés, et sollicitant avec lui le peuple en sa faveur. Le Sénat s’assembla, pour décréter que le peuple changerait de vêtement, comme dans un deuil public ; mais les consuls s’opposèrent à ce décret ; et, Clodius étant venu assiéger le lieu du conseil avec des satellites armés, la plupart des sénateurs sortirent en poussant de grands cris et en déchirant leurs robes. Mais ce triste spectacle n’excitait ni compassion ni honte dans l’âme des ennemis de Cicéron : il fallait ou que Cicéron s’exilât, ou qu’il vidât par les armes sa querelle avec Clodius. Il implora le secours de Pompée, qui s’était éloigné à dessein, et se tenait à la campagne, dans sa maison d’Albe. Cicéron lui envoya d’abord Pison, son gendre ; puis il y alla lui-même. Mais, prévenu de son arrivée, Pompée n’osa soutenir sa vue. Il était trop honteux de sa conduite envers un homme qui avait livré pour lui de si grands combats, et qui lui avait rendu de si importants services politiques. Mais Pompée était le gendre de César : il sacrifia à son beau-père une ancienne reconnaissance ; il sortit de chez lui par une porte de derrière, et évita cette entrevue.
Cicéron, trahi par Pompée et abandonné de tout le monde, eut recours aux consuls. Gabinius mit dans tous ses procédés avec lui une grande dureté ; mais Pison lui parla avec plus de douceur, et lui conseilla de se retirer, de céder pour quelque temps à la fougue de Clodius, de supporter patiemment ce revers de fortune, et d’être une seconde fois le sauveur de sa patrie, agitée, à son occasion, de séditions funestes. Cicéron délibéra sur cette réponse avec ses amis : Lucullus fut d’avis qu’il restât, l’assurant qu’il triompherait de ses ennemis ; mais les autres lui conseillèrent de s’exiler lui-même pour un temps, persuadés que le peuple, quand il serait las des fureurs et des folies de Clodius, ne tarderait pas à le regretter. C’est à ce dernier parti que s’arrêta Cicéron, Il avait depuis longtemps dans sa maison une statue de Minerve, qu’il honorait singulièrement : il la prit, et la porta dans le Capitole, où il la consacra, avec cette inscription : À MINERVE, PROTECTRICE DE ROME. Il se fit escorter par les gens de quelques-uns de ses amis, et prit à pied le chemin de la Lucanie, pour se rendre de là en Sicile.
Dès qu’on sut qu’il avait pris la fuite, Clodius fit rendre contre lui un décret de bannissement, et afficher la défense de lui donner l’eau et le feu, et de le recevoir dans les maisons, à une distance de moins de cinq cents milles de l’Italie[44]. Mais le respect qu’on avait pour Cicéron fit généralement mépriser cette défense : on lui fit partout un accueil empressé, et on l’accompagnait en lui témoignant les plus grands égards. Seulement, dans Hipponium, ville de Lucanie, appelée aujourd’hui Vibone, le Sicilien Vibius, à qui Cicéron avait donné de fréquentes marques d’amitié, et qui avait été, pendant son consulat, l’intendant des ouvriers, lui refusa sa maison, et lui offrit une retraite dans sa terre ; et Caïus Vergilius, préteur de Sicile, qui avait de grandes obligations à Cicéron, lui écrivit de ne pas venir en Sicile. Navré de cette ingratitude, il se rendit à Brundusium, où il s’embarqua pour Dyrrachium par un vent favorable ; mais un vent contraire le reporta le lendemain en Italie. Il se remit bientôt en mer ; et, en arrivant à Dyrrachium, comme il était sur le point de débarquer, il y eut, dit-on, un tremblement de terre qui fit retirer les eaux de la mer. Les devins conjecturèrent de ce prodige que son exil ne serait pas de longue durée, ces sortes de signes présageant un changement favorable.
À Dyrrachium, il fut visité par une foule de personnes qui lui témoignèrent un vif intérêt ; et les villes grecques luttèrent de bons offices à son égard. Mais rien ne put lui rendre son courage, ni dissiper sa tristesse. Semblable à un amant malheureux, il tournait sans cesse ses regards vers l’Italie. Humilié, abattu par son infortune, il montra beaucoup plus de faiblesse et de pusillanimité qu’on n’en eût attendu d’un homme qui avait passé sa vie dans de si profondes études. Pourtant plus d’une fois il avait prié ses amis de ne pas l’appeler orateur, mais philosophe. « Je me suis attaché à la philosophie, disait-il, comme au but de toutes mes actions ; et l’éloquence n’est pour moi que l’instrument de ma politique. » Mais l’opinion n’a que trop de pouvoir pour effacer de notre âme les impressions de la raison, comme une teinture qui n’a pas pénétré assez profondément ; et les hommes d’État, à force de traiter avec le peuple, finissent par s’imprégner des passions du vulgaire, à moins qu’ils ne veillent sur eux-mêmes avec une attention continuelle : il leur faut communiquer au dehors avec les affaires elles-mêmes, mais non point avec les passions qu’elles entraînent.
Clodius, après avoir fait bannir Cicéron, brûla ses maisons de campagne et sa maison de Rome, sur le sol de laquelle il bâtit un temple de la Liberté. Il mit en vente ses autres biens ; et tous les jours il les faisait crier, sans qu’il se présentât un seul acquéreur. Devenu, par ses violences, redoutable à tous les nobles, disposant du peuple, qu’il laissait s’abandonner à tous les excès de la licence et de l’audace, il essaya de s’attaquer à Pompée, et censura quelques-unes des ordonnances qu’il avait rendues pendant qu’il commandait les armées. Pompée, dont la réputation souffrait de ces attaques, se reprocha d’avoir sacrifié Cicéron : il changea de disposition, et se ligua avec ses amis pour ménager son rappel. Clodius résista à leurs efforts ; mais le Sénat décréta qu’il suspendait tout rapport et toute expédition des affaires publiques, jusqu’à ce que le retour de Cicéron fût décrété. Sous le consulat de Lentulus, la sédition fut poussée si loin, qu’il y eut des tribuns du peuple blessés sur la place publique, et que Quintus, frère de Cicéron, fut laissé pour mort parmi beaucoup d’autres. Ces excès commencèrent à ramener le peuple ; et le tribun Annius Milon osa le premier traîner Clodius en justice, pour les violences qu’il avait commises. La plus grande partie du peuple et des habitants des villes voisines se joignirent à Pompée, qui, fort de leur secours, chassa Clodius de la place publique, et appela les citoyens aux suffrages. Jamais décret ne fut, dit-on, rendu par le peuple avec autant d’unanimité. Le Sénat rivalisa de zèle avec le peuple, et arrêta qu’on décernerait des remerciments aux villes qui avaient fait accueil à Cicéron dans son exil, et que sa maison de Rome et ses maisons de campagne, que Clodius avait détruites, seraient rebâties aux dépens du trésor public.
