Vies des hommes illustres/Pompée
Charpentier, (Volume 3, p. 331-430).
POMPÉE.
Le peuple romain semble avoir eu, dès l’abord, pour Pompée, les mêmes sentiments que le Prométhée d’Eschyle témoigne en ces mots à Hercule, qui vient de le sauver :
Ce fils d’un père que je hais, il m’est bien cher[1].
Jamais, en effet, les Romains ne donnèrent à aucun autre général des preuves d’une haine aussi forte et violente que celle dont ils ont poursuivi Strabon, père de Pompée. Vivant, sa puissance dans les armes, car il était homme de guerre, le leur avait rendu redoutable ; et, quand il fut mort frappé de la foudre, ils arrachèrent le corps du lit funèbre, pendant les obsèques, et lui firent mille outrages. Or, aucun Romain, plus que Pompée, ne fut, en revanche, l’objet de leur vive affection ; nul ne la vit commencer plus tôt, ni persévérer plus longtemps dans sa prospérité, ni se soutenir avec plus de constance dans ses revers. L’aversion qu’on portait au père ne venait que d’une seule cause, son insatiable avarice ; mais il y en eut plusieurs à l’amour qu’inspirait Pompée : sa tempérance dans la manière de vivre, son adresse aux exercices des armes, son éloquence persuasive, la sincérité de son caractère, et son affabilité. Il était personne qui fut plus endurant avec les solliciteurs, ni qui obligeât plus volontiers : il donnait sans arrogance, et recevait avec dignité. La douceur de ses traits, qui prévenait en sa faveur avant qu’il eût parlé, ne contribua pas peu, dans les premiers temps, à lui gagner les cœurs. Il joignait à cet air aimable une gravité tempérée par la bonté ; on voyait éclater, à travers la fleur même de sa jeunesse, la majesté de l’âge mûr, et des manières toutes royales. Ses cheveux étaient un peu relevés ; ses regards, doux et vifs, donnaient à sa physionomie une ressemblance, moins frappante pourtant qu’on ne le disait, avec les portraits du roi Alexandre. De là le surnom sous lequel on le désignait généralement dès sa jeunesse. Pompée était loin de s’en fâcher : aussi quelques-uns, pour le railler, se mirent-ils à l’appeler Alexandre. On compte, à ce propos, que Lucius Philippe[2], homme consulaire, dit, en plaidant pour lui, qu’on ne devait pas s’étonner qu’étant Philippe, il aimât Alexandre.
La courtisane Flora conservait encore, dans sa vieillesse, un souvenir agréable de ses liaisons avec Pompée : « Jamais, disait-elle, quand il couchait avec moi, je n’en ai été quitte sans morsure. » Flora racontait encore qu’un des amis de Pompée, nommé Géminius, étant devenu amoureux d’elle, et l’obsédant de ses importunités, elle lui avait dit, afin de s’en défaire, que son amour pour Pompée l’empêchait de consentir. Géminius alla prier Pompée de le servir dans sa passion, et Pompée se prêta aux vœux de Géminius ; mais depuis il n’eut plus aucun commerce avec Flora, et cessa de la voir, quoiqu’il parût toujours l’aimer. Ce ne fut point en courtisane que Flora supporta cette perte : elle fut longtemps malade de douleur et de regret. Cette femme était, dit-on, si belle et si renommée, que Cécilius Métellus, ornant de statues et de tableaux le temple des Dioscures[3], fit mettre au nombre des monuments consacrés le portrait de Flora, par honneur pour sa beauté.
Pompée traita, contre son naturel, durement et avec grossièreté, la femme de Démétrius l’affranchi, lequel avait eu auprès de lui le plus grand crédit, et qui, en mourant, laissa quatre mille talents de bien[4]. Il ne voulait pas qu’on l’accusât de s’être laissé vaincre par les charmes de sa beauté, à laquelle rien ne résistait, et qui était l’objet de l’admiration universelle. Mais sa retenue, et les précautions qu’il prenait ainsi de loin, ne purent le garantir des calomnies de ses ennemis : on l’accusait de vivre avec des femmes mariées, et de dilapider les revenus publics, pour satisfaire à leurs caprices.
On cite de lui un mot qui mérite d’être conservé, et qui prouve la simplicité et la facilité de son régime. Il avait une maladie assez grave, accompagnée d’un grand dégoût : son médecin lui ordonna de manger une grive ; mais la saison des grives était passée, et l’on n’en trouva pas une seule à acheter. « On en trouvera chez Lucullus, dit alors quelqu’un ; car il en fait nourrir toute l’année. — Eh quoi ! répondit-il, si Lucullus n’était pas friand, Pompée ne pourrait donc vivre ? » Et, laissant là la prescription du médecin, il se contenta d’un mets plus facile à trouver. Mais cela n’eut lieu que longtemps après l’époque où nous sommes.
Dans sa première jeunesse, comme il servait sous son père, qui faisait la guerre à Cinna, il avait pour ami un certain Lucius Térentius, avec lequel il partageait sa tente, et qui, gagné à prix d’argent par Cinna, promit de tuer Pompée, pendant que d’autres mettraient le feu à la tente du général. Pompée était à table quand on lui révéla ce complot : il ne laissa paraître aucun trouble ; il but même plus qu’à l’ordinaire, il fit mille caresses à Térentius ; et, après qu’on se fut allé coucher, il sortit secrètement de sa tente, plaça des gardes autour de son père, et se tint tranquille. Lorsque Térentius crut que l’heure était venue, il se lève, il s’approche, l’épée nue à la main, du lit de Pompée qu’il croyait couché, et donne plusieurs coups dans les couvertures. En même temps voilà dans le camp une grande émeute, soulevée par la haine qu’on portait au général : les soldats s’apprêtent à la défection ; ils plient les tentes, et prennent leurs armes. Le général, effrayé de ce tumulte, n’osait sortir de sa tente ; mais Pompée se présente au milieu des mutins, et les conjure avec larmes de rester ; enfin il se jette en travers devant la porte du camp, le visage contre terre : « Passez-moi donc sur le corps, s’écria-t-il en pleurant, puisque vous voulez absolument sortir. » Tous reculèrent, saisis d’un sentiment de honte ; et, à l’exception de huit cents, ils renoncèrent à leur projet, et se réconcilièrent avec leur général.
Pompée eut à soutenir, après la mort de Strabon, un procès pour crime de péculat, intenté à son père : il acquit la preuve qu’un des affranchis de Strabon, nommé Alexandre, avait détourné à son profit la plus grande partie de ces deniers publics, et le traduisit devant les juges. Mais il fut accusé en son propre nom de retenir des filets de chasse et des livres pris à Asculum[5]. Son père, en effet, les lui avait donnés après avoir pris Asculum ; mais il les avait perdus, les satellites de Cinna, après le retour de ce dernier, ayant forcé sa maison et l’ayant pillée. Il eut, dans le cours du procès, de grands combats à livrer contre son accusateur ; et il fit paraître dans sa défense une pénétration et une fermeté au-dessus de son âge, et qui lui valurent, avec une haute réputation, les bonnes grâces de tout le monde. Ce fut au point que le préteur Antistius, qui présidait au jugement, s’éprit pour Pompée d’une si vive affection, qu’il résolut de lui donner sa fille en mariage, et lui en fit la proposition par ses amis. Pompée accepta, et les fiançailles se firent en secret. Cependant l’intérêt qu’Antistius montrait à Pompée fit deviner au peuple le mystère ; et, à la fin du procès, lorsque le préteur prononça la sentence d’absolution portée par les juges, la multitude, comme si elle en eût reçu l’ordre, se mit à crier : À Talasius ! mot qui est, de toute antiquité, le signal accoutumé des noces romaines.
Voici, dit-on, l’origine de cet usage. Lorsque les plus vaillants d’entre les Romains enlevaient les filles sabines, qui étaient venues à Rome pour assister à un spectacle, des pâtres et des bouviers ravirent une jeune fille d’une beauté et d’une taille distinguées ; et, de peur qu’elle ne leur fût enlevée par quelqu’un des nobles, ils criaient, tout en courant : À Talasius ! Or, Talasius était un jeune homme des plus estimés et des plus connus. Quand on entendit ce nom, on se mit à battre des mains, et à répéter ce cri, en signe d’approbation et de joie. Ce mariage fut heureux pour Talasius ; de la vient, dit-on, qu’on répète, par manière de jeu, cette acclamation pour ceux qui se marient. C’est le récit qui m’a paru le plus vraisemblable sur l’origine du cri de Talasius[6].
Peu de jours après, Pompée épousait Antistia. Il se rendit ensuite au camp de Cinna, où il se vit bientôt en butte à des calomnies qui lui donnèrent des sujets de craindre pour sa sûreté. Il se déroba secrètement ; et, comme il ne reparaissait pas, le bruit se répandit dans le camp que Cinna avait fait tuer le jeune homme. Ceux qui haïssaient de longue main Cinna saisirent cette occasion pour lui courir sus : Cinna prit la fuite ; mais, atteint par un capitaine qui le poursuivait l’épée à la main, il se jette à ses genoux, et lui offre son cachet, qui était d’un grand prix. « Je ne viens pas sceller un contrat, dit avec insulte le capitaine, mais pour punir un tyran impie et injuste. Et il le tua.
Cinna, ayant péri de cette manière, eut pour successeur dans la conduite des affaires Carbon, tyran plus déraisonnable encore. Mais Sylla revenait, désiré de la plupart des Romains, qui envisageaient comme un grand bien, vu les maux présents, ce qui n’était qu’un changement de maître. Tel était le sort déplorable où la ville se trouvait réduite, que, désespérant de recouvrer la liberté, elle ne cherchait qu’une servitude plus douce.
Pompée vivait alors dans le Picénum[7], où il avait des domaines, et où il jouissait de l’affection héréditaire que portaient à sa famille les villes du pays. Voyant que les plus considérables citoyens et les plus gens de bien abandonnaient leurs maisons et se rendaient de tous côtés au camp de Sylla, comme dans un port assuré, il prit aussi la résolution d’y aller ; mais il ne crut pas qu’il fût de sa dignité d’y paraître comme un fugitif qui ne contribuait en rien à la défense commune, et qui venait mendier du secours : il voulut rendre à Sylla un service, et arriver d’une manière honorable, et à la tête d’une armée. Il se mit donc à solliciter, à pousser les Picéniens, qui se prêtèrent avec ardeur à le seconder, et refusèrent d’écouter les émissaires de Carbon. Un certain Vindius s’avisa de dire : « Mais ce Pompée ne fait que sortir de l’école ; et sa faconde vous mène à son gré ! » Ce propos les irrita au point qu’ils se jetèrent à l’instant sur Vindius, et le massacrèrent.
Pompée, alors âgé de vingt-trois ans, n’attendit pas qu’on lui déférât le commandement : il s’en donna à lui-même l’autorité, fit dresser un tribunal sur la place d’Auximum, ville considérable, et rendit une sentence pour ordonner à deux frères, nommés Ventidius, qui étaient les premiers du pays, et qui travaillaient contre lui dans l’intérêt de Carbon, de sortir sur l’heure de la ville. Il leva des soldats, nomma des capitaines, des chefs de bandes, en un mot tous les grades de la milice romaine ; puis il parcourut les autres villes l’une après l’autre, faisant partout de même. Tous les partisans de Carbon se retiraient à son approche, et cédaient la place ; les autres couraient se mettre à sa disposition. Il eut bientôt complété trois légions, et ramassé les vivres, les bagages, les chariots, tout l’appareil nécessaire. Alors il se mit en chemin pour aller trouver Sylla, sans hâter sa marche, sans vouloir se cacher : au contraire, il s’arrêtait sur la route, faisant dommage aux ennemis, et sollicitant toutes les villes d’Italie par où il passait à se déclarer contre Carbon.
Trois chefs ennemis vinrent l’assaillir en même temps, Carrinnas, Célius et Brutus, non point de front ni tous ensemble, mais par trois côtés différents, et avec trois corps d’armée séparés : ils l’enveloppaient, comptant l’enlever sans effort. Pompée ne s’effraie point : il rassemble toutes ses forces, tombe sur les troupes de Brutus avec sa cavalerie, lui-même en tête : c’était son front de bataille. La cavalerie des ennemis, composée de Gaulois, donna aussi la première. Pompée commence l’attaque : il perce de sa lance et renverse par terre le chef de la troupe, qui était aussi le plus vigoureux ; à l’instant tous les autres tournent le dos, jettent le désordre parmi l’infanterie, et l’entraînent dans leur fuite. À la suite de cette déroute, les généraux, ne pouvant plus s’entendre, se retirèrent chacun de son côté ; et les villes, qui attribuaient à la crainte cette dispersion des ennemis, se rendirent à Pompée. Le consul Scipion marcha à son tour contre lui ; mais, avant que les deux armées fussent à la portée du trait, les soldats de Scipion, saluant ceux de Pompée, passèrent de leur côté ; et Scipion prit la fuite. Enfin Carbon lui-même détacha contre Pompée, sur les bords de la rivière Arsis, plusieurs compagnies de cavaliers : Pompée les charge vigoureusement, les met en fuite, les poursuit, et les force de se jeter dans des lieux difficiles, où la cavalerie ne pouvait agir : ils perdirent tout espoir de se sauver, et se rendirent à Pompée avec leurs armes et leurs chevaux.
Sylla ignorait encore ces combats ; mais, aux premières nouvelles, aux premiers bruits qu’il en eut, il craignit pour Pompée, enveloppé par tant et de si grands capitaines, et se hâta d’aller à son secours. Pompée, informé que Sylla était proche, commande aux officiers de faire prendre les armes, et de ranger l’armée en bataille, afin qu’elle parût devant le chef suprême dans toute sa beauté et dans tout son éclat. Il s’attendait de la part de Sylla à de grands honneurs : il en reçut de plus grands encore. Dès que Sylla le vit s’avancer avec ses troupes en bel ordre, composées de beaux hommes, toutes fières et joyeuses de leurs succès, il descendit de cheval, et, salué par Pompée du nom d’imperator, il le salua du même titre à son tour, au grand étonnement de tous : on ne s’attendait guère que Sylla communiquât à un jeune homme, et qui n’était pas encore sénateur, un titre pour lequel il faisait la guerre aux Scipion et aux Marius. Le reste de sa conduite répondit à ces premiers témoignages de satisfaction : il se levait toujours quand Pompée l’abordait, et il ôtait de dessus sa tête le pan de sa robe : marques de respect qu’on ne le voyait pas souvent donner à d’autres, quoiqu’il eût autour de lui une foule d’officiers distingués.
Pompée ne s’enfla point de ces honneurs ; et, quand Sylla l’envoya dans la Gaule, où Métellus commandait et ne faisait rien qui répondît, pensait-on, aux ressources dont il disposait, il représenta aussitôt qu’il ne serait pas honnête d’enlever le commandement de l’armée à un général plus âgé, et qui jouissait d’une grande réputation ; mais que, si Métellus y consentait et qu’il l’engageât de lui-même à venir l’aider dans cette guerre, il était tout prêt à l’aller joindre. Métellus accepta cette offre, et lui écrivit de venir. Pompée entra donc dans la Gaule : il y fit personnellement des exploits merveilleux ; et il ranima, il réchauffa l’ardeur guerrière et l’audace de Métellus, que la vieillesse avait presque éteintes : ainsi le fer embrasé et en fusion, si on le verse sur le fer dur et froid, l’amollit et le fond plus vite, dit-on, que ne ferait le feu même.
Lorsqu’un athlète est devenu le premier entre ses rivaux, et qu’il s’est couvert de gloire dans tous les combats, on ne parle pas des victoires de son enfance, on ne les inscrit pas dans les fastes publics ; de même j’ai craint de toucher aux exploits que fit alors Pompée, quelque admirables qu’ils soient en eux-mêmes, parce qu’ils sont ensevelis sous le nombre et la grandeur de ses derniers combats et de ses dernières guerres ; je n’ai pas voulu, en m’arrêtant trop sur ses commencements, m’exposer à passer légèrement sur ses plus beaux faits d’armes, et sur les événements qui font le mieux connaître le caractère et les mœurs de ce grand personnage.
Sylla, devenu maître de l’Italie et déclaré dictateur, récompensa ses autres capitaines et lieutenants par des richesses, des dignités, des grâces de toute sorte, accordées, selon leurs besoins, avec autant de libéralité que de plaisir ; mais, plein d’admiration pour la vertu de Pompée, et le jugeant propre à donner un grand appui à son autorité, il voulut absolument se l’attacher par une alliance ; et sa femme Métella entra dans ce projet. Ils persuadent à Pompée de répudier Antistia, et d’épouser Émilie, belle-fille de Sylla, née de Métella et de Scaurus, laquelle était déjà mariée, et actuellement enceinte. Ce mariage, dicté par la tyrannie, était plus conforme aux intérêts de Sylla qu’aux mœurs de Pompée : quelle indignité, en effet, d’introduire dans sa maison une femme enceinte, du vivant même de son mari, et d’en chasser ignominieusement, durement, Antistia, dont le père venait de périr pour le mari qui la répudiait ! Car Antistius avait été massacré dans le Sénat, parce que son alliance avec Pompée fit croire qu’il était du parti de Sylla. La mère d’Antistia, à la vue d’un tel affront, se tua de sa propre main ; et ce funeste événement fut un épisode de la tragédie de ces noces, comme aussi le malheur d’Émilie, laquelle mourut en couches dans la maison de Pompée.
On apprit, vers ce temps, que Perpenna s’était emparé de la Sicile, et faisait de cette île une retraite pour ceux qui restaient encore de la faction contraire à celle de Sylla ; que Carbon croisait avec une flotte dans les mers de Sicile ; que Domitius était passé en Afrique, et qu’avec lui s’y étaient réfugiés plusieurs des bannis illustres qui avaient pu échapper aux proscriptions. Pompée fut envoyé contre eux avec une puissante armée ; et Perpenna, à son approche, abandonna incontinent la Sicile. Pompée réconforta les villes opprimées, et les traita toutes avec beaucoup d’humanité, à l’exception des Mamertins, habitants de Messine, lesquels refusaient, en vertu d’une ancienne loi portée en leur faveur par les Romains, de comparaître à son tribunal, et déclinaient sa juridiction. « Ne cesserez-vous, dit Pompée, de nous alléguer des lois, à nous qui avons ceint l’épée ? »
On trouva aussi qu’il insultait avec inhumanité au malheur de Carbon ; car, à supposer que sa mort fût nécessaire, comme elle l’était peut-être, il fallait le faire périr aussitôt qu’il eut été arrêté ; et l’odieux en fût retombé sur celui qui l’avait ordonnée : or, Pompée fit traîner devant lui, chargé de chaînes, un Romain trois fois honoré du consulat, et prononça lui-même la sentence, assis sur son tribunal, en présence d’une foule nombreuse, qui faisait éclater sa douleur et son indignation ; il ordonna ensuite qu’on l’emmenât pour être exécuté. On entraîna Carbon ; et, lorsqu’il vit l’épée nue, il demanda, dit-on, à se retirer un moment à l’écart pour un besoin qui le pressait. Caïus Oppius[8], l’ami de César, rapporte que Pompée traita avec non moins de, cruauté Quintus Valérius : comme il connaissait Valérius pour un homme de lettres, et d’un savoir peu commun, quand on le lui eut amené il le tira à part, se promena quelque temps avec lui ; et, après l’avoir interrogé et en avoir appris ce qu’il voulait savoir, il ordonna aux licteurs de le tuer. Mais il ne faut croire qu’avec beaucoup de réserve ce qu’Oppius écrit des ennemis comme des amis de César.
Pompée ne pouvait se dispenser de punir les ennemis de Sylla les plus marquants, et qui avaient été pris au su de tout le monde ; quant à ceux qui s’échappèrent, il fit semblant, autant que cela fut possible, de ne pas s’apercevoir de leur fuite ; il y en eut même dont il la favorisa. Il avait résolu de châtier la ville d’Himère, qui s’était déclarée pour les ennemis ; mais l’orateur Sthénis demanda la permission de parler, et représenta à Pompée l’injustice qu’il y aurait à pardonner au coupable, et à faire périr ceux qui n’avaient aucun tort. « De quel coupable veux-tu parler ? » dit Pompée. « De moi-même, répondit Sthénis ; c’est moi qui ai décidé mes amis par la persuasion, mes ennemis par la force. » Émerveillé de sa franchise et de sa magnanimité, Pompée lui pardonna, à lui d’abord, et ensuite à tous les autres Himéréens. Et, comme on lui vint dire que les soldats commettaient des désordres sur leur passage, il scella leurs épées de son cachet, et punit ceux qui rompirent le sceau.
Tandis qu’il réglait de la sorte les affaires de la Sicile, il reçut un décret du Sénat et des lettres de Sylla qui lui ordonnaient de passer en Afrique, et de faire à outrance la guerre à Domitius, lequel avait ramassé une armée beaucoup plus nombreuse que celle qu’avait Marius lorsqu’il était repassé naguère d’Afrique en Italie, et que, de fugitif devenu tyran, il avait bouleversé de fond en comble la république romaine. Pompée fit promptement tous ses préparatifs, et laissa pour commander en Sicile, Memmius, le mari de sa sœur. Il se mit en mer avec cent vingt grands navires et quatre-vingts vaisseaux de charge qui portaient des vivres, des armes, de l’argent et des machines de guerre. Sa flotte eut à peine abordé, partie à Utique[9] partie à Carthage, que sept mille des ennemis vinrent se rendre à lui, et se joindre aux six légions complètes qu’il avait amenées.
Il eut alors, dit-on, une aventure assez plaisante. Quelques soldats, à ce qu’il paraît, avaient trouvé un trésor considérable, qu’ils s’étaient partagé. Le bruit de la chose s’étant répandu, tous les autres furent persuadés que ce lieu était plein de richesses, qu’on y avait cachées au temps des revers de Carthage. Pompée ne put tirer, pendant plusieurs jours, aucun service des soldats, uniquement occupés à chercher des trésors ; il se promenait au milieu d’eux, riant de voir tant de milliers d’hommes fouillant et retournant le sol de la plaine : enfin, lassés de leurs recherches inutiles, ils dirent à Pompée de les mener où il voudrait, et qu’ils étaient assez punis de leur sottise.
Domitius avait mis son armée en bataille : il avait devant lui une fondrière profonde et difficile à passer ; d’ailleurs il tombait depuis le matin une pluie abondante, et il faisait un grand vent : il renonça à combattre ce jour-là, et donna l’ordre de se retirer. Pompée, au contraire, faisant son profit de la conjoncture, s’avance sans perdre de temps, passe la fondrière, et charge les ennemis, qui n’avaient point pris leurs rangs, et qui ne pouvaient, dans le trouble d’une attaque imprévue, ni agir tous, ni soutenir le choc avec ensemble, incommodés de plus par la pluie que le vent leur poussait au visage. L’orage nuisait aussi aux Romains : ils ne voyaient pas assez pour se distinguer les uns les autres ; Pompée lui-même fut en danger d’être tué, parce qu’il tarda trop à répondre à un soldat qui, ne le connaissant pas, lui demanda le mot d’ordre. Toutefois ils enfoncèrent les ennemis, et en firent un grand carnage : de vingt mille qu’ils étaient, il ne s’en sauva, dit-on, que trois mille. Les soldats saluèrent Pompée du nom d’imperator ; mais Pompée déclara qu’il n’acceptait pas cet honneur tant que le camp des ennemis subsisterait ; et que, s’ils le jugeaient digne d’un tel titre, ils devaient commencer par abattre ces retranchements. Ils courent à l’instant les assaillir ; et Pompée, pour ne plus courir le danger auquel il venait d’être exposé, combattit sans casque. Le camp fut emporté de force, et Domitius périt. La plupart des villes s’empressèrent alors de faire leur soumission ; et l’on emporta d’assaut celles qui firent résistance. Pompée fit prisonnier le roi Iarbas qui avait combattu avec Domitius, et donna son royaume à Hiempsal.
Pour profiter de sa fortune et de l’ardeur de son armée, il se jeta dans la Numidie, s’y avança de plusieurs journées de chemin, soumit tout ce qui était sur son passage, et rendit terrible et redoutable comme autrefois, aux yeux des Barbares, la puissance romaine, que déjà ils avaient cessé de craindre. « Il ne faut pas même, disait-il, laisser les bêtes féroces qui remplissent l’Afrique, sans leur faire éprouver la force et la fortune des Romains. » Il passa donc plusieurs jours à chasser des lions et des éléphants. Il n’avait mis, dit-on, que quarante jours à détruire les ennemis, à soumettre l’Afrique, à terminer les affaires des rois du pays ; et cette année était la vingt-quatrième de son âge.
