Vies des hommes illustres/Lycurgue

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Traduction par Alexis Pierron.
Charpentier (1p. 91-137).


LYCURGUE.


(Florissait au commencement du neuvième siècle ayant notre ère.)

On ne peut rien dire absolument, de Lycurgue le législateur, qui ne soit sujet à controverse. Son origine, ses voyages, sa mort, enfin les lois mêmes et le gouvernement qu’il a institués, ont donné lieu à des récits fort divers ; mais le point sur lequel y a le plus complet désaccord, c’est le temps où il a vécu. Les uns le font contemporain d’Iphitus, et prétendent qu’il régla avec lui l’armistice qui s’observe pendant les jeux Olympiques. De ce nombre est Aristote le philosophe, lequel allègue, pour preuve de son sentiment, le disque dont on se sert à Olympie, qui porte encore gravé le nom de Lycurgue. Mais ceux qui comptent les temps par la succession des hommes qui ont régné à Sparte, ainsi Ératosthène[1], Apollodore[2], le font antérieur d’un grand nombre d’années à la première olympiade. Timée[3] conjecture qu’il y a eu deux Lycurgue à Sparte, à deux époques différentes, et que ce sont les actions de l’un et de l’autre qu’on attribue à celui des deux qui a eu le plus de réputation : le plus ancien aurait été, peu s’en faut, le contemporain d’Homère. Il y en a même qui veulent qu’Homère et lui se soient rencontrés. Xénophon autorise la croyance à la haute antiquité de Lycurgue, quand il le fait vivre du temps des Héraclides. À la vérité, les derniers rois de Sparte eux-mêmes étaient des Héraclides ; mais Xénophon a voulu sans nul doute parler des plus immédiats descendants d’Hercule. Cependant, malgré ces incertitudes où flotte l’histoire, nous tâcherons de ne nous attacher, dans notre récit, qu’aux faits les moins contestés de la vie de Lycurgue, et qui se recommandent par les plus graves autorités.

Le poëte Simonide dit que Lycurgue était fils de Prytanis, et non pas d’Eunomus ; mais la plupart des écrivains donnent une autre généalogie de Lycurgue et d’Eunomus. Soüs aurait eu pour père Patroclès, fils d’Aristodème ; de Soüs naquit Eurytion, d’Eurytion Prytanis, de Prytanis Eunomus, qui eut, de sa première femme, Polydectès, et Lycurgue de la seconde, nommée Dianasse. Suivant le rapport de l’historien Euthychidas[4], Lycurgue était le sixième descendant de Patroclès, et le onzième après Hercule.

Soüs fut le plus renommé de ses ancêtres. C’est du temps de Soüs que les Spartiates réduisirent les Hilotes[5] en servitude, et qu’ils accrurent leur territoire d’une grande partie de celui des Arcadiens. On raconte que Soüs, assiégé par les Clitoriens dans un poste difficile et qui manquait d’eau, consentit à leur abandonner les terres conquises par les Spartiates, à condition qu’ils le laisseraient boire, lui et tous les siens, dans la fontaine voisine. Après les serments réciproques, Soüs assembla ses soldats, et déclara qu’il cédait la royauté à celui qui s’abstiendrait de boire ; mais aucun n’en eut le courage. Après qu’ils eurent tous bu, il descendit le dernier de tous à la fontaine, et il se rafraîchit simplement le visage, prenant à témoin les ennemis, qui étaient encore là : aussi retint-il les terres, sous prétexte que toute l’armée n’avait pas bu. Cependant, malgré l’admiration dont cette force d’âme était l’objet, on ne donna pas son nom à ses descendants, mais celui de son fils : on les appelle les Eurytionides. La raison, je pense, c’est qu’Eurytion fut le premier qui relâcha, pour flatter la multitude et gagner ses bonnes grâces, l’autorité absolue des rois de Sparte.

L’indulgence d’Eurytion rendit le peuple exigeant ; et les rois qui vinrent depuis s’attiraient sa haine, dès qu’ils essayaient de le réprimer par la force, ou son mépris, s’ils lui cédaient par complaisance et par faiblesse. Aussi, pendant longtemps, Sparte fut-elle en proie à une anarchie et à un désordre dont un roi même, le père de Lycurgue, fut victime : en voulant séparer des gens qui se battaient, il reçut un coup de couteau de cuisine, dont il périt, laissant le royaume à Polydectès, son fils aîné. Peu de temps après, Polydectès lui-même mourut. C’était donc Lycurgue que tout le monde s’attendait à voir régner ; et, en effet, il fut roi tant qu’on ignora la grossesse de la femme de son frère ; mais, aussitôt qu’elle fut connue, il déclara que la royauté appartiendrait à l’enfant, si c’était un mâle ; et, dès ce moment, il n’administra plus les affaires qu’en qualité de tuteur. Les Lacédémoniens donnent le nom de prodiques[6] aux tuteurs des rois orphelins. Cependant la veuve envoya sous main lui faire entendre, s’il voulait l’épouser quand il serait roi de Sparte, qu’elle ferait périr son fruit. Lycurgue eut horreur de sa scélératesse ; mais il ne rejeta pas sa proposition ; il eut même l’air de l’approuver et d’y consentir : seulement il répondit qu’il n’était pas besoin d’avortement, et que les breuvages pourraient altérer sa santé, et la mettre en danger de la vie ; que lui-même, dès que l’enfant serait né, il trouverait bien les moyens de s’en défaire. Il entretint cette femme de la sorte, jusqu’au terme de sa grossesse ; et il ne la sut pas plutôt en travail, qu’il envoya des gens sûrs, pour assister à ses couches et la surveiller. Si elle accouchait d’une fille, ils avaient ordre de la remettre entre les mains des femmes ; si c’était un mâle, de le lui apporter, quelle que fût l’affaire qui l’occupât à cet instant. Ce fut un fils qu’elle mit au monde ; Lycurgue était à souper avec les magistrats, quand ceux qu’il avait chargés de cet office vinrent lui apporter l’enfant. Il le prit entre ses bras, et il dit aux assistants : « Spartiates, un roi nous est né. » Il assit l’enfant à la place royale, et il le nomma Charilaüs[7], à cause de l’extrême joie de tous les assistants, qu’avaient saisis d’admiration la grandeur d’âme de Lycurgue et sa justice.

Lycurgue n’avait régné en tout que huit mois ; mais il conserva toujours l’estime de ses concitoyens, et on l’écoutait, on exécutait ses ordres, bien plus encore par respect pour sa vertu, que parce qu’il était tuteur du roi et exerçait l’autorité souveraine. Pourtant il eut des envieux : on fit tout pour arrêter dans son essor la fortune de ce jeune homme, surtout les parents et les amis de la mère du roi, laquelle, suivant eux, avait été jouée. Léonidas, frère de la reine, insulta un jour Lycurgue sans nulle retenue, et lui dit : « Je sais très-bien que tu régneras. » Il voulait, par cette calomnie, le rendre suspect, et prévenir les esprits contre Lycurgue, comptant, s’il arrivait malheur au roi, qu’on l’accuserait d’avoir préparé l’événement. La mère, de son côté, faisait courir les mêmes bruits. Le chagrin qu’il en eut, et la peur de ce que cachait l’avenir, le déterminèrent à s’éloigner, pour se mettre à l’abri des soupçons, et à voyager par le monde, jusqu’à ce que le fils de son frère fût parvenu à l’âge d’homme et eût engendré un héritier.

Il partit donc, et il alla d’abord en Crète. Il observa avec soin les institutions du pays, et il conversa avec les personnages les plus en renom. Il approuva fort quelques unes de leurs lois, et il les recueillit pour en faire usage quand il serait de retour à Sparte ; mais il y en eut qu’il n’estima guère. Au reste, il persuada, par ses prières et par ses témoignages d’amitié, à l’un des hommes dont on estimait le plus la sagesse et les lumières politiques, de quitter la Crète, et d’aller s’établir à Sparte. Il se nommait Thalès : on le croyait simplement poëte lyrique[8] ; mais, sous le couvert de la poésie, il remplissait, au fond, la charge d’un excellent législateur. Ses odes étaient autant d’exhortations à l’obéissance et à la concorde, soutenues du nombre et de l’harmonie, pleines à la fois de gravité et de charmes, et qui adoucissaient insensiblement les esprits des auditeurs, leur inspiraient l’amour du bien, et faisaient cesser les haines qui les divisaient. Il prépara donc, en quelque sorte, les voies à Lycurgue, pour l’instruction des Lacédémoniens.

De Crète, Lycurgue fit voile pour l’Asie. Il voulait, dit-on, comparer les habitudes simples et austères des Crétois avec la vie voluptueuse et délicate des Ioniens, comme un médecin compare à des corps bien portants des corps languissants et malades, et apprécier la différence des mœurs et des gouvernements. Ce fut là vraisemblablement qu’il connut, pour la première fois, les poëmes d’Homère, qui étaient conservés par les descendants de Créophyle[9]. Il reconnut que la morale et la politique, dont les enseignements y sont répandus, en faisaient le mérite, non moins que d’agréables fictions et des contes : aussi s’empressa-t-il de les copier, et de les réunir en corps d’ouvrage, pour les porter en Grèce. On y avait déjà quelque obscure notion de ces épopées, et quelques personnes en possédaient des fragments, qui se répandaient de côté et d’autre ; mais Lycurgue fut le premier qui les fît connaître à tout le monde.

Les Égyptiens croient que Lycurgue a aussi voyagé chez eux, et qu’ayant surtout admiré, entre leurs institutions, celle qui sépare les gens de guerre de toutes les autres classes, il la transporta à Sparte, où il fit une classe à part des manœuvres et des artisans, et où il établit ainsi une forme de gouvernement vraiment distinguée et vraiment pure. Il y a, sur ce point, adhésion de quelques historiens grecs au récit de ceux d’Égypte ; mais, que Lycurgue soit allé dans la Libye et dans l’Ibérie, et qu’il ait pénétré jusque dans l’Inde, pour y converser avec les gymnosophistes, je ne sache pas d’autre écrivain qui l’ait dit qu’Aristocrates de Sparte[10], fils d’Hipparque.

Cependant les Lacédémoniens regrettaient Lycurgue absent. Plus d’une fois ils envoyèrent le prier de revenir, alléguant que les rois qu’ils avaient ne différaient du simple peuple que par leurs titres et par les honneurs ; au lieu qu’ils reconnaissaient, dans Lycurgue, le don naturel du commandement, et l’autorité qui entraîne à son gré les hommes. Les rois eux-mêmes[11] désiraient son retour, espérant que sa présence servirait de frein à la licence et à l’indocilité de la multitude. Il trouva, quand il revint, les esprits si bien disposés, qu’à l’instant même il entreprit de détruire les abus, et de changer la forme du gouvernement, persuadé que des lois partielles n’auraient aucune utilité, et qu’il fallait, comme dans un corps mal constitué et tout plein de maladies, détruire, par des remèdes et des purgatifs, les humeurs vicieuses, et changer le tempérament, avant de prescrire un régime tout nouveau.

Ce projet arrêté, il alla d’abord à Delphes, pour consulter le dieu, offrit un sacrifice, et revint avec cet oracle fameux, où la Pythie l’appelait l’ami des dieux, et un dieu plutôt qu’un homme. Elle avait ajouté qu’Apollon lui accordait sa demande ; qu’il lui serait donné de faire de bonnes lois, et qui l’emporteraient infiniment sur les institutions des autres peuples. Encouragé par ces promesses, Lycurgue s’ouvrit de son dessein aux premiers de la ville, et il les pressa de le seconder. Il s’était d’abord adressé secrètement à ses amis ; puis, il avait fini peu à peu par gagner un grand nombre d’autres citoyens, et par les rallier à son dessein.