Cicéron revint seize mois après son exil[45] : toutes les villes par où il passa montrèrent tant de joie et d’empressement à aller au-devant de lui, que Cicéron était encore au-dessous de la vérité lorsqu’il disait, dans la suite, que l’Italie entière l’avait porté à Rome sur ses épaules. Crassus même, qui était son ennemi avant son exil, sortit alors à sa rencontre, et se réconcilia avec lui, voulant, disait-il, faire ce plaisir à son fils Publius, un des zélés partisans de Cicéron. Peu de temps après, Cicéron, profitant de l’absence de Clodius, se rendit au Capitole avec une suite nombreuse, arracha les tables tribunitiennes où étaient inscrits les actes du tribunat de Clodius, et les mit en pièces. Clodius ayant voulu lui en faire un crime, Cicéron répondit que c’était au mépris des lois que Clodius, né patricien, avait été nommé tribun ; que rien, par conséquent, n’était légal de ce qu’il avait fait pendant son tribunat. Caton fut très-mécontent de cette violence[46], et combattit le motif qu’avait allégué Cicéron : ce n’est pas qu’il approuvât les actes de Clodius ; au contraire, il blâmait son administration ; mais le Sénat ne pouvait, selon lui, sans injustice et sans abus d’autorité, annuler des décrets et des actes si importants, dont un, entre autres, était la commission dont il avait eu à s’acquitter lui-même dans Cypre et à Byzance. Cette dispute brouilla Caton et Cicéron, non qu’ils en vinssent à une rupture ouverte, mais ils vécurent ensemble avec moins d’intimité qu’auparavant.
Peu de temps après, Milon tua Clodius : traduit en justice pour ce meurtre, il chargea Cicéron de sa défense. Le Sénat, qui craignit que le danger où se trouvait un homme considérable et ardent, comme l’était Milon, ne causât quelque trouble dans la ville, chargea Pompée de présider à ce jugement ainsi qu’aux autres procès, et de maintenir la sûreté dans la ville et dans les tribunaux. Pompée garnit de soldats, dès avant le jour, toute l’étendue du Forum ; et Milon, qui eut peur que Cicéron, troublé par ce spectacle inaccoutumé, ne plaidât pas avec son éloquence ordinaire, lui persuada de se faire porter en litière au Forum, et de se tenir en repos jusqu’à ce que les juges fussent arrivés, et que le tribunal fût au complet ; car Cicéron était timide, à ce qu’il paraît, non-seulement à la guerre, mais même quand il s’agissait de parler : il ne commençait jamais un plaidoyer sans éprouver de la crainte ; et, lors même qu’un long usage eut fortifié et perfectionné son éloquence, il avait bien de la peine à s’empêcher de trembler et de frissonner. Défenseur de Lucius Muréna, accusé par Caton, il se piqua d’honneur de surpasser Hortensius, qui avait eu un grand succès en parlant le premier pour l’accusé : il passa toute la nuit à préparer son discours, et se fatigua tellement, par ce travail forcé et cette longue veille, qu’il parut inférieur à lui-même. Le jour du jugement de Milon, quand il vit, en sortant de sa litière, Pompée assis au haut de la place, comme dans un camp, et, autour de lui, les soldats avec leurs armes étincelantes, il fut tout troublé, et ne commença son discours qu’à grand’peine, tremblant de tout son corps, et parlant d’une voix entrecoupée[47] ; tandis que Milon assistait aux débats avec un air d’assurance et de courage, ayant dédaigné de laisser croître ses cheveux et de prendre un habit de deuil : ce fut là, je crois, ce qui ne contribua pas le moins à sa condamnation. Du reste, la frayeur de Cicéron, dans ces circonstances, semblait moins tenir à sa timidité qu’à son affection pour ses clients.
Il fut reçu dans le collège des prêtres que les Romains appellent augures, à la place de Crassus le jeune, qui avait été tué chez les Parthes ; puis, la Cilicie lui étant échue par le sort dans le partage des provinces, avec une armée de douze mille hommes de pied et de deux mille six cents chevaux, il s’embarqua pour s’y rendre. Il avait aussi la commission de réconcilier les Cappadociens avec le roi Ariobarzane, et de les ramener à l’obéissance. Il en vint à bout, sans donner lieu à aucune plainte, et sans recourir aux armes. Les désastres qu’avaient essuyés les Romains dans le pays des Parthes et les mouvements de la Syrie ayant donné aux Ciliciens quelque envie de se révolter, il les calma et les contint par la douceur de son gouvernement : il refusa tous les présents, même ceux que les rois lui offraient, et fit remise à la province de la dépense qu’elle était obligée de faire pour les festins des gouverneurs. Il recevait lui-même à sa table les gens dont le commerce avait quelque agrément, et les traitait sans magnificence, mais avec libéralité. Sa maison n’avait point de portier, et jamais on ne le trouvait dans son lit : il se levait de très-grand matin, et se promenait devant sa chambre, accueillant gracieusement ceux qui venaient le saluer. Jamais, par son ordre, personne ne fut battu de verges ni n’eut sa robe déchirée[48] ; jamais, même dans la colère, il ne dit une parole offensante, ou n’ajouta aux amendes qu’il prononçait des qualifications outrageantes. Les revenus publics avaient été dilapidés : il enrichit les villes en leur faisant recouvrer ce qu’elles avaient perdu ; et, sans frapper d’ignominie les prévaricateurs, il se contenta de leur faire restituer ce qu’ils avaient pris. Il eut aussi une occasion de faire la guerre, et mit en fuite des brigands qui habitaient l’Amanus. Cette victoire lui fît donner par les soldats le nom d’imperator. L’orateur Cœlius l’avait prié de lui envoyer de Cilicie des panthères, pour des jeux qu’il devait donner à Rome : Cicéron lui répondit, quelque peu vain de ses exploits, qu’il n’y avait plus de panthères en Cilicie[49] ; qu’elles avaient fui en Carie, furieuses d’être les seules à qui l’on fit la guerre, pendant que tout le reste était en paix.