De retour à Utique, il reçut des lettres de Sylla, lequel lui ordonnait de licencier ses troupes, et d’attendre là, avec une seule légion, le général qui devait le remplacer. Cet ordre lui causa un secret déplaisir, et l’affecta péniblement ; quant à l’armée, elle en témoigna ouvertement son indignation ; et, lorsque Pompée les pria de partir, ils éclatèrent en injures contre Sylla, et protestèrent qu’ils n’abandonneraient point Pompée, et ne souffriraient pas qu’il se fiât au tyran. Pompée s’efforça d’abord de les adoucir et de les consoler ; mais, voyant qu’il ne gagnait rien sur eux, il descendit de son tribunal, et rentra dans sa tente, tout baigné de pleurs. Les soldats allèrent l’y chercher, et le reportèrent sur son tribunal ; et une grande partie du jour se passa, eux le pressant de rester et de garder le commandement, lui les conjurant d’obéir et de ne pas se révolter. Comme ils continuaient leurs instances et leurs cris, il leur jura qu’il se tuerait lui-même si on lui faisait violence : et il eut, avec cela, grand’peine à les calmer.
La première nouvelle qui vint à Sylla fut que Pompée avait fait défection. « C’est donc ma destinée, dit-il à ses amis, d’avoir dans ma vieillesse à combattre contre des enfants ! » Et en effet, Marius le jeune lui avait donné beaucoup d’embarras, et l’avait mis dans le dernier péril. Mais, quand il eut su la vérité, et qu’il apprit d’ailleurs que tout le monde allait au-devant de Pompée et l’accompagnait en lui prodiguant des témoignages d’affection, il voulut les surpasser tous : il sortit à sa rencontre, l’embrassa de la façon la plus cordiale, et le salua à haute voix du nom de Magnus, ordonnant à tous ceux qui le suivaient de lui donner le même titre. Or, magnus signifie grand. Suivant d’autres, ce surnom lui avait été donné d’abord en Afrique par toute l’armée ; et Sylla, en le confirmant, lui avait donné force et valeur. Mais Pompée fut le dernier de tous à se l’attribuer : ce ne fut que longtemps après, lorsqu’il fut envoyé en Espagne contre Sertorius, avec le titre de proconsul, qu’il commença à signer dans ses lettres et dans ses ordonnances Pompée Magnus, alors que ce titre, auquel on était accoutumé, ne pouvait plus exciter l’envie. Admirons ici les anciens Romains, qui récompensaient par des titres et des surnoms honorables, non-seulement les succès militaires, mais encore les actions et les vertus civiles. Il y avait eu deux hommes à qui le peuple avait conféré le nom de Maximus, c’est-à-dire très-grand[10] : Valérius, pour avoir réconcilié le peuple avec le Sénat ; Fabius Rullus, pour avoir chassé du Sénat quelques fils d’affranchis qui, à la faveur de leurs richesses, s’étaient faits élire sénateurs.
Après son retour, Pompée demandait le triomphe : Sylla le lui refusa ; et en effet, la loi ne l’accordait qu’à des consuls ou des préteurs : le premier Scipion lui-même, après avoir remporté en Espagne des victoires importantes et glorieuses sur les Carthaginois, n’avait pas demandé le triomphe, comme n’étant ni consul ni préteur : « Si donc Pompée, disait Sylla, qui n’a presque point encore de barbe, et à qui son âge ne permet pas d’être sénateur, entre triomphant dans Rome, cette distinction rendra odieuses et la puissance du dictateur, et la personne même de Pompée. » À cette déclaration de Sylla, que, loin de favoriser les desseins de Pompée il s’y opposait de toutes ses forces, et que, si Pompée s’obstinait, il saurait bien réprimer son ambition, Pompée, sans se déconcerter, pria Sylla de considérer que plus de gens adorent le soleil levant que le soleil couchant. C’était lui dire : « Ma puissance s’accroît tous les jours, et la tienne ne fait que diminuer et s’affaiblir. » Sylla, qui ne l’avait pas bien entendu, et qui aperçut un vif étonnement sur le visage et dans les gestes des autres, demanda ce qu’il avait dit. Lorsqu’on le lui eut répété, il s’écria par deux fois, stupéfait de l’audace de Pompée : « Qu’il triomphe ! » Et, comme Pompée vit que la plupart des assistants témoignaient du dépit et de l’indignation, il résolut, dit-on, pour les irriter davantage encore, d’entrer dans Rome sur un char traîné par quatre éléphants ; car il en avait amené d’Afrique un grand nombre, conquis sur les rois vaincus. Mais la porte de la ville se trouva trop étroite ; il y renonça, et son char fut traîné par des chevaux. Ses soldats, qui n’avaient pas obtenu tout ce qu’ils avaient espéré, voulaient faire du tumulte et troubler le triomphe ; mais Pompée déclara qu’il s’en souciait fort peu, et qu’il aimerait mieux ne pas triompher, que de flatter les soldats. Alors Servilius, personnage illustre, et qui s’était particulièrement opposé à ce qu’il triomphât, avoua qu’il voyait maintenant dans Pompée un homme véritablement grand et digne du triomphe.
Il est manifeste qu’il n’eût tenu qu’à lui d’être reçu dès lors dans le Sénat ; mais il ne montra aucun empressement pour y entrer, parce qu’il ne cherchait, dit-on, l’illustration que dans les choses extraordinaires. Or, il n’eût pas été surprenant que Pompée fût sénateur avant l’âge ; mais quelle gloire d’avoir obtenu le triomphe avant d’être sénateur ! Ce fut même la pour lui un moyen puissant de gagner l’affection du peuple : on était charmé qu’après son triomphe il restât dans l’ordre des chevaliers, et soumis à la revue des censeurs. Ce n’était pas sans chagrin que Sylla voyait Pompée s’élever à ce haut degré de gloire et de puissance ; mais il eut honte d’y mettre obstacle, et se tint en repos. Toutefois, lorsque Pompée eut, par force et malgré le dictateur, fait nommer Lépidus au consulat, en l’appuyant de son crédit et en lui rendant le peuple favorable, Sylla, l’ayant aperçu, après l’élection, qui traversait le Forum accompagné d’une foule nombreuse : « Je te vois, jeune homme, dit-il, tout joyeux de ta victoire. N’est-ce pas en effet un bien honorable et bien bel exploit d’être parvenu, par tes intrigues auprès du peuple, à faire nommer consul, avant Catulus, le plus vertueux des hommes, Lépidus qui en est le plus pervers ? Je te préviens, au reste, de ne pas t’endormir, mais de veiller avec soin à tes affaires ; car tu t’es donné un adversaire plus fort que toi. » Ce fut surtout dans ses dispositions testamentaires que Sylla fit paraître son peu d’affection pour Pompée. Il laissa des legs à tous ses amis, et nomma des tuteurs à son fils, sans faire seulement mention de lui. Pompée supporta cette mortification en sage et en homme d’État ; jusque-là que, Lépidus et quelques autres voulant empêcher que Sylla ne fût enterré dans le champ de Mars et qu’on fît publiquement ses funérailles, Pompée les arrêta, et procura à ses obsèques tout à la fois décence et sûreté.
Sylla mort, on vit se vérifier bientôt ses prédictions : Lépidus tenta de succéder à l’autorité du dictateur, mais sans user de détours et de déguisements ; il prit sur-le-champ les armes ; et, ranimant les restes des anciennes factions qui avaient échappé aux recherches de Sylla, il se fortifia de leur puissance. Catulus, son collègue, à qui la meilleure et la plus saine partie du Sénat et du peuple s’était attachée, jouissait d’une grande réputation de sagesse et de justice, et passait pour le plus grand des Romains d’alors. Mais on le jugeait plus propre à l’administration civile qu’au commandement des armées. Pompée, requis par les circonstances mêmes, ne balança pas sur le parti qu’il devait suivre : il se rangea du côté des gens de bien, et fut nommé général de l’armée qu’on envoyait contre Lépidus. Déjà Lépidus, avec les troupes de Brutus, avait soumis une grande partie de l’Italie, et occupait la Gaule cisalpine. Pompée n’eut guère besoin que de se montrer pour réduire toutes les villes, hormis la seule Mutine[11], en Gaule, où il tint longtemps Brutus assiégé. Lépidus, profitant de ce délai, se porta vers Rome, et campa sous les murailles, demandant un second consulat, et menaçant les habitants de la ville d’une tourbe sans aveu. Mais une lettre de Pompée, qui mandait que la guerre avait été terminée sans combat, dissipa cette frayeur. Brutus, ou traître à son armée ou trahi par elle, s’était rendu à Pompée. On lui donna une escorte de cavaliers ; et il se retira dans une petite ville située sur le Pô. Mais, le lendemain, Pompée envoya Géminius pour l’y tuer. Ce meurtre fut généralement blâmé ; car, aussitôt après la reddition des ennemis, Pompée avait écrit au Sénat que Brutus s’était volontairement rallié à lui ; et ensuite il écrivit d’autres lettres pour accuser Brutus, qu’il avait fait périr. Ce Brutus était père de celui qui, avec Cassius, tua César ; mais le fils ne ressembla au père ni pour la manière de faire la guerre, ni pour le genre de mort, comme nous l’avons rapporté dans sa Vie[12]. Lépidus, chassé d’Italie, se réfugia en Sardaigne, où il mourut d’une maladie causée par le chagrin, non point, dit-on, de voir ses affaires ruinées, mais d’avoir découvert, par une lettre qui lui tomba entre les mains, l’adultère de sa femme.
Cependant Sertorius, général qui ne ressemblait en rien à Lépidus, était maître d’une partie de l’Espagne, et tenait les Romains suspendus en grande crainte, les restes des guerres civiles, tels qu’une dernière maladie, s’étant rassemblés autour de lui. Il avait déjà défait plusieurs généraux peu expérimentés ; et alors il était aux prises avec Métellus Pius, homme distingué et d’une grande capacité militaire, mais appesanti par l’âge, et qui laissait échapper les occasions favorables que lui présentait la guerre : Métellus ne savait pas profiter de ses succès, et Sertorius lui en ravissait les avantages par sa promptitude et son activité. Sertorius se trouvait tout à coup devant lui, l’attaquant à l’improviste, comme font les brigands, et troublant sans cesse, par ses embuscades, par ses courses imprévues, un athlète accoutumé à des combats réguliers, et qui ne savait conduire que des soldats pesamment armés, faits pour combattre de pied ferme. Pompée, qui avait encore toutes ses troupes, intriguait à Rome pour être envoyé au secours de Métellus ; et, sans égard à l’ordre que lui avait donné Catulus de licencier ses troupes, il se tenait en armes autour de la ville, alléguant sans cesse quelque nouveau prétexte ; enfin, sur la proposition de Lucius Philippe, on lui donna le commandement qu’il désirait. Un des sénateurs ayant demandé à Philippe, avec étonnement, s’il croyait qu’il fallût envoyer Pompée en Espagne pour le consul : « Non, dit Philippe, mais pour les consuls. » Faisant entendre par là que les deux consuls n’étaient propres à rien.
À peine Pompée eut-il mis le pied en Espagne, des espérances comme en fait naître d’ordinaire tout nouveau général de renom, changèrent les dispositions des esprits ; les peuples qui n’étaient pas solidement attachés à Sertorius se révoltèrent, et tournèrent à l’autre parti : aussi Sertorius lâchait-il à chaque instant contre Pompée des propos arrogants et des railleries insultantes. « Si je ne craignais cette vieille, disait-il en parlant de Métellus, il ne me faudrait, pour mettre à la raison cet enfant, que la férule ou le fouet. » Mais, au fond, il redoutait Pompée ; il se tenait sur ses gardes, et faisait la guerre avec plus de précautions. Car Métellus (ce qu’on aurait eu peine à croire ; menait une vie déréglée, et s’abandonnait a toutes sortes de voluptés : il s’était fait subitement en lui un changement extraordinaire ; il donnait dans le luxe, et faisait une excessive dépense. Les désordres de Métellus ne contribuèrent pas peu a augmenter l’affection singulière qu’on portait à Pompée, et en même temps la bonne opinion qu’on avait de lui : on le voyait avec plaisir retrancher davantage encore d’un régime frugal, et qui n’était guère susceptible de retranchement ; car il était naturellement tempérant et modéré dans ses désirs.
Des divers événements dont cette guerre offrit le spectacle, aucun n’affligea autant Pompée que la prise de Lauron par Sertorius[13]. Il croyait le tenir renfermé dans cette ville, et il s’en était même vanté avec complaisance, quand tout à coup il se trouva lui-même enveloppé, au point qu’il n’osait plus faire aucun mouvement ; et il vit Lauron livrée aux flammes en sa présence. Du reste, il vainquit, près de Valentia, Hérennius et Perpenna, capitaines distingués, qui s’étaient réfugiés auprès de Sertorius, et qui étaient ses lieutenants ; et il leur tua plus de dix mille hommes. Enflé de cet exploit, et plein de hautes espérances, il se hâta de marcher contre Sertorius lui-même, afin que Métellus ne partageât point l’honneur de la victoire. Les armées en vinrent aux mains vers la fin du jour, près de la rivière de Sucron. Les deux généraux craignaient également l’arrivée de Métellus : Pompée, parce qu’il voulait combattre seul ; Sertorius, pour n’avoir à combattre qu’un seul adversaire. Le succès fut douteux, car il y eut des deux côtés une aile victorieuse ; mais Sertorius fut celui des deux généraux qui remporta plus de gloire : il mit en déroute l’aile qui lui était opposée. Pompée, à cheval, fut attaqué par un fantassin d’une taille élevée : ils se chargèrent vigoureusement et se serrèrent de près ; ils se portèrent l’un à l’autre un coup d’épée sur la main, mais avec des effets bien différents : Pompée fut légèrement blessé, et il coupa la main de son ennemi. Les Barbares, voyant les troupes de Pompée en fuite, fondirent tous ensemble sur lui ; mais il se sauva, contre toute espérance, en abandonnant aux ennemis son cheval, couvert d’un harnais d’or et de riches ornements. Les Barbares s’arrêtèrent à partager ce butin et à se le disputer violemment entre eux, et donnèrent à Pompée le temps de s’échapper. Le lendemain, à la pointe du jour, les deux généraux remirent leurs troupes en bataille, pour déterminer de quel côté resterait la victoire ; mais l’arrivée de Métellus obligea Sertorius de se retirer, et de laisser son armée se débander ; car ses soldats étaient accoutumés à se disperser ainsi et à se rassembler en un instant : en sorte que souvent Sertorius errait seul dans la campagne, et souvent reparaissait à la tête de cent cinquante mille combattants, comme un torrent qui grossit tout d’un coup.
Pompée, après la bataille, alla au-devant de Métellus ; et, quand ils turent proche l’un de l’autre, il donna ordre de baisser les faisceaux, pour faire honneur à Métellus, qui le surpassait en dignité. Métellus s’y opposa ; et en toute occasion il montra une grande modestie, ne s’attribuant sur Pompée, soit comme consulaire, soit comme son ancien, d’autre prérogative que de donner, quand ils campaient ensemble, le mot d’ordre à toute l’armée. Mais, le plus souvent, les camps étaient séparés ; car ils avaient affaire à un ennemi plein de ressources, qui savait se porter en un instant sur plusieurs points, et les attirer d’un combat à un autre, les forçant de diviser souvent leurs forces. Sertorius, en leur coupant les vivres, en ravageant le pays, en se rendant maître de la mer, finit par les chasser tous les deux de l’Espagne, qu’ils étaient venus gouverner, et les réduisit, faute de subsistances, à se retirer dans d’autres provinces. Cependant Pompée, qui avait dépensé pour les frais de cette guerre la plus grande partie de sa fortune, écrivit au Sénat de lui envoyer de l’argent, déclarant, si on ne lui en envoyait, qu’il amènerait son armée en Italie. Lucullus, alors consul, et ennemi de Pompée, aspirait à être chargé de la guerre contre Mithridate : il travailla à lui faire expédier cet argent, craignant qu’un refus ne fournît à Pompée le prétexte qu’il cherchait de laisser là Sertorius, et de se tourner contre Mithridate : guerre qui offrait en perspective de la gloire à conquérir, et un adversaire facile à vaincre.
Cependant Sertorius périt victime de la trahison de ses amis : à la tête de la conjuration était Perpenna, qui crut pouvoir le remplacer, parce qu’il disposait de la même armée et des mêmes appareils de guerre ; mais il n’avait pas le même talent pour en faire usage. Pompée, qui s’était aussitôt mis en campagne, informé que Perpenna ne savait par où s’y prendre, lui détacha dix cohortes, comme une amorce pour le combat, avec ordre de s’étendre dans la plaine. Perpenna ne manqua pas de donner sur cette troupe dispersée, et de courir à sa poursuite ; mais Pompée paraît tout à coup avec son corps d’armée, le charge, le défait, et le met en pleine déroute. La plupart des officiers périrent dans le combat ; Perpenna fut pris et amené à Pompée, qui le fit mettre à mort : Pompée ne manquait point à la reconnaissance, et n’oubliait pas les services qu’il avait reçus de Perpenna dans la Sicile, comme quelques-uns l’en ont accusé ; il obéissait à une haute pensée, et dont la sagesse fit le salut de la république ; car Perpenna, aux mains de qui étaient tombés les papiers de Sertorius, montrait des lettres des personnages les plus considérables de Rome, lesquels, dans le dessein de remuer les affaires, et d’opérer une révolution dans le gouvernement, appelaient Sertorius en Italie. Pompée craignit que la publicité de ces lettres ne ranimât des guerres plus vives que celles qu’on venait d’apaiser : il fit mourir Perpenna, et brûla les lettres sans les avoir lues[14].
Après avoir séjourné en Espagne autant de temps qu’il en fallut pour éteindre les plus violentes agitations, pour calmer et dissiper les émotions qui auraient pu ranimer la guerre, il ramena l’armée en Italie, où il arriva, par un heureux hasard, dans le temps que la guerre des esclaves était à son plus haut point d’exaspération[15]. Crassus, qui commandait dans cette guerre, se hâta, à son approche, de livrer témérairement la bataille : il eut le bonheur de la gagner, et tua douze mille trois cents des ennemis ; mais la Fortune voulait absolument faire partager à Pompée la gloire de ce succès : cinq mille de ceux qui s’étaient sauvés du combat tombèrent entre ses mains ; il les tailla tous en pièces, et, prévenant Crassus, il écrivit au Sénat qu’à la vérité Crassus avait défait les gladiateurs en bataille rangée, mais qu’il avait, lui, arraché les racines mêmes de la guerre ; et les Romains, par affection pour Pompée, se plurent à entendre ce langage, et à le répéter. Quant à l’Espagne et à Sertorius, personne n’eût osé dire, même en plaisantant, qu’un autre que Pompée avait eu part à ce qui s’était fait.
Malgré l’estime singulière qu’on avait pour lui, et les hautes espérances qu’on avait conçues de sa personne, les Romains ne laissaient pas de soupçonner avec effroi qu’il ne voulût point licencier son armée, et qu’il ne marchât ouvertement, par les armes, à la suprême puissance, pour succéder à la tyrannie de Sylla. Aussi, dans cette foule nombreuse qui courait sur les chemins pour le recevoir, la crainte n’en amenait-elle pas moins que l’affection ; mais Pompée détruisit ce soupçon, en annonçant qu’il congédierait l’armée après le triomphe. Ses envieux n’eurent plus dès lors à lui reprocher que la préférence qu’il donnait au peuple sur le Sénat, et le projet qu’il avait formé, pour plaire à la multitude, de relever la dignité du tribunal, abattue par Sylla. Ce reproche était fondé ; car il n’y avait rien qui passionnât plus violemment le peuple romain, ni qu’il désirât avec tant d’ardeur que le rétablissement de cette magistrature. Pompée regardait donc comme un grand bonheur pour lui-même l’occasion qui se présentait de la lui rendre, sentant que, s’il était prévenu par un autre, il ne s’offrirait jamais une autre grâce à faire, par laquelle il pût reconnaître l’affection que lui portaient ses concitoyens.
Il obtint à la fois un second triomphe et le consulat ; mais ce n’est pas à ces honneurs qu’il devait l’estime dont il était l’objet ; et un témoignage éclatant de son illustration, c’est que Crassus, le plus riche, le plus éloquent, le plus grand des hommes d’État d’alors, n’osa, malgré les dédains qu’il affectait pour Pompée comme pour tout le monde, briguer le consulat qu’après en avoir demandé la permission à Pompée. Pompée accueillit sa requête, car depuis longtemps il cherchait l’occasion d’obliger Crassus et de se lier avec lui : aussi prit-il chaudement son parti ; et il sollicita le peuple en faveur de Crassus, protestant qu’il ne saurait pas moins de gré du choix d’un tel collègue, qu’il ne faisait du consulat même. Néanmoins, lorsqu’ils eurent été nommés consuls, ils ne cessèrent de se contredire réciproquement sur tous les points, sans pouvoir jamais s’accorder. Crassus avait plus d’autorité dans le Sénat, et Pompée plus de crédit auprès du peuple : il lui avait rendu le tribunat, et avait permis que les jugements fussent, par une loi expresse, attribués de nouveau aux chevaliers. Et ce fut, pour le peuple, un spectacle singulièrement agréable, de le voir se présenter en personne pour demander l’exemption du service militaire ; car c’est une coutume à Rome que les chevaliers, après avoir servi le temps prescrit par la loi, amènent leur cheval sur le Forum, devant les deux magistrats qu’on appelle censeurs ; et là, quand ils ont énuméré les capitaines et les généraux sous lesquels ils ont servi, et rendu compte des campagnes qu’ils ont faites, ils obtiennent leur congé, et reçoivent publiquement l’honneur ou la honte que mérite chacun pour sa conduite. Les censeurs Gellius et Lentulus étaient assis alors sur leur tribunal, avec les ornements de leur dignité, et ils faisaient la revue des chevaliers, lorsqu’on vit de loin Pompée descendre vers le Forum, précédé de tout l’appareil du pouvoir consulaire, et menant lui-même son cheval par la bride. Dès qu’il fut assez proche, et qu’on l’eut reconnu, il ordonna aux licteurs de s’ouvrir, et amena son cheval devant les magistrats. Le peuple, saisi d’admiration, se tenait dans un profond silence, et les censeurs montraient une joie mêlée de respect. Ensuite le plus vieux des deux lui demanda : « Pompée le Grand, as-tu fait toutes les campagnes ordonnées par la loi ? — Oui, je les ai toutes faites, répondit Pompée, à haute voix, et toutes avec moi-même pour général. » À ces mots, le peuple éclate, et, dans les transports de sa joie, fait retentir spontanément des acclamations prolongées. Les censeurs se levèrent, et reconduisirent Pompée chez lui, pour faire plaisir aux citoyens, qui suivaient en applaudissant.
Le consulat de Pompée touchait à sa fin, et ses différends avec Crassus ne faisaient qu’augmenter. Un certain Caïus Aurélius, de l’ordre équestre, homme qui vivait étranger aux affaires publiques, monta à la tribune, un jour d’assemblée, et dit publiquement que Jupiter lui avait apparu pendant son sommeil, et lui avait ordonné de dire aux consuls de ne point sortir de charge avant d’être redevenus amis l’un de l’autre. Pompée, après cette déclaration, resta immobile, sans proférer une parole ; mais Crassus prit sur lui de lui tendre la main et de le saluer. « Citoyens, dit-il, je ne crois point faire chose lâche ni honteuse, en cédant le premier devant Pompée, devant un homme que vous avez vous-mêmes honoré du titre de Grand, quand il était imberbe encore, et à qui vous avez décerné deux triomphes avant qu’il eût entrée au Sénat. »
Après cette réconciliation publique, ils se démirent du consulat. Crassus continua le genre de vie qu’il avait mené jusqu’alors : pour Pompée, il évitait, autant qu’il le pouvait, de prendre parti dans les procès, et se retirait peu à peu du Forum. Il paraissait rarement en public, et toujours accompagné d’une suite nombreuse ; il n’était plus facile de lui parler qu’au milieu de la foule ; il aimait à se montrer entouré d’un grand nombre de gens qui se pressaient autour de lui, persuadé que ce cortège donnait à sa personne un air de noblesse et de majesté, et qu’il fallait, pour conserver sa dignité, ne se point familiariser avec des hommes d’une condition obscure. Ceux, en effet, qui sont devenus grands par les armes, et qui ne savent pas se plier à l’égalité populaire, courent risque d’être méprisés quand ils ont repris la toge : ils veulent être les premiers dans la ville, comme ils l’ont été dans les camps ; mais ceux qui n’ont joué à l’armée qu’un rôle secondaire, ne se résignent point à ne pas avoir dans la ville le premier rang : aussi, quand ils tiennent sur la place publique l’homme qui s’est illustré dans les camps et les triomphes, ils le ravalent et le mettent sous les pieds ; que s’il abandonne ses prétentions, et leur cède dans la ville l’honneur et l’autorité, alors ils ne lui envient pas sa gloire militaire. C’est ce que mirent dans tout son jour les événements mêmes peu de temps après.