Quand le moment favorable fut arrivé, il ordonna à trente des plus considérables de se rendre en armes sur la place publique, afin d’imposer par la crainte à ses adversaires, dont Hermippus énumère les vingt plus fameux. Entre les amis de Lycurgue, un surtout prit grande part à l’entreprise, et contribua à l’établissement des lois : il se nommait Arthmiadas. Au commencement de l’émeute, Charilaüs, craignant qu’on en voulût à sa personne, s’enfuit dans le temple Chalciœcos[12] ; ensuite, instruit des vrais desseins de Lycurgue, et rassuré, d’ailleurs, par les serments qu’on lui fit, il sortit du temple, et il donna son approbation à tout ce qui se faisait, car il était d’un naturel pacifique. C’est cette douceur de caractère qui fît dire un jour à Archélaüs, son collègue dans la royauté, devant qui on louait la bonté de ce jeune homme : « Comment Charilaüs ne serait-il pas bon, lui qui n’est pas rude aux méchants mêmes ? »

De tous les nouveaux établissements de Lycurgue, le premier et le plus important fut celui du sénat. Le sénat, comme dit Platon[13], vint se mêler à la puissance royale, pour en tempérer la fougue, et, armé d’un pouvoir égal à celui des rois, fournir à l’État, dans les grandes occasions, un moyen de salut, et les leçons de la sagesse. Le gouvernement avait flotté, jusqu’alors, dans une agitation continuelle, poussé tantôt, par les rois, vers la tyrannie, et tantôt, par le peuple, vers la démocratie. Le sénat, entre ces deux forces opposées, fut comme un contre-poids qui les tint en équilibre, et qui assura pour longtemps l’ordre et la stabilité des choses. Les vingt-huit sénateurs se rangeaient toujours du côté des rois, quand il fallait arrêter les progrès de la démocratie, comme aussi ils fortifiaient le parti du peuple, pour réprimer la tyrannie au besoin. Lycurgue fixa, suivant Aristote, le nombre des sénateurs à vingt-huit, parce que, des trente citoyens qu’il s’était d’abord associés, il y en eut deux qui perdirent courage, et qui abandonnèrent l’entreprise ; mais Sphérus[14] assure que, dès le commencement, Lycurgue n’avait pris que vingt-huit conseillers. Peut-être, en cela, eut-il égard à la propriété de ce nombre, formé par la multiplication de sept par quatre, et qui est, après six, le premier nombre parfait, parce qu’il est égal à ses parties[15]. Pour moi, je croirais qu’il désigna vingt-huit sénateurs, afin qu’en ajoutant les deux rois, le conseil fût composé de trente personnes en tout.

Cette institution avait, aux yeux de Lycurgue, une telle importance, qu’il alla chercher à Delphes, uniquement pour ce corps, un oracle appelé rhètre[16], lequel était conçu en ces termes : « Quand tu auras bâti un temple à Jupiter hellanien et à Minerve hellanienne ; que tu auras divisé le peuple par tribus et par portions de tribus, et établi un sénat de trente membres, en y comprenant les deux rois, tu tiendras le conseil, suivant le besoin des circonstances, entre le Babyce et le Cnacion : là, les sénateurs proposeront les lois, et le peuple aura le droit de les rejeter[17]. » Le Babyce et le Cnacion se nomment maintenant Œnonte ; mais, selon Aristote, le Cnacion est un fleuve, et le Babyce un pont. C’est dans cet espace que les Lacédémoniens tenaient leurs assemblées ; et il n’y avait là ni portique, ni aucun autre bâtiment. Lycurgue était persuadé que ces ornements ne servent pas à faire trouver de bons conseils ; qu’ils y nuisent plutôt, en suggérant des pensées inutiles, des sentiments d’orgueil et de vanité, à ceux qui, réunis pour délibérer sur les affaires publiques, s’amusent à considérer des statues, des tableaux, des décorations de théâtres, ou les plafonds artistement ouvragés d’une salle d’assemblée.

Personne que les sénateurs et les rois n’avait le droit, dans l’assemblée du peuple, de mettre en avant les sujets de délibération : eux seuls les proposaient ; et le peuple était maître de décider. Dans la suite, comme le peuple altérait, dénaturait, par des retranchements, des additions, les décrets du sénat, les rois Polydore et Théopompe ajoutèrent à l’oracle ce qui suit : « Si le peuple essaye de prévariquer, que les sénateurs et les rois se retirent. » C’est-à-dire : qu’ils ne confirment pas les décisions ; qu’ils renvoient l’assemblée, et qu’ils annulent les arrêts du peuple, comme entachés d’illégalité et de fraude. Après quoi ils persuadèrent aux citoyens que tel était l’ordre du dieu. C’est à cela que fait allusion Tyrtée[18] dans ces vers :

Ils ont entendu, à Pytho, de la bouche d’Apollon, et rapporté chez eux
Les oracles du dieu, et ces paroles infaillibles :
Le conseil aura pour chefs les rois sacrés,

Qui veillent sur la douce ville de Sparte ;
Puis viendront les vieillards ; et puis les hommes du peuple
Confirmeront les équitables décrets.


C’est ainsi que Lycurgue avait tempéré le gouvernement. Mais, dans la suite, on reconnut que les sénateurs formaient une oligarchie absolue, dont le pouvoir démesuré menaçait la liberté publique. On lui donna pour frein, comme dit Platon, l’autorité des éphores, cent trente ans environ après Lycurgue. Élatus fut le premier éphore nommé. C’était sous le roi Théopompe. Le roi s’entendit reprocher, par sa femme, qu’il laisserait à ses enfants la royauté moindre qu’il ne l’avait reçue : « Au contraire, répondit-il, je la leur laisserai d’autant plus grande, qu’elle sera plus durable. » En effet, en lui ôtant ce qu’elle avait de trop, il la mit à l’abri de l’envie et des dangers. Aussi les rois de Sparte n’eurent-ils point à subir les outrages que Messène et Argos firent endurer à leurs rois, trop entêtés du pouvoir, et qui n’en voulurent rien relâcher pour se rendre populaires. Rien ne fait mieux éclater la sagesse et la prévoyance de Lycurgue, que la considération des troubles et des maux politiques qui accablèrent ceux de Messène et d’Argos, peuples et rois. C’étaient les parents et les voisins des Spartiates. Ils avaient eu les mêmes avantages qu’eux, à l’origine, et même un meilleur lot dans le partage des terres. Cependant ils ne furent pas longtemps heureux : l’abus de l’autorité chez les rois, joint à l’insubordination de la multitude, bouleversèrent les institutions, et montrèrent par quelle insigne faveur des dieux les Spartiates avaient vu leur gouvernement ainsi ordonné, et tempéré avec tant de sagesse. Mais cela ne parut que dans la suite.

Le second des établissements de Lycurgue, et le plus audacieux, ce fut le partage des terres. L’inégalité des fortunes était prodigieuse : les uns ne possédaient rien, manquaient de toute ressource, et c’était le plus grand nombre des citoyens, tandis que toute la richesse affluait aux mains de quelques-autres. Dans le dessein de bannir l’insolence, l’envie, l’avarice, le luxe, et deux maladies plus anciennes encore, et plus funestes à un État, la richesse et la pauvreté, Lycurgue persuada aux Spartiates de mettre en commun toutes les terres, de faire un nouveau partage, et de réduire toutes les fortunes au même taux et à un parfait équilibre. La vertu toute seule devait faire toutes les distinctions, n’y ayant, entre les hommes, d’autre différence et d’autre inégalité que celles qui procèdent du mépris de ce qui est honteux et de l’amour du bien. Le projet fut bientôt mis à fin. Lycurgue divisa les terres de Laconie en trente mille parts, pour les habitants des campagnes, et il fit neuf mille parts de celles du territoire de Sparte ; car c’était là le nombre des Spartiates appelés au partage. Quelques-uns disent que Lycurgue n’avait fait que six mille parts de ces dernières, et que trois mille furent ajoutées dans la suite par le roi Polydore. D’autres prétendent que, des neuf mille parts, Polydore fit une moitié ; Lycurgue aurait fait l’autre. Chaque part pouvait produire, par an, soixante-dix médimnes[19] d’orge pour un homme, et douze pour une femme, avec les fruits liquides en proportion. Cette quantité parut suffisante pour les entretenir dans un état de bien-être et de santé, et pour fournir à tous leurs besoins. Quelques années plus tard, Lycurgue, revenant d’un voyage, traversait la Laconie : c’était quelques jours après la moisson. En voyant les tas de gerbes bien alignés et parfaitement égaux, il sourit, et il dit à ceux qui l’accompagnaient : « La Laconie a l’aspect d’un héritage que plusieurs frères viennent de partager. »

Il entreprit aussi, afin de détruire complètement l’inégalité sous toutes ses formes, de faire le partage des biens mobiliers. Comme il vit qu’on ne s’en laisserait pas dépouiller ouvertement sans répugnance, il prit une autre voie, et ce fut indirectement qu’il porta l’attaque contre le luxe. Il commença par supprimer toute monnaie d’or et d’argent, ne permit que la monnaie de fer, et donna à des pièces d’un grand poids une valeur si modique, que, pour loger une somme de dix mines[20], il fallait une chambre entière, et un chariot attelé de deux bœufs pour la traîner. La circulation d’une telle monnaie eut bientôt banni de Lacédémone plus d’une sorte de méfaits. Qui eût voulu recevoir, pour prix d’un crime ; qui eût volé, ou ravi de force, ce qu’il était impossible de cacher, dont la possession ne pouvait exciter l’envie, et qui, mis en pièces, n’était plus bon à rien ? Car, lorsque le fer avait été rougi au feu, Lycurgue, dit-on, le faisait tremper dans le vinaigre, afin de lui ôter sa force : ce n’était plus dès lors qu’une chose inutile à tout autre usage, énervée, sans ductilité, et qui se brisait sous le marteau.

Ensuite il bannit de Sparte tous les arts frivoles et superflus ; et, quand même il ne les aurait pas chassés, la plupart auraient disparu avec l’ancienne monnaie, les artisans ne trouvant plus de débit de leurs ouvrages ; car celle de fer n’avait pas cours chez les autres peuples de la Grèce, qui s’en moquaient, et qui n’en voulaient pour aucun prix. Ainsi, les Spartiates ne pouvaient acheter aucune marchandise exotique, même de mince valeur ; et il n’abordait même pas de vaisseau marchand dans leurs ports. Aucun sophiste ne mettait le pied dans la Laconie, aucun diseur de bonne aventure, aucun fournisseur de prostituées, aucun bijoutier en or ou en argent : il n’y avait pas de gain à faire. Par là le luxe, dépouillé de ce qui l’enflamme et lui sert d’aliment, se flétrissait de luimême. Ceux qui possédaient le plus de biens n’eurent aucun avantage sur les pauvres, les richesses n’ayant aucune issue dans le public, et demeurant dans l’intérieur des maisons, enfermées et oisives. Voilà pourquoi les meubles d’un usage journalier et indispensable, lits, sièges, tables, étaient chez eux très-bien travaillés. Voilà d’où vient la réputation du cothon laconien, ce gobelet si commode, surtout aux soldats en campagne, comme l’assure Critias[21] : sa couleur empêchait qu’ils n’aperçussent la malpropreté des eaux qu’on est quelquefois obligé de boire, et dont la vue les eût dégoûtés ; d’ailleurs les ordures qui s’y trouvaient étaient retenues par les rebords rentrants du vase, et il ne venait à la bouche que ce qu’il y avait de pur. C’est au législateur qu’on dut ce bien-être ; car les artisans, forcés d’abandonner les outrages inutiles, montraient tout leur talent dans l’exécution des indispensables.