En revenant de la Cilicie, il passa d’abord à Rhodes, et ensuite à Athènes, où il séjourna quelque temps avec plaisir, par le souvenir des habitudes qu’il avait eues autrefois dans cette ville. Il y conversa avec les hommes les plus distingués par leur savoir, et visita ceux de ses amis et de ses familiers qui s’y trouvaient alors. Après avoir fait l’admiration de la Grèce, il revint à Rome, où il trouva les affaires en combustion, et la guerre civile sur le point d’éclater. Le Sénat voulut lui décerner le triomphe ; mais il dit qu’il suivrait plus volontiers le char triomphal de César, quand on aurait fait la paix avec lui. Il ne cessait, en particulier, de conseiller cette paix : il écrivait fréquemment à César ; il faisait à Pompée de vives instances, ne négligeant rien pour adoucir l’un et l’autre rival, et calmer leurs dissentiments. Mais le mal était irrémédiable ; et, lorsque César s’avança sur Rome, Pompée, au lieu de l’attendre, abandonna la ville, suivi d’un grand nombre de citoyens les plus considérables. Cicéron ne l’avait pas accompagné dans cette fuite : on crut qu’il allait se joindre à César. Il est certain qu’il flotta longtemps entre les deux partis, en proie à une violente agitation ; car il écrit lui-même dans ses lettres : « De quel côté faut-il me tourner ? Pompée a, pour faire la guerre, un motif glorieux et honorable ; César met plus de suite dans ses affaires, et pourvoit mieux à ses intérêts et à ceux de ses amis : je sais bien qui je dois fuir, mais je ne vois pas vers qui je dois me réfugier[50]. »
Trébatius[51], un des amis de César, écrivit à Cicéron que César pensait qu’il devait se joindre à lui et partager ses espérances ; ou que, si son âge ne lui permettait pas cette vie active, il n’avait qu’à se retirer en Grèce, et y vivre tranquille, libre d’engagement avec l’un et l’autre parti. Cicéron, étonné que César ne lui eût pas écrit lui-même, répondit en colère à Trébatius qu’il ne ferait rien qui fût indigne des actes politiques de sa vie. Voilà ce qu’on trouve en propres termes dans ses lettres.
César étant parti pour l’Espagne, Cicéron s’embarqua tout aussitôt pour aller joindre Pompée. Tout le monde le vit avec plaisir, excepté Caton, qui, à son arrivée, le prit en particulier, et le blâma fort d’avoir embrassé le parti de Pompée. « Pour moi, lui dit-il, je ne pouvais, sans me faire tort, abandonner une cause à laquelle je me suis attaché dès ma première entrée dans les affaires publiques ; mais toi, n’aurais-tu pas été plus utile à ta patrie et à tes amis en restant neutre dans Rome, et en conformant ta conduite sur les événements, au lieu de venir ici, sans raison et sans nécessité, te déclarer l’ennemi de César, et prendre ta part d’un si grand péril ? » Ces remontrances lui firent d’autant plus aisément changer de résolution, que Pompée ne l’employait à rien d’important. Il est vrai qu’il ne devait s’en prendre qu’à lui-même ; car il ne niait pas qu’il se repentait d’être venu : il se moquait ouvertement des préparatifs de Pompée, désapprouvait intérieurement ses projets, et ne se tenait pas de lancer contre les alliés ses brocards et ses bons mots. Il se promenait toute la journée dans le camp d’un air sérieux et morne ; mais il ne laissait échapper aucune occasion de faire rire ceux qui en avaient le moins d’envie. Je ne crois pas inutile de rapporter ici quelques-uns de ces traits d’esprit.
Domitius voulait élever au grade de capitaine un homme peu fait pour la guerre, et vantait la douceur et l’honnêteté de ses mœurs. « Que ne le gardes-tu, dit Cicéron, pour élever tes enfants ? » Théophane de Lesbos[52] était intendant des ouvriers du camp ; et, comme on le louait de la manière dont il avait consolé les Rhodiens, après la perte de leur flotte : « Qu’on est heureux, dit Cicéron, d’avoir un Grec pour capitaine ! » César l’emportait dans presque toutes les rencontres, et tenait Pompée comme assiégé. « On annonce, dit Lentulus, que les amis de César sont tout tristes. — Veux-tu dire, répondit Cicéron, qu’ils sont mal disposés pour César ? » Un certain Marcius, nouvellement arrivé d’Italie, disait que le bruit courait dans Rome que Pompée était assiégé. « Tu t’es donc embarqué tout exprès, dit Cicéron, pour venir t’en assurer par tes propres yeux ? » Après la défaite de Pompée, Nonnius disait : « Ayons bon espoir, il reste encore sept aigles dans le Camp de Pompée. — Tu n’aurais pas tort, répliqua Cicéron, si nous avions à combattre contre des geais. » Labiénus[53], plein de confiance en certaines prédictions, soutenait que Pompée finirait par être vainqueur. « Pourtant, dit Cicéron, c’est avec cette ruse de guerre que nous avons perdu notre camp. »
Cicéron, retenu par une maladie, n’avait pu se trouver à la bataille de Pharsale. Lorsque Pompée eut pris la fuite, Caton, qui avait à Dyrrachium une armée nombreuse et une flotte considérable, voulait que Cicéron prît le commandement des forces militaires, en vertu de la loi, comme ayant été revêtu de la dignité du consulat. Mais Cicéron refusa absolument cette charge, déclarant qu’il ne prendrait plus de part à la guerre. Ce refus pensa lui être fatal : le jeune Pompée et ses amis l’appelèrent traître, et allaient le percer de leurs épées, si Caton ne les eût arrêtés ; encore Caton eut-il bien de la peine à l’arracher de leurs mains, et à le faire sortir du camp. Cicéron se rendit à Brundusium, où il séjourna quelque temps, pour attendre César, que retenaient les affaires d’Asie et d’Égypte. Dès qu’il eut appris que César était débarqué à Tarente, et qu’il venait de là par terre à Brundusium, il courut au-devant de lui, ne désespérant pas trop d’en obtenir son pardon, honteux néanmoins d’avoir à faire, en présence de tant de monde, l’épreuve des dispositions d’un ennemi victorieux. Mais il n’eut rien à faire ou à dire de contraire à sa dignité. César ne l’eut pas plutôt vu venir à sa rencontre précédant d’assez loin ceux qui l’accompagnaient, qu’il descendit de cheval, l’embrassa, et marcha plusieurs stades en s’entretenant tête à tête avec lui. Il ne cessa depuis de lui donner des témoignages d’estime et d’amitié ; et, Cicéron ayant composé dans la suite un éloge de Caton, César, dans la réponse qu’il y fit, loua l’éloquence et la vie de Cicéron, qu’il compara à celles de Périclès et de Théramène[54]. Le discours de Cicéron est intitulé Caton, et celui de César Anti-Caton.