La puissance des pirates avait commencé à se former en Cilicie : méprisée à son origine, et à peine connue, les services qu’elle rendit à Mithridate pendant sa guerre contre les Romains, lui inspirèrent un sentiment d’orgueil et d’audace. Dans la suite, les Romains, occupés par leurs guerres civiles, et qui se livraient entre eux des combats aux portes de Rome, laissèrent la mer sans défense. Attirés insensiblement par cet abandon, les pirates tirent de tels progrès, qu’ils ne se bornaient plus à assaillir ceux qui naviguaient ; ils ravageaient les îles et les villes maritimes. Déjà même des hommes riches, distingués par leur naissance et leur capacité, montaient sur des vaisseaux corsaires et se joignaient à eux : il semblait que la piraterie fût devenue un métier honorable, et qui dût flatter l’ambition. Ils avaient en plusieurs endroits des ports de refuge, et des tours d’observation fortifiées ; partout on voyait apparaître leurs flottes, remplies de bons rameurs et de pilotes habiles, composées de vaisseaux légers, que leur vitesse rendait propres à toutes les manœuvres. La magnificence de ces navires était plus affligeante encore que n’était effrayant leur appareil : les poupes étaient dorées ; il y avait des tapis de pourpre et des rames argentées ; on eût dit que les pirates se faisaient honneur et trophée de leur brigandage : partout, sur les côtes, c’étaient des joueurs de flûte, de joyeux chanteurs, des troupes de gens ivres ; partout, à la honte de la puissance romaine, des officiers du premier ordre emmenés prisonniers, des villes captives se rachetant à prix d’argent. Les vaisseaux corsaires montaient à plus de mille, et les villes dont ils s’étaient emparés, à quatre cents. Les temples, jusqu’alors inviolables, furent profanés et pillés : ceux de Claros[16], de Didyme[17], de Samothrace[18] ; ceux de Cérès à Hermione, et d’Esculape à Épidaure[19] ; ceux de Neptune dans l’Isthme[20], à Ténare[21] et à Calaurie[22] ; d’Apollon à Actium[23] et à Leucade[24], de Junon à Samos, à Argos et à Lacinium[25]. Ils y faisaient les sacrifices barbares en usage à Olympe[26], et y célébraient des mystères secrets, entre autres ceux de Mithrès[27], qui subsistent encore de nos jours, et qu’ils ont, les premiers, fait connaître.
Ils ne se bornèrent pas à insulter à chaque instant les Romains : ils descendaient à terre, infestaient les chemins par leurs brigandages, et ruinaient les maisons de plaisance voisines de la mer. Ils enlevèrent deux préteurs, Sextilius et Bellinus, vêtus de leurs robes de pourpre, et les emmenèrent avec leurs domestiques et leurs licteurs. La fille d’Antonius, personnage qui avait été honoré du triomphe, fut aussi enlevée en allant à la campagne, et n’obtint sa liberté qu’au prix d’une grosse rançon. Mais voici qui était bien le comble de l’insolence : lorsqu’un prisonnier s’écriait qu’il était Romain et disait son nom, ils feignaient l’étonnement et la crainte ; ils se frappaient la cuisse, se jetaient à ses genoux, et le priaient de pardonner. Le prisonnier se laissait convaincre à cet air d’humilité et de supplication ; et ensuite les uns lui mettaient des souliers, les autres une toge, afin, disaient-ils, qu’il ne fût plus méconnu. Après s’être ainsi longtemps joué de lui et avoir joui de son erreur, ils finissaient par jeter une échelle au milieu de la mer, et lui ordonnaient d’y descendre, et de s’en retourner en paix chez lui ; s’il refusait de le faire, ils le précipitaient eux-mêmes, et le noyaient.
Notre mer, presque tout entière infestée par les pirates, était fermée a la navigation et au commerce. Ce fut là surtout ce qui décida les Romains, qui commençaient à manquer de vivres et craignaient la famine, à envoyer Pompée pour délivrer la mer de la domination des pirates, Gabinius, un de ses amis, proposa un décret qui conférait à Pompée non-seulement le commandement des forces maritimes, mais une autorité monarchique et une puissance universelle et irresponsable. En effet, ce décret lui donnait un empire absolu sur toute la mer, jusqu’aux colonnes d’Hercule, et sur toutes les côtes jusqu’à la distance de quatre cents stades[28]. Or, cet espace embrassait la plus grande partie des terres de la domination romaine, les nations les plus considérables et les rois les plus puissants. Ajoutez à tant de privilèges le droit de choisir dans le Sénat quinze lieutenants qui rempliraient sous lui les fonctions partielles qu’il voudrait leur assigner ; de prendre chez les questeurs et les fermiers de l’impôt tout l’argent qu’il voudrait ; d’équiper une flotte de deux cents voiles, et de lever tous les gens de guerre, tous les rameurs et tous les matelots dont il aurait besoin.
Ce décret, lu publiquement, fut ratifié par le peuple avec un vif empressement. Mais les premiers du Sénat et les plus considérables virent dans cette puissance sans contrôle et sans borne, sinon un motif d’envie, au moins une raison de craindre : aussi s’opposèrent-ils au décret, à l’exception de César, qui l’appuya, non pour favoriser Pompée, mais pour se mettre de bonne heure dans les bonnes grâces du peuple et se ménager sa faveur. Les autres s’élevèrent avec force contre Pompée ; et, un des consuls, lui ayant dit qu’en imitant Romulus il était sur d’avoir la même fin que lui, fut sur le point d’être mis en pièces par le peuple. Catulus, à son tour, se leva pour parler contre la loi : le peuple, par respect, l’écouta dans un profond silence. Il fit d’abord un grand éloge de Pompée, sans laisser voir aucun sentiment d’envie ; il conseilla de ménager un si grand capitaine, et de ne le pas exposer sans cesse aux périls de tant de guerres. « Car enfin, dit-il, si vous venez à le perdre, qui aurez-vous pour le remplacer ? — Toi-même, répondirent-ils tout d’une voix. » Catulus, voyant qu’il ne pouvait rien gagner sur eux, se retira. Roscius se présenta ensuite ; mais personne ne voulut l’écouter : alors il fit signe des doigts qu’il ne fallait pas nommer Pompée seul, mais avec un second. Le peuple, impatienté, se mit, dit-on, à pousser de tels cris, qu’un corbeau, qui volait dans ce moment au-dessus de l’assemblée, en fut étourdi, et tomba au milieu de la foule[29] : ce qui prouve que ce n’est pas la rupture et la séparation de l’air violemment agité qui fait glisser les oiseaux quand ils tombent à terre, mais bien le coup dont les frappent ces clameurs, qui, lancées avec force, excitent dans l’air un ébranlement, une agitation soudaine.
L’assemblée se retira sans rien conclure. Le jour qu’on devait donner les suffrages, Pompée s’en alla secrètement à la campagne ; mais, dès qu’il sut que le décret avait été confirmé, il rentra de nuit dans Rome, pour éviter l’envie qu’aurait excitée l’empressement du peuple à aller à sa rencontre.
Le lendemain, à la pointe du jour, Pompée sortit pour sacrifier aux dieux ; et, le peuple s’étant assemblé, il obtint presque le double de ce que le décret lui accordait pour ses préparatifs de guerre. On équipa cinq cents navires, et on mit sur pied vingt mille hommes d’infanterie et cinq mille chevaux. On choisit, pour commander sous les ordres de Pompée, vingt-quatre sénateurs, tous anciens généraux ou personnages prétoriens, et on y ajouta deux questeurs. Le prix des denrées baissa incontinent ; et le peuple satisfait en prit occasion de dire que le nom seul de Pompée avait déjà terminé la guerre. Quoi qu’il en soit, Pompée divisa d’abord les mers en diverses régions, et forma dans la mer Intérieure treize départements, à chacun desquels il assigna une escadre avec un commandant ; et, par cette vaste dispersion de ses forces navales, il enveloppa, comme dans un filet, tous les vaisseaux des corsaires ; puis il se hâta de leur donner la chasse, et les amena dans ses ports. Ceux qui l’avaient prévenu et lui avaient échappé en se séparant, cherchaient une retraite en divers endroits de la Cilicie, comme des essaims d’abeilles dans leurs ruches : il se disposa à les poursuivre avec soixante de ses meilleurs vaisseaux ; mais il ne voulut partir qu’après avoir purgé de tous les brigands qui les infestaient les mers d’Étrurie, d’Afrique, de Sardaigne, de Corse et de Sicile. Il n’y employa que quarante jours, mais en payant de sa personne avec un courage infatigable, et secondé par le zèle dévoué de ses lieutenants.
Cependant, à Rome, le consul Pison, transporté de colère et d’envie, cherchait à ruiner les préparatifs de Pompée, et congédiait les rameurs. Pompée envoya toute la flotte à Brundusium, et se rendit lui-même à Rome, par l’Étrurie Dès qu’on y fut informé de son arrivée, le peuple sortit en foule au-devant de lui, comme s’il y eût eu longtemps qu’il l’avait conduit hors de la ville à son départ. Ce qui causait la joie, c’était le changement aussi prompt qu’inespéré qui avait rempli le marché de vivres en abondance. Aussi Pison risqua-t-il d’être déposé du consulat : Gabinius en avait déjà dressé le décret ; mais Pompée empêcha qu’il ne fut proposé, et, après avoir réglé sagement toutes les affaires, et pourvu à ses besoins, il descendit à Brundusium, et mit à la voile. Quoique pressé par le temps, et bien qu’il s’abstint, dans sa course rapide, de visiter aucune ville sur son passage, il s’arrêta pourtant à Athènes. Il débarqua, fit des sacrifices aux dieux, salua le peuple, et s’en retourna. En sortant, il lut des inscriptions a sa louange, et qui n’avaient chacune qu’un seul vers. L’une, en dedans de la porte disait :
Plus tu te crois homme, plus tu es Dieu ;
l’autre, en dehors :
Quelques-uns de ces pirates, qui, réunis ensemble, écumaient encore les mers, eurent recours aux prières : il les traita avec douceur ; maître de leurs vaisseaux et de leurs personnes, il ne leur fit aucun mal. Cet exemple fit concevoir aux autres d’heureuses espérances : ils évitèrent les lieutenants de Pompée, et allèrent se rendre à lui avec leurs enfants et leurs femmes. Il leur fit grâce à tous, et se servit d’eux pour dépister et prendre ceux qui se cachaient encore parce qu’ils se sentaient coupables de crimes indignes de pardon. Les plus nombreux et les plus puissants avaient mis en sûreté leurs familles, leurs richesses, et la multitude inutile, dans des châteaux et des forteresses du mont Taurus ; et, montés sur leurs vaisseaux, devant Coracésium en Cilicie, ils attendirent Pompée, qui s’avançait sur eux à toutes voiles. Battus dans le combat, ils se renfermèrent dans la ville, dont Pompée fit le siège. Ils finirent par demander à être reçus à composition, et se rendirent, eux, les villes et les îles qu’ils occupaient, et qu’ils avaient si bien fortifiées qu’elles étaient difficiles à forcer, et presque inaccessibles.
Ce fut là le terme de la guerre ; et il n’avait pas fallu plus de trois mois pour que tous les pirates disparussent de la mer. Pompée prit un très-grand nombre de navires, entré autres quatre-vingt-dix armés d’éperons d’airain, et fit vingt mille prisonniers. Il ne voulut pas les faire mourir ; mais il ne crut pas sûr de renvoyer tant de gens pauvres et aguerris, ni de leur laisser la liberté de s’écarter ou de se rassembler de nouveau. Réfléchissant que l’homme n’est pas, de sa nature, un animal farouche et insociable ; qu’il ne le devient qu’en se livrant au vice, contre son naturel ; qu’il s’apprivoise en changeant d’habitation et de genre de vie, et que les bêtes sauvages elles-mêmes, quand on les accoutume à une vie plus douce, dépouillent leur férocité, il résolut de transporter les prisonniers loin de la mer, dans l’intérieur des terres, et de leur inspirer le goût d’une vie paisible, en les accoutumant au séjour des villes ou à la culture des champs. Quelques-uns furent reçus dans les petites villes de la Cilicie les moins peuplées, qui consentirent, moyennant un accroissement de territoire, à les incorporer parmi leurs habitants. Pompée en établit un grand nombre dans Soli[30], dont Tigrane, roi d’Arménie, avait naguère détruit la population, et qu’il releva de ses ruines. Enfin, il envoya les autres à Dymé d’Achaïe, qui manquait alors d’habitants, et dont le territoire était étendu et fertile.
Cette conduite fut blâmée par ses envieux ; mais ses procédés en Crète, à l’égard de Métellus, furent loin de plaire à ses meilleurs amis mêmes. Métellus, parent de celui que Pompée avait eu pour collègue en Espagne, était allé commander en Crète avant que Pompée eût été choisi pour la conduite de la guerre. La Crète était, après la Cilicie, une seconde pépinière de pirates ; Métellus, en ayant pris un grand nombre, les avait punis de mort. Ceux qui restaient, et qui assiégeaient Métellus, députèrent à Pompée pour le supplier de venir dans leur île, qui faisait partie de son gouvernement, et dont toute l’étendue était comprise dans la limite des quatre cents stades à partir des côtes. Pompée accueillit leur demande, et écrivit à Métellus pour lui défendre de continuer la guerre. Il manda aussi aux villes de ne plus recevoir les ordres de Métellus, et envoya, pour commander dans l’île, Lucius Octavius, un de ses lieutenants. Octavius entra dans les villes assiégées, et y combattit pour la défense des pirates, conduite qui rendit Pompée non moins ridicule qu’odieux : Pompée prêter son nom à des scélérats, à des impies, et, par rivalité, par jalousie contre Métellus, les couvrir de sa réputation comme d’une sauvegarde ! Mais Achille même, disait-on, se conduit, non en homme, mais en jeune étourdi qu’emporte un vain amour de gloire, lorsqu’il fait signe aux autres Grecs de ne pas lancer leurs traits sur Hector, pour qu’un autre n’eût point la gloire de l’atteindre, et qu’il n’eût pas le second tour[31]. Or, Pompée combattait pour sauver les ennemis communs du genre humain, afin de priver un général d’un triomphe mérité par mille fatigues. Du reste, Métellus ne céda point ; il prit d’assaut les pirates, et les punit de mort ; puis, après avoir accablé de reproches et de sarcasmes Octavius, au milieu même du camp, il le laissa aller.
Quand on annonça dans Rome que la guerre des pirates était terminée, et que Pompée profitait de son loisir pour visiter les villes de son gouvernement, un des tribuns du peuple, Manilius, proposa un décret pour donner à Pompée le commandement de toutes les provinces et de toutes les troupes que Lucullus avait sous ses ordres, en y joignant la Bithynie, qu’occupait Glabrion, et pour le charger de faire la guerre aux rois Mithridate et Tigrane, à la tête de toutes les forces maritimes, et avec la même puissance sur toutes les mers qu’on lui avait conférée lors de la guerre précédente. C’était soumettre à un seul homme tout l’empire romain ; car les seules provinces qui ne lui avaient pas été attribuées par le premier décret, telles que la Phrygie, la Lycaonie, la Galatie, la Cappadoce, la Cilicie, la Haute-Colchide et l’Arménie, étaient jointes aux autres dans le second, ainsi que toutes les forces, toutes les armées avec lesquelles Lucullus avait vaincu Mithridate et Tigrane. Le tort que ce décret faisait à Lucullus, en le privant de la gloire de ses exploits, en lui donnant un successeur pour le triomphe bien plus que pour la conduite de la guerre, affligea les nobles, qui ne pouvaient se dissimuler l’injustice et l’ingratitude dont on payait les services de ce général. Mais ce n’était pas ce qui les touchait le plus : ils ne supportaient pas l’idée de voir élever Pompée à un degré de puissance qu’ils regardaient comme une tyrannie tout établie. Ils s’encourageaient donc les uns les autres à faire rejeter cette loi, et à ne pas trahir la liberté. Mais, quand le jour fut venu, ils perdirent courage, effrayés des dispositions du peuple, et gardèrent tous le silence. Catulus seul combattit longtemps la loi, mais sans pouvoir gagner personne du peuple : alors, s’adressant aux sénateurs, il leur cria plusieurs fois, du haut de la tribune, de chercher, comme leurs ancêtres, une montagne, une roche escarpée, pour s’y retirer et conserver la liberté[32]. La loi passa, malgré ses efforts, ratifiée, dit-on, par le suffrage unanime des tribus ; et Pompée, absent, fut déclaré maître absolu de presque tout ce que Sylla avait usurpé en subjuguant sa patrie par les armes et par la guerre.
Quand il reçut les lettres qui lui apprenaient ce décret, et que ceux de ses amis qui étaient présents l’en félicitèrent, il fronça les sourcils, se frappa la cuisse, et s’écria, comme accablé et affligé de la puissance qu’on lui décernait : « Ah ! mes travaux ne finiront donc pas ! Quel bonheur pour moi si je n’avais été qu’un particulier inconnu ! Ne cesserai-je point de passer d’un commandement à un autre ! Ne pourrai-je donc un jour me dérober à l’envie, et mener à la campagne, avec ma femme, une vie douce et paisible ! » Cette dissimulation déplut même a ses meilleurs amis : ils savaient très-bien que son ambition naturelle et sa passion pour le commandement, enflammées encore par ses différends avec Lucullus, lui faisaient éprouver en cet instant une satisfaction plus vive que jamais. Du reste, ses actions eurent bientôt décelé ses vrais sentiments. Car il fit afficher partout des ordonnances pour rappeler les soldats, et mander par devers lui les rois et les princes soumis à son gouvernement. Quand il fut arrivé en Asie, il ne laissa rien subsister de ce que Lucullus avait fait : il remit aux uns les peines prononcées contre eux, et priva les autres des récompenses qui leur avaient été décernées ; prenant à tâche de montrer aux admirateurs de Lucullus que celui-ci ne disposait plus de rien.
Lucullus lui en fit porter ses plaintes par des amis communs, et l’on convint qu’ils auraient ensemble une conférence : elle eut lieu dans la Galatie. Comme c’étaient deux grands généraux, et qui s’étaient illustrés par de glorieux exploits, les licteurs marchaient devant eux avec leurs faisceaux entourés de branchés de laurier. Lucullus venait d’un pays verdoyant et ombragé ; Pompée, au contraire, avait fait une longue marche à travers des lieux dénués d’arbres et arides. Quand on fut en présence, les licteurs de Lucullus, voyant que ceux de Pompée avaient leurs lauriers desséchés et flétris, leur en donnèrent des leurs, qui étaient fraîchement cueillis, et en couronnèrent leurs faisceaux : on en tira le présage que Pompée venait pour frustrer Lucullus du prix de ses victoires et de la gloire qui devait lui en revenir. Lucullus avait sur Pompée l’avantage d’avoir été consul avant lui, et d’être plus âgé ; Pompée l’emportait par les dignités, à cause de ses deux triomphes. Leur entrevue se passa d’abord avec toute la politesse possible, et avec des marques de réciproque estime : ils exaltèrent les exploits l’un de l’autre, et se félicitèrent de leurs succès ; mais dans la suite de leur conversation ils ne gardèrent plus ni mesure ni retenue : ils en vinrent jusqu’aux injures. Pompée blâma la cupidité de Lucullus, Lucullus censura l’ambition de Pompée ; et leurs amis eurent bien de la peine à les séparer[33].
Lucullus distribua comme il le voulut les terres conquises en Galatie, et d’autres récompenses encore. Pompée, s’étant campé auprès de lui, défendit de lui obéir dorénavant, et lui enleva tous ses soldats, à la réserve de seize cents, dont il pensait ne pouvoir tirer lui-même aucun service, à cause de leur mutinerie, et qu’il savait d’ailleurs mal disposés pour Lucullus. Il ne se borna point à ces avanies : il décriait hautement les exploits de Lucullus. « Lucullus, disait-il, n’a fait la guerre que contre la pompe et le vain faste des deux rois, et m’a laissé à combattre leur véritable puissance, puisque Mithridate, revenu de son aveuglement, cherche son secours dans les boucliers, les épées et les chevaux. » Lucullus, usant de représailles, disait qu’il ne restait plus à Pompée qu’un fantôme, une ombre de guerre, « Accoutumé, disait-il, à se jeter, comme un oiseau de proie lâche et timide sur les corps qu’il n’a pas tués, et à déchirer, pour ainsi dire, des restes de guerres, l’homme qui s’est attribué la défaite de Sertorius, celles de Lépidus et de Spartacus, quoiqu’elles fussent l’ouvrage de Crassus, de Métellus et de Catulus, peut bien, sans qu’on s’étonne, usurper la gloire d’avoir terminé les guerres d’Arménie et de Pont, après être parvenu, par toutes sortes de voies, à s’ingérer dans le triomphe de Crassus sur les esclaves fugitifs. »
Lucullus ne tarda pas à partir pour l’Italie ; Pompée occupa avec sa flotte la mer qui s’étend depuis la Phénicie jusqu’au Bosphore, afin d’en rendre la navigation sûre ; puis il alla par terre chercher Mithridate. Le roi avait une armée de trente mille hommes de pied et de deux mille chevaux ; mais il n’osait risquer la bataille. Campé d’abord sur une montagne forte d’assiette, et où il n’était pas facile de l’attaquer, il abandonna cette position, parce qu’il y manquait d’eau. Pompée s’en saisit aussitôt ; et, conjecturant par la nature des plantes qu’elle produisait et par les ravins qui la coupaient en plusieurs endroits, qu’il devait y avoir des sources, il fit creuser partout des puits, et dans peu de temps le camp eut de l’eau en abondance. Aussi Pompée s’étonnait-il que Mithridate fût resté tout le temps sans se douter d’un tel avantage. Il alla ensuite se poster autour de l’ennemi, et l’environna d’une muraille de circonvallation. Mais Mithridate, qu’il tenait assiégé depuis quarante-cinq jours, se sauva sans être aperçu, avec l’élite de son armée, après avoir fait tuer les personnes inutiles et les malades.
Pompée se mit à sa poursuite, l’atteignit près de l’Euphrate, et campa dans son voisinage. Craignant qu’il ne se pressât de passer le fleuve, il fit marcher au milieu de la nuit son armée en ordre de bataille. C’était, à ce qu’on assure, l’heure même où Mithridate avait eu, pendant son sommeil, une vision qui lui présageait sa destinée. Il lui semblait faire voile sur la mer de Pont par un vent favorable : arrivé en vue du Bosphore, et ne doutant plus de son salut, il s’en réjouissait avec ceux qui étaient dans le vaisseau, quand tout à coup il se trouva privé de tout secours et emporté au hasard sur un mince débris du navire. Il était encore tout agité de ce songe, au moment où ses amis entrèrent dans sa tente pour le réveiller, et lui apprendre que Pompée était là. Il lui fallait à toute force combattre pour défendre son camp ; ses généraux firent prendre les armes aux troupes, et les rangèrent en bataille.