Lycurgue voulut pousser plus loin encore la persécution contre le luxe, et la destruction de l’amour de la richesses. Il fonda une troisième institution, et des plus belles, celle des repas publics. Il obligea les citoyens de manger tous en commun, et de se nourrir des mêmes viandes, des mêmes mets réglés par la loi. Il leur défendit de prendre chez eux leurs repas, sur des lits somptueux et devant des tables magnifiques ; de se mettre à la merci des pâtissiers et des cuisiniers, et de s’engraisser dans les ténèbres, comme des animaux gloutons. C’est, en effet, corrompre à la fois son esprit et son corps ; c’est lâcher la bride à toute sensualité et à toute débauche, et, par suite, se faire un besoin de longs sommeils, de bains chauds, d’une oisiveté continuelle, et, en quelque sorte, d’un traitement journalier de malade. C’était là un grand point ; mais un plus grand résultat encore, ce fut d’avoir mis les richesses hors d’état d’être volées, ou plutôt, comme dit Théophraste, d’être enviées, et de les avoir, pour ainsi dire, appauvries par la communauté des repas et par la frugalité de la table ; car il n’était plus possible de faire usage de la magnificence, d’en jouir et de l’étaler, dès que le pauvre et le riche venaient partager le même repas. Sparte était donc la seule ville, sous le soleil, où se vérifiât ce qu’on dit communément, que Plutus est aveugle, et où il fut gisant à terre, sans vie, sans mouvement, à la façon des peintures. En effet, il n’était permis à personne de manger chez soi d’avance, et d’arriver rassasié aux repas communs. On observait attentivement celui qui s’abstenait de boire et de manger avec les autres, et on lui reprochait publiquement son intempérance, et la délicatesse qui lui faisait mépriser la nourriture commune.

Aussi, de toutes les institutions de Lycurgue, ce fut, dit-on, celle qui irrita le plus les riches. Ils s’assemblèrent en grand nombre, poussant contre lui des cris de fureur et d’indignation ; et Lycurgue, assailli de tous côtés à coups de pierres, finit par s’enfuir précipitamment de la place publique. Il avait gagné les devants, et il s’était réfugié dans un temple, sans qu’on eût pu l’atteindre. Un jeune homme, nommé Alcandre, de bonne nature au demeurant, mais vif et emporté, s’obstina à sa poursuite, et, comme Lycurgue se tournait vers lui, le frappa de son bâton, et lui creva un œil. Lycurgue ne se laisse point abattre à ce coup : il se présente aux citoyens tête levée, et il leur montre son visage tout sanglant et son œil crevé. À cette vue, ils sont saisis de honte et de confusion : ils livrent Alcandre à Lycurgue, qu’ils reconduisent dans sa maison, en lui témoignant une sincère condoléance. Lycurgue, après les avoir remerciés, les congédie, et il fait entrer Alcandre chez lui. Là, il ne lui fit subir aucun mauvais traitement, ne lui dit pas un mot de reproche ; seulement il fit retirer les gens qui le servaient d’habitude, et il ordonna au jeune homme de le servir. Celui-ci, qui était bien né, exécuta, sans ouvrir la bouche, tout ce qui lui était commandé. Comme il demeurait sans cesse auprès de Lycurgue, et qu’il observait chaque jour, dans ce commerce, sa douceur, sa bonté, sa vie austère, sa constance infatigable dans les travaux, il conçut pour lui une extrême affection, et il disait à ses connaissances et à ses amis que Lycurgue, loin d’être dur et fier, était l’homme le plus traitable et le plus doux. Telle fut la punition d’Alcandre. Lycurgue se vengea en faisant, d’un jeune homme colère et opiniâtre, un homme plein de sagesse et de modération. Lycurgue bâtit, en mémoire de cet accident, un temple à Minerve Optilétide, comme il appela la déesse, parce que les Doriens de ce pays-là donnent aux yeux le nom d’optiles[22]. Quelques-uns pourtant, entre autres Dioscoride[23] qui a fait un traité sur la république des Lacédémoniens, disent que Lycurgue fut blessé, mais qu’il ne perdit point l’œil, et que ce fut même en reconnaissance de sa guérison qu’il éleva le temple à la déesse. Depuis cet accident, les Lacédémoniens cessèrent de porter des bâtons dans leurs assemblées.

Ces repas publics, nommés andries[24] en Crète, à Lacédémone on les appelle phidities, soit parce qu’ils étaient une source d’amitié et de bienveillance, phiditia étant mis pour philitia, par le changement de d en l[25], ou parce qu’ils accoutumaient à la frugalité et à l’épargne[26]. Mais rien n’empêche de croire, avec d’autres, que la première lettre du mot[27] est une addition après coup, et qu’on dit phiditia pour éditia, du mot grec qui signifie manger. Chaque table était de quinze personnes, un peu plus un peu moins. Chaque convive fournissait, par mois, un médimne de farine, huit conges de vin[28], cinq mines[29] de fromage, deux mines et demie de figues, et, avec cela, quelque peu de monnaie pour acheter de la viande. D’ailleurs, quand un citoyen faisait un sacrifice, ou qu’il avait été à la chasse, il envoyait, pour le repas commun, les prémices de la victime, ou une portion de son gibier ; car il était loisible de souper chez soi avec les mets de son sacrifice ou de sa chasse, si la chasse ou le sacrifice avait fini trop tard : hormis ces occasions, il fallait comparaître aux repas publics. Pendant longtemps, les Spartiates se montrèrent exacts à s’y rendre. Le roi Agis, au retour d’une expédition où il avait vaincu les Athéniens, fit demander ses portions, pour souper chez sa femme : les polémarques les lui refusèrent ; et, le lendemain, Agis ayant, par dépit, négligé de faire le sacrifice accoutumé, ils le condamnèrent à une amende.

Les enfants mêmes allaient à ces repas : on les y menait comme à une école de tempérance. Là, ils entendaient converser politique, et ils recevaient les leçons d’hommes de condition libre ; là, ils s’accoutumaient à plaisanter avec finesse, à railler sans mauvais goût, comme aussi à supporter patiemment la raillerie, qualité qu’on croyait particulièrement convenable à un Lacédémonien. Toutefois, celui que fatiguait la raillerie pouvait demander qu’on s’en abstînt ; et l’on cessait aussitôt. À mesure que chaque convive entrait dans la salle, le plus âgé de l’assemblée lui disait, en montrant la porte : « Il ne sort pas un mot par là. » Un citoyen, pour être admis à une table commune, avait besoin de l’agrément des autres convives ; et l’épreuve se faisait de cette manière : chaque convive prenait une boulette de mie de pain, qu’il jetait, sans rien dire, dans un vase que l’esclave qui les servait portait sur sa tête à la ronde : c’était là son suffrage. Quand on agréait, on jetait simplement la boulette dans le vase : repoussait-on le postulant, on aplatissait fortement la boulette entre les doigts. La boulette aplatie représentait le signe de condamnation : une seule de cette espèce suffisait pour faire refuser le postulant ; car on ne voulait admettre personne qui ne fût agréable à tous les convives. Celui qu’on avait refusé était appelé décaddé, parce qu’on nomme caddique le vase où se jettent les boulettes de mie de pain.

Le mets le plus vanté, chez eux, était le brouet noir. Les vieillards, quand on en servait, n’avaient plus d’appétit pour les viandes : ils les laissaient aux jeunes gens, et ils mangeaient le brouet de grand cœur. Un roi de Pont acheta exprès, dit-on, un cuisinier lacédémonien, pour qu’il lui fit du brouet : lorsqu’il en eut goûté, il le trouva détestable. « Ο roi, dit le cuisinier, il faut, pour savourer ce brouet, s’être baigné dans l’Eurotas. » Après avoir bu sobrement, les convives s’en retournaient sans lumière. Il ne leur était permis de se faire éclairer sur la route ni dans cette occasion, ni dans aucune autre : on voulait les accoutumer à marcher hardiment, intrépidement ; la nuit dans les ténèbres. Voilà quel était l’ordre des repas publics.

Lycurgue n’écrivit point ses lois : il y a même une de ses ordonnances, appelées rhètres, qui défend qu’aucune loi soit écrite. Ce qui a le plus de pouvoir et de force pour rendre un peuple heureux et sage devait, pensait-il, avoir sa base dans les mœurs et dans les habitudes des citoyens. Les principes sont alors fermes et inébranlables ; car ils ont pour lien la volonté, plus forte que toute contrainte, et qui naît, chez les jeunes gens, de l’éducation, la véritable législatrice du premier âge. Quant aux contrats moins importants, qui ne regardent que des objets d’intérêt, et qui changent en tout sens selon le besoin, il était utile aussi de ne les pas assujettir à des formalités écrites et à des coutumes invariables, mais de laisser à l’expérience le soin d’y ajouter ou d’en retrancher ce que les circonstances feraient juger nécessaire. Lycurgue, on le voit, faisait de l’éducation le but suprême où se rapporteraient toutes ses lois ; et c’est pour cela, comme nous venons de le dire, qu’il avait défendu, par une de ses ordonnances, qu’il y eût des lois écrites.

Il y avait, contre le luxe, une autre ordonnance encore : elle prescrivait d’employer la cognée pour façonner les planchers des maisons, et la scie pour les portes, et jamais d’autre outil. Épaminondas, longtemps après, disait, en parlant de sa table, que la trahison n’avait pas de prise sur un tel dîner. Lycurgue s’était dit, bien auparavant, à la façon d’Épaminondas, que, dans une maison ainsi faite, il n’y avait point de place pour le luxe et les superfluités. Y a-t-il, en effet, un homme assez dénué de goût et de bon sens pour porter, dans une maison simple et même grossière, des lits à pieds d’argent, des tapis de pourpre, des coupes d’or, et toutes les somptuosités qui vont à la suite ? N’est-on pas, au contraire, forcé d’assortir et d’appareiller le lit à la maison, la couverture au lit, et tous les autres meubles à la couverture ? C’est à cette habitude de simplicité qu’on doit le mot de Léotychidas l’ancien. Ayant remarqué, en soupant à Corinthe, que le plafond de la salle était magnifiquement lambrissé, il demanda à son hôte si le pays produisait des arbres à quatre pans.

On rapporte une troisième rhètre de Lycurgue, par laquelle il défendait aux citoyens de faire longtemps la guerre aux mêmes ennemis, afin que ceux-ci ne pussent s’aguerrir, à force de s’habituer à repousser l’agression. Ce qu’on blâma surtout, dans la suite, chez le roi Agésilas, ce fut d’avoir, par de fréquentes et continuelles expéditions dans la Béotie, rendu les Thébains assez braves pour tenir tête aux Lacédémoniens. Aussi, Antalcidas, le voyant blessé : « Tu reçois des Thébains, lui dit-il, le digne prix de l’apprentissage que tu leur as fait faire. Ils ne voulaient ni ne savaient combattre ; et tu leur as donné des leçons. » Lycurgue appela ces trois ordonnances rhètres, à titre de décrets et d’oracles prononcés par Apollon.