Quintus Ligarius ayant été mis en justice comme un de ceux qui avaient porté les armes contre César, Cicéron se chargea de sa défense. César, à ce que l’on conte, dit alors à ses amis : « Qui empêche que nous laissions parler Cicéron ? Il y a longtemps que nous ne l’avons entendu. Pour son client, c’est un méchant homme, c’est mon ennemi : il est jugé. » Mais Cicéron, dès les premiers mots de son discours, émut singulièrement César ; et, à mesure qu’il avançait dans sa cause, déployant toutes les ressources du pathétique, tout ce que l’éloquence a de séductions, on vit César changer souvent de couleur et rendre sensibles les diverses affections dont son âme était agitée. Enfin, quand l’orateur vint à toucher la bataille de Pharsale, César, hors de lui-même, tressaillit de tout son corps, et laissa tomber les papiers qu’il tenait à la main. Cicéron, vainqueur de la haine de César, emporta l’absolution de Ligarius[55].
La monarchie ayant remplacé la république, Cicéron abandonna dès lors les affaires, et donna tout son loisir aux jeunes gens qui voulaient s’appliquer à la philosophie : ils étaient tous des premières familles de Rome ; et Cicéron reconquit, par ses fréquentes relations avec eux, un très-grand crédit dans la ville. Son occupation ordinaire était de composer et de traduire des dialogues philosophiques, et de faire passer dans la langue romaine les termes de la dialectique ou de la physique : c’est lui, dit-on, qui a naturalisé le premier, ou du moins avec le plus de succès, chez les Romains, les mots grecs qui signifient imagination, assentiment, suspension de jugement, compréhension, atome, invisible, vide, et plusieurs autres semblables, en les expliquant ou par des métaphores, ou par des termes connus et usités qui s’en rapprochaient pour le sens. Il se servait pour son amusement de la facilité qu’il avait pour la poésie : lorsqu’il s’abandonnait à ce genre de composition, il faisait, dit-on, cinq cents vers dans une nuit.
Il passait la plus grande partie de son temps à Tusculum, dans ses domaines, d’où il écrivait à ses amis qu’il menait une vie de Laërte, soit qu’il voulût plaisanter, comme c’était sa coutume, soit que l’ambition lui fît désirer de rentrer dans la carrière politique, et qu’il fût mécontent de sa situation présente. Il allait rarement à Rome, et seulement pour faire sa cour à César : il était le premier à applaudir aux honneurs qu’on lui décernait, et trouvait toujours quelque chose de nouveau et de flatteur à dire sur sa personne ou sur ses actions. Tel est le mot sur les statues de Pompée qu’on avait abattues, et que César fit relever. « César, dit Cicéron, relève les statues de Pompée ; mais cette générosité affermit les siennes. » Il songeait, dit-on, à écrire l’histoire de son pays, et à y faire entrer une partie de l’histoire grecque, avec la plupart de ses récits fabuleux ; mais il fut détourné de son dessein par une multitude d’affaires publiques et particulières, par des événements fâcheux, dont les uns furent involontaires, et dont les autres lui arrivèrent, ce semble, presque tous par sa faute. D’abord il répudia sa femme Térentia, parce qu’elle s’était trop peu occupée de lui pendant la guerre, et l’avait laissé manquer, au départ, des choses les plus nécessaires pour le voyage, et aussi parce qu’à son retour en Italie, il n’avait reçu d’elle aucune marque d’affection ; car elle n’était pas venue le trouver à Brundusium, où il avait fait un long séjour ; et, lorsque sa fille Tullia, qui n’était encore qu’une jeune enfant[56], était venue l’y joindre, sa mère ne lui avait donné ni une suite convenable, pour une route si longue, ni de quoi fournir à sa dépense comme il eût fallu ; elle avait enfin laissé la maison de Cicéron dans un entier dénûment, et chargée de plusieurs dettes considérables. Tels sont les prétextes les plus honnêtes qu’il donna de son divorce. Térentia niait qu’il y eût rien de vrai dans ces reproches ; et Cicéron lui-même, il faut l’avouer, lui donna un éclatant moyen de justification, en épousant, peu de temps après, une jeune fille[57], dont la beauté l’avait séduit, à ce que disait Térentia ; mais Tiron, affranchi de Cicéron, prétend qu’il la prit à cause de ses richesses, afin de payer ses dettes. Cette fille était en effet fort riche, et Cicéron tenait ses biens en fidéicommis par testament du père, pour les lui rendre à sa majorité ; mais, comme il devait des sommes considérables, il se laissa persuader par ses parents et ses amis de l’épouser, malgré la disproportion de l’âge, et d’employer la fortune de cette femme à se libérer envers ses créanciers. Antoine, dans ses discours en réponse aux Philippiques, parle de ce mariage, et dit que Cicéron a répudié une femme auprès de laquelle il avait vieilli : c’était du même coup railler finement la vie sédentaire qu’avait menée Cicéron, et le traiter d’homme sans énergie, et qui n’avait fait aucun service militaire.
Peu de temps après son mariage, il perdit sa fille Tullia, qui mourut en couches dans la maison de Lentulus[58], qu’elle avait épousé après la mort de Pison, son premier mari[59]. Les philosophes vinrent de tous côtés chez Cicéron pour le consoler ; mais il fut si amèrement affecté de ce malheur, qu’il alla jusqu’à répudier sa nouvelle femme, parce qu’il crut qu’elle s’était réjouie de la mort de Tullia.
Voilà pour les affaires domestiques de Cicéron.
Il n’eut point de part à la conjuration contre César, quoiqu’il fût un des plus intimes amis de Brutus, et que, mécontent de l’état présent des affaires, il désirât, autant que pas un, le retour à l’ancien ordre de choses. Mais les conjurés n’osèrent pas se fier à un caractère timide comme le sien, à un homme déjà dans cet âge qui ôte l’audace et la fermeté aux âmes même les plus vigoureuses. Brutus et Cassius ayant exécuté leur complot, les amis de César se réunirent pour la vengeance ; et l’on craignit de voir Rome se replonger dans les guerres civiles. Antoine, qui était consul, assembla le Sénat, et parla, en peu de mots, sur la nécessité de la concorde ; Cicéron fit un long discours analogue aux circonstances, et persuada aux sénateurs de décréter, à l’exemple des Athéniens, une amnistie générale pour tout ce qui avait été fait sous la dictature de César, et d’accorder des gouvernements à Cassius et à Brutus.