Pompée, averti qu’on se préparait à le recevoir, n’osait risquer un combat nocturne ; il voulait se borner à les envelopper, pour empêcher qu’ils ne prissent la fuite, et les attaquer le lendemain à la pointe du jour, pour profiter de la supériorité de ses soldats. Mais les plus vieux officiers le déterminèrent, par leurs vives instances, à combattre sans différer, parce que la nuit n’était pas tout à fait obscure, et que la lune, quoique déjà basse, faisait encore suffisamment reconnaître les objets. Ce fut cette circonstance surtout qui trompa les soldats du roi ; car les Romains s’avançaient, ayant la lune derrière le dos ; et, comme elle penchait vers le couchant, les ombres des corps, en se prolongeant fort loin, tombaient sur les ennemis, et les empêchaient de juger exactement de l’intervalle qui les séparait des Romains. Ils se les figuraient à portée, quand ils étaient loin encore, et lançaient en vain leurs javelots, qui n’atteignaient personne. Les Romains, s’en étant aperçus, courent sur eux en jetant de grands cris : les Barbares, n’osant plus les attendre, sont saisis de frayeur, et prennent la fuite. Il en périt plus de dix mille, et leur camp fut pris.
Mithridate ; au commencement de l’action, s’était fait jour à travers les Romains avec huit cents chevaux, et avait abandonné le champ de bataille ; mais bientôt ses cavaliers se dispersèrent, et il resta seul avec trois personnes, parmi lesquelles était Hypsicratia, une de ses concubines, qui avait toujours montré un courage mâle et une audace extraordinaire ; à raison de quoi le roi l’appelait Hypsicratès[34]. On la vit alors, vêtue du costume des soldats perses, et montée sur un cheval, supporter, sans faiblir, la fatigue d’une course immense, donnant au roi les soins les plus assidus, et pansant elle-même son cheval, jusqu’à ce qu’enfin ils arrivèrent à la forteresse d’Inora[35], où étaient les trésors et les meubles royaux. Mithridate prit des robes magnifiques, qu’il distribua à ceux qui s’étaient rassemblés autour de lui depuis la déroute. Il donna aussi à chacun de ses amis un poison mortel, afin qu’aucun d’eux ne tombât vivant, malgré lui, entre les mains de ses ennemis. De là il prit le chemin de l’Arménie, pour aller joindre Tigrane. Mais Tigrane lui refusa l’entrée de ses États, et fit publier qu’il donnerait cent talents[36] à quiconque lui apporterait sa tête ; ce qui obligea Mithridate d’aller passer l’Euphrate à sa source, pour s’enfuir par la Colchide.
Cependant Pompée entra dans l’Arménie, appelé par le jeune Tigrane, qui était déjà en révolte contre son père, et qui vint au-devant de Pompée sur les bords de l’Araxe. Ce fleuve prend sa source dans les mêmes lieux que l’Euphrate, mais il se détourne du côté du levant, et va se jeter dans la mer Caspienne. Pompée et le jeune Tigrane avancèrent ensemble dans le pays, recevant les villes à composition.
Le roi Tigrane, qui venait d’être entièrement défait par Lucullus, informé que Pompée était d’un caractère doux et facile, ouvrit les portes de sa capitale à une garnison romaine ; et, prenant avec lui ses amis et ses parents, il partit pour se rendre à Pompée. Dès qu’il arriva à cheval près des retranchements, deux licteurs de Pompée se présentèrent à sa rencontre, et lui ordonnèrent de descendre de cheval et d’entrer à pied, en lui disant que jamais on n’avait vu personne à cheval dans un camp romain. Tigrane obéit, et ôta même son épée, qu’il remit aux licteurs. Quand il fut devant Pompée, il détacha son diadème pour le mettre aux pieds du général, et se prosterna bassement à terre, pour lui embrasser les genoux Mais Pompée le prévint, et, l’ayant pris par la main, il le conduisit dans sa tente, où il le fit asseoir à un de ses côtés, et Tigrane, son fils, à l’autre : « C’est à Lucullus, lui dit-il, que tu dois t’en prendre des pertes que tu as faites jusqu’ici ; c’est lui qui t’a enlevé la Syrie, la Phénicie, la Galatie et la Sophène : je te laisse tout ce que tu avais lorsque je suis arrivé, à condition que tu paieras aux Romains six mille talents[37], en réparation des torts que tu leur as faits ; je donne à ton fils le royaume de Sophène. » Tigrane, satisfait de ces conditions, et salué roi par les Romains, promit, dans le transport de sa joie, de donner à chaque soldat une demi-mine d’argent[38], dix mines[39] à chaque centurion et un talent[40] à chaque tribun. Mais le fils parut fort mécontent ; et, Pompée l’ayant invité à souper, il répondit qu’il n’avait pas besoin de Pompée, ni des honneurs qu’il donnait. « Je trouverai, ajouta-t-il, d’autres Romains qui sauront m’en procurer de plus considérables. » Pompée, piqué de cette réponse, le fit charger de chaînes, et le réserva pour son triomphe. Peu de temps après Phraate, le Parthe, envoya réclamer le jeune Tigrane, qui était son gendre, et représenter à Pompée qu’il devait borner ses conquêtes à l’Euphrate. Pompée répondit que le jeune Tigrane tenait de plus près à son père qu’à son beau-père, et que la justice réglerait les bornes de ses conquêtes.
Il laissa Afranius pour garder l’Arménie, et marcha contre Mithridate ; il lui fallut prendre sa route à travers les nations qui habitaient les environs du Caucase. Les plus puissantes sont les Albaniens et les Ibères : les Ibères s’étendent jusqu’aux montagnes Moschiques[41] et au Pont ; les Albaniens tournent à l’orient et vers la mer Caspienne. Ces derniers accordèrent d’abord le passage que Pompée leur avait demandé ; mais, l’hiver ayant surpris son armée dans leur pays, les Barbares profitèrent de cette circonstance et du moment où les Romains célébraient la fête des Saturnales, pour les venir attaquer : ils étaient au nombre de quarante mille au moins. Ils passèrent le fleuve Cyrnus[42], qui prend sa source dans les montagnes d’Ibérie, et, après avoir reçu l’Araxe, lequel descend de l’Arménie, se jette par douze embouchures dans la mer Caspienne. D’autres prétendent que le Cyrnus ne reçoit pas l’Araxe ; que l’Araxe a son cours séparé près du Cyrnus, et se décharge dans la même mer. Pompée eût pu s’opposer au passage des ennemis ; mais il les laissa traverser sans obstacle, puis il les chargea brusquement, les mit en déroute, et en fit un grand carnage. Leur roi eut recours aux prières, et envoya des ambassadeurs à Pompée, qui lui pardonna son injustice, et fit la paix avec lui. Pompée marcha alors contre les Ibères, aussi nombreux et plus aguerris que les Albaniens, et qui brûlaient de servir Mithridate et de repousser Pompée. Les Ibères n’avaient jamais été soumis ni aux Mèdes, ni aux Perses ; ils avaient même évité l’empire des Macédoniens, parce qu’Alexandre était parti précipitamment de l’Hyrcanie. Pompée les vainquit dans un grand combat, leur tua neuf mille hommes, et fit plus de dix mille prisonniers. De là, il se jeta dans la Colchide, où Servilius vint le joindre à l’embouchure du Phase, avec les vaisseaux qui lui servaient à garder le Pont-Euxin.
La poursuite de Mithridate, qui s’était caché parmi les nations du Bosphore[43] et des Palus-Méotides, offrait de grandes difficultés ; d’ailleurs Pompée reçut la nouvelle que les Albaniens s’étaient derechef révoltés : il traverse encore une fois le Cyrnus, mais avec beaucoup de peine et de danger : les Barbares en avaient fortifié la rive par une palissade de troncs d’arbres. Au delà du fleuve, il lui fallut faire une longue route dans un pays sec et aride : il fit remplir d’eau dix mille outres, et passa du côté des ennemis, qu’il trouva rangés en bataille sur le bord du fleuve Abas[44]. Ils avaient soixante mille hommes de pied et douze mille chevaux ; mais ils étaient mal armés, et n’avaient, la plupart, pour toute défense, que des peaux de bêtes. Ils étaient commandés par un frère du roi, nommé Cosis. Dès que le combat fut engagé, Cosis, courant sur Pompée, lui lança son javelot, et l’atteignit au défaut de la cuirasse ; mais Pompée le perça de sa javeline, et l’étendit mort. On dit que les Amazones, descendues des montagnes voisines du fleuve Thermodon, combattirent à cette bataille du côté des Barbares, car les Romains, en dépouillant les morts après le combat, trouvèrent des boucliers et des brodequins d’Amazones ; mais on ne reconnut pas un seul corps de femme. Les Amazones habitent la partie du Caucase qui regarde la mer d’Hyrcanie ; elles ne sont pas limitrophes des Albaniens : les Gètes et les Lèges les en séparent ; elles vont chaque année passer deux mois avec ces deux peuples sur les bords du Thermodon ; ce terme expiré, elles rentrent dans leur pays, où elles vivent absolument seules, sans aucun commerce avec les hommes.
Pompée, après ce combat, se mit en chemin pour gagner l’Hyrcanie et la mer Caspienne[45] : il n’en était qu’à trois journées de chemin ; mais, arrêté par le grand nombre de serpents venimeux qu’on trouve dans ces contrées, il revint sur ses pas, et se retira dans la petite Arménie. Là, il reçut des ambassadeurs des rois des Élymiens[46] et des Mèdes, et leur remit, pour leurs maîtres, des lettres remplies de témoignages d’amitié. Le Parthe s’était jeté dans la Gordyène[47], et opprimait les sujets de Tigrane : Pompée détacha contre lui Afranius, avec un corps d’armée, et le fit chasser et poursuivre jusqu’à l’Arbélitide[48].
Pompée ne voulut voir aucune des concubines de Mithridate qui lui furent amenées : il les renvoya toutes à leurs parents ou à leurs proches ; car elles étaient la plupart femmes ou filles des capitaines et des courtisans de Mithridate. Stratonice, celle qui était le plus en crédit auprès du roi, et qui avait la garde de la forteresse qui contenait la plus grande partie de ses trésors, était, dit-on, fille d’un musicien vieux et pauvre. Un jour elle avait chanté, pendant le souper, devant Mithridate : le roi en fut si ravi, qu’il voulut coucher avec elle cette nuit même, et renvoya le vieillard mécontent de n’avoir pas eu pour sa part un seul mot d’honnêteté ; mais, le lendemain, à son réveil, celui-ci vit devant lui des tables couvertes de vaisselle d’or et d’argent, une grande foule de domestiques, des eunuques et des pages qui lui apportaient des habits magnifiques, et, à sa porte, un cheval couvert d’un riche harnais, comme les chevaux des amis du roi. Il crut que c’était une plaisanterie, et voulut s’enfuir de la maison ; mais les domestiques l’arrêtèrent, et lui dirent que le roi lui avait fait don d’une grande maison provenant d’un homme riche mort depuis peu, et que ce n’était encore là que l’avant-goût et un échantillon des autres biens dont il serait en possession. Il avait de la peine à croire ce qu’on lui disait ; mais enfin il se laissa revêtir d’une robe de pourpre, monta à cheval, et traversa la ville en criant : « Tout ceci est à moi ! » Et, si quelqu’un se moquait de lui : « Ce ne sont pas mes folies, disait-il, qui doivent surprendre ; il faut s’étonner bien plutôt que, dans l’excès de joie qui me rend fou, je ne jette pas des pierres aux passants. » Voilà de quelle famille et de quel sang était Stratonice[49]. Elle livra à Pompée la forteresse qu’elle avait en garde, et lui fit de riches présents ; mais Pompée ne prit que ce qui pouvait servir à la décoration des temples et à l’ornement de son triomphe : il voulut que Stratonice conservât le reste pour elle.
Le roi des Ibères lui envoya un lit, une table et un trône, le tout d’or massif, et le fit prier de les recevoir comme un gage de son amitié. Pompée les remit aux questeurs pour le trésor public. Il trouva, dans la forteresse de Cénon, les papiers secrets de Mithridate, qu’il lut avec plaisir, parce qu’ils mettaient dans tout son jour le caractère du roi. C’étaient des mémoires par lesquels il demeurait constant que Mithridate avait empoisonné plusieurs personnes, entre autres son fils Ariarathe et Alcée le Sardien, qui avait remporté sur lui le prix de la course des chevaux. Il y avait des explications des songes qu’il avait eus, lui et ses femmes ; enfin, des lettres amoureuses de Monime à Mithridate, et de Mithridate à Monime. Théophane prétend qu’il s’y trouva aussi un discours de Rutilius, dont le but était d’engager Mithridate à massacrer les Romains qui étaient dans l’Asie ; mais la plupart soupçonnent, avec vraisemblance, que c’est une noire calomnie, forgée par Théophane, qui haïssait Rutilius, sans doute parce que Rutilius ne lui ressemblait en rien[50]. Peut-être a-t-il inventé le fait pour faire plaisir à Pompée, dont le père était représenté, dans l’histoire de Rutilius, comme un homme d’une perversité achevée.
De là, Pompée gagna la ville d’Amisus, où son ambition lui fit commettre une action qui fut vivement blâmée. Lui qui avait repris Lucullus avec aigreur d’avoir, avant la fin de la guerre, disposé des gouvernements, décerné des dons et des honneurs, ce que les vainqueurs ne font ordinairement que lorsque la guerre est finie, il fit, alors que Mithridate dominait encore dans le Bosphore et venait d’y rassembler une puissante armée, ce qu’il avait condamné dans Lucullus ; et, comme si la guerre était terminée, il donna des commandements de provinces, et distribua des présents. Plusieurs capitaines et plusieurs princes, entre autres douze rois barbares, se rendirent auprès de lui ; et, pour leur faire plaisir, il ne donna point au Parthe, dans la lettre qu’il lui écrivit en réponse à la sienne, le titre de roi des rois, comme faisaient les autres.
Il lui prit alors un violent désir de reconquérir la Syrie, et de pénétrer par l’Arabie jusqu’à la mer Rouge, afin d’avoir de tous côtés, pour bornes à ses conquêtes, l’Océan qui environne la terre. En effet, il était le premier qui se fût ouvert dans l’Afrique, par ses victoires, un chemin jusqu’à la mer extérieure[51] ; en Espagne, il avait donné la mer Atlantique pour borne à l’empire romain ; et, tout récemment encore, en poursuivant les Albaniens, il s’était approché de bien près de la mer d’Hyrcanie. Il partit donc, dans le dessein de faire le tour de la mer Rouge ; car il voyait que Mithridate était difficile à suivre à main armée, et plus dangereux dans sa fuite que dans sa résistance. « Je vais lui laisser, disait-il, un ennemi plus fort que lui-même, la famine. » Et il mit des vaisseaux en croisière sur le Pont-Euxin, afin d’enlever les marchands qui porteraient des provisions dans le Bosphore : la peine de mort était décrétée contre ceux qui seraient pris. Il poursuivit sa route avec la plus grande partie de son armée, et arriva sur le champ de bataille où étaient les cadavres des soldats romains qui, sous Triarius[52], avaient combattu malheureusement contre Mithridate, et dont les corps étaient restés sans sépulture. Il les fit tous enterrer avec autant de soin que de magnificence. Ce devoir, négligé par Lucullus, semble avoir été une des principales causes de la haine que ses soldats avaient conçue contre lui.
Pompée soumit, par son lieutenant Afranius, les Arabes qui habitent autour du mont Amanus, et descendit dans la Syrie ; et, comme elle n’avait pas de rois légitimes, il la réduisit en province, et la déclara possession du peuple romain. Il subjugua la Judée, et fit prisonnier le roi Aristobule. Il fonda quelques villes, rendit la liberté à d’autres, et punit les tyrans qui y avaient usurpé l’autorité. Mais il s’occupa surtout de rendre la justice, de concilier les différends des villes et des rois. Quand il ne pouvait se transporter en personne sur les lieux, il envoyait ses amis : c’est ce qu’il fit au sujet des pays que se disputaient les Arméniens et les Parthes. Ils s’en remirent à sa décision, et il leur envoya trois arbitres pour juger leurs prétentions respectives ; car, si l’opinion qu’on avait de sa puissance était grande, on jugeait non moins favorablement de sa vertu et de sa douceur : c’était même par là qu’il couvrait la plupart des fautes de ses amis et de ceux qui avaient sa confiance : trop faible pour empêcher leurs méfaits ou pour les en punir, il montrait tant de bonté à ceux qui venaient se plaindre, qu’il leur faisait supporter patiemment la cupidité et la dureté de ses agents.
Personne ne jouissait auprès de lui d’un crédit plus grand que l’affranchi Démétrius, jeune homme qui ne manquait pas d’esprit, mais qui abusait de sa fortune. On raconte à son sujet que Caton le philosophe[53], lequel, jeune encore, avait déjà une grande réputation de sagesse et de magnanimité, alla voir la ville d’Antioche pendant que Pompée en était absent. Il marchait à pied, comme toujours, et ses amis le suivaient à cheval. Il aperçut, aux portes de la ville, une foule de gens vêtus de robes blanches, et, des deux côtés du chemin, de jeunes garçons et des enfants rangés en haie : il crut que tous ces préparatifs étaient faits pour sa personne, et qu’on venait au-devant de lui ; et, comme il ne voulait aucune cérémonie, il ordonna à ses amis de descendre de cheval, et de l’accompagner à pied. Lorsqu’ils eurent joint cette troupe, celui qui réglait la fête et qui avait placé tout le monde vint au-devant d’eux, avec une verge à la main et une couronne sur la tête, et leur demanda où ils avaient laissé Démétrius, et à quelle heure il arriverait. Les amis de Caton éclatèrent de rire : « Ο malheureuse république ! » s’écria Caton ; et il poursuivit son chemin sans rien dire davantage.
Il est vrai que Pompée adoucissait la haine qu’on portait à Démétrius, en supportant lui-même patiemment ses insolences sans jamais se fâcher. On assure, en effet, que souvent, tandis que Pompée attendait les convives qu’il avait priés à souper, et s’occupait de leur faire accueil, Démétrius était déjà assis à table, le bonnet sur la tête[54], arrogamment enfoncé jusqu’au-dessous des oreilles. Avant même son retour en Italie, il avait acquis les plus belles maisons de campagne des environs de Rome, et les plus beaux parcs pour les exercices ; il avait des jardins magnifiques, qu’on appelait les jardins de Démétrius ; au lieu que Pompée, jusqu’à son troisième triomphe, était logé d’une façon simple et modeste. Ce ne fut qu’après avoir construit ce théâtre splendide et renommé, qu’il se fit bâtir, comme un accessoire à cet édifice, une maison plus belle que la première, mais qui n’était pas faite pour exciter L’envie. Aussi, celui qui en fut le maître après Pompée fut tout étonné en y entrant, et demanda où donc soupait le grand Pompée : c’est là, du moins, ce qu’on raconte.
Le roi de l’Arabie Pétrée, qui n’avait pas fait jusque-là grand compte de la puissance romaine, effrayé à l’approche de Pompée, lui écrivit qu’il était disposé à lui obéir en tout ce qui serait à son gré. Pompée, pour l’affermir dans sa résolution, mena son armée devant Pétra. Mais cette expédition fut généralement blâmée ; on n’y vit qu’un prétexte pour cesser de poursuivre Mithridate : « Il fallait, disait-on, que Pompée tournât toutes ses forces contre l’ancien antagoniste de Rome, qui commençait à rallumer la guerre, et qui s’apprêtait, d’après les nouvelles qu’on avait reçues du Bosphore, à traverser la Scythie et la Péonie[55], pour envahir l’Italie avec son armée. » Mais Pompée, persuadé qu’il était plus facile de ruiner sa puissance en lui laissant continuer la guerre que de s’emparer de sa personne dans la fuite, ne voulait pas s’amuser sans fruit à le poursuivre, et cherchait, pour gagner du temps, à faire d’autres expéditions en attendant le moment favorable. Mais la Fortune trancha la difficulté. Il n’était pas loin de Pétra, et venait d’asseoir son camp pour ce jour-là : comme il s’exerçait hors des retranchements à faire manœuvrer un cheval, il vit arriver du royaume de Pont des courriers qui apportaient d’heureuses nouvelles. On le reconnut incontinent aux lauriers qui, en pareil cas, entourent, selon la coutume des Romains, la pointe de leurs javelines. Les soldats, les ayant aperçus, accoururent auprès de Pompée. Il voulait, avant de donner audience aux courriers, achever son exercice ; mais les soldats le supplièrent à grands cris d’y surseoir un instant. Il descendit donc de cheval, prit les dépêches, et entra dans le camp. Il n’y avait point de tribunal dressé ; et les soldats n’eurent pas la patience d’en élever un à leur ordinaire, en coupant d’épaisses mottes de terre et en les entassant les unes sur les autres : dans leur curiosité et leur impatience de savoir des nouvelles, ils amoncelèrent les bâts des bêtes de somme, et en firent un tribunal. Pompée y monte, et leur annonce que Mithridate est mort ; que la révolte de son fils Pharnace l’a porté à se tuer lui-même ; que Pharnace s’est emparé de tous les États de son père, et qu’il lui mande, dans ses lettres, qu’il en a pris possession en son nom et au nom des Romains.
Aussitôt l’armée se livre aux transports d’une joie bien naturelle ; on fait des sacrifices et des festins, comme s’il était mort, dans la personne de Mithridate, un nombre infini d’ennemis. Pompée, ayant mis à ses exploits une fin beaucoup plus facile qu’il n’avait pu l’espérer, partit de l’Arabie, et traversa d’une marche rapide les provinces qui la séparent de la Galatie, pour se rendre à Amisus. Il trouva, dans cette ville, des présents magnifiques que Pharnace lui envoyait, les cadavres de plusieurs princes du sang royal, et celui de Mithridate lui-même : ce dernier n’était pas facile à reconnaître aux traits du visage, parce que les esclaves qui l’avaient embaumé avaient oublié de dessécher la cervelle ; mais ceux qui furent curieux de l’examiner le reconnurent aux cicatrices de la face. Pompée refusa de le voir ; et, pour détourner la vengeance céleste, il le renvoya à Sinope. Du reste, il admira la magnificence du costume que portait habituellement Mithridate, et la grandeur et l’éclat de ses armes, encore que Publius eût volé le fourreau de l’épée, qui avait coûté quatre cents talents[56], et l’eût vendu à Ariarathe. Caïus, qui avait été nourri avec Mithridate, s’était aussi emparé du diadème, ouvrage d’un travail admirable, et l’avait donné secrètement à Faustus, fils de Sylla, qui le lui avait demandé. Pompée ignorait alors ces deux vols ; mais, dans la suite, Pharnace en découvrit les auteurs, et les fit punir.
Pompée, après avoir tout réglé, tout affermi dans ces provinces, voyagea avec beaucoup de pompe, en célébrant sur sa route des fêtes et des réjouissances publiques. À Mitylène, il déclara la ville libre, par estime pour Théophane ; et il assista à la lutte des poètes, qui est une des institutions du pays : ils avaient pris pour unique sujet de leurs ouvrages les exploits de Pompée. Il fut si charmé de leur théâtre, qu’il en fit lever et dessiner le plan, pour en faire exécuter à Rome un pareil, mais plus grand et plus magnifique. En passant à Rhodes, il y entendit discourir tous les sophistes, et leur donna à chacun un talent[57], Posidonius[58] a laissé par écrit le discours qu’il prononça devant Pompée, pour réfuter l’opinion d’Hermagoras[59] le rhéteur sur la Question générale. Dans Athènes, Pompée traita les philosophes avec la même générosité qu’à Rhodes, et il fit présent à la ville de cinquante talents[60] pour exécuter des restaurations monumentales.
Il comptait arriver en Italie comblé de gloire, et aussi désiré dans sa maison qu’il désirait lui-même de s’y retrouver. Mais ce démon ennemi qui prend à cœur de mêler toujours aux plus grands biens et aux plus éclatantes faveurs de la Fortune quelque portion de mal, lui préparait depuis longtemps, pour le retour, de cuisants chagrins. Mucia avait tenu depuis son départ une conduite des plus scandaleuses : tant qu’il fut éloigné, il méprisa tous les bruits qui en couraient ; mais, quand il se vit près de l’Italie, et qu’il eut réfléchi à loisir sur les rapports qu’on lui avait faits, il lui envoya l’acte de divorce, sans avoir fait connaître, ni alors, ni depuis, les motifs de cette répudiation ; mais on les trouve dans les lettres de Cicéron.