Persuadé que l’éducation des enfants est le plus beau et le plus important ouvrage d’un législateur, il la prépara de loin, en réglant dès l’abord ce qui regardait les mariages et les naissances ; car il n’est pas vrai que Lycurgue, comme le prétend Aristote[30], eût d’abord entrepris de réformer les femmes, et qu’il y renonça, n’ayant pu refréner leur licence, ni réduire l’autorité excessive que leur avaient laissé prendre les maris, obligés qu’ils étaient, durant leurs fréquentes expéditions de guerre, de leur laisser tout pouvoir, et qui, dès lors, assujettis outre mesure à leurs caprices, leur donnaient le nom de maîtresses. Au contraire, le législateur prit d’elles tout le soin dont elles étaient susceptibles. Il voulut que les filles se fortifiassent, en s’exerçant à la course, à la lutte, à lancer le disque et le javelot, afin que les enfants qu’elles concevraient prissent de fortes racines dans des corps robustes, pour pousser avec plus de vigueur, et qu’elles-mêmes, envisageant l’enfantement sans crainte, résistassent avec plus de courage et de facilité contre les douleurs. Il ôta aux jeunes filles la mollesse de leur vie, leur éducation à l’ombre, et la faiblesse de leur sexe : il les accoutuma à paraître nues en public, comme les jeunes gens ; à danser, à chanter dans certaines solennités, en présence de ceux-ci, et sous leur coup d’œil. Parfois elles leur lançaient quelque brocard bien à point, gourmandant ceux qui avaient fait quelque faute, comme elles donnaient des louanges à qui les avait méritées : double aiguillon qui excitait, dans le cœur des jeunes gens, l’émulation du bien et l’amour de la vertu. Celui qui s’était vu louer pour quelque trait de courage, et qui était devenu célèbre parmi les jeunes filles, s’en retournait tout glorieux des éloges qu’il avait reçus, tandis que les piqûres de la raillerie portaient aux autres de non moins sensibles atteintes que les remontrances les plus sévères ; car, non-seulement les citoyens assistaient à ce spectacle, mais les sénateurs et les rois mêmes. La nudité des filles n’avait rien de honteux : la pudeur était là, et nul ne songeait à l’intempérance ; et c’était, au contraire, ce qui servait à les habituer à la simplicité, à leur donner une émulation de vigueur et de force ; c’était ce qui élevait leur cœur au-dessus des sentiments de leur sexe, en leur montrant qu’elles pouvaient partager, avec les hommes, le prix de la gloire et de la vertu. Aussi les femmes Spartiates pouvaient-elles penser et dire avec confiance ce qu’on attribue à Gorgo, femme de Léonidas. Une femme étrangère lui disait : « Vous autres Lacédémoniennes, vous êtes les seules qui commandiez aux hommes. — C’est que nous sommes les seules, répondit-elle, qui mettions au monde des hommes. »

C’était aussi une amorce pour le mariage : j’entends ces processions de jeunes filles nues, et leurs exercices, en cet état, sous les yeux des jeunes gens, qui se sentaient attirés, non par une nécessité géométrique, mais, comme dit Platon, par la nécessité de l’amour[31]. Lycurgue alla plus loin encore : il attacha au célibat une note d’infamie. Les célibataires étaient exclus du spectacle des gymnopédies[32] ; et les magistrats les obligeaient, pendant l’hiver, de faire le tour de la place tout nus, en chantant, dans la marche, une chanson faite contre eux, où il était dit qu’on les punissait avec justice, pour avoir désobéi aux lois. D’ailleurs, ils étaient privés des honneurs et des égards respectueux que les jeunes gens rendaient aux vieillards. Voilà pourquoi personne ne blâma ce qui fut dit à Dercyllidas, qui était pourtant un général de grande réputation. Comme il entrait dans une assemblée, il y eut un jeune homme qui ne se leva point de son siège pour lui faire honneur, et qui dit : « C’est que tu n’as point de fils qui puisse se lever un jour à mon entrée. »

Pour se marier, il fallait enlever sa femme ; et ce devait être non une enfant, ni une adolescente impubère, mais une fille mûre pour le mariage. Après l’enlèvement, la jeune fille était remise aux mains de l’assistante des noces, comme on disait, qui lui rasait la tête, lui donnait un habit et une chaussure d’homme, la faisait coucher sur une couche de feuillage, et l’y laissait seule et sans lumière. Le nouveau marié, non point pris de vin ni énervé par une journée de plaisir, mais sobre à son ordinaire, et après le repas de la table commune, se glissait aux côtés de sa fiancée, lui déliait la ceinture, et la portait dans un lit. Il ne passait que quelques instants près d’elle, puis il se retirait modestement dans la chambre où il dormait d’habitude avec les autres jeunes gens. Il continuait ce manège, passant les jours et les nuits avec ses camarades, et n’allant voir sa femme qu’avec précaution, et comme à la dérobée, pour n’avoir pas la honte d’être aperçu par ceux de la maison. La femme, de son côté, l’aidait de son adresse, en lui faisant saisir à point les occasions favorables pour un rendez-vous secret. Cela durait assez longtemps ; et quelquefois des maris étaient devenus pères, qu’ils n’avaient pas encore vu leurs femmes au jour. De pareilles relations n’étaient pas seulement un exercice de tempérance et de sagesse : elles entretenaient, dans les corps, la vigueur et la fécondité, conservaient la vivacité de la première ardeur, renouvelaient l’amour, et prévenaient la satiété d’un commerce habituel qui use le désir et les forces : en se quittant, ils se laissaient l’un à l’autre un reste de flamme amoureuse, et un aiguillon de tendresse.

Après avoir mis, dans les mariages, tant de pudeur et de réserve, Lycurgue n’eut pas moins d’attention à en bannir toute vaine et féminine jalousie. Il estimait que le bien consiste non-seulement à exclure du mariage la violence et le désordre, mais encore à permettre, à ceux qu’on en jugerait dignes, d’avoir des enfants en commun. Il fallait se moquer, pensait-il, de ceux qui font du mariage une société isolée, sans aucun partage avec les autres, et qui vengent, par des meurtres et des guerres, toute entreprise sur leurs droits. Il fut permis à un vieillard, mari d’une jeune femme, d’introduire auprès d’elle un jeune homme honnête, pour qui il avait de l’estime et de l’amitié, et de reconnaître, comme s’il était de lui, l’enfant qui naissait d’un sang généreux. De même, si un galant homme s’était pris d’admiration pour une femme de bien et mère de beaux enfants, qui fût l’épouse d’un autre, il lui était permis de la demander au mari, pour semer, comme en terre féconde, et faire naître des enfants bien conformés, et à qui des gens de cœur auraient transmis leur sang et leur lignée. Premièrement, en effet, Lycurgue prétendait que les enfants n’étaient pas chacun en particulier à leurs pères, mais qu’ils appartenaient tous ensemble à l’État. Il voulait donc que les citoyens eussent pour pères, non pas les premiers venus, mais les plus méritants. En second lieu, il taxait de sottise et de vanité les règlements des autres législateurs sur le mariage. « Ils cherchent, disait-il, pour les chiennes et les juments les meilleurs chiens et les meilleurs étalons ; ils les obtiennent des possesseurs, à force de prières, ou à prix d’argent : les femmes, au contraire, ils les mettent sous clef, et ils font bonne garde autour d’elles, décidant qu’elles ne doivent faire des enfants que de leurs maris, fussent-ils imbéciles, décrépits, valétudinaires. Comme si ce n’était pas au grand dommage de leurs pères, tous les premiers, et de ceux qui les élèvent, que des enfants naissent contrefaits de pères défectueux ; et comme si des enfants nés de parents robustes, et qui leur ressemblent, ne faisaient pas leur bonheur[33]. »

C’est dans la nature et dans la politique que Lycurgue avait trouvé ses raisons ; et, loin que ces usages rendissent les femmes aussi faciles qu’elles l’ont été, dit-on, dans la suite, l’adultère n’était pas même connu à Lacédémone. On cite le mot de Géradas, un Spartiate des plus vieux temps. Un étranger lui demandait quelle peine on infligeait, dans son pays, aux adultères : « Mon ami, dit Géradas, il n’y a point chez nous d’adultères. — Mais s’il y en avait ? reprit l’étranger. — Il payerait, répondit Géradas, un grand taureau qui pût boire, en allongeant le cou, du haut du Taygète[34] dans l’Eurotas. — Mais, répliqua l’étranger, comment trouver un taureau aussi grand ? — Mais, dit en riant Géradas, comment trouver à Sparte un adultère ? » Voilà quels étaient, au rapport de l’histoire, les règlements sur les mariages.

Un père n’était pas maître d’élever l’enfant qui venait de lui naître. Il devait le porter dans un lieu appelé Leschée[35], où s’assemblaient les plus anciens de chaque tribu. Ceux-ci visitaient l’enfant ; et, s’il était bien conformé, et de complexion robuste, ils ordonnaient qu’on le nourrît, et ils lui assignaient, pour son apanage, une des neuf mille parts de terre : s’il était chétif ou contrefait, ils l’envoyaient jeter dans un gouffre voisin du mont Taygète, et qu’on appelait les Apothètes[36]. Ils ne voyaient aucun avantage, ni pour lui-même, ni pour l’État, à le laisser vivre, destiné, comme il l’était dès sa naissance, à n’avoir jamais ni santé ni vigueur. Les femmes, pour éprouver la constitution des nouveau-nés, ne les lavaient point avec de l’eau, mais avec du vin ; car les enfants épileptiques ou maladifs ne peuvent, dit-on, soutenir l’épreuve : le vin les fait tomber dans le marasme et mourir ; mais, s’ils ont une complexion saine, le vin leur donne, pour ainsi dire, une trempe plus forte, et il endurcit leur tempérament. Les soins que leur donnaient les nourrices étaient réglés par une sorte d’art : elles n’emmaillottaient point leurs nourrissons ; elles leur laissaient l’entière liberté de leurs membres, et elles permettaient à leurs formes de se dégager. C’est d’elles qu’ils apprenaient à n’être point délicats pour la nourriture, à se contenter des mets les plus simples, à ne s’effrayer ni des ténèbres ni de la solitude, à s’interdire les cris, la mauvaise humeur et les larmes, tous signes de faiblesse et de lâcheté. Aussi des étrangers achetaient-ils, pour leurs enfants, des nourrices de Lacédémone. Amycla, dit-on, la femme qui nourrit l’Athénien Alcibiade, était Spartiate ; mais Périclès, au rapport de Platon, donna au jeune homme, pour instituteur, un esclave nommé Zopyre, qui n’avait rien au-dessus des gens de son état, tandis que Lycurgue n’avait pas voulu que l’on confiât les enfants de Sparte à des esclaves achetés à prix d’argent, ni à des précepteurs mercenaires.

On n’était pas libre d’élever, d’instruire son fils comme on le voulait : tous les enfants qui avaient atteint l’âge de sept ans, il les prenait, et il les distribuait en différentes classes, pour être élevés en commun, sous la même discipline ; et il les accoutumait à jouer et à étudier ensemble. Chaque classe devait avoir pour chef celui d’entre eux qui avait le plus d’intelligence, et qui s’était montré le plus brave dans les luttes. C’est sur lui que les autres fixaient leurs regards ; ils exécutaient tous ses ordres, et ils souffraient sans murmurer toutes les punitions qu’il infligeait. Cette éducation était donc proprement un apprentissage d’obéissance. Les vieillards assistaient à leurs jeux, et jetaient souvent entre eux des sujets de dispute et de querelle, afin de connaître à fond leur caractère, et de juger s’ils auraient de la hardiesse, et s’ils seraient incapables de fuir dans la bataille. Ils n’apprenaient, en fait de lettres, que l’indispensable ; tout le reste de leur instruction consistait à savoir obéir, à endurer courageusement la fatigue, à vaincre au combat. À mesure qu’ils avançaient en âge, on les appliquait à des exercices plus forts : on leur rasait la tête, on les habituait à marcher sans chaussure, et à jouer ensemble, la plupart du temps tout nus.