Mais ces mesures furent sans effet. Le peuple se laissa entraîner par une compassion naturelle, à la vue du corps de César qu’on portait à travers la place publique ; et, lorsque Antoine eut déployé la robe de César tout ensanglantée, et percée des coups qu’on lui avait portés, ce spectacle remplit la multitude d’une telle fureur, qu’elle chercha les meurtriers dans la place même, et courut, des tisons enflammés à la main, pour mettre le feu à leurs maisons. Mais ils s’étaient dérobés à sa poursuite, prévoyant ce danger ; et, comme ils en craignaient de plus grands encore, ils prirent le parti de quitter Rome. Aussi Antoine leva-t-il aussitôt la tête, et tout le monde s’effraya-t-il, surtout Cicéron, à la pensée qu’il allait régner seul dans la ville. Antoine, qui voyait le crédit politique de Cicéron se fortifier de jour en jour, et qui le savait intime ami de Brutus, supportait impatiemment sa présence. Il y avait entre eux depuis longtemps déjà un commencement de défiance mutuelle, né de la différence absolue de leurs mœurs. Cicéron, qui redoutait sa mauvaise volonté, voulut d’abord aller en Syrie, comme lieutenant de Dolabella ; mais Hirtius et Pansa, deux hommes de bien et partisans de Cicéron, qui devaient succéder à Antoine dans le consulat, conjurèrent Cicéron de ne pas les abandonner, promettant, avec son aide, de détruire la puissance d’Antoine. Cicéron, sans refuser de les croire, mais sans ajouter trop de foi à leurs paroles, laissa partir Dolabella ; et, après être convenu avec Hirtius qu’il irait passer l’été à Athènes et reviendrait à Rome dès que Hirtius et Pansa auraient pris possession du consulat, il s’embarqua seul pour la Grèce. Sa navigation ayant éprouvé du retard, il recevait tous les jours des nouvelles de Rome, qui l’assuraient, comme il est ordinaire en pareil cas, qu’il s’était fait dans Antoine un changement merveilleux ; qu’il ne faisait rien qu’au gré du Sénat, et qu’il ne fallait plus que la présence de Cicéron pour donner aux affaires la situation la plus favorable. Alors Cicéron se reprocha son excessive prévoyance, et revint à Rome. Il ne fut pas trompé dès l’abord dans ses espérances : il sortit au-devant de lui une foule si considérable, qu’il lui fallut dépenser presque toute la journée à serrer la main et à embrasser, depuis les portes de la ville jusqu’à sa maison.
Le lendemain, Antoine assembla le Sénat, et y convoqua Cicéron, qui s’abstint de s’y rendre et resta au lit, sous prétexte que le voyage l’avait fatigué ; mais son vrai motif était évidemment la crainte de quelque embûche dont il avait eu vent, pendant la route, et qu’on lui avait révélée. Antoine, offensé d’un soupçon qu’il traitait de calomnieux, envoya des soldats pour l’amener de force, ou pour brûler sa maison, s’il s’obstinait à ne pas venir ; mais, sur les vives instances de plusieurs sénateurs, il révoqua son ordre, et se contenta de prendre des gages chez lui[60]. Depuis ce jour-là, ils cessèrent de se saluer quand ils passaient à côté l’un de l’autre dans les rues. Ils vivaient dans cette défiance réciproque, lorsque le jeune César arriva d’Apollonie, et se porta pour héritier de César, réclamant une somme de vingt-cinq millions de drachmes[61], qu’Antoine retenait de la succession du dictateur : c’est à ce moment que commença la rupture ouverte d’Antoine et de Cicéron. Philippe, qui avait épousé la mère du jeune César, et Marcellus, le mari de sa sœur, allèrent avec lui chez Cicéron : là, il fut convenu que Cicéron appuierait César de son éloquence et de son crédit dans le Sénat et auprès du peuple, et que le jeune César, de son côté, emploierait son argent et ses armes à protéger la vie de Cicéron ; car le jeune homme avait déjà auprès de lui un grand nombre des soldats qui avaient servi sous le dictateur.
Mais il paraît que Cicéron fut déterminé par un motif plus puissant à recevoir avec plaisir les offres d’amitié de César. Du temps que Pompée et César vivaient encore, Cicéron avait eu un songe dans lequel il lui sembla qu’on appelait au Capitole les enfants des sénateurs. Jupiter devait déclarer l’un d’entre eux souverain de Rome. Les citoyens étaient accourus en foule, et environnaient le temple. Les enfants, vêtus de la prétexte, étaient assis en silence : tout à coup les portes s’ouvrent, les enfants se lèvent, et passent, chacun à son rang, devant le dieu, qui, après les avoir considérés attentivement, les renvoie tous fort affligés ; mais, quand le jeune César s’approcha, Jupiter étendit la main, et dit : « Romains, voilà le chef qui terminera vos guerres civiles. » Ce songe grava, dit-on, si vivement dans l’esprit de Cicéron l’image du jeune homme, qu’elle y resta toujours empreinte. Il ne le connaissait pas ; mais, le lendemain, comme il descendait au Champ de Mars, à l’heure où les enfants revenaient de leurs exercices, le premier qui s’offrit à lui fut le jeune César, tel qu’il l’avait vu dans le songe. Frappé de cette rencontre, il lui demanda le nom de ses parents. Son père s’appelait Octavius, homme d’une naissance peu illustre ; sa mère, Attia, était nièce de César, lequel, n’ayant point d’enfants, l’avait institué par testament héritier de sa maison et de ses biens.
On dit que, depuis cette aventure, Cicéron ne rencontrait jamais cet enfant sans lui parler avec amitié, et lui faire des caresses que le jeune César recevait avec plaisir ; d’ailleurs le hasard avait fait qu’il était né sous le consulat de Cicéron. Voilà les explications qu’on a données ; mais ce qui rattacha Cicéron à César, ce fut d’abord sa haine contre Antoine ; ensuite son caractère, qui ne savait point résister à l’appât des honneurs : il espérait faire servir au bien de la république la puissance de ce jeune homme, qui d’ailleurs faisait de son côté tout son possible pour s’insinuer dans l’amitié de Cicéron, et l’appelait même son père. Brutus, indigné de cette faiblesse, blâma énergiquement Cicéron, dans ses lettres à Atticus : Cicéron, suivant lui, en flattant César par la peur qu’il a d’Antoine, ne laisse aucun lieu de douter que ce qu’il cherche, ce n’est point à rendre libre sa patrie, mais à se donner à lui-même un maître doux et humain. Néanmoins Brutus prit avec lui le fils de Cicéron, qui suivait à Athènes les leçons des philosophes : il le chargea d’un commandement, et lui dut plusieurs de ses succès. La puissance de Cicéron dans Rome était alors dans tout son éclat : disposant de tout en maître, il chassa Antoine, souleva tous les esprits contre lui, et envoya les deux consuls Hirtius et Pansa pour lui faire la guerre. Enfin il persuada au Sénat ; d’accorder par un décret à César des licteurs armés de faisceaux, et toutes les marques de l’autorité militaire, comme au défenseur de la patrie.