Des rumeurs de toute sorte avaient précédé son arrivée dans Rome, et y avaient causé un grand trouble, parce qu’on craignait qu’il n’entrât dans la ville avec son armée, et qu’il n’usurpât l’autorité souveraine. Crassus, soit qu’il le craignit réellement, ou, comme il est plus vraisemblable, pour accréditer cette calomnie et aigrir encore l’envie qu’on portait à Pompée, sortit secrètement de Rome avec ses enfants et ses trésors. Mais Pompée, a peine entré en Italie, assembla ses soldats ; et, après un discours fort convenable, pour les remercier de leurs services, il leur ordonna de se disperser chacun dans sa ville, de vaquer à leurs affaires, et de ne pas oublier de revenir à Rome pour le triomphe. L’armée se sépara donc ; et cette nouvelle, qui se fut bientôt répandue partout, produisit un effet admirable. Les villes, voyant le grand Pompée sans aucune escorte de gens de guerre, accompagné seulement d’un petit nombre d’amis, comme au retour d’un simple voyage, se répandirent au-devant de lui, entraînées par un sentiment d’affection, et lui firent cortège jusqu’à Rome, où il arriva avec de plus grandes forces que celles dont il disposait auparavant ; et, s’il avait eu envie de remuer, et d’introduire des nouveautés, il n’aurait eu nul besoin de son armée.
La loi ne lui permettait pas d’entrer dans Rome avant le triomphe : il envoya donc prier le Sénat de différer l’élection des consuls, et de lui accorder la grâce de pouvoir appuyer par sa présence la candidature de Pison. Mais, sur l’opposition de Caton, sa demande fut rejetée. La franchise et la fermeté avec laquelle Caton défendait ouvertement, seul entre tous, le parti de la justice, inspira une vive admiration à Pompée, et lui fit désirer de se le rendre favorable, à quelque prix ce fût. Caton avait deux nièces : Pompée voulait épouser l’une, et donner l’autre à son fils. Caton, qui soupçonna que la demande n’était qu’un moyen de séduction, et que Pompée visait à le corrompre par dette alliance, le refusa, au grand regret de sa femme et de sa sœur, dépitées de lui voir rejeter l’alliance du grand Pompée. Cependant Pompée, pour soutenir les prétentions d’Afranius au consulat, répandit de l’argent parmi les tribus ; et c’est dans les jardins mêmes de Pompée que se faisait la distribution. On le sut bientôt dans toute la ville ; et Pompée fut généralement blâmé de rendre vénale, pour des hommes qui ne pouvaient l’obtenir par leur vertu, une charge qu’il avait lui-même obtenue comme le prix de ses exploits. « Voilà, dit alors Caton à sa femme et à sa sœur, voilà les reproches dont nous eussions partagé la honte, en devenant les alliés de Pompée. » Ces paroles leur firent reconnaître que Caton avait mieux jugé qu’elles ce qu’il convenait de faire.
Quoique le triomphe de Pompée eût été divisé en deux journées, ce temps ne suffit pas pour en étaler toute la magnificence. Une grande partie de ce qu’on avait préparé ne put être exposée aux regards du public ; et il y avait de quoi en embellir et en décorer un second triomphe. La pompe était précédée d’écriteaux portant les noms des nations conquises : c’étaient le Pont, l’Arménie, la Cappadoce, la Paphlagonie, la Médie, la Colchide, les Ibères, les Albaniens, la Syrie, la Cilicie, la Mésopotamie, la Phénicie, la Palestine, la Judée, l’Arabie ; les pirates complètement défaits sur terre et sur mer. On y voyait que Pompée avait pris, dans ces contrées, mille forteresses et environ trois cents villes, enlevé aux pirates huit cents vaisseaux, et repeuplé trente-neuf villes, que leurs habitants avaient abandonnées. Les écriteaux disaient en outre que les revenus publics, qui ne montaient avant Pompée qu’à cinquante millions de drachmes[61], avaient été portés, par ses conquêtes, à quatre-vingt-un millions cinq cent mille drachmes ; qu’il avait versé dans le trésor public, tant en argent monnayé qu’en meubles d’or et d’argent, vingt mille talents[62], sans compter ce qu’il avait donné à ses soldats, dont le moins récompensé avait reçu quinze cents drachmes. Les prisonniers qu’on mena en triomphe étaient, outre les chefs des pirates, le fils de Tigrane, roi d’Arménie, avec sa femme et sa fille ; Zozime, femme du vieux Tigrane ; Aristobule, roi des Juifs ; une sœur et cinq des enfants de Mithridate ; des femmes scythes, des otages des Albaniens, des Ibères et du roi de Comagène. On portait autant de trophées qu’il avait gagné de batailles, soit en personne, soit par ses lieutenants. Mais, ce qui relevait surtout sa gloire, ce qui n’était jamais arrivé à nul Romain avant lui, il triomphait de la troisième partie du monde, après avoir déjà triomphé des deux autres. On avait vu, il est vrai, d’autres Romains honorés de trois triomphes ; mais Pompée avait triomphé la première fois de l’Afrique ; la seconde, de l’Europe : et cette dernière fois il triomphait de l’Asie : c’était achever, si je puis ainsi dire, de triompher de la terre entière. Il était pourtant encore assez jeune ; et ceux qui le comparent à Alexandre, et veulent, à tout prix, établir leur ressemblance, prétendent qu’il n’avait pas tout à fait trente-quatre ans ; mais, dans la réalité, il approchait de quarante[63].
Heureux s’il eût terminé sa vie dans le temps qu’il avait la fortune d’Alexandre ! Mais le reste de sa vie fut rempli ou de prospérités qui tirent de lui un objet d’envie, ou d’adversités sans remède ; car, en usant injustement, pour complaire à autrui, de l’autorité qu’il avait acquise par des voies légitimes, il perdait de sa réputation autant qu’il augmentait la puissance de ceux qu’il favorisait. Ainsi, sans s’en apercevoir, il trouva sa perte dans sa force même et dans sa grandeur ; et, de même que les endroits et les quartiers les mieux fortifiés d’une ville deviennent un surcroît de force pour les ennemis, une fois ceux-ci entrés dans la place, de même César, élevé par la puissance de Pompée, le ruina et le renversa par la force même qu’il avait reçue de lui contre ses concitoyens. Voici comment les choses se passèrent.
Quand Lucullus revint d’Asie, tout couvert des outrages de Pompée, le Sénat s’empressa de lui faire une réception honorable, et chercha, surtout après le retour de Pompée, à ranimer son ambition, en l’invitant à s’occuper des affaires du gouvernement. Mais le courage et l’activité de Lucullus étaient bien refroidis : il s’était abandonné à l’oisiveté, et à toutes les jouissances que donnent les richesses. Il prit néanmoins aussitôt son élan contre Pompée, et l’attaqua vigoureusement au sujet des ordonnances qu’il avait annulées en Asie ; et, soutenu de l’appui de Caton, il prenait le dessus, et l’emportait dans le Sénat. Pompée, qui se sentait le plus faible et se voyait rebuté partout, fut forcé de recourir aux tribuns du peuple, et de s’attacher une foule de jeunes gens. Clodius, le plus scélérat et le plus audacieux de ces misérables, le maniait à son gré : il le jetait à la tête du peuple ; il avilissait sa dignité en le traînant sans cessée après lui dans les assemblées publiques ; il le faisait servir à confirmer toutes les nouveautés qu’il proposait dans la vue de flatter la populace et de s’insinuer dans sa faveur. Il alla plus loin encore ; et, comme s’il eût rendu à Pompée des services véritables, tandis qu’il ne faisait que le déshonorer, il exigea et obtint de lui, pour salaire, qu’il abandonnât Cicéron, son ami, et qui, dans les actes de sa vie publique, avait travaillé avec un grand zèle pour les intérêts de Pompée. Cicéron, dans le danger dont il était menacé, invoqua le secours de Pompée, qui ne voulut pas le voir ; Pompée fit même refuser l’entrée de sa maison à ceux qui venaient de sa part, et sortit par une autre porte. Cicéron, qui craignit l’issue du jugement, sortit secrètement de Rome.
Vers ce temps-là, César, revenu de sa préture d’Espagne, avait formé une intrigue politique qui lui acquit dans ce moment une grande faveur, et, dans la suite, une puissance considérable, mais qui devint funeste à Pompée et à la république. Il briguait son premier consulat ; et, comme il voyait que, tant que Crassus et Pompée seraient mal ensemble, il ne pourrait s’attacher à l’un sans avoir l’autre pour ennemi, il travailla à les réconcilier : noble action sans doute, et digne d’un homme d’État, si le motif n’en eût été condamnable, et si l’habileté qu’il déploya dans l’exécution n’eût pas couvert un mauvais dessein. Cette puissance, divisée entre deux rivaux, maintenait l’équilibre dans Rome, ainsi que fait dans un navire la cargaison également répartie ; mais, dès qu’elle fut réunie et pesa tout entière sur un seul point, elle n’eut plus de contre-poids, et finit par ébranler la république et la renverser de fond en comble.
On disait un jour, devant Caton, que les différends survenus depuis entre César et Pompée avaient causé la ruine de la république : « Vous vous trompez, dit-il, de l’imputer aux derniers événements ; ce n’est ni leur discorde, ni leur inimitié, c’est leur amitié et leur union, qui ont été pour Rome le premier malheur et le plus funeste. » Ce fut là, en effet, ce qui porta César au consulat ; et il l’eut à peine obtenu qu’il proposa, pour flatter la populace, les pauvres et les indigents, l’établissement de nouvelles colonies et des partages de terres : avilissant ainsi la dignité de sa magistrature, et faisant, en quelque sorte, dégénérer en tribunat la puissance consulaire. Bibulus, son collègue, s’opposait à ces entreprises ; et Caton se préparait à soutenir Bibulus de toute sa force, lorsque César amène Pompée à la tribune, et lui demande à haute voix s’il approuve ses lois. Sur sa réponse affirmative, il lui demande encore : « Si quelqu’un use de violence contre elles, viendras-tu auprès du peuple pour les soutenir ? — Oui certes, dit Pompée, je viendrai ; et, contre ceux qui nous menacent de l’épée, j’apporterai l’épée et le bouclier. »
Pompée n’avait encore rien fait qui eût ce caractère de violence ; et ses amis disaient, pour l’excuser, que cette parole lui était échappée sans réflexion. Mais tout ce qu’il fit depuis ne prouva que trop qu’il s’était entièrement livré aux volontés de César. Car, peu de temps après, il épousa, contre l’attente de tout le monde, Julie, fille de César, promise à Cépion, et dont les noces avec celui-ci étaient déjà préparées ; et, pour calmer le ressentiment de Cépion, il lui accorda sa propre fille, qui avait été fiancée auparavant à Faustus, fils de Sylla. Pour César, il épousa Calpurnia, fille de Pison. De ce moment, Pompée remplit la ville de soldats, et s’empara des affaires à force ouverte. Le consul Bibulus étant descendu au Forum avec Lucullus et Caton, des soldats tombèrent sur eux tout d’un coup, et brisèrent les faisceaux : on jeta même un panier d’ordures sur Bibulus, qui en fut couvert de la tête aux pieds ; et deux tribuns du peuple, qui l’accompagnaient, furent blessés. Ces violences chassèrent du Forum tous ceux qui eussent résisté aux desseins de César et de Pompée, et la loi sur le partage des terres fut ratifiée. Le peuple, séduit par cet appât, se laissa conduire à leur gré ; et, sans songer à faire la moindre opposition, il donna son suffrage en silence. On confirma les ordonnances de Pompée, que Lucullus attaquait ; César eut pour cinq ans le gouvernement des Gaules cisalpine et transalpine et de l’Illyrie, avec quatre légions complètes ; et on désigna consuls pour l’année suivante Pison, beau-père de César, et Gabinius, le plus outré des flatteurs de Pompée.
Bibulus, ne pouvant arrêter ces désordres, se tint renfermé dans sa maison, et n’en sortit pas les derniers mois de son consulat : il se contentait d’envoyer afficher des placards pleins d’invectives et d’accusations contre César et Pompée. Caton, comme inspiré par un esprit prophétique, annonçait dans le Sénat les malheurs qui menaçaient la république et Pompée. Lucullus renonça aux affaires publiques, sous prétexte que son âge ne lui permettait plus de s’y livrer, et se tint dans le repos ; et ce fut alors que Pompée lui dit qu’il était moins de saison pour un vieillard de s’abandonner aux délices que de vaquer aux soins de l’État. Du reste, il se laissa bientôt lui-même amollir par son amour pour sa jeune femme. Uniquement occupé de lui plaire, il passait les journées entières avec elle, dans ses maisons de campagne et dans ses jardins, sans s’inquiéter de ce qui se passait au Forum. Aussi Clodius même, alors tribun du peuple, n’ayant plus pour lui que du mépris, osa se porter aux entreprises les plus audacieuses. Après qu’il eut chassé Cicéron de Rome, et relégué Caton en Cypre, sous prétexte d’une expédition militaire ; après qu’il eut vu César partir pour la Gaule, et qu’il fut assuré du dévouement du peuple, en s’étudiant à lui complaire dans tous les actes de son administration, il entreprit aussitôt d’annuler quelques-unes des ordonnances de Pompée ; il enleva de force Tigrane de prison, et le retint chez lui ; il suscita des procès aux amis de Pompée, pour essayer, dans leurs personnes, jusqu’où allait la puissance de leur protecteur. Enfin, un jour que Pompée était venu assister à l’instruction d’un procès, Clodius, entouré d’une troupe de gens sans pudeur et sans frein, monta sur un lieu élevé, d’où il pouvait être vu de toute l’assemblée, et fit à haute voix les questions suivantes : « Quel est le souverain intempérant ? Quel est l’homme qui cherche un homme ? Qui est celui qui se gratte la tête avec un seul doigt ? » Et ses satellites, comme un chœur qui donne la réplique dans le dialogue, répondaient avec de grands cris à chaque question, lorsqu’il secouait sa toge : « C’est Pompée ! »
Ces outrages affligeaient Pompée, qui n’était pas accoutumé à entendre de pareilles invectives, et qui n’était pas fait à ces sortes de combats. Mais, ce qui le chagrinait bien davantage encore, c’était la joie qu’en témoignait le Sénat, qui regardait ces insultes comme la punition de la lâcheté qu’il avait montrée en sacrifiant Cicéron. Aussi, lorsqu’on en fut venu aux mains dans le Forum, et qu’il y eut eu plusieurs personnes de blessées ; lorsqu’un des esclaves de Clodius, qui s’était glissé dans la foule jusqu’auprès de Pompée, eut été surpris un poignard à la main, Pompée prit prétexte de la crainte que lui donnaient l’insolence et les calomnies de Clodius pour ne plus paraître aux assemblées tant que Clodius fut en charge : il se tint retiré dans sa maison, et s’occupa avec ses amis des moyens de calmer le ressentiment du Sénat et des meilleurs citoyens. Il rejeta l’avis de Culléon, qui lui conseillait de répudier Julie, et de renoncer à l’amitié de César pour s’attacher au Sénat ; mais il écouta ceux qui lui proposèrent de rappeler Cicéron, l’ennemi le plus déclaré de Clodius, et l’homme le plus cher au Sénat. Il mena lui-même, avec une troupe nombreuse, le frère de Cicéron au Forum. Il y eut encore, à cette occasion, un grand nombre de blessés et quelques morts de part et d’autre ; mais Pompée l’emporta sur Clodius.
Cicéron, rappelé par un décret du peuple, s’empressa, dès qu’il fut de retour, de réconcilier Pompée avec le Sénat : il fit passer la loi qui le chargeait de faire venir des blés en Italie, et le rendit, en quelque sorte, une seconde fois maître de tout ce que possédaient les Romains, terre et mer. Cette loi mettait dans sa dépendance tous les ports, tous les marchés, toutes les ventes de fruits, en un mot tout le commerce maritime et tout celui des laboureurs. Clodius s’éleva contre cette loi : elle n’avait pas été faite, disait-il, pour pourvoir à la disette des blés ; mais on avait fait exprès la disette pour avoir un prétexte de faire la loi, afin que, par cette nouvelle commission, Pompée ranimât de sa pâmoison et remît sur pied sa puissance, qui commençait à languir. D’autres disent que ce fut une ruse du consul Spinther, qui désirait d’être envoyé en Égypte au secours du roi Ptolémée[64], et qui enferma ainsi Pompée dans un emploi plus important. Cependant le tribun Canidius proposa, par un autre décret, d’envoyer Pompée en Égypte sans armée et avec deux licteurs seulement, pour remettre en paix le roi avec le peuple d’Alexandrie. Ce décret ne paraissait pas déplaire à Pompée ; mais le Sénat le rejeta, sous le prétexte honnête qu’il craignait pour un si grand personnage. Mais on trouva sur le Forum, et devant le lieu où le Sénat s’assemblait, des billets portant que Ptolémée lui-même demandait pour général Pompée, au lieu de Spinther.
Suivant Timagène, Ptolémée quitta l’Égypte sans nécessité, et à l’instigation de Théophane, lequel voulait procurer à Pompée des moyens de s’enrichir et de nouveaux sujets de faire la guerre ; mais, si la perversité de Théophane donne à ce conte quelque vraisemblance, le caractère de Pompée le rend incroyable ; car jamais Pompée ne fut méchant et ne souilla son ambition par de telles bassesses.
Chargé de la commission de procurer des blés à Rome, il envoya de tous côtés ses lieutenants et ses amis ; il fit voile lui-même en Sicile, en Sardaigne et en Afrique, et amassa des provisions considérables. Comme il allait se remettre en mer, il s’éleva un vent impétueux, et les pilotes balançaient à partir. Mais Pompée monte le premier sur le vaisseau, et ordonne qu’on lève les ancres, en s’écriant : « Il est nécessaire que je parte ; il ne l’est pas que je vive. Son audace et son activité trouvèrent la Fortune favorable : il remplit de blé tous les marchés, et couvrit la mer de vaisseaux ; jusque-là que le superflu de cet approvisionnement suffit aux peuples voisins, et fut comme une source féconde qui coula partout sans interruption.
Durant ce temps, les guerres de Gaule avaient élevé à une grande hauteur la puissance de César : dans ce grand éloignement de Rome où il se trouvait, on le croyait uniquement attaché à combattre les Belges, les Suèves et les Bretons ; mais, sans qu’on s’en doutât, il était au milieu du peuple, conduisait avec habileté les principales affaires, et minait peu à peu le crédit de Pompée. Il s’incorporait, en quelque sorte, son armée ; ce n’était pas proprement à vaincre les Barbares qu’il l’employait : ces combats étaient à ses yeux comme des chasses militaires pour endurcir les soldats, pour les rendre redoutables et invincibles. Il envoyait à Rome tout l’or et l’argent, toutes les autres dépouilles, toutes les autres richesses conquises sur tant d’ennemis ; et il les faisait servir à corrompre ceux qui pouvaient lui être utiles. Les riches présents qu’il faisait aux édiles, aux préteurs, aux consuls, à leurs femmes, lui gagnaient une foule de partisans : aussi, lorsqu’il eut repassé les Alpes, et qu’il vint hiverner à Lucques, il s’y rendit de Rome une multitude immense d’hommes et de femmes, qui accouraient à l’envi. On y comptait deux cents sénateurs, entre autres Crassus et Pompée ; et l’on voyait tous les jours à sa porte jusqu’à cent vingt faisceaux de proconsuls et de préteurs.
Il renvoya tout le monde comblé de ses dons et rempli de belles espérances ; mais il fit avec Crassus et Pompée une convention en vertu de laquelle Crassus et Pompée devaient demander ensemble un second consulat : César s’engageait à envoyer à Rome, pour appuyer leur brigue, un grand nombre de ses soldats, qui donneraient leurs suffrages en leur faveur ; ils promettaient, de leur côté, de travailler, aussitôt après l’élection, à obtenir pour eux-mêmes des gouvernements de provinces, des commandements d’armée, et à faire continuer pour cinq autres années ceux que César avait déjà. Dès que cette intrigue fut connue dans Rome, les principaux citoyens furent saisis d’une vive indignation. Le consul Marcellinus, s’étant levé dans l’assemblée du peuple, demanda à Crassus et à Pompée s’ils brigueraient le consulat ; et le peuple leur ordonna de répondre. Pompée prit le premier la parole, et dit qu’il le briguerait peut-être, et que peut-être il ne le briguerait pas. Quant à Crassus, il se montra plus fin politique. « Je ferai, répondit-il, ce qui me paraîtra utile pour le bien public. » Marcellinus s’attacha donc à Pompée, et lui parla avec un tel emportement, que Pompée lui reprocha d’être le plus injuste des hommes, et de manquer de reconnaissance : « Tu as donc oublié que c’est moi qui, de muet t’ai rendu éloquent, et d’affamé, soûl jusqu’à rendre gorge ? »
Quoi qu’il en soit, tous les prétendants au consulat se désistèrent de leur poursuite ; Lucius Domitius, à l’instigation de Caton, persista seul. Caton, pour l’encourager à ne pas abandonner sa brigue, lui représenta que, dans cette lutte, il s’agissait moins du consulat que de la liberté publique, qu’il fallait défendre contre les tyrans. Les partisans de Pompée, redoutant la fermeté de Caton, et qui craignaient qu’ayant déjà le Sénat pour lui, il ne fît changer la plus saine portion du peuple, et ne l’entraînât dans son parti, résolurent d’empêcher que Domitius ne descendît au Forum pour solliciter les suffrages. Des gens armés envoyés contre lui tuèrent l’esclave qui marchait devant son maître avec un flambeau, et mirent les autres en fuite. Caton se retira le dernier, après avoir été blessé au bras droit en défendant Domitius.
Parvenus au consulat par ces violences, Crassus et Pompée ne montrèrent pas plus de modération dans le reste de leur conduite ; et d’abord, comme le peuple voulait élever Caton à la préture, au moment où l’on allait donner les suffrages, Pompée rompit l’assemblée, sous prétexte qu’il avait eu quelque augure défavorable ; les tribuns furent corrompus à prix d’argent, et les consuls portèrent à la préture Antias et Vatinius. Ils firent ensuite proposer, par le tribun du peuple Trébonius, les décrets dont on était convenu à Lucques : l’un continuait à César pour cinq ans les gouvernements dont il était déjà pourvu ; un second donnait à Crassus la Syrie et la conduite de la guerre contre les Parthes ; le troisième attribuait à Pompée le gouvernement de l’Afrique tout entière et des deux Espagnes, avec quatre légions : il en prêta deux à César, qui les lui demanda pour la guerre des Gaules. Crassus, à la fin de son consulat, partit pour son gouvernement. Pompée resta pour la dédicace de son théâtre, et fit célébrer, dans les fêtes de la consécration, des jeux gymniques, des chœurs de musique, et des combats d’animaux, où il y eut cinq cents lions tués ; la cérémonie fut terminée par un combat d’éléphants, le plus terrible des spectacles.
Pompée s’était concilié, par cette magnificence, l’admiration et la bienveillance du peuple ; mais il redevint l’objet de son envie, non moins qu’auparavant, quand on le vit abandonner à ceux de ses lieutenants qu’il affectionnait le plus, ses armées et ses gouvernements, tandis qu’il passait son temps en Italie, à se promener avec sa femme dans ses maisons de plaisance, soit qu’il fût amoureux d’elle, ou, qu’en étant tendrement aimé, il n’eût pas la force de s’en séparer, car on en donne cette dernière raison. Il n’était bruit, en effet, que de l’attachement de Julie pour Pompée ; non qu’il fût d’âge à être aimé passionnément : cette tendresse s’explique par la sagesse du mari, qui n’aimait point d’autre femme que la sienne ; par sa gravité naturelle, qui n’avait rien d’austère, et que tempérait une conversation remplie de grâce, et propre surtout à s’insinuer dans l’esprit des femmes ; à moins toutefois qu’on ne révoque en doute le témoignage que lui rendait sur ce point la courtisane Flora.