Parvenus à l’âge de douze ans, ils ne portaient plus de tunique, et on ne leur donnait qu’un manteau chaque année. Ils étaient sales, et ils ne se baignaient ni ne se parfumaient jamais, hormis certains jours, où on leur laissait goûter cette douceur. Chaque bande dormait dans la même salle, sur des jonchées qu’ils faisaient eux-mêmes, avec les bouts des roseaux qui croissent sur les bords de l’Eurotas : ils les cueillaient en les rompant de leurs mains seules, sans se servir d’aucun ferrement. L’hiver, ils étendaient sur la jonchée, et ils mêlaient aux bouts de roseaux des lycophons[37], comme on les appelle, matière à laquelle on attribue la vertu d’échauffer. C’était à cet âge que ceux qui s’étaient distingués commençaient à voir les amoureux s’attacher à leurs pas ; c’était alors aussi que les vieillards les surveillaient davantage, et se rendaient plus assidus à leurs exercices, à leurs combats et à leurs jeux ; et les vieillards le faisaient, non par manière d’acquit, mais avec autant d’intérêt que s’ils eussent été les pères, les instituteurs, les gouverneurs de tous les enfants. Aussi n’y avait-il pas un seul instant, pas un seul endroit, où l’enfant qui faisait une faute ne trouvât quelqu’un pour le reprendre et le châtier. Ajoutez que les maîtres de l’enfance se choisissaient parmi les plus gens de bien. Les maîtres donnaient pour chef à chaque bande le plus sage et le plus courageux d’entre les irènes[38]. Irènes est le nom qu’ils donnent à ceux qui, depuis deux ans, sont sortis de l’enfance ; les plus grands enfants s’appellent mellirènes[39]. L’irène dont je parle, âgé de vingt ans, marche à la lutte en tête de sa bande ; quant aux choses domestiques, il dispose des siens pour le service de la table : il enjoint aux plus forts d’apporter du bois ; aux plus petits, des légumes ; et, ce qu’ils apportent, ils l’ont dérobé ou en escaladant les jardins, ou en se glissant dans des salles de repas publics avec autant de précaution que d’adresse. Celui qui se laissait surprendre était frappé rudement, pour sa négligence ou sa maladresse. Ils dérobent également tout ce qu’ils peuvent trouver de viandes ; et ils savent à merveille profiter des occasions : c’est sur ceux qui dorment ou font mal le guet, qu’ils exercent leurs larcins. Celui qu’on surprend est puni du fouet, et forcé de jeûner ; ils ne font même ordinairement qu’un léger repas, afin qu’obligés de fournir eux-mêmes à leurs besoins, l’audace et la ruse soient pour eux une nécessité. C’était là le but principal qu’on se proposait, en leur épargnant la nourriture : un motif accessoire, dit-on, c’était de les faire grandir ; car le corps croît en hauteur, lorsque les esprits animaux n’ont pas à élaborer cette quantité d’aliments dont le poids les captive et les déprime, ou ne leur donne de champ qu’en largeur : ils s’élèvent facilement, à cause de leur légèreté, et le corps s’allonge sans nulle entrave et sans nul obstacle. C’est là encore, pense-t-on, une cause de la beauté : des natures minces et déliées obéissent mieux aux lois d’une belle conformation, tandis que celles que chargent l’embonpoint et un excès de nourriture y résistent, par leur pesanteur. On a observé de même que les enfants dont les mères ont été purgées pendant leur grossesse ont la taille plus fine et sont plus beaux, parce que la matière dont leur corps est formé est plus légère, et reçoit mieux l’impression qui doit la façonner[40]. Mais ne décidons rien sur la question ; et que d’autres recherchent la cause de ce phénomène.

Voici un exemple de la crainte extrême qu’avaient ces enfants de voir leurs larcins découverts. Un d’eux avait dérobé un renardeau, et il l’avait caché sous sa robe : il se laissa déchirer le ventre, par les ongles et les dents de l’animal, sans jeter un cri, et il mourut sur la place, pour garder le secret. Ce fait n’est pas incroyable, à en juger par les jeunes Spartiates d’aujourd’hui : j’en ai vu, plus d’une fois, qui expiraient sous les verges, sur l’autel de Diane Orthia[41].

L’irène, après le souper, et avant de quitter la table, ordonnait à quelqu’un des enfants de chanter ; il proposait à un autre quelques questions : par exemple, quel était le plus homme de bien de la ville, ou encore ce qu’il fallait penser de telle action. Par là on les accoutumait, dès leur enfance, à juger du bien et du mal, et à s’enquérir des mœurs des citoyens ; car, hésiter de répondre à ces questions : Qui est bon citoyen ? Qui n’a pas une bonne réputation ? c’était, au jugement des Spartiates, la marque d’un naturel lâche, qu’aucun sentiment d’honneur n’excitait à la vertu. La réponse devait être accompagnée de sa raison et de sa preuve, et renfermée en quelques mots pertinents et précis. Celui qui répondait négligemment était puni : l’irène le mordait au pouce. Souvent c’était en présence des vieillards et des magistrats, que l’irène châtiait les enfants, afin qu’ils pussent juger s’il punissait avec raison et ainsi qu’il appartenait. On ne l’arrêtait jamais pendant qu’il infligeait la peine ; mais, après que les enfants s’étaient retirés, il était puni à son tour, s’il avait montré ou une sévérité outrée, ou trop de laisser-aller et d’indulgence. Les amoureux partageaient la honte ou la gloire des enfants auxquels ils s’étaient attachés ; et l’on rapporte qu’un enfant qui se battait contre un autre, ayant laissé échapper un cri qui prouvait un manque de courage, l’amoureux fut mis à l’amende par les magistrats. L’amour était si chaste à Lacédémone, que les femmes les plus honnêtes s’attachaient aussi à de jeunes filles ; mais la jalousie était inconnue, et ces attachements étaient une source d’amitié entre ceux qui aimaient les mêmes personnes : ils travaillaient tous à l’envi à qui rendrait l’ami plus vertueux.

On formait les enfants à une manière de parler vive et piquante, assaisonnée de grâce, et qui renfermât beaucoup de sens en peu de paroles. Lycurgue, comme nous l’avons dit, avait donné à la monnaie de fer un grand poids et peu de valeur : il fit tout le contraire pour la monnaie du langage ; car il voulut qu’elle contînt, dans un petit nombre de mots simples, beaucoup de sens et des pensées d’un grand prix. Il accoutumait les enfants, par un long silence, à se montrer sentencieux et serrés dans leurs reparties ; car, de même que la débauche énerve l’homme et le rend impuissant, de même l’intempérance de la langue rend le discours lâche et vide de sens. Un Athénien se moquait, un jour, devant Agis, roi de Sparte, des courtes épées des Lacédémoniens, et il disait que les bateleurs les avalent sans peine en plein théâtre. « Hé bien, c’est avec ces courtes épées, répondit Agis, que nous atteignons si loin nos ennemis. » De même il m’est avis que le discours laconien, malgré sa brièveté, va très-bien au but, et pénètre dans la pensée des auditeurs. Lycurgue était lui-même très-concis dans son langage, et très-sentencieux, à en juger par les réponses qu’on a conservées de lui. Voici un de ses mots sur le gouvernement. Un homme lui conseillait d’établir la démocratie à Lacédémone : « Commence par mettre la démocratie dans ta maison. » En voici un autre, sur les sacrifices. On lui demandait pourquoi il n’avait prescrit que des victimes si petites et de si mince valeur : « Afin, dit-il, que nous ayons toujours de quoi honorer les dieux. » Il dit, à propos des luttes gymnastiques : « Je n’ai défendu aux citoyens que les combats où l’on tend les mains. » On cite de lui d’autres réponses semblables, qu’il avait faites dans des lettres à ses concitoyens. « Comment pourrons-nous repousser l’incursion des ennemis ? — Si vous demeurez pauvres ; si personne ne convoite une part plus grande que celle des autres. » Et, au sujet des murailles : « Une ville n’est jamais sans murailles, quand elle est environnée non de briques, mais d’hommes de cœur. » Au reste, on ne saurait ni nier ni affirmer sans hésitation l’authenticité de ces lettres et d’autres semblables.

Quant à l’aversion des Lacédémoniens pour les longs discours, c’est ce que prouvent les bons mots que je vais rapporter. Un homme disait un jour, à contre-temps, des choses qui ne manquaient pas de bon sens. « Mon ami, lui dit le roi Léonidas, tu tiens, hors de propos, de fort bons propos. » On demandait à Charilaüs, neveu de Lycurgue, pourquoi Lycurgue avait fait si peu de lois. « C’est, répondit-il, qu’il faut peu de lois à des gens qui parlent peu. » On blâmait le sophiste Hécatée[42], qui avait été admis à un repas commun, de n’y pas prononcer un mot. « Celui qui sait parler, dit Archidamidas, sait aussi à quel instant il faut parler. » Voici des exemples de ces reparties piquantes où la grâce, comme je l’ai dit plus haut, tient aussi sa place. Démarate, importuné par les questions déplacées d’un faquin, et l’entendant demander sans cesse quel était le plus homme de bien de Lacédémone, lui répondit : « Celui qui te ressemble le moins. » On louait, devant Agis, l’équité des jugements que portaient les Éléens aux fêtes d’Olympie[43]. « Belle merveille, dit-il, que les Éléens soient, en cinq ans, justes un jour ! » Un étranger faisait montre de dévouement aux Spartiates : « Dans notre ville, disait-il, on m’appelle l’ami des Lacédémoniens. — Il vaudrait mieux, dit Théopompe, qu’on t’y appelât l’ami de tes concitoyens. » Un rhéteur athénien traitait les Spartiates d’ignorants. « Tu as raison, dit Plistonax, fils de Pausanias ; car nous sommes les seuls, dans la Grèce, qui n’ayons appris de vous rien de mal. » « Combien êtes-vous de Spartiates ? demandait-on à Archidamidas. — Assez, mon ami, pour chasser les méchants. »

On peut, à leurs plaisanteries même, juger de leur habitude de ne rien dire d’inutile, et de ne laisser échapper aucune parole qui ne renfermât une pensée de quelque valeur. On proposait à un Spartiate d’aller entendre un homme qui imitait le rossignol. « J’ai entendu. dit-il, le rossignol lui-même. » Un autre, après avoir lu cette épitaphe :

Tandis qu’ils éteignaient la tyrannie, l’impitoyable Mars
Fit d’eux sa proie ; et ils périrent aux portes de Sélinonte.

« Ils avaient bien mérité leur mort, dit-il ; car ils devaient laisser brûler la tyrannie tout entière[44]. » On promettait à un jeune homme de lui donner des coqs qui se faisaient tuer en combattant. « Je n’en veux point, dit-il ; donne-m’en de ceux qui tuent en combattant. » Un autre, voyant des hommes qui s’en allaient à la campagne dans des litières : « À Dieu ne plaise, dit-il, que je m’asseye jamais en une place d’où je ne pourrais me lever devant un vieillard ! » Tel était leur sentencieux langage. Aussi a-t-on pu dire, avec raison, que laconiser consiste moins dans l’application aux exercices du corps, que dans l’amour de la sagesse.

Ils s’adonnaient à l’étude du chant et à la poésie lyrique avec la même ardeur qu’ils mettaient à chercher l’élégance et la pureté du langage. Il y avait, dans leurs chants, un aiguillon qui excitait le courage, et qui inspirait l’enthousiasme et les belles actions. Le style en était simple et mâle, les sujets graves et propres à former les mœurs. C’était, le plus souvent, l’éloge et l’apothéose de ceux qui étaient morts pour Sparte ; c’était la censure de ceux qui avaient montré de la peur, et dont on dépeignait la vie triste et malheureuse ; c’était, selon la convenance des âges, ou la promesse d’être un jour vertueux, ou le fier témoignage de l’être maintenant. Il ne sera pas hors de propos d’expliquer ma pensée par un exemple. Dans les fêtes publiques, il y avait trois chœurs, suivant les trois différents âges. Le chœur des vieillards entonnait ainsi le chant :

Nous avons été jadis jeunes et braves.


Le chœur des jeunes gens répondait :

Nous le sommes maintenant. Approche, tu verras bien !


Le troisième chœur, celui des enfants, disait, à son tour :

Et nous un jour le serons, et bien plus vaillants encore.


En général, si l’on examine les poésies des Lacédémoniens, dont quelques-unes se sont conservées jusqu’à nous, et les airs militaires qu’ils chantaient sur la flûte quand ils marchaient à l’ennemi, on reconnaîtra que Terpandre[45] et Pindare n’ont pas eu tort de faire du courage le compagnon de la musique. Le premier dit, en parlant de Lacédémone :

Là fleurissent et le courage des guerriers, et la muse harmonieuse,
Et la justice protectrice des cités.

Et Pindare : « C’est là qu’on voit des conseils de vieillards, et des guerriers vaillants la pique à la main, et des chœurs, et des chants, et des fêtes. » Tous deux ils nous représentent les Spartiates aussi passionnés pour la musique que pour la guerre. C’est qu’en effet,

Il y a deux choses qui se valent : tenir le fer, et bien manier la lyre,

comme dit le poëte laconien[46].