Mais, après qu’Antoine eut été défait et les deux consuls tués dans la bataille, les deux armées qu’ils commandaient s’étant réunies à César, le Sénat, qui craignit ce jeune homme, dont la fortune devenait si brillante, fit tous ses efforts pour détacher de lui les soldats, en leur décernant des honneurs et des récompenses, et pour désorganiser ses forces, sous prétexte que, depuis la défaite d’Antoine, la république n’avait plus besoin qu’on la défendît par les armes. César, alarmé de ces mesures, envoya secrètement quelques personnes à Cicéron, pour l’engager, par leurs prières, à briguer le consulat pour lui-même et pour César. Cicéron, disaient-ils, disposerait à son gré des affaires, et gouvernerait le jeune homme, qui ne désirait qu’un titre et des honneurs. César lui-même avoue que, craignant de se voir abandonné de tout le monde par le licenciement de son année, il avait mis à propos en jeu l’ambition de Cicéron, et qu’il l’avait porté à demander le consulat, en lui promettant de l’aider de son crédit et de ses sollicitations dans les comices.
Donc Cicéron, malgré son âge, se laissa éblouir et duper en cette occasion par un jeune homme : il appuya la brigue de César, et rendit le Sénat favorable à ses prétentions. Il en fut blâmé sur-le-champ par ses amis, et il ne tarda pas lui-même à reconnaître qu’il s’était perdu, et qu’il avait sacrifié la liberté du peuple. Le jeune homme, une fois en possession du pouvoir, ne s’embarrassa plus de Cicéron : il se lia avec Antoine et Lépidus ; et, tous trois ayant réuni leurs forces, ils partagèrent entre eux l’empire, comme ils eussent fait un simple héritage. Ils dressèrent une liste de plus de deux cents citoyens, dont ils avaient arrêté la mort. La proscription qui donna lieu à la plus vive dispute fut celle de Cicéron. Antoine ne voulait pas entendre parler d’accommodement, que Cicéron n’eût péri le premier. Lépidus appuyait la demande d’Antoine ; César résistait à l’un et à l’autre. Ils passèrent trois jours, près de la ville de Bologne, en conférences secrètes. Le lieu où ils se réunirent était une île située au milieu de la rivière qui séparait les deux camps. César lutta vivement, dit-on, les deux premiers jours, pour sauver Cicéron ; mais il céda le troisième jour, et l’abandonna. Ils se firent tous trois l’un à l’autre des concessions réciproques. César sacrifia Cicéron ; Lépidus, son propre frère Paulus ; et Antoine, son oncle maternel Lucius César[62] : tant la colère et la rage avaient étouffé en eux tout sentiment d’humanité ! Que dis-je ? ils prouvèrent qu’il n’est point d’animal féroce plus cruel que l’homme quand il a le pouvoir d’assouvir sa passion.
Pendant que ceci se faisait, Cicéron était à sa campagne de Tusculum, avec son frère. À la première nouvelle des proscriptions, ils résolurent de gagner Astyra, autre maison de campagne que Cicéron avait sur le bord de la mer[63]. Ils voulaient s’y embarquer, pour se rendre en Macédoine, auprès de Brutus, dont le parti, d’après les bruits qui couraient déjà, s’était considérablement fortifié. Ils se mirent chacun dans une litière, accablés de tristesse et n’ayant plus d’espoir. Ils s’arrêtèrent en chemin, firent approcher les litières, et ils déploraient mutuellement leur infortune. Quintus était le plus abattu ; il s’affligeait surtout du dénûment où il allait se trouver. « Je n’ai rien emporté avec moi, » disait-il. Cicéron n’avait non plus que peu de provisions pour le voyage. Ils jugèrent qu’il était plus sage que Cicéron continuât sa route, et se hâtât de fuir, et que Quintus courût à sa maison chercher tout ce qui leur était nécessaire. Cette résolution prise, ils s’embrassèrent tendrement, et se séparèrent en fondant en larmes. Peu de jours après, Quintus, trahi par ses domestiques, et livré à ceux qui le cherchaient, fut mis à mort avec son fils[64]. Cicéron, en arrivant à Astyra, trouva un vaisseau prêt, sur lequel il s’embarqua, et cingla, par un bon vent, jusqu’à Circéum. Les pilotes voulaient remettre aussitôt à la voile, et pousser plus loin ; mais Cicéron, soit qu’il craignît la mer, soit qu’il conservât encore quelque espoir dans la fidélité de César, descendit à terre, et fit à pied l’espace de cent stades[65], comme s’il eût voulu retourner à Rome.
Puis, retombant en proie à ses inquiétudes, il changea de sentiment, et reprit le chemin de la mer. Il se rendit à Astyra, où il passa la nuit, livré à des pensées affreuses, et ne sachant à quoi se résoudre : il songea même un moment à aller secrètement dans la maison de César, et à s’y égorger lui-même sur le foyer, afin d’attacher à sa personne une furie vengeresse. La crainte d’être appliqué à la torture, s’il était pris, le détourna de cette résolution. Toujours flottant entre des partis également dangereux, il s’abandonna à ses domestiques, pour le conduire par mer à Caiète, où il avait un domaine : c’était une retraite agréable dans la saison de l’été, lorsque les vents étésiens rafraîchissent l’air par la douceur de leur haleine. Il y a, dans ce lieu, un temple d’Apollon, situé près de la mer. Tout à coup il se leva, du haut du temple, une troupe de corbeaux, qui dirigèrent leur vol, avec de grands cris, vers le vaisseau de Cicéron, qui faisait force de rames pour aborder, et allèrent se poser aux deux côtés de l’antenne. Les uns croassaient, les autres frappaient à coup de bec les extrémités des cordages. Tout le monde regarda ce signe comme un présage de malheur. Cicéron, débarqué, entre dans sa maison, et se couche pour prendre du repos ; mais la plupart de ces corbeaux vinrent se poser sur la fenêtre de sa chambre, en jetant des cris effrayants. Il y en eut un qui s’abattit sur le lit, et tira insensiblement avec son bec le pan de la robe dont Cicéron s’était couvert le visage. À cette vue, ses domestiques se reprochèrent leur lâcheté. « Attendrons-nous, disaient-ils, d’être témoins ici du meurtre de notre maître ? et, lorsque des animaux même accourent à son aide, et s’inquiètent du sort indigne qui le menace, ne ferons-nous rien pour sa conservation ? » Ils le mirent dans une litière, autant par prières que par force, et prirent le chemin de la mer.