Un jour de comices pour l’élection dés édiles, on en vint aux mains ; il y eut plusieurs personnes tuées auprès de Pompée ; ses habits étaient couverts de sang, il lui fallut en changer. Voilà donc un grand trouble et un grand concours de monde dans sa maison, quand ses serviteurs y apportèrent ses habits pour en prendre d’autres. Julie, qui était enceinte, s’évanouit à la vue de la robe ensanglantée : elle eut beaucoup de peine à reprendre ses sens ; le bouleversement que lui avait causé ce spectacle, et la douleur dont elle avait été saisie, la firent avorter. Cet accident inspira tant d’intérêt pour elle, que ceux-là mêmes qui condamnaient le plus l’attachement de Pompée pour César ne pouvaient blâmer sa tendresse pour sa femme. Elle devint grosse une seconde fois, et accoucha d’une fille ; mais elle mourut en travail, et l’enfant ne survécut que peu de jours. Pompée se disposait à la faire inhumer dans sa terre d’Albe, lorsque le peuple enleva de force le corps, et le transporta au champ de Mars, moins pour faire plaisir à César et à Pompée, que pour témoigner la compassion que lui inspirait la jeune femme ; et, des honneurs que le peuple lui rendait, une part plus grande semblait s’adresser à César absent qu’à Pompée présent.
En effet, la ville fut bientôt en proie à une agitation violente ; et toutes les affaires flottaient à la dérive. L’alliance entre César et Pompée couvrait leur ambition plutôt qu’elle ne la refrénait : aussi ne parlait-on |plus que de division et de rupture. Peu de temps après, on apprit que Crassus avait été défait et tué par les Parthes ; et sa mort faisait tomber la plus forte barrière qui restât encore contre la guerre civile. La crainte que César et Pompée avaient de Crassus leur faisait observer l’un envers l’autre, malgré qu’ils en eussent, les lois de la justice ; mais, après que la Fortune eut enlevé l’athlète capable d’entrer en lice contre le vainqueur, alors on put leur appliquer ce mot d’un comique[65] :
Ils se préparent l’un contre l’autre : les voilà qui se frottent d’huile,
Et qui répandent la poussière sur leurs bras.
Tant la Fortune est peu de chose contre la nature ! elle ne saurait en satisfaire les désirs ; car cette grande autorité, cette vaste étendue de pays, ne purent assouvir l’ambition de deux hommes. Et pourtant ils avaient entendu dire, ils avaient lu que l’univers fut partagé en trois par les dieux, et que chacun des trois frères fui content de sa part d’honneurs[66], eux qui n’étaient que deux à partager l’empire romain, et qui ne crurent pas qu’il pût leur suffire. Cependant Pompée dit alors dans l’assemblée du peuple : « J’ai obtenu toutes les charges beaucoup plus tôt que je ne l’avais espéré, et je les ai quittées plus tôt qu’on ne s’y était attendu. » Il avait, en effet, pour témoins de cette vérité, les armées qu’il avait toujours licenciées de bonne heure. Dans les conjonctures présentes, persuadé que César ne congédierait pas son armée, il voulut se faire des dignités politiques un rempart contre lui, sans rien innover du reste, sans paraître se défier de César, et affectant plutôt de le mépriser et de le croire sans conséquence. Mais, quand il vit que les citoyens, corrompus à prix d’argent, ne distribuaient pas les magistratures à son gré, il laissa régner l’anarchie dans la ville.
D’abord on sema le bruit qu’il fallait nommer un dictateur ; le tribun Lucilius osa le premier en faire la proposition, et conseilla au peuple d’élire Pompée. Caton s’éleva contre cette proposition avec tant de force, que le tribun fut en danger de perdre sa charge. Plusieurs amis de Pompée se présentèrent pour justifier la conduite de ce dernier, assurant qu’il n’avait jamais demandé ni désiré la dictature. Caton donna de grands éloges à Pompée, et le pria de veiller à ce qu’on observât l’ordre et la décence. Pompée alors eut honte de ne pas s’y prêter ; et il veilla si bien, que Domitius et Messala furent nommés consuls. Néanmoins l’anarchie reparut, et plusieurs personnes se remirent, avec plus d’audace encore qu’auparavant, à parler de dictateur. Caton, qui craignait qu’on n’usât de violence, résolut d’abandonner à Pompée une grande autorité, mais limitée par les lois, afin de l’éloigner d’une magistrature tyrannique et sans bornes. Bibulus, tout ennemi qu’il était de Pompée, proposa le premier dans le Sénat d’élire Pompée seul consul. « Par ce moyen, dit-il, la ville sortira de la confusion où elle est, ou du moins elle sera dans la servitude de l’homme qui vaut le mieux. » Ces paroles semblèrent fort extraordinaires dans la bouche de Bibulus ; et, Caton s’étant levé, on ne douta point que ce ne fût pour combattre sa proposition, et il se fit un grand silence : « Jamais, dit-il, je n’aurais ouvert l’avis que vous venez d’entendre ; mais, puisqu’un autre l’a fait, je vous engage à le suivre : je préfère à l’anarchie un magistrat, quel qu’il puisse être ; et je ne connais personne plus propre que Pompée a commander dans de si grands troubles. » Le Sénat acquiesça à cette opinion, et décréta que Pompée commanderait seul avec le titre de consul ; que, s’il avait besoin d’un collègue, il le choisirait lui-même ; mais que ce ne pourrait être avant deux mois.
Pompée, établi consul de la sorte, et proclamé par Sulpicius, qui était inter-roi, alla embrasser Caton avec de grands témoignages d’amitié, avouant qu’il lui devait tout, et le conjura de l’aider de ses conseils dans l’exercice de sa charge : « Tu ne me dois rien, répondit Caton ; en opinant, je n’ai rien dit par considération pour toi : je n’ai consulté que l’intérêt de la république. Je t’aiderai en particulier de mes conseils toutes les fois que tu me les demanderas. Si tu ne me les demandes pas, j’exprimerai publiquement ma pensée. » Tel était Caton dans tous les actes de sa vie.
Pompée, étant rentré dans Rome, épousa Cornélie, fille de Métellus Scipion, qui venait tout récemment d’être laissée veuve par Publius, fils de Crassus, mort chez les Parthes, auquel on l’avait mariée fort jeune. Cornélie avait, outre la beauté, bien des moyens de plaire : elle était versée dans la littérature, jouait de la lyre, savait la géométrie, et lisait avec fruit les ouvrages des philosophes ; malgré tant d’avantages, elle avait su se garantir des airs de fierté, des manières dédaigneuses que donnent ordinairement à de jeunes femmes ces sortes de connaissances ; enfin son père était un homme d’une naissance et d’une réputation irréprochables[67]. Néanmoins ce mariage fut généralement désapprouvé : les uns blâmaient la disproportion de l’âge ; et en effet, Cornélie était plutôt d’âge à épouser le fils de Pompée. Les plus honnêtes citoyens trouvaient que, dans cette occasion, Pompée sacrifiait les intérêts de la république : « Dans l’extrémité où elle est réduite, disaient-ils, elle l’a choisi pour son médecin, et s’en est rapportée à lui seul de sa guérison ; et lui, au lieu de répondre à cette confiance, il se couronne de fleurs, il fait des sacrifices, et célèbre des noces, tandis qu’il devrait regarder comme une calamité publique ce consulat qu’il n’eût pas eu, contre les lois, seul et sans collègue, si la patrie avait joui d’un sort prospère. »
Il s’occupa de faire procéder contre ceux qui avaient acheté les suffrages pour parvenir aux charges, et fit des lois pour régler les jugements. Il mit, du reste, dans sa conduite, autant de noblesse que d’intégrité, et rétablit dans les jugements la sécurité, le bon ordre et la tranquillité, en y venant présider, assisté d’une troupe en armes. Mais Scipion, son beau-père, ayant été cité en justice, Pompée manda chez lui les trois cent soixante juges, et les pria d’être favorables à l’accusé. L’accusateur se désista de sa poursuite, quand il eut vu Scipion reconduit par les juges du Forum jusqu’à sa maison. Cette inconséquence fit tort à Pompée. Ce fut bien pis encore lorsque, après avoir défendu par une loi de louer les accusés dans le cours de l’instruction du procès, il se présenta lui-même pour faire l’éloge de Plancus. Caton, qui était au nombre des juges, se boucha les oreilles avec les deux mains, disant qu’il ne convenait pas d’entendre prononcer un éloge interdit par les lois. On en prit prétexte pour récuser Caton avant qu’il donnât son avis ; mais, à la honte de Pompée, Plancus fut condamné par les autres juges.
Peu de jours après, Hypséus, homme consulaire, appelé devant le tribunal, attendit Pompée au moment où il sortait du bain pour aller se mettre à table, et se jeta à ses genoux en implorant sa protection. Pompée passa outre avec un air méprisant : « Tu me gâtes mon souper, dit-il ; c’est tout ce que tu gagnes à me retenir. » Cette inégalité de conduite était un texte d’accusation. Il mit d’ailleurs dans toutes les affaires un ordre parfait, et choisit pour collègue son beau-père, pour les cinq mois qui restaient de son consulat. On lui continua ses gouvernements pour quatre autres années ; et on l’autorisa à prendre, tous les ans, dans le trésor public, mille talents pour l’entretien et la solde des troupes.
Les amis de César se prévalurent de cet exemple, et demandèrent qu’on tînt aussi quelque compte de César, et de tous les combats qu’il livrait afin d’étendre l’empire romain. « Il mérite, disaient-ils, ou qu’on lui donne un second consulat, ou qu’on lui continue le commandement de son armée, afin qu’un successeur ne vienne pas lui enlever la gloire de ses travaux : il faut que César commande seul dans les lieux qu’il a soumis, et qu’il jouisse en paix des honneurs que lui ont mérités ses exploits. » Cette demande donna lieu à une grande discussion ; et Pompée, comme s’il voulait, par affection, conjurer la haine dont César pouvait être l’objet, dit qu’il avait des lettres de lui par lesquelles il demandait qu’on lui donnât un successeur, et qu’il fût déchargé de cette guerre : « Quant au consulat, ajouta-t-il, il me paraît juste qu’on lui permette de le demander, quoique absent. » Caton s’opposa à cette proposition ; il exigea que César, réduit à l’état de simple particulier, posât les armes, et vînt en personne solliciter auprès des citoyens la récompense de ses services. Pompée n’insista pas, et feignit d’être vaincu par les raisons de Caton ; ce qui contribua à faire soupçonner davantage encore la sincérité de ses dispositions à l’endroit de César. Il lui fit en outre redemander les deux légions qu’il lui avait prêtées, alléguant pour prétexte la guerre des Parthes. César, qui ne se méprit point sur les vrais motifs de sa demande, ne laissa pas de lui renvoyer ses soldats, après les avoir comblés de présents.
Bientôt après Pompée tomba dangereusement malade à Naples : il guérit cependant ; et les Napolitains, par le conseil de Praxagoras, firent des sacrifices d’actions de grâces pour remercier les dieux de sa guérison. Les peuples voisins suivirent leur exemple, et ce zèle se communiqua à toute l’Italie : toutes les villes, petites ou grandes, célébrèrent des fêtes pendant plusieurs jours. Il n’y avait pas d’endroit assez spacieux pour contenir ceux qui venaient de toutes parts à sa rencontre : les chemins, les bourgs et les ports étaient pleins de gens qui faisaient des banquets et des sacrifices. Un grand nombre, ornés de couronnes, allaient le recevoir aux flambeaux, et l’accompagnaient en lui jetant des fleurs. Aussi, le cortège dont il était suivi dans sa marche offrait-il le plus beau et le plus magnifique des spectacles. Du reste, ce ne fut pas là, dit-on, une des moindres causes de la guerre civile. L’opinion présomptueuse qu’il conçut de lui-même, et l’extrême joie dont son âme était remplie, surmontèrent tous les raisonnements que devait lui suggérer l’état des affaires : il oublia cette sage prévoyance qui jusque-là avait assuré ses prospérités et le succès de ses entreprises ; il se laissa aller à une confiance audacieuse, et se prit de dédain pour la puissance de César, jusqu’à croire qu’il n’avait besoin contre lui ni d’armes, ni d’efforts, et qu’il le renverserait bien plus facilement encore qu’il ne l’avait élevé.
Sur ces entrefaites, Appius arriva, ramenant de la Gaule les troupes que Pompée avait prêtées à César. Appius affecta de rabaisser les exploits qui s’étaient accomplis dans cette contrée, et de répandre des bruits injurieux à César. « Il faut, disait-il, que Pompée connaisse bien peu ses forces et sa réputation, pour se fortifier contre César d’autres armes que celles dont il dispose ; César sera vaincu par ses propres légions, dès que Pompée aura paru : tant les soldats haïssent César et désirent de revoir Pompée ! » Ces vains propos enflèrent si fort le cœur de Pompée, ils lui inspirèrent une si présomptueuse confiance, et lui firent tant et si bien négliger toute précaution, qu’il se moquait de ceux qui redoutaient cette guerre ; et, quand on lui disait que, si César marchait sur Rome, on ne voyait pas avec quelles troupes on pourrait lui résister, il répondait, d’un air riant et d’un visage serein, qu’il ne fallait pas s’en inquiéter : « En quelque endroit de l’Italie que je frappe du pied, disait-il, il en sortira des légions. »
César, de son côté, s’appliquait à ses affaires plus fortement que jamais ; il s’approchait de l’Italie, et ne cessait d’envoyer des soldats à Rome pour assister aux comices. Il gagnait sous main et corrompait à prix d’argent plusieurs des magistrats, entre autres le consul Paulus, qu’il attira à son parti en lui donnant quinze cents talents[68], Curion, tribun du peuple, dont il paya les dettes immenses, et Marc-Antoine, ami de Curion, et qui s’était rendu caution pour ses dettes. Un des capitaines qui étaient venus de l’armée de César, se tenait à la porte du Sénat : ayant su que les sénateurs refusaient à César la prolongation de son gouvernement, il frappa de sa main sur son épée, en disant : « Voici qui la lui donnera. » Telle était, en effet, la pensée secrète qui dirigeait toutes les démarches et tous les préparatifs de César. Il est bien vrai que les demandes et les propositions que Curion faisait au nom de César, paraissaient plus raisonnables : il demandait, de deux choses l’une, ou que Pompée licenciât ses troupes, ou que César ne fût point dépouillé des siennes. « Réduits à l’état de simples particuliers, disait-il, ils en viendront à des conditions équitables ; ou, s’ils restent armés, ils se tiendront tranquilles, contents de ce qu’ils possèdent ; au lieu qu’affaiblir l’un par l’autre, ce serait doubler la puissance qu’on craint. » Le consul Marcellus, en répondant à Curion, traita César de brigand, et proposa, s’il ne voulait pas mettre bas les armes, de le déclarer ennemi de la patrie. Mais Curion, soutenu par Antoine et par Pison, vint à bout de faire passer sa proposition par l’épreuve du Sénat. Il invita ceux qui voulaient que César seul posât les armes et que Pompée retînt le commandement, à se mettre tous du même côté ; et ce fut le plus grand nombre. Il dit ensuite à ceux qui étaient d’avis que tous deux posassent les armes et qu’aucun ne conservât son armée, de se ranger tous du même côté : il n’y en eut que vingt-deux qui restèrent fidèles à Pompée ; tous les autres se rangèrent du côté de Curion.
Fier de sa victoire, et transporté de joie, Curion s’élance dans l’assemblée du peuple, où il est reçu avec de vifs applaudissements, et couvert de bouquets de fleurs et de couronnes. Pompée n’était pas présent dans le Sénat, car les généraux qui sont à la tête de leurs armées n’entrent point dans la ville ; mais Marcellus[69] se leva, et dit qu’il ne resterait pas tranquillement assis à écouter de vaines paroles, lorsqu’il voyait déjà dix légions s’avancer du sommet des Alpes, et qu’il allait envoyer contre elles l’homme capable de les arrêter et de défendre la patrie.
Dès ce moment on changea d’habit dans Rome, comme pour un deuil public. Marcellus, suivi du Sénat, traversa le Forum, et vint trouver Pompée. Il s’arrêta devant lui : « Pompée, dit-il, je t’ordonne de secourir la patrie ; de te servir pour cela des forces dont tu disposes déjà, et d’en rassembler de nouvelles. » Lentulus, l’un des consuls désignés pour l’année suivante, lui fit la même déclaration. Pompée commença donc à faire des levées ; mais les uns refusèrent de donner leurs noms ; d’autres, en petit nombre, se présentèrent, mais de mauvaise grâce ; et la plupart demandèrent qu’on prît des voies de conciliation. Car Antoine, malgré le Sénat, avait lu devant le peuple une lettre de César, qui contenait des propositions faites pour séduire la multitude : il demandait que Pompée et lui quittassent leurs gouvernements, et licenciassent leurs troupes, pour se présenter devant le peuple, et rendre compte de leurs actions. Lentulus, qui exerçait déjà les fonctions de consul, n’assemblait point le Sénat ; Cicéron, nouvellement arrivé de Cilicie, proposait, pour accommodement, que César quittât la Gaule, et licenciât toute son armée, à l’exception de deux légions, qu’il conserverait avec le gouvernement de l’Illyrie, en attendant son second consulat. Pompée désapprouva ces conditions ; et les amis de César consentirent au licenciement de l’une des deux légions réservées. Mais Lentulus repoussa encore la proposition, et s’écria que Pompée faisait une grande faute en se laissant ainsi duper ; et la négociation n’aboutit point.
On annonça, sur ces entrefaites, que César s’était emparé d’Ariminium[70], ville considérable de l’Italie, et qu’il marchait droit sur Rome avec toute son armée. Mais cette dernière circonstance était fausse : César n’avait avec lui que trois cents chevaux et cinq mille hommes d’infanterie ; il était parti sans attendre le reste de ses troupes, qui étaient encore au delà des Alpes, parce qu’il voulait tomber brusquement sur des gens troublés et qui ne l’attendaient pas, au lieu de leur donner le temps de revenir de leur frayeur, et d’avoir à les combattre bien préparés. Arrivé sur les bords du Rubicon[71], qui faisait la limite de son gouvernement, il s’arrêta en silence, réfléchissant en lui-même sur la grandeur et la témérité de son entreprise, et différa quelque temps de passer le fleuve. Puis après, comme ceux qui d’un lieu escarpé se précipitent dans un abime profond, il fit taire le raisonnement, et, s’étourdissant sur le danger, il se contenta de dire à haute voix, en langue grecque, en s’adressant à ceux qui l’environnaient : « Le sort en est jeté ! » Et il fit passer son armée.
Dès que le bruit en fut porté à Rome, voilà toute la ville saisie d’étonnement, de trouble et de frayeur : jamais on n’avait vu pareil effroi. À l’instant le Sénat en corps et tous les magistrats se rendirent précipitamment auprès de Pompée. Tullus lui demanda quelles forces et quelle armée il avait à sa disposition : Pompée, après quelques moments d’hésitation, répondit d’un ton mal assuré, qu’il avait de prêtes les deux légions que César lui avait renvoyées, et que les nouvelles levées pourraient fournir promptement, à ce qu’il croyait, trente mille hommes. « Pompée, s’écria Tullus, tu nous as trompés ! » Et il conseilla d’envoyer des députés à César. Un certain Favonius, homme du reste sans mauvaises passions, mais qui s’imaginait imiter, par les fréquentes boutades d’une audace obstinée et insultante, le franc parler de Caton, somma Pompée de frapper du pied la terre, pour en faire sortir les légions qu’il avait promises. Pompée souffrit avec douceur cette raillerie déplacée ; et, Caton lui ayant rappelé ce qu’il lui avait prédit dès le commencement, au sujet de César : « Dans tout ce que tu m’as dit, répondit Pompée, tu as mieux deviné que moi ; dans tout ce que j’ai fait, je me suis plus conduit en galant homme. » Caton conseillait de nommer Pompée général, avec un pouvoir absolu, alléguant que ceux qui font les grands maux savent aussi y apporter le remède. Pompée partit aussitôt pour la Sicile, province qui lui était échue par le sort ; et tous les autres magistrats se rendirent chacun dans les gouvernements qui leur avaient été assignés.
Cependant l’Italie presque tout entière était en révolution ; partout régnait la plus grande perplexité. Ceux du dehors accouraient à Rome de toutes parts, tandis que les habitants de Rome se hâtaient d’en sortir et d’abandonner la ville. Et en effet, dans une si grande tempête, dans un trouble si violent, les citoyens bien intentionnés étaient trop faibles ; les mauvais citoyens, au contraire, opposaient aux magistrats une force redoutable, et difficile à réduire. Il était d’ailleurs impossible de calmer la frayeur générale ; et Pompée n’avait pas la liberté de suivre ses propres conseils pour remédier au désordre : chacun, selon la passion dont il se sentait affecté, cherchait à lui faire partager ou sa crainte, ou sa tristesse, ou son agitation, ou son inquiétude : aussi prenait-il dans un même jour les résolutions les plus contraires. Il ne pouvait rien savoir de certain sur les ennemis : on lui rapportait à chaque instant les nouvelles les plus hasardées ; et, s’il se refusait à croire, on s’irritait contre lui. Enfin il fit déclarer qu’il y avait tumulte[72] ; il ordonna à tous les sénateurs de le suivre, protestant qu’il regarderait comme partisans de César tous ceux qui resteraient dans Rome ; et le soir il quitta la ville. Les consuls s’enfuirent aussi, sans avoir même fait aux dieux les sacrifices d’usage avant une guerre. Pompée ne laissait pas, dans cette affreuse extrémité, de paraître encore digne d’envie, à raison de l’affection que tout le monde lui témoignait. Car, si beaucoup de Romains blâmaient cette guerre, personne ne haïssait le général, et on en vit un grand nombre le suivre, moins par amour pour la liberté, que parce qu’ils ne pouvaient se résoudre à abandonner Pompée.
Peu de jours après César entra dans Rome. Maître de la ville, il traita avec douceur ceux qui étaient restés, et les rassura. Seulement Métellus, un des tribuns, ayant voulu l’empêcher de prendre de l’argent dans le trésor public, il le menaça de mort, et ajouta à cette menace un mot encore plus terrible. « Et cela, dit-il, il m’est moins difficile de le faire que de le dire. » Quand il eut de la sorte écarté Métellus, et pris l’argent dont il avait besoin, il se mit à la poursuite de Pompée, qu’il voulait chasser promptement hors de l’Italie, avant qu’il eût reçu les renforts qu’il attendait d’Espagne. Pompée, qui occupait Brundusium, ramassa un grand nombre de vaisseaux, embarqua les consuls avec trente cohortes, et les envoya devant lui à Dyrrachium[73]. Il fit partir en même temps pour la Syrie Scipion son beau-père, et Cnéius son fils, chargés d’équiper une flotte. Quant à lui, il barricada les portes ; il plaça sur les murailles les soldats les plus agiles ; il ordonna aux Brundusiens de se tenir tranquillement renfermés dans leurs maisons, et fit couper toutes les rues par des tranchées remplies de pieux pointus, à l’exception de deux rues par lesquelles il communiquait avec le port. Au bout de trois jours, il était parvenu sans obstacle à embarquer le reste de ses troupes ; alors il éleva tout à coup un signal aux soldats qui gardaient les murailles : ceux-ci accourent en hâte ; Pompée les prend dans ses vaisseaux, et traverse la mer.
Dès que César vit les murailles désertes, il se douta de la fuite de Pompée ; et peu s’en fallut qu’en se pressant à sa poursuite, il s’allât enferrer dans les pieux qui garnissaient les tranchées des rues ; mais, averti par les Brundusiens, il évita de traverser la ville : il prit un détour pour gagner le port, où il trouva toute la flotte partie, à l’exception de deux vaisseaux montés de quelques soldats. On regarde le départ de Pompée comme un des meilleurs expédients de guerre dont il pût se servir. Mais César s’étonnait que Pompée, ayant eu son pouvoir une ville aussi forte que Rome, attendant des secours d’Espagne et étant maître de la mer, eût abandonné et livré l’Italie. Cicéron le blâme aussi[74] d’avoir imité la conduite de Thémistocle plutôt que celle de Périclès, alors que la situation de ses affaires ressemblait à celle de Périclès bien plus qu’à celle de Thémistocle. César fit voir, par sa conduite, combien il craignait les effets du temps ; car, ayant fait prisonnier Numérius, un des amis de Pompée, il l’avait envoyé à Brundusium pour proposer un accommodement, à des conditions raisonnables ; mais Numérius s’embarqua avec Pompée.
César s’étant ainsi rendu, en soixante jours, maître de toute l’Italie sans verser une goutte de sang, voulait sur-le-champ se mettre à la poursuite de Pompée ; mais, comme il n’avait point de vaisseaux, il changea de dessein, et prit la route de l’Espagne, pour attirer à son parti les troupes qui servaient dans ce pays.