Avant le combat, le roi sacrifiait toujours aux Muses, sans doute pour rappeler aux soldats l’éducation qu’ils avaient reçue et le jugement qu’on porterait d’eux, et pour les animer, par ce souvenir, à braver les dangers, et à faire des actions dignes de mémoire. C’est aussi dans ces occasions qu’on relâchait, en faveur des jeunes gens, la rigueur de la discipline : on ne les empêchait plus d’avoir soin de leur chevelure, d’orner leurs habits et leurs armes ; on aimait à les voir, comme de jeunes coursiers, attendre la bataille, l’œil étincelant d’audace et d’orgueil. Ces cheveux, dont ils prenaient tant de soin dès l’adolescence, ils les soignaient encore davantage aux jours du danger ; ils les parfumaient, et ils les séparaient en deux, se remettant en mémoire le mot de Lycurgue : qu’une longue chevelure pare la beauté, et qu’elle rend la laideur plus terrible. Leurs exercices étaient plus doux dans les camps que dans les gymnases, leur genre de vie moins dur et sujet à moins d’exigences ; et les Spartiates étaient le seul peuple au monde pour qui la guerre fût un délassement des exercices qui les préparaient à la guerre.

Quand l’armée était rangée en bataille, et qu’on se trouvait en face de l’ennemi, le roi immolait une chèvre, et il ordonnait à tous les soldats de mettre des couronnes sur leur tête, et aux musiciens de jouer sur la flûte l’air de Castor ; lui-même il entonnait le chant de guerre, signal de la charge. C’était un spectacle à la fois majestueux et terrible, de les voir marcher en cadence, au son de la flûte, chacun à son rang de bataille ; personne ne rompait ; pas une âme n’était troublée par la crainte : c’était d’un pas grave et d’un air joyeux qu’ils allaient, au son de la musique, affronter le péril. C’est qu’il est vraisemblable que des hommes, avec les sentiments qui les animaient, ne sont agités ni par la crainte ni par la colère ; ils sont pleins d’assurance, d’espoir et d’audace, et ils comptent sur la protection des dieux.

Le roi marchait à l’ennemi, accompagné d’un guerrier ayant vaincu dans les jeux de la Grèce, et ayant remporté une couronne. On conte, à ce sujet, qu’un athlète Spartiate refusa une somme considérable qu’on lui offrait, pour l’engager à ne pas combattre aux jeux olympiques. Il terrassa son adversaire, non sans de rudes efforts. « Quel si grand avantage, ô Laconien ! lui dit quelqu’un, as-tu gagné à ta victoire ? » Il répondit, en souriant : « Je combattrai en bataille devant le roi. »

Quand ils avaient mis en déroute l’ennemi, et qu’ils étaient vainqueurs, ils ne poursuivaient les fuyards qu’autant qu’il le fallait pour assurer l’avantage. Ils s’arrêtaient alors, persuadés qu’il n’était ni généreux, ni digne d’un peuple grec, de tailler en pièces et de massacrer des gens qui s’avouent vaincus, et qui ont lâché pied : conduite non moins utile que noble et digne des grandes âmes ; car ceux qui combattaient contre eux, voyant qu’ils faisaient main basse sur tout ce qui résistait, et qu’ils épargnaient les fuyards, trouvaient plus d’avantage à fuir qu’à leur tenir tête.

Hippias[47] le sophiste dit que Lycurgue fut lui-même un grand homme de guerre, et qu’il se trouva à plusieurs expéditions. C’est à Lycurgue que Philostéphanus[48] attribue la division de la cavalerie en ulames[49]. L’ulame, tel qu’il l’avait constitué, était composé de cinquante cavaliers et formait un carré. Mais Démétrius de Phalère prétend que Lycurgue ne prit jamais en main les armes, et qu’il établit son gouvernement en temps de paix. Il est certain que l’idée d’instituer la trêve olympique prouve son caractère doux et porté à la paix. Toutefois quelques écrivains, au rapport d’Hermippus[50], disent que Lycurgue, dans le commencement, n’y songeait pas, et qu’il n’en avait rien dit à Iphitus : il était venu aux jeux pendant ses voyages, et en simple spectateur. Mais il entendit, derrière lui, comme la voix d’un homme qui le gourmandait, avec un accent de surprise, de ce qu’il n’obligeait pas ses concitoyens à prendre part à une fête si solennelle. Il se retourna, pour voir qui lui parlait, et il ne vit personne : aussi prit-il ces paroles pour un avertissement des dieux. Il alla trouver Iphitus, et régla avec lui toute l’ordonnance des fêtes, dont il augmenta l’éclat et assura pour longtemps la célébration.

L’éducation, à Sparte, soumettait à ses prescriptions les hommes faits eux-mêmes. On ne laissait à personne la liberté de vivre à son gré. La ville était comme un camp : on y menait le genre de vie déterminé par la loi ; chacun y avait son emploi dans l’État, et tous vivaient avec cette pensée, qu’ils ne s’appartenaient pas à eux-mêmes, mais à la patrie. Quand ils n’avaient pas reçu d’autre ordre particulier, et qu’ils n’avaient rien à faire, ils surveillaient les enfants, leur enseignaient quelque chose d’utile, ou ils s’instruisaient eux-mêmes auprès des vieillards ; car, de tous ces biens et de tous ces avantages dont Lycurgue avait fait jouir ses concitoyens, un des plus grands, c’était cette abondance de loisir qu’ils durent à la défense de s’occuper d’aucune espèce d’ouvrage mercenaire. Ils n’avaient pas besoin de travailler, de se donner de la peine, pour amasser des richesses : Lycurgue les avait rendues inutiles, et, par conséquent, méprisables. Les Hilotes labouraient pour eux la terre, et en payaient un revenu fixe. Un Spartiate se trouvait à Athènes, un jour qu’on y rendait la justice ; il entendit parler d’un homme qu’on venait de condamner pour oisiveté, et qui s’en retournait chez lui, accompagné de ses amis en proie, comme lui-même, à la douleur et à un violent chagrin. « Montrez-moi, demanda le Spartiate à ses voisins, où est cet homme qu’on punit d’avoir vécu en homme libre. » Tant c’était à leurs yeux chose basse et servile d’exercer les arts mécaniques, et d’amasser des richesses ! Les procès sortirent de Sparte avec l’argent ; et rien n’était plus naturel : il n’y avait plus ni richesse ni pauvreté ; l’égalité avait banni la disette, et la frugalité entretenait l’abondance. Ce n’étaient que danses, que festins et banquets, que passe-temps de chasse, exercices de gymnase, entretiens communs, tout le temps qu’on n’était point en guerre.

Ceux qui avaient moins de trente ans n’allaient jamais au marché : ils faisaient faire par leurs parents, ou par leurs amoureux, les provisions nécessaires au ménage. Les vieillards auraient eu honte de donner trop de temps à des soins de cette espèce : il leur fallait passer la plus grande partie du jour dans les gymnases, ou dans les lieux nommés leschées. C’est aux leschées qu’ils se réunissaient pour converser. Le temps s’y passait en propos de vertu, et jamais il n’y était question des moyens de trafiquer et de s’enrichir. Les sujets ordinaires de ces entretiens étaient l’éloge des belles actions et la censure des mauvaises ; et ils y mettaient un ton de plaisanterie et de gaieté, qui faisait passer la réprimande et goûter la leçon.

Lycurgue lui-même n’était pas d’une austérité qui ne se déridât jamais ; et ce fut lui qui consacra, selon Sosibius[51], une petite statue du Rire. Il voulait que la gaieté se mêlât aux banquets publics et à tous les exercices, comme un doux assaisonnement du travail et de la table. En un mot, il accoutuma les citoyens à ne vouloir pas, à ne pas même savoir vivre seuls, mais à être, comme les abeilles, toujours étroitement unis à l’intérêt public, toujours rangés autour de leurs chefs, et hors d’eux-mêmes, peu s’en faut, par une sorte de ravissement divin et d’amour de la gloire, qui transportait leurs âmes. Ils étaient tout entiers à la patrie : on le reconnaît assez à quelques-unes de leurs paroles. Pédarète n’avait pas été choisi pour un des trois cents : il s’en retourna de l’assemblée, tout rayonnant de satisfaction, et joyeux, eût-on dit, de ce que Sparte avait trois cents citoyens meilleurs que lui. Polycratidas était député avec d’autres, auprès des généraux du roi de Perse. « Venez-vous de votre chef, demandèrent ceux-ci, ou de la part de votre république ? — Si nous réussissons, dit Polycratidas, c’est de la part de notre république ; sinon, c’est de notre chef. » Des Amphipolitains, qui étaient venus à Lacédémone, faisaient visite à Argiléonis, mère de Brasidas. Elle leur demanda si son fils avait péri avec courage, et en digne enfant de Sparte. Les étrangers donnèrent au guerrier de magnifiques éloges ; et Sparte, à les entendre, n’avait plus de citoyen aussi brave : « Ne dites pas cela, mes amis, dit Argiléonis. Brasidas était un homme de cœur ; mais Lacédémone a bien d’autres citoyens plus braves encore que Brasidas. »

Lycurgue, comme nous l’avons dit, avait d’abord composé le sénat de ceux qui l’avaient secondé dans son entreprise. Plus tard, il régla qu’à la mort d’un sénateur, on choisirait, pour le remplacer, le plus vertueux des citoyens qui auraient passé soixante ans. C’était bien la lutte la plus glorieuse qui fût au monde, et la plus digne de l’effort des adversaires. Là, il ne s’agissait pas de choisir entre les agiles le plus agile, entre les forts le plus fort, mais le plus sage et le plus vertueux entre les vertueux et les sages[52]. Et c’était pour jouir, en quelque façon, durant la vie entière, du prix de la vertu : ce prix, c’était une souveraine autorité dans l’État, le droit de disposer de la mort et de la réputation des citoyens, et, en un mot, de leurs plus grands intérêts.

Voici comment se faisait l’élection.

Le peuple s’assemblait sur la place publique : des hommes choisis s’enfermaient dans une maison voisine, d’où ils ne pouvaient voir personne, et où on ne pouvait les apercevoir ; ils entendaient seulement les acclamations de l’assemblée, car c’était par des cris que le peuple, comme dans les autres cas, donnait son suffrage. Les compétiteurs n’étaient pas introduits tous à la fois dans l’assemblée : ils traversaient la place l’un après l’autre, en silence, selon le rang que le sort leur avait désigné. Ceux qui étaient enfermés dans la maison marquaient à chaque fois, sur des tablettes, le degré de l’acclamation, sans savoir pour lequel des candidats on criait, sinon que c’était pour le premier, pour le second, pour le troisième, et ainsi de suite, selon l’ordre où ils entraient dans l’assemblée. Celui qui avait fait pousser la clameur la plus soutenue et la plus forte, ils le déclaraient sénateur. Le nouvel élu se couronnait de fleurs, et il allait dans les temples, rendre grâces aux dieux. À sa suite, marchaient une foule de jeunes gens, louant à l’envi et exaltant sa vertu, et une troupe de femmes qui chantaient des hymnes en son honneur, et qui le félicitaient d’avoir vécu dans la sagesse. Chacun de ses amis lui servait une collation, en lui disant : « La ville honore ta vertu de cette table. » Quand il les avait tous visités, il se rendait à la salle des repas publics, où les choses se passaient à l’ordinaire, excepté qu’on lui servait deux portions, dont il mettait l’une à part. Après le souper, ses parentes se présentaient aux portes de la salle. Il appelait celle qu’il estimait le plus, et il lui donnait la portion qu’il avait gardée : « J’ai reçu, disait-il, cette portion comme prix de la vertu ; et je te la donne. » Et celle-là était accompagnée chez elle par les autres femmes, et recevait, elle aussi, de grands honneurs.