Sur ces entrefaites, les meurtriers arrivèrent : c’étaient un centurion nommé Hérennius, et Popilius, tribun des soldats. Ce dernier avait été autrefois défendu par Cicéron dans une accusation de parricide. Ils étaient suivis de quelques satellites. Ayant trouvé les portes fermées, ils les enfoncèrent. Cicéron ne paraissait pas ; et les gens de la maison assuraient ne l’avoir point vu. Mais un jeune homme, nommé Philologus, affranchi de Quintus, frère de Cicéron, et que Cicéron lui-même avait instruit dans les lettres et dans les sciences, apprit, dit-on, au tribun qu’on portait la litière vers la mer, par les allées couvertes. Le tribun prend avec lui quelques soldats, et s’élance, par un détour, vers l’issue des allées. Cicéron, ayant entendu la troupe que menait Hérennius courir précipitamment par le fourré, dit à ses serviteurs de poser à terre la litière ; et, portant la main gauche à son menton, geste qui lui était ordinaire, il fixa sur les meurtriers un regard intrépide. Ses cheveux hérissés et poudreux, son visage pale et défait par une suite de ses chagrins, firent sur les soldats mêmes une telle impression, que la plupart se couvrirent le visage pendant qu’Hérennius l’égorgeait. Il avait mis la tête hors de la litière, et présentait le cou au meurtrier. Il périt âgé de soixante-quatre ans. Hérennius, d’après l’ordre qu’avait donné Antoine, lui coupa la tête, et la main avec laquelle il avait écrit les Philippiques. Car Cicéron avait intitulé Philippiques ses discours contre Antoine ; et c’est le titre que ces discours portent encore aujourd’hui.
Lorsque cette tête et cette main furent apportées à Rome, Antoine tenait les comices pour l’élection des magistrats. « Voilà les proscriptions finies, » dit-il, au récit du meurtre, et à l’aspect de ces sanglantes dépouilles. Il les fit attacher au-dessus des Rostres : spectacle affreux pour les Romains, qui croyaient avoir devant les yeux, non le visage de Cicéron, mais l’image même de l’âme d’Antoine[66]. Cependant, au milieu de tant de cruautés, Antoine fit un acte de justice, en livrant Philologus à Pomponia, femme de Quintus. Pomponia, maîtresse du corps de ce traître, outre plusieurs supplices terribles qu’elle lui fit subir, le força de se couper lui-même peu à peu les chairs, de les faire rôtir et de les manger ensuite. C’est du moins le récit de quelques historiens ; mais Tiron[67], l’affranchi de Cicéron, ne fait absolument aucune mention de la trahison de Philologus[68].
J’ai entendu dire que César, de longues années après, étant un jour entré chez un de ses petits-fils, celui-ci, qui tenait dans ses mains un ouvrage de Cicéron, surpris à l’improviste, cacha le livre sous sa robe. César, qui s’en aperçut, prit le livre, en lut debout une grande partie, et, le rendant au jeune homme : « C’était un savant homme, mon enfant, dit-il ; oui, un savant homme, et qui aimait bien sa patrie. » Du reste, peu de temps après la mort de Cicéron, César défit entièrement Antoine, et prit pour collègue au consulat le fils de Cicéron. Le Sénat, sous leur magistrature, fit abattre les statues d’Antoine, révoqua les honneurs dont il avait joui, et défendit, par un décret public, que personne de la famille des Antonius portât le prénom de Marcus[69]. C’est ainsi que la vengeance divine réserva à la famille de Cicéron le dernier châtiment d’Antoine.
- ↑ Celui auprès duquel se réfugia Coriolan.
- ↑ Républ., v, 19 ; vi, 2.
- ↑ Sur l’aventure de ce pêcheur béotien, qui, s’étant jeté dans la mer après avoir mangé d’une certaine herbe, était devenu un dieu marin.
- ↑ Clitomachus, puis Philon, furent les successeurs de Carnéade dans la direction de la troisième Académie.
- ↑ Q. Mucius Scévola l’augure.
- ↑ Environ dix-huit cents francs de notre monnaie.
- ↑ Près de quinze cent mille francs.
- ↑ Ville de Mysie.
- ↑ Ici Plutarque se trompe ; d’un seul nom il en fait deux : ce rhéteur se nommait Apollonius Molon.
- ↑ Environ sept cent mille francs de notre monnaie.
- ↑ C’était dans cette ville qu’il était né.
- ↑ Environ cent trente mille francs de notre monnaie
- ↑ Environ cent mille francs.
- ↑ Cette maison qu’il quittait était à l’extrémité orientale de la voie Sacrée, par conséquent loin du Forum, tandis que le Palatin bornait le côté oriental du Forum, avec lequel ce quartier communiquait par plusieurs chemins.
- ↑ Il paraît que, chez les Romains, la grosseur et l’enflure du cou étaient regardées comme des signes d’impudence.
- ↑ Il ne reste plus qu’une phrase du pro Manilio.
- ↑ Salluste fait la même observation.
- ↑ Allusion à un usage du théâtre antique. Le protagoniste, ou acteur de premier rang, avait quelquefois à ses gages les acteurs subalternes.
- ↑ Voyez les trois discours sur la loi agraire de Rullus.
- ↑ Cicéron, dans le pro Murena, le nomme Lucius Othon, et non point Marcus.
- ↑ Les quatorze premiers gradins du théâtre : les sénateurs étaient dans l’orchestre.
- ↑ Ce conte est par trop puéril ; d’ailleurs le nom de Sura est beaucoup plus ancien que Plutarque ne le suppose, puisqu’on trouve, dès l’an 555 de Rome, deux siècles avant notre ère, un P. Sura, lieutenant de T. Otacilius. Le nom même de Sylla en est, suivant quelques grammairiens, un diminutif : Sura, Surulla, Sulla ou Sylla. Voyez Egger, Latini serm. vetust. reliquiœ, p. 111.
- ↑ C’était la fête des esclaves : on la célébrait tous les ans le seizième jour avant les kalendes de janvier. Du temps de Cicéron, elle ne durait qu’un jour ; César en porta la durée à trois jours, et Auguste à sept.