Cependant Pompée avait assemblé des forces considérables ; sa flotte pouvait passer vraiment pour invincible : elle se composait de cinq cents navires de guerre, et d’un nombre plus considérable encore de brigantins et de vaisseaux légers. Sa cavalerie était la fleur de Rome et de l’Italie : c’étaient sept mille chevaliers, tous distingués par leur naissance et leurs richesses, autant que par leur courage. Son infanterie, formée de soldats ramassés de toutes parts, avait besoin d’être disciplinée : il l’exerça sans relâche pendant son séjour à Béroë[75] ; lui-même, toujours en activité, il se livrait, comme un homme dans la vigueur de l’âge, aux mêmes exercices que les soldats. C’était pour l’armée un grand motif d’encouragement, de voir le grand Pompée, à l’âge de cinquante-huit ans, lutter à pied, tout armé, puis monter à cheval, tirer facilement son épée en courant à toute bride, et la remettre dans le fourreau avec non moins d’aisance, enfin lancer le javelot, non-seulement avec justesse, mais encore avec force, et à une distance que ne dépassaient point la plupart des jeunes gens.
Chaque jour arrivaient à son camp des rois et des princes de toutes nations ; et les capitaines romains qui entouraient Pompée étaient en si grand nombre, qu’on eut dit un Sénat complet. Labiénus lui-même y vint, après avoir abandonné César, dont il était l’ami intime, et avec qui il avait fait la guerre des Gaules. Et Brutus, le fils du Brutus qui avait été égorgé dans la Gaule[76], homme d’un grand courage, et qui jusque-là n’avait jamais voulu parler à Pompée, ni même le saluer, parce qu’il le regardait comme le meurtrier de son père, ne vit plus alors en lui que le défenseur de la liberté de Rome, et alla se ranger sous ses ordres. Cicéron même, qui avait donné par écrit et de vive voix des conseils tout opposés à ceux qu’on suivait, eut honte néanmoins de n’être pas du nombre de ceux qui s’exposaient au danger pour la patrie. Tidius Sextius, homme d’une extrême vieillesse, et boiteux d’une jambe, alla joindre l’armée en Macédoine : les autres officiers, à son arrivée, se mirent à rire et à plaisanter ; mais Pompée ne l’eut pas plutôt aperçu que, se levant de son siège, il courut au-devant de lui, regardant comme un témoignage bien honorable à sa cause le concours de ces vieillards, qui s’élevaient au-dessus de leur âge et de leurs forces, et préféraient à leur sécurité le danger qu’ils partageaient avec lui.
Le Sénat s’assembla en conseil, et décréta, sur la proposition de Caton, qu’on ne ferait mourir aucun citoyen romain ailleurs que dans le combat, et qu’on ne pillerait aucune des villes sujettes de Rome ; et cette mesure augmenta encore la faveur dont le parti de Pompée était l’objet. En effet, ceux qui habitaient des lieux éloignés, et n’avaient nullement à s’inquiéter de la guerre, comme aussi ceux qu’on laissait à l’écart à cause de leur faiblesse, s’y intéressaient par leurs vœux, et soutenaient, du moins par leurs discours, les intérêts de la justice, tenant pour ennemi des dieux et des hommes quiconque ne souhaitait pas la victoire à Pompée.
César, de son côté, se montra doux et modéré dans ses succès. En Espagne, où il vainquit et fît prisonnière l’armée de Pompée, il renvoya les capitaines, et fit entrer les soldats dans son armée. Il repassa les Alpes, traversa en courant l’Italie, et arriva à Brundusium vers le solstice d’hiver. Là il s’embarque, et va reprendre terre à Oricum[77], d’où il dépêche Vibius, qu’il avait fait prisonnier, et qui était ami de Pompée, pour demander à Pompée une conférence, et lui proposer de licencier, sous trois jours, toutes leurs troupes, de renouer leur ancienne liaison, qu’ils confirmeraient par serment, et de retourner tous deux en Italie. Pompée crut voir dans ces avances un nouveau piège : il se hâte de descendre vers la mer, se saisit de tous les postes, de tous les lieux fortifiés propres à loger une armée de terre, de tous les ports, de toutes les rades commodes pour les vaisseaux.
Dans cette position, tous les vents favorisaient Pompée, et lui apportaient vivres, troupes et argent. César, au contraire, environné de difficultés, et par terre et par mer, n’avait plus guère d’espoir que dans le combat. Chaque jour il harcelait Pompée dans ses retranchements, et le provoquait à une action décisive. Il avait d’ordinaire l’avantage dans ces escarmouches : une fois pourtant il faillit être entièrement défait et perdre son armée. Pompée combattit avec un tel courge, qu’il mit ses troupes en déroute, et lui tua deux mille hommes ; mais il ne put, ou plutôt il n’osa pas presser les fuyards et entrer avec eux dans le camp. Aussi César dit-il à ses amis : « Aujourd’hui la victoire était aux mains des ennemis, s’ils avaient eu un chef qui sût vaincre. »
Ce succès inspira aux troupes de Pompée une excessive confiance : on ne parla plus désormais que de terminer promptement la guerre par une action générale. Pompée lui-même écrivit aux rois, aux généraux et aux villes de son parti, comme s’il était déjà vainqueur. Il redoutait pourtant de s’exposer au danger d’une bataille ; il comptait miner par le temps et par la disette des hommes invincibles sous les armes, accoutumés depuis longtemps à toujours vaincre, quand ils combattaient ensemble, mais hors d’état, par leur vieillesse, de soutenir les autres travaux de la guerre, de faire de longues marches, de décamper tous les jours, de creuser des tranchées, de bâtir des murailles, et qui étaient pressés, pour cette raison, d’en venir aux mains et de livrer combat. Malgré tous ces motifs, Pompée eut bien de la peine à persuader à ses gens de se tenir tranquilles ; mais, lorsque César, à la suite de son échec, eut été forcé de décamper pour échapper à la disette, et de gagner la Thessalie, par le pays des Athamanes[78], il ne fut plus possible à Pompée de contenir la fierté de ses soldats : « César fuit, » s’écriaient-ils ; les uns voulaient qu’on se mît à sa poursuite, les autres qu’on retournât en Italie ; il y en eut qui envoyèrent leurs domestiques ou leurs amis à Rome, pour y retenir des maisons proche du Forum, espérant briguer bientôt des charges. Plusieurs firent voile de leur chef vers Lesbos, pour aller annoncer à Cornélie que la guerre était terminée.
Le Sénat s’assembla, et Afranius ouvrit l’avis de regagner l’Italie. C’était là, selon lui, le plus grand prix de la guerre ; et la soumission de l’Italie devait entraîner à l’instant celle de la Sardaigne, de la Corse, de l’Espagne et de toutes les Gaules. « Et ce dont Pompée doit surtout tenir compte, ajoutait-il, c’est que, la patrie lui tendant de si près les mains, il serait honteux de la laisser en proie à tant d’outrages, asservie qu’elle est aux esclaves et aux flatteurs des tyrans. » Mais Pompée eût cru flétrir sa réputation en fuyant une seconde fois, et en s’exposant à être poursuivi par César, alors que la Fortune lui donnait de le poursuivre ; d’un autre côté, il trouvait injuste d’abandonner Scipion et les autres personnages consulaires répandus dans la Grèce et dans la Thessalie, lesquels ne manqueraient pas de tomber au pouvoir de César, avec des trésors et des troupes considérables. Le plus grand soin qu’on pût prendre de Rome, c’était, suivant Pompée, de combattre pour elle le plus loin de ses murs qu’il serait possible. « Il faut, disait-il, qu’elle soit préservée des maux de la guerre, qu’elle n’entende pas le bruit des armes, et attende paisiblement le vainqueur. » Cet avis prévalut ; et Pompée se mit à la poursuite de César, bien résolu d’éviter le combat, mais de tenir l’ennemi assiégé, de le ruiner par la disette, en s’attachant à le suivre de près. Outre qu’il regardait ce parti comme le plus utile, on lui avait rapporté que les chevaliers avaient dit entre eux qu’il fallait se défaire promptement de César, pour se débarrasser tout de suite après de Pompée. Ce fut pour ce motif, disent quelques-uns, que Pompée ne donna à Caton aucune commission importante : lorsqu’il marcha contre César, il le laissa sur la côte pour garder les bagages, craignant qu’après que César serait vaincu, Caton ne le forçat lui-même à déposer le commandement.
Quand on le vit suivre les ennemis avec si peu de vigueur, on se plaignit hautement de lui, on l’accusa de faire la guerre, non à César, mais à sa patrie et au Sénat, afin de se perpétuer dans le commandement et de se conserver pour satellites et pour gardes ceux qui devaient commander à l’univers entier. Domitius Énobarbus, en ne l’appelant jamais qu’Agamemnon et roi des rois, excitait contre lui l’envie. Favonius ne le blessait pas moins par ses plaisanteries que les autres par leur franchise déplacée. « Mes amis, criait-il, nous ne mangerons pas cette année des figues de Tusculum. » Lucius Afranius, celui qui avait perdu les troupes d’Espagne, et qu’on accusait de trahison, voyant Pompée éviter le combat, s’étonnait que ses accusateurs n’osassent pas se présenter pour attaquer cet homme qui trafiquait des provinces. Pompée, trop sensible à ces propos, dominé d’ailleurs par l’amour de la gloire, se laissa entraîner par leurs espérances, et renonça aux plans si sages qui l’avaient guidé jusqu’alors : faiblesse qui eût été inexcusable dans un simple pilote de navire, à plus forte raison dans le chef suprême de tant de nations et de si grandes armées. Lui qui approuvait ces médecins qui n’accordent jamais rien aux désirs déréglés des malades, il cédait à la partie la moins saine de son entourage, par la peur de déplaire dans une occasion où il s’agissait de la vie. Car, peut-on regarder comme des esprits sains des hommes dont certains, en se promenant dans le camp, songeaient à briguer des consulats et des prétures ? Spinther, Domitius et Scipion, disputaient entre eux avec chaleur, et cabalaient pour la charge de grand pontife, dont César était revêtu : comme s’ils avaient eu à combattre Tigrane, roi d’Arménie, ou le roi des Nabatéens[79], et non point ce César et cette armée qui avaient pris d’assaut un millier de villes, dompté plus de trois cents nations, remporté sur les Germains et les Gaulois, sans jamais avoir été vaincus, des victoires innombrables, fait un million de prisonniers, et tué un million d’ennemis en bataille rangée.
Ils ne cessaient néanmoins de presser et d’importuner Pompée ; et, à peine descendus dans la plaine de Pharsale, ils le forcèrent de tenir un conseil, dans lequel Labiénus, qui commandait la cavalerie, se levant le premier, jura qu’il ne se retirerait du combat qu’après avoir mis les ennemis en déroute ; et tous les autres prononcèrent le même serment. La nuit suivante, Pompée se vit lui-même en songe entrant dans le théâtre, où le peuple le recevait avec de vifs applaudissements, et ornant de riches dépouilles le temple de Vénus Victorieuse. Si cette vision le rassurait d’un côté, elle le troublait de l’autre, en lui faisant craindre que César, qui faisait remonter à Vénus l’origine de sa famille, ne tirât, des dépouilles d’un rival, une nouvelle gloire et un nouvel éclat. Des terreurs paniques, qui se répandirent dans le camp, l’éveillèrent en sursaut ; et le matin, comme on posait les gardes, on vit tout à coup, au-dessus du camp de César, où régnait une profonde tranquillité, s’élever une vive lumière à laquelle s’alluma un flambeau ardent, qui vint fondre sur le camp de Pompée. César lui-même dit avoir vu ce phénomène comme il visitait ses postes de nuit.
À la pointe du jour, César se disposait à transporter son camp près de Scotuse[80] ; et déjà les soldats levaient leurs tentes, et laissaient partir devant eux les valets et les bêtes de somme, lorsque les coureurs vinrent rapporter qu’ils avaient aperçu un grand mouvement d’armes dans le camp des ennemis, et qu’on y entendait un bruit et un tumulte comme de gens qui s’apprêtent au combat ; bientôt après il en arriva d’autres, qui assurèrent que les premiers rangs s’étaient déjà mis en bataille. « Enfin, dit César à cette nouvelle, le voilà donc, ce jour longtemps attendu, où nous aurons à combattre, non contre la faim et la disette, mais contre des hommes ! » Et il se hâta de faire placer devant sa tente la cotte d’armes de pourpre, signal ordinaire de la bataille chez les Romains. Les soldats, à la vue du signal, se mettent à pousser des cris de joie ; ils laissent les tentes, et courent aux armes. Les officiers les conduisent aux postes assignés à chacun, et tous prennent leurs places sans confusion et en silence, avec autant d’ordre qu’un chœur de tragédie. Pompée commandait en personne l’aile droite de son armée, et avait Antoine en tête. Le centre était occupé par son-beau père Scipion, qui se trouvait opposé à Lucius Albinus. Lucius Domitius conduisait l’aile gauche, que fortifiait le corps nombreux des chevaliers ; car c’était là que presque tous les chevaliers s’étaient portés, dans l’espoir d’écraser César, et de tailler en pièces la dixième légion, qui était célèbre par sa valeur, et au milieu de laquelle César avait coutume de prendre rang pour combattre.
Quand César vit l’aile gauche des ennemis soutenue par une si nombreuse cavalerie, redoutant l’effet que produirait sur ses soldats l’éclat étincelant des armes, il fit venir, du corps de réserve, six cohortes qu’il plaça derrière la dixième légion, avec ordre de se tenir tranquilles, sans se montrer aux ennemis : lorsque les chevaliers commenceraient la charge, elles devaient s’avancer aux premiers rangs, et, au lieu de lancer au loin leurs javelots, comme font ordinairement les plus braves, pressés qu’ils sont d’en venir à l’épée, les porter droit à la visière du casque, et frapper les ennemis aux yeux et au visage. « Ces beaux danseurs si fleuris, disait-il, jaloux de conserver leur jolie figure, ne soutiendront pas l’éclat du fer, brillant ainsi à leurs yeux. »
Tandis que César prenait ces dispositions, Pompée, de son côté, montait à cheval, et considérait l’ordonnance des deux armées. Voyant que les ennemis attendaient en bon ordre et sans bouger le signal de l’attaque, et qu’au contraire la plus grande partie des siens, au lieu de rester immobiles dans les rangs, s’agitaient en tumulte faute d’expérience, il craignit qu’ils ne rompissent entièrement leur ordonnance dès le commencement de l’action. Il envoya donc à ceux des premiers rangs l’ordre de rester fermes dans leurs postes, et de se tenir serrés les uns contre les autres pour soutenir le choc de l’ennemi. César blâme cette disposition[81] : Pompée émoussa, selon lui, la vigueur que donne aux coups l’impétuosité de la course ; il éteignit cette ardeur d’où naissent l’enthousiasme et la fureur guerrière dans l’âme des combattants, car les chocs mutuels enflamment de plus en plus les courages, échauffés encore par la course et les cris ; en un mot, il amortit et glaça le cœur de ses soldats. César avait avec lui vingt-deux mille hommes, et Pompée un peu plus du double.
Quand le signal du combat eut été donné de part et d’autre, et que la trompette commença à sonner la charge, chacun, dans cette grande multitude, ne songea plus qu’à son affaire particulière ; mais un petit nombre des plus vertueux d’entre les Romains, et quelques Grecs qui se trouvaient sur les lieux, hors du champ de bataille, réfléchissaient, en voyant approcher l’instant décisif, à la situation affreuse où l’empire romain se trouvait réduit par l’avidité et l’ambition de deux hommes. C’étaient, des deux côtés, les mêmes armes, la même ordonnance de bataille, des enseignes pareilles, la fleur des guerriers d’une même ville ; enfin une seule puissance prête à se heurter elle-même, et qui allait donner le plus terrible exemple de l’aveuglement et de là fureur dont la nature humaine est capable, quand elle est en proie aux passions. S’ils eussent voulu, contents de leur gloire, commander au sein de la paix, n’auraient-ils pas eu, et par terre et par mer, la plus grande et la meilleure partie de l’univers soumise à leur autorité ? Ou, s’ils voulaient satisfaire cet amour des trophées et des triomphes, et étancher leur soif, n’avaient-ils pas des Parthes et des Germains à combattre ? La Scythie et les Indes n’ouvraient-elles pas un vaste champ à leurs exploits ? N’avaient-ils pas un prétexte honnête de leur déclarer la guerre, en couvrant leur ambition du dessein de civiliser les nations barbares ? Et quelle cavalerie scythe, quels archers parthes, quels trésors indiens eussent pu soutenir l’effort de soixante-dix mille Romains en armes, commandés par César et Pompée, dont ces peuples avaient connu les noms bien avant même d’avoir entendu parler des Romains tant ils avaient, l’un et l’autre, porté loin leurs pas, domptant mille nations sauvages et barbares ! Mais alors ils étaient sur le même champ de bataille, pour combattre l’un contre l’autre, sans être touchés du danger de leur gloire, à laquelle ils sacrifiaient pourtant leur patrie, et qu’ils allaient déshonorer en perdant l’un ou l’autre le titre d’invincible ; car l’alliance qu’ils avaient contractée, les charmes de Julie, et ces noces fameuses, avaient été plutôt des otages trompeurs et suspects d’une société tout intéressée, que des liens d’amitié véritable.
Dès que la plaine de Pharsale fut couverte d’hommes, de chevaux et d’armes, et que des deux côtés on eut donné le signal du combat, le premier qui s’élança de l’armée de César fut Caïus Crassianus[82], qui commandait une compagnie de cent vingt hommes, et qui se montrait jaloux de tenir tout ce qu’il avait promis à César. C’était lui que César avait rencontré le premier en sortant du camp ; et, l’ayant salué par son nom, il lui avait demandé ce qu’il pensait de l’issue de la bataille. Crassianus lui tendant la main : « César, s’était-il écrié, tu la gagneras avec gloire ; et tu me loueras aujourd’hui vivant ou mort. » Il se souvenait de sa parole : il s’élança hors des rangs, entraînant avec lui plusieurs de ses camarades, et se précipita au milieu des ennemis. On en vint bien vite aux épées, et le combat fut sanglant. Crassianus poussait toujours en avant, faisant main basse sur ceux qui lui résistaient ; mais un soldat ennemi l’attendit de pied ferme, et lui enfonça son épée dans la bouche avec tant de force, que la pointe sortit par la nuque du cou. Crassianus tomba mort ; mais le combat se soutint sur ce point sans désavantage. Pompée, au lieu de faire charger promptement son aile droite, jetait les yeux de côté et d’autre pour voir ce que ferait sa cavalerie ; ce qui lui fit perdre un temps précieux. Déjà ses chevaliers déployaient leurs escadrons afin d’envelopper César, et de repousser sur son infanterie le peu de cavalerie qu’il avait. Alors César élève le signal convenu : ses cavaliers s’ouvrent, et les cohortes qu’il avait cachées derrière sa dixième légion, et qui formaient trois mille hommes, se jettent au-devant des ennemis, et font tête à la cavalerie de Pompée, relevant, suivant l’ordre qu’ils en avaient reçu, la pointe de leurs javelots, et portant les coups au visage. Ces jeunes gens, qui ne s’étaient jamais trouvés à aucun combat, et qui ne s’attendaient nullement à ce genre d’escrime, dont ils n’avaient pas même l’idée, n’eurent pas le courage de soutenir les coups qu’on leur portait aux yeux et à la face : ils se couvrent le visage avec les mains, et prennent honteusement la fuite. Les soldats de César, sans daigner les poursuivre, chargent le corps d’infanterie, que la déroute des chevaliers mettait à découvert, et qu’il était facile d’envelopper ; ils le prennent en flanc, pendant que la dixième légion le chargeait de front. Les ennemis ne résistèrent pas longtemps à ce double choc ; et, se voyant cernés eux-mêmes, bien loin d’avoir pu, comme ils l’espéraient, cerner les ennemis, ils abandonnèrent le champ de bataille. Dès que Pompée aperçut la poussière que faisait élever cette fuite, il se douta de ce qui était arrivé à sa cavalerie. Il serait malaisé de dire quelle fut sa pensée dans ce moment ; mais il eut tout à fait l’air d’un homme frappé tout à coup de vertige, et qui a perdu le sens : il ne se souvient plus qu’il est le grand Pompée, et se retire à petits pas dans son camp, sans rien dire à personne. On eût pu lui appliquer parfaitement les vers fameux[83] :
Jupiter, du haut de son trône, verse la terreur dans le cœur d’Ajax.
Ajax s’arrête tout stupéfait, jette sur son dos son bouclier aux sept cuirs de bœuf,
Et fuit loin de la mêlée, en regardant de tous côtés.
Tel Pompée entra dans sa tente, et s’y assit en silence. Enfin, les ennemis, qui poursuivaient les fuyards, ayant pénétré dans ses retranchements, il s’écria : « Quoi ! jusque dans mon camp ? » et, sans ajouter un mot de plus, il se lève, prend une robe convenable à sa fortune présente, et sort sans être vu de personne.
Ses autres légions prirent aussi la fuite ; et les ennemis s’emparèrent du camp, où ils firent un grand carnage des soldats qui gardaient les tentes et des valets d’armée. Car, de ceux qui combattirent, il n’y en eut, au rapport d’Asinius Pollion, qui était à cette bataille dans l’armée de César, que six mille de tués. Après que le camp eut été forcé, on vit jusqu’à quel point les ennemis avaient porté la folie et la légèreté : toutes les tentes étaient couronnées de myrtes, et ornées d’étoffes précieuses ; les tables étaient chargées de vaisselle d’argent, et d’urnes pleines de vin ; tout annonçait l’appareil et l’ordonnance d’un sacrifice ou d’une fête, plutôt que les préparatifs d’un combat : tant ils étaient partis pour l’armée gâtés par de vaines espérances, et pleins d’une folle témérité !