Il n’y a pas moins de sagesse dans les lois de Lycurgue sur les funérailles. D’abord, pour bannir des esprits toute superstition, il ne défendit pas d’enterrer les morts dans la ville, ni même de placer les tombeaux auprès des temples. C’était le moyen d’accoutumer les jeunes gens au spectacle de la mort, et de les empêcher de se troubler ou de frémir d’horreur à son aspect, et de croire qu’on est souillé pour avoir touché un cadavre, ou pour avoir passé près d’un sépulcre. En second lieu, il ne permit de rien enterrer avec les morts : on les enveloppait d’un drap rouge et de feuilles d’olivier. Il était défendu d’inscrire sur le tombeau le nom du mort, excepté pour le guerrier qui avait péri à la bataille, ou pour la femme consacrée au culte religieux. Lycurgue borna à onze jours la durée du deuil : au douzième jour, on était tenu de faire un sacrifice à Cérès, et le deuil cessait. C’est que Lycurgue ne voulait pas les laisser un seul instant dans l’oisiveté et dans l’inaction. Il unissait toujours, aux devoirs de nécessité, un encouragement pour la vertu, une critique du vice ; et il n’y avait pas de coin dans la ville qu’il ne remplit d’exemples. C’est parmi ces exemples que les citoyens étaient élevés : ils les avaient sans cesse devant les yeux ; et c’était une force invincible qui les entraînait au bien, et qui les y façonnait sans cesse.

Voilà pourquoi il ne permit pas indifféremment au premier venu de voyager et de courir le monde. Il craignait que les citoyens n’apportassent avec eux les mœurs des autres pays et des exemples de vie licencieuse, et qu’ils ne se fissent, sur le gouvernement, des idées contraires aux siennes. Bien mieux, il chassa de Sparte tous les étrangers qui y venaient sans but utile[53] ; non qu’il craignît, comme l’a cru Thucydide, qu’ils imitassent la forme de son gouvernement, et qu’ils apprissent à pratiquer la vertu, mais plutôt de peur qu’ils ne fussent, à Sparte, des maîtres de vice. En effet, avec des personnes nouvelles, il entre nécessairement aussi dans une ville de nouveaux propos : or, à propos nouveaux nouvelles façons de voir ; et ces sentiments ne manquent jamais de faire germer une foule de passions et de désirs, qui troublent l’ordre politique, comme, dans la musique, les faux tons détruisent l’harmonie. Il fallait donc, pensait Lycurgue, prémunir une ville contre la corruption des mœurs, avec plus de soin encore qu’on n’en repousse les personnes infectées de maladies contagieuses.

Il n’y a, dans ce qu’on vient de voir, aucune trace de l’injustice et de la violence qu’on reproche quelquefois aux lois de Lycurgue. Elles étaient, dit-on, très-propres à inspirer du courage, mais fort peu à faire pratiquer la justice. C’est probablement ce qu’on nomme chez eux la cryptie[54], si toutefois cet établissement est de Lycurgue, comme le prétend Aristote, qui aura fait concevoir à Platon lui-même une mauvaise opinion du gouvernement de la ville et de son législateur.

Voici en quoi consistait la cryptie.

Les magistrats envoyaient, de temps en temps, les jeunes gens qui semblaient le plus avisés, courir par la campagne, armés seulement de poignards, et ne portant que les vivres nécessaires. Disséminés çà et là, pendant le jour, dans des endroits couverts, ils s’y tenaient blottis, et ils s’y livraient au repos ; la nuit arrivée, ils en sortaient, pour se répandre sur les grands chemins, et pour égorger les Hilotes qu’ils rencontraient. Quelquefois aussi ils couraient les champs pendant le jour, tuant les plus forts et les plus robustes des Hilotes[55].

Thucydide, dans sa Guerre du Péloponnèse[56], raconte que les Spartiates avaient choisi, pour les affranchir, ceux des Hilotes qui s’étaient distingués par leur courage : ils les avaient couronnés de fleurs, et ils les avaient menés dans les temples remercier les dieux de leur liberté ; mais, bientôt après, tous les affranchis disparurent ; et ils étaient plus de deux mille ! et personne ne put jamais, ni dans le temps ni plus tard, dire comment ils étaient morts ! On dit même, et Aristote atteste le fait, que les éphores, en prenant possession de leur charge, commençaient par déclarer la guerre aux Hilotes, afin que ce ne fut pas un sacrilège de les tuer. Les Spartiates les traitaient, partout et toujours, avec une extrême dureté. Ils les forçaient de boire avec excès, et les menaient ensuite dans les salles des repas communs, pour montrer aux jeunes gens ce que c’est que l’ivresse. Ils les obligeaient à chanter des chansons, à danser des danses, indécentes et ridicules, et ils leur interdisaient tout ce que ces amusements peuvent avoir d’honnête. Aussi dit-on que, longtemps après Lycurgue, lors de l’expédition des Thébains dans la Laconie, les Hilotes refusaient de chanter les poésies de Terpandre, d’Alcman[57], de Spendon le Lacédémonien[58]. « Nos maîtres, disaient-ils, nous l’ont défendu. »

Par conséquent, c’est caractériser avec assez de justesse un tel gouvernement, que de dire, comme on l’a fait, qu’à Lacédémone les hommes libres le sont autant qu’on peut l’être, et que les esclaves sont dans l’extrême esclavage. Pour moi, je pense que les Spartiates ne se livrèrent à cet excès d’atrocité que longtemps après Lycurgue. Mais les cruautés durent redoubler après le grand tremblement de terre[59], dont les Hilotes profitèrent pour se soulever, de concert avec les Messéniens : révolte qui causa par tout le pays des maux affreux, et qui mit Sparte dans un très-grand péril. Je ne saurais imputer à Lycurgue un aussi exécrable forfait que la cryptie ; et je juge de son caractère par la douceur et la justice qu’il montra dans toute sa conduite, et dont la divinité même a rendu témoignage.

Quand l’esprit de ces institutions nouvelles eut commencé à s’incorporer aux mœurs des citoyens, et que la forme du gouvernement eut pris assez de consistance pour pouvoir se maintenir et se conserver d’elle-même, alors, comme Platon dit que Dieu, après avoir formé le monde, éprouva une joie vive en lui voyant faire ses premiers mouvements[60], de même Lycurgue, charmé de la beauté et de la majesté de ses lois, et ravi de les voir, pour ainsi dire, marcher seules et remplir leur destination, désira leur assurer, autant que le pouvait l’humaine prévoyance, une durée immortelle et une inviolable immutabilité. Il assembla tous les citoyens : il leur dit que ce gouvernement était, sous tous les rapports, organisé comme il fallait, pour leur bonheur et leur vertu ; qu’il ne restait qu’un point, à la vérité le plus important de tous, et qu’il ne voulait le régler qu’après avoir consulté l’oracle d’Apollon. Il les exhorta donc à observer fidèlement les lois qu’il leur avait données, sans y rien changer ni altérer, jusqu’à son retour de Delphes, s’engageant à exécuter lui-même alors ce que le dieu aurait prescrit. Ils promirent tous une entière obéissance, et ils le pressèrent de partir. Lycurgue fit prêter serment aux deux rois et aux sénateurs, puis à tous les citoyens, de maintenir et de conserver, jusqu’à son retour, la forme de gouvernement qu’il avait établie ; et ensuite il partit pour Delphes. Arrivé auprès de l’oracle, il fit un sacrifice au dieu, et il demanda si ses lois étaient assez bonnes pour faire le bonheur des Spartiates, et pour les rendre vertueux. Apollon répondit que ces lois étaient excellentes, et que Sparte, tant qu’elle garderait les institutions de Lycurgue, resterait illustre entre toutes les cités[61].

Lycurgue mit par écrit la réponse de l’oracle, et il l’envoya à Lacédémone. Il fit ensuite un second sacrifice, embrassa ses amis et son fils ; et, afin de ne jamais dégager ses concitoyens du serment qu’ils avaient fait, il résolut de se laisser mourir. Il était à cet âge où l’homme est assez vigoureux pour vivre encore, et mûr aussi pour mourir s’il veut[62] ; il voyait, d’ailleurs, presque tous ses souhaits heureusement réalisés. Il se laissa donc mourir en s’abstenant de manger, persuadé que la mort d’un homme d’État ne doit pas être inutile à ses concitoyens, ni la fin de sa vie oisive, et qu’il y a place, dans cet instant suprême, pour la vertu et pour l’action. Il pensa qu’après les grandes choses qu’il avait exécutées, la mort serait la consommation de son bonheur, en même temps qu’elle garantirait aux citoyens, qui avaient juré d’observer ses lois jusqu’à son retour, la durée de tous les biens qu’il leur avait procurés pendant sa vie.

Il ne se trompa point dans ses conjectures. Sparte tint le premier rang entre les cités de la Grèce, par la sagesse de son gouvernement et par sa gloire, durant les cinq cents années qu’elle observa les lois de Lycurgue. Aucun des quatorze rois qui suivirent, depuis le législateur jusqu’à Agis, fils d’Archidamus, ne fit de changement à ces lois ; car l’établissement des éphores, loin de relâcher les ressorts du gouvernement, ne fit que les tendre mieux : il semblait que ce fût tout avantage pour le peuple ; mais la force de l’aristocratie s’en accrut encore. Ce fut sous le règne d’Agis que l’argent commença à se glisser dans Sparte, et, avec l’argent, l’avarice et la cupidité. C’est alors que Lysandre, tout incapable qu’il fût de se laisser prendre lui-même à l’appât de l’or, remplit sa patrie de l’amour des richesses et du luxe. Les trésors qu’il avait rapportés de la guerre finirent par triompher des lois de Lycurgue ; mais, tant que les lois de Lycurgue furent en vigueur, Sparte fut moins une cité sagement gouvernée, que la maison bien réglée d’un homme sage et religieux ; ou plutôt, comme les poëtes feignent qu’Hercule, avec sa peau de lion et sa massue, parcourait l’univers pour châtier les scélérats et les tyrans farouches, de même Sparte, avec une simple scytale[63] et une pauvre cape, commandait à toute la Grèce, qui se soumettait volontairement à son empire : elle détruisait les pouvoirs injustes et les tyrannies qui opprimaient les peuples ; elle mettait fin, par son arbitrage, aux guerres, aux séditions, et le plus souvent même sans remuer un bouclier ; car elle n’avait besoin que d’envoyer un ambassadeur, et tous se soumettaient aux injonctions de cet homme, comme on voit les abeilles, dès que leur roi[64] paraît, s’élancer, se presser en ordre autour de lui. Tant il y avait d’imposante autorité dans les institutions de Sparte et dans sa justice !

Je m’étonne, après cela, qu’on dise que les Lacédémoniens savaient obéir, mais non point commander ; et je ne comprends pas les louanges qu’on fait d’un mot du roi Théopompe. Quelqu’un disait, devant lui, que Sparte se maintenait parce que les rois y savaient commander. « C’est plutôt, dit Théopompe, parce que les citoyens y savent obéir. » Les peuples, suivant moi, ne restent pas longtemps soumis à ceux qui ne savent pas commander ; la soumission des sujets est le fruit de la science des chefs : qui conduit bien se fait bien suivre ; et, comme la perfection de l’art hippique est de rendre le cheval doux et docile au frein, l’œuvre de la science royale consiste à former les hommes à l’obéissance.