- ↑ Voyez la Vie de César dans le troisième volume.
- ↑ Tout le monde connaît ces vers de Juvénal, Sat. viii, 243 :
. . . . . Roma parentem,
Roma patrem patriae Cireronem libera dixit.
Toute l’Italie suivit l’exemple de Rome, et Capoue éleva une statue dorée à Cicéron. - ↑ Dans les Académiques, II, 68.
- ↑ Dans le Brutus, chap. xxi.
- ↑ Voyez Tuscul., v, 9 ; Orator, 19 ; ad Attic, ii, 10.
- ↑ Pline le jeune, Epist., i, 20, applique ce mot de Cicéron aux discours de Cicéron lui-même : M. Tullium, cujus oratio optima fertur esse, quæ maxima.
- ↑ Cette lettre dont parle Plutarque n’existe plus.
- ↑ Un des Grecs que Cicéron avait chargé de lui rendre compte des progrès de son fils, qui étudiait à Athènes.
- ↑ Ces lettres, ainsi que les autres que Cicéron avait écrites en grec, n’existent plus.
- ↑ T. Munatius Plancus Bursa, ennemi de Milon et de Cicéron. Celui-ci l’avait d’abord défendu ; plus tard il le fit condamner.
- ↑ C’est-à-dire, suivant qu’on prend ἄξιος pour un adjectif ou pour un nom propre, digne de Crassus, ou Axius fils de Crassus. Ce jeu de mots était absolument intraduisible ; et je ne pouvais pas mettre le commentaire ailleurs que dans une note.
- ↑ Allusion à la coutume des peuples que les Grecs et les Romains appelaient Barbares, de se percer les deux oreilles.
- ↑ Nous avons encore le discours de Cicéron pour P. Sextius, ou Sestius.
- ↑ Plutarque appelle ailleurs Diodotus le précepteur de Métellus ; mais Philagre était probablement le surnom de ce personnage.
- ↑ Voyez la Vie de Caton le Jeune.
- ↑ Ce mot n’est pas clair, tant s’en faut : c’est peut-être une allusion à ce voyage si rapide que Métellus avait fait en Syrie ; mais encore je ne vois pas ce que le précepteur viendrait faire ici.
- ↑ J’ignore de qui est le vers cité par Cicéron, et que Dacier et Ricard attribuent à tort à Sophocle.
- ↑ Les mystères de la bonne Déesse. Voyez le récit du fait en question dans la Vie de César.
- ↑ Ce n’est pas César qui accusa Clodius, mais bien Q. Fufius Calénus, tribun du peuple. Il y a ici probablement quelque altération dans le texte, qui ne s’accorde ni avec ce que Plutarque a dit dans la Vie de César, ni même avec ce qu’il va dire un peu plus bas.
- ↑ D’autres lisent Tertia, et cette correction est fondée en raison ; mais Plutarque a bien pu se tromper lui-même, et non pas seulement un de ses copistes, vu la ressemblance des deux noms.
- ↑ Cicéron dit qu’il lui était permis de demeurer au delà de quatre cent huit milles, ad Attic, iii, 4 ; et, dans un autre passage, il craint qu’Athènes ne paraisse pas encore assez éloignée de l’Italie, ad Attic., iii, 7.
- ↑ Plutarque parle du jour où le rappel de Cicéron fut ordonné ; car Cicéron ne revint à Rome que dix-sept mois après en être sorti.
- ↑ Voyez la Vie de Caton dans le troisième volume.
- ↑ L’admirable discours pour Milon qui se trouve dans les œuvres de l’orateur fut composé à loisir par Cicéron après l’échec : c’est ce qu’il aurait voulu dire, mais nullement ce qu’il avait dit.
- ↑ Sorte de punition très-ancienne, et qu’on trouve pratiquée chez les Ammonites dès le temps de David.
- ↑ Voyez Epist. fam., ii, 11.
- ↑ Ad Attic, viii, 7.
- ↑ Célèbre jurisconsulte pour lequel Cicéron écrivit ses Topiques, et qu’Horace a mis en scène dans une de ses satires, ii, I.
- ↑ Celui qui écrivit l’histoire de Pompée.
- ↑ Celui qui avait été lieutenant de César dans les Gaules, et qui l’avait abandonné dans la guerre civile.
- ↑ Il y avait peut-être quelque malice dans cette comparaison. Théramène avait été, dit-on, surnommé Cothurne, parce qu’il changeait souvent de parti, comme un cothurne chausse indifféremment le pied droit et le pied gauche. Du reste, Théramène est un des hommes d’État que Cicéron admirait le plus.
- ↑ Nous avons le discours de Cicéron.
- ↑ Tullia n’était pas si jeune que semble le faire entendre Plutarque.
- ↑ Publilia.
- ↑ Cornélius Lentulus Dolabella.
- ↑ Plutarque oublie un autre mari encore, Crassipès.
- ↑ Nous avons déjà vu cette expression et nous l’avons expliquée. Voyez la Vie de Caton le jeune dans le troisième volume.
- ↑ Environ vingt-trois millions de francs.
- ↑ Paulus et Lucius César ne périrent point : le premier, sauvé par ses centurions, alla joindre Brutus, et, après le désastre de Philippes, se retira à Milet ; l’autre fut sauvé par sa sœur, mère d’Antoine.
- ↑ Cette habitation était située entre Antium et Circéum.
- ↑ Il y eut entre le père et le fils une lutte généreuse à qui mourrait le premier. Les bourreaux, pour les accorder, les prirent chacun à part, et les égorgèrent en même temps.
- ↑ Environ cinq lieues.
- ↑ Vix attollentes lacrimis oculos homines intueri trucidata membra ejus poterant. Tite Live. Cornélius Sévérus exprima, en vers admirables que nous possédons encore, les sentiments dont tout le monde était pénétré.
- ↑ Tiron avait écrit la Vie de Cicéron ; le commentateur Asconius cite cet ouvrage. Personne mieux que lui n’était à même de rapporter les faits dans toute leur vérité.
- ↑ Suivant Appien, Cicéron avait été trahi par un cordonnier, ancien client du tribun Clodius ; et c’est cet homme qui avait appris aux meurtriers la route que venait de prendre Cicéron.
- ↑ Le nom même d’Antoine fut effacé sur les monuments publics et sur les fastes triomphaux, espèce de vengeance dont on n’avait guère eu d’exemple encore, et qui se renouvela plusieurs fois dans la suite, à la mort des empereurs qui avaient abusé de la toute-puissance.