Quand Pompée se fut un peu éloigné du camp, il quitta son cheval ; et, accompagné d’un fort petit nombre de personnes, il profita de ce qu’on ne le poursuivait pas pour s’en aller lentement, tout entier aux réflexions qui devaient naturellement occuper un homme accoutumé depuis trente-quatre ans à tout subjuguer, et qui faisait alors, dans sa vieillesse, la première expérience de la déroute et de la fuite. Il se demandait à lui-même comment une gloire et une puissance qui s’étaient accrues par tant de combats et de guerres, il les avait perdues en une heure ; comment, après s’être vu environné naguère de tant de gens de pied et de cavaliers, et de flottes si considérables, il fuyait maintenant si faible, et réduit à un si chétif équipage que les ennemis qui le cherchaient ne pouvaient le reconnaître ! Il passa près de Larisse sans s’y arrêter ; arrivé dans les vallées de Tempe, pressé par la soif, il se jeta le visage contre terre, et but dans le fleuve[84]. Après s’être relevé, il descendit les vallées jusqu’au bord de la mer. Il passa le reste de la nuit dans une cabane de pêcheurs, et, au point du jour, il monta dans un bateau de rivière avec les personnes de condition libre qui l’accompagnaient, après avoir commandé aux esclaves de se rendre auprès de César, et de ne rien craindre. Comme il côtoyait le rivage, il aperçut un grand vaisseau de charge prêt à lever l’ancre. Le patron du navire était un Romain qui n’avait jamais eu de rapports avec Pompée, et qui ne le connaissait que de vue : il se nommait Péticius. La nuit précédente, Pompée lui était apparu en songe, non tel qu’il l’avait souvent vu, mais qui s’entretenait avec lui dans un état d’humiliation et d’abattement. Péticius racontait ce songe aux passagers, comme c’est l’ordinaire des gens désœuvrés de s’entretenir de ces sortes de matières. Tout à coup un des matelots lui dit qu’il apercevait un bateau de rivière qui venait du rivage en forçant de rames, et des hommes qui agitaient leurs robes et tendaient les mains. Péticius, s’étant levé, reconnut aussitôt Pompée, tel qu’il l’avait vu en songe : il se frappe la tête de douleur, et ordonne aux matelots de descendre l’esquif. Il étend la main, et appelle Pompée par son nom, conjecturant déjà, à l’état dans lequel il le voyait, le changement de sa fortune. Aussi, sans attendre de sa part ni prière ni discoure, le reçut-il dans son vaisseau, et avec lui tous ceux que voulut Pompée, entre autres les deux Lentulus et Favonius : puis il remit a la voile. Quelque temps après, ils virent sur le rivage le roi Déjotarus, qui faisait des signes pour être aperçu d’eux ; et ils le reçurent dans leur vaisseau. Quand l’heure du souper fut venue, le patron lui-même l’apprêta avec les provisions qu’il avait ; et Favonius, voyant que Pompée, faute de domestiques, ôtait lui-même ses habits pour se baigner, courut à lui, le déshabilla, le mit dans le bain, et le frotta d’huile. Depuis ce moment, Favonius ne cessa de prendre soin de Pompée, et de lui rendre tous les services qu’un esclave rend à son maître, jusqu’à lui laver les pieds et lui préparer ses repas. Aussi quelqu’un s’écria-t-il, admirant avec quelle noblesse et quelle simplicité sans nulle affectation il s’acquittait de ce service :
Pompée passa de la sorte devant Amphipolis[86], et de là fit voile vers Mitylène[87], pour y prendre Cornélie et son fils. Lorsqu’il eut jeté l’ancre devant l’île, il envoya à la ville un courrier, mais non pas tel que Cornélie l’attendait : après les nouvelles agréables dont on l’avait bercée de vive voix et par écrit, elle comptait bien apprendre que la victoire de Dyrrachium avait terminé la guerre, et que Pompée n’avait plus eu qu’à poursuivre César. Le courrier, qui la trouva toute pleine de cette espérance, n’eut pas la force de la saluer ; il lui fit connaître l’excès de ses malheurs par ses larmes bien plus que par ses paroles : « Hâte-toi, lui dit-il enfin, si tu veux voir Pompée sur un seul vaisseau et qui appartient à un autre que lui. » À ces mots, Cornélie se jette à terre, et y reste longtemps, hors d’elle-même et sans voix. Elle reprit ses sens à grand’peine ; et, comprenant que ce n’était pas le moment des gémissements et des larmes, elle traversa la ville, et courut au rivage. Pompée alla au-devant d’elle, et la reçut dans ses bras, prête à s’évanouir : « Ô mon époux ! lui dit-elle, ce n’est pas ta mauvaise fortune, c’est la mienne qui t’a réduit à une seule barque ; toi qui, avant de t’unir à Cornélie, voguais sur cette mer avec cinq cents voiles ! Pourquoi venir me chercher ? Que ne m’abandonnais-tu à ce funeste destin qui vient de t’accabler, toi aussi, de tant de calamités ? Quel bonheur pour moi, si j’étais morte avant d’apprendre que Publius, mon premier mari, avait péri chez les Parthes ! ou que j’eusse été sage, si, après sa mort, j’avais quitté la vie, comme j’en eus d’abord le dessein ! Je ne l’ai donc conservée que pour faire le malheur du grand Pompée ! » Telles furent, dit-on, les paroles de Cornélie. Pompée lui répondit : « Cornélie, tu n’avais connu encore que ma bonne fortune ; et ce qui cause peut-être aujourd’hui ton erreur, c’est que j’en ai joui au delà du terme ordinaire. Mais, puisque nous sommes nés mortels, il faut supporter les disgrâces et tenter encore la fortune : ne désespérons pas de revenir de mon état présent à ma grandeur passée, comme de ma grandeur je suis tombé dans l’état où tu me vois. »
Cornélie envoya quérir à la ville ses effets précieux et ses domestiques ; les Mityléniens vinrent saluer Pompée, et le prièrent d’entrer dans la ville ; mais il refusa, et leur dit de se soumettre au vainqueur avec confiance : « Car, ajouta-t-il, César est clément et bon. » Puis il se tourna vers le philosophe Cratippus, qui était descendu de Mitylène pour le voir, se plaignit de la providence divine, et témoigna quelques doutes sur son existence. Cratippus, tout en ayant l’air d’entrer dans ses raisons, tâchait de le ramener à de meilleures espérances ; il ne voulut pas se rendre importun en le contredisant mal à propos. Il eût pu justifier la Providence, en remontrant à Pompée que, dans le désordre où était tombée la république, il fallait, pour relever les affaires, un gouvernement monarchique. Il aurait pu lui dire encore : « Comment et à quelle marque pourrions-nous croire, Pompée, que, si la victoire s’était déclarée en ta faveur contre César, tu aurais mieux que lui usé de ta fortune ? » Mais laissons-là ces questions, qui sont du ressort des dieux.
Pompée, ayant pris sur son vaisseau sa femme et ses amis, continua sa route, sans s’arrêter ailleurs que dans les ports où le besoin de faire de l’eau et de prendre des vivres le forçait de relâcher. La première ville où il descendit fut Attalie, dans la Pamphylie[88]. Quelques trirèmes vinrent de Cilicie l’y rejoindre ; il assembla des troupes ; il eut même bientôt auprès de lui jusqu’à soixante sénateurs. Comme on lui eut appris que la flotte n’avait reçu aucun échec, et que Caton, après avoir recueilli un grand nombre de soldats, était passé en Afrique, il déplora devant ses amis, en se faisant à lui-même de vifs reproches, de s’être laissé forcer à combattre avec son armée de terre, sans employer ses troupes de mer, qui faisaient sa principale force ; ou tout au moins de ne s’être pas fait un rempart de sa flotte, où il eût trouvé, en cas d’une défaite sur terre, une autre armée puissante, et capable de résister à l’ennemi. Il est sûr, en effet, que la plus grande faute de Pompée, comme aussi la ruse la plus habile de César, ce fut de placer le lieu du combat si loin du secours que Pompée pouvait tirer de sa flotte. Quoi qu’il en soit, Pompée, forcé de tenter quelque entreprise avec les ressources qui lui restaient, envoya ses amis dans quelques villes, alla lui-même dans d’autres, pour demander de l’argent et équiper des vaisseaux ; mais, dans la crainte qu’un ennemi aussi prompt et aussi actif que César ne vînt subitement lui enlever tous les préparatifs qu’il aurait pu faire, il examinait s’il n’y avait pas quelque asile où il pût se retirer dans sa fortune présente.
Ils en délibérèrent, lui et ses amis, et ils ne virent aucune province de l’empire qui leur offrît des garanties de sûreté. Quant aux royaumes étrangers, celui des Parthes semblait, pour le moment, le plus propre à les recevoir, à protéger d’abord leur faiblesse, ensuite à les remettre en pied, et à les renvoyer avec des forces considérables. La plupart penchaient pour l’Afrique et pour le roi Juba ; mais Théophane de Lesbos lui représenta que ce serait folie à lui de laisser là l’Égypte, qui n’était qu’à trois journées de navigation, et Ptolémée[89], qui n’était guère, il est vrai, qu’un enfant, mais qui était engagé par les témoignages d’amitié et les services que son père avait reçus de Pompée, et de se jeter entre les mains des Parthes, la plus perfide de toutes les nations. « Quoi ! disait-il, Pompée refuse de s’assurer le premier rang entre les autres hommes, en se résignant à être le second après un Romain dont il a été le gendre ; il ne veut pas faire l’épreuve de la modération de César ; et il livrerait sa personne à un Arsacès[90], qui n’a pas même pu s’emparer de Crassus vivant ? Il mènerait une jeune femme du sang des Scipions au milieu de Barbares, dont le pouvoir n’a d’autre règle que leurs caprices et la satisfaction de leurs passions brutales ? Et, supposé qu’elle ne reçoive aucun outrage, n’est-ce pas assez d’indignité qu’elle soit seulement exposée au soupçon d’en avoir souffert, pour s’être trouvée aux mains d’hommes capables de tout entreprendre ? »
Ce dernier motif fut, dit-on, le seul qui détourna Pompée de prendre le chemin de l’Euphrate, si toutefois ce fut la réflexion de Pompée, et non point un mauvais génie qui lui fit prendre l’autre route. L’avis de se retirer en Égypte ayant donc prévalu, il partit de Cypre avec sa femme, sur une trirème de Séleucie : les autres personnes de sa suite montaient ou des vaisseaux longs, ou des navires marchands : la traversée fut heureuse. Informé que Ptolémée était à Péluse[91] avec ses troupes, faisant la guerre à sa sœur[92], il se mit en chemin pour s’y rendre, et se fit précéder par un de ses amis, chargé d’informer le roi de son arrivée, et de lui demander asile.
Ptolémée était extrêmement jeune ; Pothin, qui exerçait toute l’autorité, assembla un conseil des principaux courtisans. Il invita ces hommes, qui n’avaient d’autre pouvoir que celui qu’il voulait bien leur communiquer, à exposer chacun son avis. Quelle humiliation pour le grand Pompée de voir son sort à la merci des résolutions de Pothin l’eunuque, de Théodotus de Chio, maître de rhétorique à gages, et de l’Égyptien Achillas ! car ces trois hommes, pris entre les valets de chambre du roi, et parmi ceux qui l’avaient élevé, étaient ses principaux ministres : c’était là le conseil dont Pompée, arrêté à l’ancre loin du rivage, attendait la décision, lui qui trouvait indigne de sa grandeur de devoir la vie à César ! On proposa les avis les plus opposés : les uns voulaient qu’on renvoyât Pompée, les autres qu’on le reçût ; mais Théodotus, pour faire parade de son art de rhéteur, soutint qu’il n’y avait de sûreté dans aucun de ces deux avis. « Recevoir Pompée, disait-il, c’est se donner César pour ennemi et Pompée pour maître ; mais, si nous le renvoyons, il pourra se venger un jour d’avoir été chassé, et César aussi d’avoir été réduit à le poursuivre : le meilleur parti est donc de le recevoir et de le faire périr ; par là nous obligerons César, sans avoir à craindre Pompée. » Et il ajouta, dit-on, en souriant : « Un mort ne mord pas. »
On adopta cet avis ; et Achillas fut chargé de l’exécution. Il prend avec lui deux Romains, Septimius et Salvius, qui avaient été autrefois, l’un chef de bande, et l’autre centurion sous Pompée. Il y joint trois ou quatre esclaves, et se rend avec cette suite au vaisseau de Pompée. Tous les principaux des compagnons de Pompée s’y étaient rassemblés, pour voir quel serait le succès du message. Lorsqu’au lieu d’une réception royale, ou tout au moins magnifique, et qui répondît aux espérances qu’avait données Théophane, ils ne virent qu’un petit nombre d’hommes qui s’avançaient, montés dans un bateau de pêcheur, ce sans gêne leur fut suspect, et ils conseillèrent à Pompée de gagner le large, pendant qu’on était hors de la portée du trait. Cependant le bateau s’approcha, et Septimius, s’étant levé le premier, salua Pompée en latin du titre d’imperator. Achillas le salua en langue grecque, et l’invita à passer dans la barque, alléguant les bas-fonds de la côte, et les bancs de sable dont la mer était remplie : il n’y avait pas assez d’eau, suivant lui, pour y engager une trirème. On voyait en même temps des vaisseaux du roi qui s’équipaient, des soldats qui se répandaient sur le rivage : ainsi la fuite devenait impossible, quand même Pompée eût changé d’avis ; d’ailleurs, montrer de la défiance, c’était fournir aux assassins l’excuse de leur crime. Pompée embrasse Cornélie, qui le pleurait déjà comme un homme mort, et ordonne à deux centurions de sa suite, à Philippe, un de ses affranchis, et à un esclave, nommé Scènes, de monter avant lui dans la barque ; et, comme Achillas lui tendait la main de dessus le bateau, il se retourna vers sa femme, et son fils, et leur dit ces vers de Sophocle[93] :
Tout homme qui entre chez un tyran
Devient son esclave, bien qu’il y soit venu libre.
Ce furent les dernières paroles qu’il dit aux siens ; et il passa dans la barque.
La distance était longue de la trirème au rivage : voyant que, durant le trajet, aucun de ceux qui étaient avec lui dans la barque ne lui adressait un mot affectueux, il jeta les yeux sur Septimius : « Mon ami, dit-il, me trompé-je, ou n’as-tu pas fait la guerre avec moi ? » Septimius répondit affirmativement par un simple signe de tête, sans prononcer une seule parole, sans témoigner à Pompée aucun intérêt. Il se fit de nouveau un profond silence ; et Pompée prit des tablettes où il avait écrit un discours grec qu’il se proposait d’adresser à Ptolémée, et se mit à le lire. Lorsqu’ils furent près du rivage, Cornélie, en proie à une vive inquiétude, regardait avec ses amis de dessus la trirème ce qui allait arriver ; elle commençait à se rassurer, en voyant plusieurs des gens du roi qui venaient au débarquement, comme pour faire honneur à Pompée et le recevoir. À ce moment, Pompée prenait la main de Philippe pour se lever plus facilement ; Septimius lui porte un premier coup d’épée par derrière, au travers du corps ; puis Salvius, après lui, puis Achillas tirèrent leurs épées. Pompée, prenant sa toge des deux mains, s’en couvre le visage, et se livre à leurs coups, sans rien dire ni rien faire d’indigne de lui, et jetant un simple soupir. Il était âgé de cinquante-neuf ans[94], et fut tué le lendemain de son jour natal. À la vue de ce meurtre, ceux qui étaient dans les navires poussèrent des cris affreux, qui retentirent jusqu’au rivage ; ils se hâtèrent de lever les ancres, et prirent la fuite, favorisés par un bon vent qui les poussait en poupe : aussi les Égyptiens, qui se disposaient à les poursuivre, renoncèrent-ils à leur dessein. Les assassins coupèrent la tête de Pompée, et jetèrent hors de la barque le corps tout nu, qu’ils laissèrent exposé aux regards de ceux qui voulurent se repaître de ce spectacle.
Après qu’ils s’en furent rassasiés, Philippe, qui ne s’était point éloigné, lava le corps dans l’eau de la mer, l’enveloppa, faute d’autre vêtement, d’une de ses tuniques, et ramassa sur le rivage quelques débris d’un bateau de pêcheur presque pourris de vétusté, mais suffisants pour former un bûcher à un corps nu et qui n’était pas même entier. Pendant qu’il rassemblait et disposait ces débris, un Romain déjà vieux, et qui, dans sa jeunesse, avait fait ses premières campagnes sous Pompée, s’approcha de lui : « Qui es-tu, mon ami, lui dit-il, toi qui prépares les obsèques du grand Pompée ? — Son affranchi, répondit Philippe. — Hé bien, reprit le vieillard, tu « n’auras pas seul cet honneur : amené ici par un hasard favorable, je veux m’associer à ce pieux devoir. Je n’aurai pas à me plaindre en tout de mon séjour dans une terre étrangère, puisque j’aurai eu, en retour de tous mes soucis, la consolation de toucher et d’ensevelir de mes mains le corps du plus grand capitaine de Rome. »
Voilà les funérailles qu’on fit à Pompée. Le lendemain, Lucius Lentulus, ignorant ce qui s’était passé, et qui venait de Cypre, rangeant la côte d’Égypte, vit le feu du bûcher, et, tout auprès, Philippe, qu’il ne reconnut pas d’abord. « Quel est donc, dit-il, celui qui est venu terminer ici sa destinée, et se reposer de ses travaux ? » Un moment après, jetant un profond soupir : « Hélas ! dit-il, c’est peut-être toi, grand Pompée ! » À peu de temps de là il descendit à terre, où il fut pris et tué.
Ainsi finit Pompée.
César ne tarda guère à se rendre en Égypte, où il trouva les affaires dans un grand trouble. On lui présenta la tête de Pompée ; mais il ne put soutenir la vue du scélérat qui la portait, et se détourna avec horreur. Il pleura quand on lui remit le cachet de Pompée, qui avait pour empreinte un lion armé d’un glaive. Il fit mettre à mort Achillas et Pothin ; le roi Ptolémée, défait dans un combat près du Nil, ne reparut pas depuis. Théodotus le sophiste se déroba à la vengeance de César : il s’enfuit d’Égypte, et fut longtemps errant, réduit à la dernière misère, et détesté de tout le monde. Mais Marcus Brutus, après avoir tué César et s’être rendu le maître en Asie, y découvrit Théodotus, et le fit expirer dans les tourments les plus cruels. Les cendres de Pompée furent portées à Cornélie, qui les déposa dans un tombeau à sa maison d’Albe.
- ↑ Ce vers se trouvait dans la pièce intitulée Prométhée délivré, qui n’existe plus.
- ↑ Lucius Marcius Philippus, qui avait épousé Attia, mère d’Auguste. C’était, suivant Cicéron, après Crassus et Antoine, le meilleur orateur de son temps.
- ↑ Castor et Pollux, nommés, par excellence, les fils de Jupiter.
- ↑ Environ vingt-quatre millions de notre monnaie.
- ↑ Petite ville du Picénum.
- ↑ Voyez la Vie de Romulus dans le premier volume.
- ↑ Contrée au nord-est de Rome, sur la côte de la mer Adriatique : c’est aujourd’hui la Marche d’Ancône.
- ↑ C’est celui à qui l’on attribue assez généralement la rédaction de la Guerre d’Espagne, dans les Commentaires de César. Il avait aussi écrit les Vies de Pompée, de Marius, du premier Scipion l’Africain.
- ↑ Ville de la Libye ou Afrique Mineure, qu’illustra plus tard la mort de Caton.
- ↑ D’autres personnages encore ont porté ce surnom ; mais Plutarque ne parle ici que de ceux qui l’ont obtenu par d’autres moyens que les vertus militaires.
- ↑ C’est aujourd’hui Modène : elle faisait partie de la contrée appelée Gaule cispadane, ou en deçà du Pô.
- ↑ Cette Vie fait partie du quatrième volume.
- ↑ Voyez la Vie de Sertorius dans ce volume.
- ↑ Voyez la Vie de Sertorius dans ce volume.
- ↑ Voyez la Vie de Crassus dans ce volume.
- ↑ Île de la mer Ionienne, fameuse par son temple d’Apollon.
- ↑ Didyme était un canton du territoire de Milet, où se trouvait un temple commun à Jupiter et à Apollon.
- ↑ Île de la mer Égée, au-dessous de la Thrace, vis-à-vis de l’embouchure de l’Hèbre, où se célébraient les mystères de la religion des Gabires.
- ↑ Hermione et Épidaure, deux villes de l’Argolide.
- ↑ C’est l’isthme de Corinthe.
- ↑ Promontoire du Péloponnèse, à peu de distance de Lacédémone
- ↑ Petite île sur la côte de la Trézénie.
- ↑ Sur le golfe d’Ambracie.
- ↑ Petite île le long des côtes d’Acarnanie.
- ↑ Promontoire d’Italie, sur la mer Ionienne.
- ↑ On ne sait pas bien de quel Olympe Plutarque veut parler : ce n’est certainement pas de la montagne célèbre chez les poètes.
- ↑ C’est sous ce nom que les Perses adoraient le soleil.
- ↑ Environ vingt lieues.
- ↑ Voyez un fait analogue dans la Vie de Flamininus dans le deuxième volume.
- ↑ Ville de Cilicie, à l’embouchure du Cydnus qui fut depuis nommée Pompéiopolis.
- ↑ Iliade, xxii, 207.
- ↑ Allusion à la retraite du Sénat et du peuple dans le Capitole, lors de la prise de Rome par les Gaulois.
- ↑ Voyez la Vie de Lucullus dans ce volume.
- ↑ Terminaison masculine du même nom.
- ↑ On ne connaît pas la position de cette place.
- ↑ Environ six cent mille francs de notre monnaie.
- ↑ Environ trente-six millions de notre monnaie.
- ↑ Un peu moins de cinquante francs
- ↑ Un peu moins de mille francs.
- ↑ Environ six mille francs de notre monnaie.
- ↑ Chaîne de montagnes situées au delà de l’Euphrate, à la suite de l’Anti-Taurus, et qui embrassent toute l’Arménie, jusqu’à l’Ibérie et l’Albanie.
- ↑ Il y a ici quelque faute ; et il est probable que Plutarque veut parler du Cyrus.
- ↑ Il s’agit du Bosphore Cimmérien, qui forme la communication des Palus-Méotides avec le Pont-Euxin.
- ↑ D’autres auteurs le nomment Albanus.
- ↑ Ceci paraît singulier. Pompée, étant en Albanie, se trouvait, par conséquent, très-près de la mer Caspienne. Il est probable que Plutarque a voulu dire que Pompée se proposait de pénétrer par l’Hyrcanie jusqu’à l’autre extrémité de cette mer.
- ↑ Peuple d’une province d’Assyrie, voisin des Mèdes.
- ↑ Province de la Perse.
- ↑ L’Arbélitide avait pour capitale Arbelles, fameuse par la victoire d’Alexandre sur Darius.
- ↑ Plutarque se sert ici ironiquement d’une manière de parler fréquemment usitée dans Homère à propos de la généalogie des héros.
- ↑ Rutilius, dans son consulat, avait mis un frein aux déportements des chevaliers qui administraient l’Asie : ils le traduisirent en justice, et eurent le crédit de le faire exiler. Cicéron, en plusieurs endroits de ses ouvrages, fait un grand éloge de la vertu de Rutilius. Rutilius avait composé en grec une Histoire romaine estimée. Théophane n’était qu’un flatteur aux gages de Pompée, et qui, dans ses écrits, se souciait médiocrement de la vérité.
- ↑ L’océan Atlantique.
- ↑ Voyez la Vie de Lucullus dans ce volume.
- ↑ Vulgairement nommé Caton d’Utique, du lieu où il se donna la mort. Le fait ici raconté se retrouve dans la Vie de Caton, la dernière de ce volume.
- ↑ Les affranchis portaient le bonnet.
- ↑ Province de la Macédoine.
- ↑ Plus de deux millions de notre monnaie.
- ↑ Environ six mille francs de notre monnaie.
- ↑ Posidonius d’Apamée, celui qui fut un des maîtres de Cicéron.
- ↑ Un des disciples de Théophraste.
- ↑ Environ trois cent mille francs de notre monnaie.
- ↑ La drachme valait quelques centimes de moins que noire franc.
- ↑ Environ cent vingt millions de francs.
- ↑ Il passait même la quarantaine, ayant triomphe l’an 693 de Rome, soixante et un ans avant J.-C. Il était né l’an de Rome 648, avant J.-C. 106.
- ↑ Ptolémée, surnommé Aulétès ou le joueur de flûte, qui s’était réfugié à Rome pour se soustraire au ressentiment de ses sujets, et qu’on voulait rétablir sur son trône.
- ↑ On ne sait pas de qui sont ces vers.
- ↑ Iliade, XV, 180.
- ↑ Il était fils de Scipion Nasica, et il était passé, par adoption, dans la famille des Métellus.
- ↑ Environ neuf millions de notre monnaie.
- ↑ Claudius Marcellus, un des plus ardents ennemis de César. Après la bataille de Pharsale, il refusa de se réconcilier avec lui, et se retira à Athènes. Ce furent ses amis, surtout Cicéron, dont on connaît assez le magnifique discours, qui demandèrent et obtinrent son rappel.
- ↑ Ville de l’Ombrie, sur la mer Adriatique ; n’est aujourd’hui Rimini.
- ↑ Petite rivière un peu au-dessus d’Ariminium.
- ↑ C’était la formule consacrée pour dire officiellement qu’un grand danger menaçait les institutions.
- ↑ Cette ville, aussi nommée Epidamne, était dans l’Illyrie : c’est aujourd’hui Durazzo.
- ↑ Lettres à Atticus, vii, 2.
- ↑ Ville de Macédoine, au pied du mont Bernius.
- ↑ Voyez plus haut.
- ↑ Ville d’Épire, sur la mer Ionienne.
- ↑ Canton de l’Épire, près du Pinde.
- ↑ Une des peuplades de l’Arabie.
- ↑ Un peu au nord de Pharsale.
- ↑ Dans le livre troisième de la Guerre civile.
- ↑ César le nomme Crastinus, et Appien Carsinus.
- ↑ Iliade, xi, 543.
- ↑ Le Pénée.
- ↑ Vers d’une tragédie perdue d’Euripide.
- ↑ En Thrace, près de l’embouchure de Strymore.
- ↑ Capitale de l’île de Lesbos,
- ↑ Sur la côte méridionale de l’Asie, presque en face de l’île de Cypre.
- ↑ Surnommé Dionysius, frère de Cléopâtre et fils de Ptolémée Aulétès.
- ↑ Voyez la Vie de Crassus vers la fin, dans ce volume.
- ↑ À l’embouchure la plus orientale du Nil.
- ↑ Cléopâtre.
- ↑ Tirés d’une des pièces qui n’existent plus.
- ↑ Il n’avait, en réalité, que cinquante-huit ans et un jour.