Ce n’était point assez, pour les Lacédémoniens, de persuader la soumission aux autres peuples : on se disputait l’honneur de les avoir pour chefs, et de suivre leurs ordres. Les étrangers ne leur envoyaient demander ni vaisseaux, ni argent, ni troupes, mais seulement un général spartiate ; et, quand ils l’avaient, ils se sentaient, devant lui, pénétrés de respect et de crainte. C’est ainsi que les Siciliens obéirent à Gylippe, les Chalcidiens à Brasidas, et tous les Grecs de l’Asie à Lysandre, à Callicratidas et à Agésilas. Les généraux Spartiates étaient appelés gouverneurs et réformateurs des peuples et des rois de tous les pays du monde ; et Sparte apparaissait comme une maîtresse ou une institutrice dans l’art de bien vivre et de bien régler l’État. C’est là, je crois, ce que raille Stratonicus[65], quand il décrète et ordonne plaisamment que les Athéniens célébreront des mystères et des fêtes religieuses, et que les Éléens donneront des jeux publics, en quoi ils excellaient ; et que, s’ils font des fautes, ils seront fouettés par les Lacédémoniens. Ce n’est là qu’un mot pour rire ; mais Antisthène[66] le socratique, voyant les Thébains s’enorgueillir de leur victoire de Leuctres, dit sérieusement qu’ils ressemblaient à des écoliers tout glorieux d’avoir battu leur précepteur.

Pourtant l’objet principal de Lycurgue n’avait pas été de laisser Sparte à la tête de nombreux sujets. Persuadé que le bonheur d’une cité, comme celui d’un particulier, est le fruit de la vertu et de l’harmonie qui règne en elle, il la régla, la disposa de façon que les citoyens, toujours libres et se suffisant à eux-mêmes, se maintinssent aussi longtemps qu’il serait possible dans la pratique de la vertu. C’est sur ce plan qu’imaginèrent leurs républiques Platon, Diogène, Zénon, et tous ceux dont on vante les conceptions politiques ; mais ils n’ont laissé que des écrits et des discours, tandis que Lycurgue a mis au monde, non point dans des écrits ni dans des discours, mais en réalité, une république inimitable. Il a convaincu d’erreur ceux qui prétendent que le sage, tel qu’il est défini par les philosophes, ne saurait exister : il leur a fait voir une ville entière soumise aux règles de la philosophie. Aussi sa gloire l’emporte-t-elle, et à juste titre, sur celle de tous les fondateurs de républiques dans la Grèce[67].

Voilà pourquoi Aristote a dit que Lycurgue ne reçoit pas, à Lacédémone, tous les honneurs qu’il a mérités, encore qu’on lui en rende d’extraordinaires. En effet, on lui a élevé un temple, et tous les ans on lui offre des sacrifices comme à un dieu. On dit aussi que, lorsque ses restes furent apportés à Lacédémone, la foudre tomba sur son tombeau. C’est ce qui n’est arrivé à aucun homme illustre, hormis, longtemps après, à Euripide, mort et enseveli près d’Aréthuse en Macédoine : témoignage bien glorieux, et qui justifie les admirateurs d’Euripide, qu’une distinction qu’il a partagée lui seul, après la mort, avec l’homme le plus saint et le plus chéri des dieux.

Lycurgue, suivant les uns, mourut à Cirrha[68] ; mais Apollothémis[69] prétend qu’il se fit porter en Élide ; Timée[70] et Aristoxène[71] assurent qu’il finit ses jours en Crète ; Aristoxène même ajoute que les Crétois de Pergamie montrent son tombeau, près du grand chemin. Il laissa, dit-on, un fils unique, Antiorus[72], qui mourut sans enfants, et qui fut le dernier de sa race. Les amis et les parents de Lycurgue instituèrent une fête anniversaire, où ils se rassemblaient pour honorer sa mémoire, et qui subsista longtemps : ces jours d’assemblée se nommaient lycurgides. Aristocrates[73], fils d’Hipparque, dit que, Lycurgue étant mort en Crète, ses hôtes brûlèrent son corps, et qu’ils jetèrent les cendres dans la mer. Lycurgue les en avait priés lui-même, dans la crainte qu’on transportât ses restes à Lacédémone, et que les Spartiates, sous prétexte que Lycurgue serait revenu, se crussent dégagés de leur serment, et changeassent la forme des institutions.

Voilà ce qu’on sait de Lycurgue.



  1. Historien, poëte et philosophe, né à Cyrène, en Libye, et qui florissait sous Ptolémée Philopator.
  2. Grammairien contemporain d’Ératosthène, auteur d’un traité des généalogies mythologiques, intitulé Bibliothèque, que nous possédons encore.
  3. De Tauroménium en Sicile, historien un peu antérieur aux précédents.
  4. Écrivain inconnu, probablement Spartiate, à en juger par la terminaison dorienne de son nom.
  5. Les Hilotes étaient un des peuples de la Laconie. Leur nom devint plus tard, à Sparte, le nom générique de tous les esclaves.
  6. Ce mot signifie justicier et défenseur en justice.
  7. Des deux mots χαρά, joie, et λαός, peuple.
  8. Il ne faut pas prendre ce mot à la lettre. La poésie lyrique ne date que de Terpandre, ou, si l’on veut, de Callinus et de Tyrtée, tous postérieurs à Lycurgue. La lyre proprement dite n’existait même pas, et on ne connaissait que le vers héroïque ou épique, le vers d’Homère et d’Hésiode. Il est vrai que la poésie se chantait, et avec accompagnement de musique.
  9. Homère, d’après les traditions les plus accréditées, n’était pas de beaucoup intérieur à Lycurgue. Créophyle était, dit-on, un ami d’Homère.
  10. Cet écrivain est inconnu d’ailleurs.
  11. Il y avait deux rois à Lacédémone.
  12. Ce mot, qui signifie maison d’airain ou de bronze, désignait un temple consacré à Minerve, et entièrement revêtu de plaques de bronze.
  13. Dans le troisième livre des Lois.
  14. Disciple de Cléanthe, et qui avait écrit plusieurs ouvrages, notamment un traité intitulé République de Sparte.
  15. Ceci est du pythagorisme pur, et, par conséquent, n’a pu entrer dans les motifs de Lycurgue.
  16. Ce mot signifie édit verbal et aussi oracle.
  17. Plutarque, après avoir cité cet oracle, explique en grec ordinaire les expressions doriennes de la Pythie. La traduction de cette traduction n’aurait aucun sens en français.
  18. Poëte originaire d’Athènes ou de Milet, qui vécut à Sparte au temps des guerres de Messénie.
  19. Le médimne équivalait à peu près à un demi hectolitre. Par homme il faut entendre un chef de famille.
  20. La mine valait cent drachmes, et la drachme quatre-vingt-dix environ de nos centimes.
  21. Voyez dans Athénée, XI, 10, la description de ce vase par Critias.
  22. Ce mot vient d’ὄπτομαι, qui signifie voir.
  23. Il est probable qu’il s’agit du même Dioscoride dont il reste six livres sur la Matière médicale, et qui vivait dans le premier siècle de notre ère.
  24. Du mot ἀνήρ, homme.
  25. De φίλος, ami.
  26. Φειδώ signifie épargne.
  27. C’est-à-dire ph, qui ne sont en grec qu’un seul caractère, le φ.
  28. Le conge tenait un peu plus de trois de nos litres.
  29. La mine, mesure de pesanteur, équivalait à quatorze onces, un peu moins que notre ancienne livre.
  30. Au chapitre septième du deuxième livre de la Politique.
  31. Voyez le cinquième livre de la République.
  32. C’est-à-dire des exercices où figuraient nus les jeunes gens et les jeunes filles.
  33. Il est inutile de faire remarquer combien ce sont là de pauvres raisons. Le bonhomme Plutarque, qui semble y donner son approbation, laisse un peu trop dormir, ici et dans quelques autres passages de cette Vie, son bon sens accoutumé.
  34. Le Taygète était une montage de la Laconie.
  35. C’est-à-dire le lieu de causerie et de récréation.
  36. Du mot ἀποτίθημι, exposer, ou plutôt déposer.
  37. C’est le chardon cotonneux, carduus tomentosus.
  38. Ce mot signifie qu’ils étaient en âge de parler dans les assemblées.
  39. C’est-à-dire qui sont sur le point d’être irènes.
  40. Plutarque parle ici d’après Hippocrate, comme, un peu plus haut, d’après Xénophon.
  41. C’était à cet autel qu’on les châtiait de leurs fautes ; et le point d’honneur consistait pour eux à endurer les coups sans mot dire et sans sourciller.
  42. Plusieurs écrivains grecs ont porté ce nom ; mais on ne sait pas quel est celui que Plutarque veut designer par le surnom de sophiste.
  43. C’étaient eux qui décernaient les prix, par le moyen de magistrats nommés hellanodiques.
  44. Ce n’est qu’un mauvais jeu de mots.
  45. Poëte lyrique né à Lesbos, et qui fut appelé à Sparte pour apaiser une sédition, par ordre de l’oracle. Il vivait environ cent ans après Lycurgue, dont il mit, dit-on, les lois en vers.
  46. Ce poète est probablement Alcman, fils adoptif de Sparte, comme Tyrtée et Terpandre, et fondateur de la poésie dorienne.
  47. Il était d’Élis, et contemporain de Socrate. Platon, dans ses dialogues, a livré au ridicule ses prétentions à la science universelle.
  48. Historien et géographe, né à Cyrène, et contemporain de Ptolémée Philadelphe.
  49. L’étymologie de ce mot est inconnue.
  50. Historien, né à Smyrne, et contemporain de Ptolémée Évergète. On cite de lui des Vies des hommes illustres par leur science.
  51. Grammairien né à Lacédémone, qui vivait en Égypte sous les premiers Ptolémées.
  52. Plutarque a emprunté cette pensée à Xénophon.
  53. Un étranger, en se soumettant aux usages de Sparte, pouvait être admis au nombre des citoyens.
  54. Ce mot vient de κρύπτω, cacher, et signifie embuscade.
  55. Cette cryptie était, comme on l’a remarqué, une sorte de loi de couvre-feu, une mesure de police contre le vagabondage et les réunions nocturnes. Seulement la pénalité était atroce. Les Hilotes opprimés conspiraient sans cesse, et ils étaient dix fois plus nombreux que leurs maîtres. Les Spartiates ne les rangeaient à l’ordre que par la terreur.
  56. Au chapitre 80 du IVe livre.
  57. Poëte lyrique, né à Sardes en 670 avant J.-C. Il reste quelques fragments de ses poésies, qu’il avait écrites pour les Spartiates et dans le dialecte dorien.
  58. Spendon n’est point connu d’ailleurs.
  59. L’an 489 avant J.-C.
  60. Voyez le Timée.
  61. Remarquons, en passant, que Delphes était en pays dorien, et qu’Apollon était l’objet particulier du culte des peuples d’origine dorienne, tels que les Lacédémoniens.
  62. Suivant quelques-uns, Lycurgue aurait vécu jusqu’à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. L’âge indiqué par Plutarque est la soixantaine. Le sophisme que l’historien prête à Lycurgue, et qu’il semble approuver, est de ce mauvais stoïcisme qui n’aurait pas dû le rendre infidèle, même un instant, à Socrate et à Platon.
  63. C’était le nom que portaient les missives émanant du gouvernement de Sparte.
  64. Nous dirions, plus exactement : leur reine.
  65. C’était un musicien d’Athènes, fameux par ses bons mots, dont plusieurs ont été conservés par Athénée.
  66. Fondateur de la secte cynique, et contemporain de Platon.
  67. Les anciens eux-mêmes n’ont pas été tous de cet avis ; et nous n’aurions qu’à mettre les récits mêmes de Plutarque sur Solon en regard de ses récits sur Lycurgue, pour montrer la fausseté de ce panégyrique.
  68. Ville de Phocide, voisine de Delphes.
  69. Cet auteur n’est point connu d’ailleurs.
  70. Probablement Timée de Tauroménium, dont il a déjà été question.
  71. Auteur des trois livres sur la Musique, publiés sous son nom dans la collection de Meibomius. Il avait fait aussi des Vies des philosophes. Il naquit en 350 avant J.-C, et il fut disciple d’Aristote.
  72. D’autres le nomment Encosmus.
  73. Auteur d’une Histoire de Lacédémone, citée par Athénée, mais inconnu d’ailleurs.