Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 4/2

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GIORGIONE DA CASTELFRANCO,
PEINTRE VÉNITIEN.



Pendant que Florence acquérait tant de gloire par les travaux du Vinci, Venise de son côté s’illustrait par le talent de l’un de ses citoyens, qui laissait bien loin de lui les Bellini, si estimés de leurs compatriotes, et tous les artistes qui l’avaient précédé dans cette ville.

Cet homme fut Giorgio (1), né à Castelfranco, dans l’état de Trévise, l’an 1478 (2), sous le dogat de Giovan Mozzenico, frère du doge Piero. Giorgio fut plus tard surnommé le Giorgione, à cause tout à la fois de sa haute stature et de son grand mérite. Élevé à Venise, il montra toujours, malgré son humble extraction, les manières les plus élégantes et les pius distinguées. Adonné aux aventures amoureuses, passionné pour la musique, ses chants et son luth le faisaient rechercher dans les concerts et les parties de plaisir de la noblesse vénitienne. Doué d’un sentiment exquis de la peinture, il s’y livra avec zèle. Grand admirateur de la nature, il observa constamment ses beautés et ne voulut jamais


Giorgione da Castelfranco.
travailler sans le modèle dont il poussa si loin l’imitation

consciencieuse, que, dépassant Giovanni et Gentile Bellini, il se montra le digne rival des peintres de la Toscane, qui venaient d’ouvrir une époque nouvelle en fondant le style moderne. Giorgione avait vu plusieurs ouvrages de Léonard de Vinci, exécutés dans la manière effumée et vigoureuse particulière à ce grand maître. Giorgione la goûta tellement qu’il la pratiqua toujours, surtout dans ses peintures à l’huile. Ses motifs étaient pleins de richesse et de variété, et son fécond génie lui permettait de répandre dans ses tableaux des effets si suaves et si harmonieux, des choses si vivantes et si fines, que ses plus célèbres rivaux avouaient qu’aucun peintre ne pouvait l’égaler pour le mouvement des figures etla fraîcheur des chairs (3).

Dans ses commencements, Giorgione peignit à Venise beaucoup de Vierges et de portraits.

On peut voir aujourd’hui trois de ces portraits dans le cabinet du révérendissime Grimani, patriarche d’Aquilée. Le premier, dans lequel on prétend que Giorgione s’est peint lui-même, représente David. Ses cheveux tombent sur ses épaules, suivant la mode d’alors. Sa poitrine et ses bras sont couverts d’une armure ; sa main tient la tête de Goliath. Le second, qui est, dit-on, celui d’un général d’armée, a la tête énorme ; sa main porte une barrette de commandeur. Sous son manteau de fourrure, on aperçoit une saye antique.

Le troisième enfin est un enfant de la plus grande beauté, dont la chevelure bouclée ressemble à la toison d’un agneau. Le vénérable patriarche attache un grand prix à ces trois peintures, qui montreraient à elles seules tout le talent du Giorgione.

À Florence, les Borgherini possèdent le portrait de leur père Giovan qui, dans sa jeunesse, se fit peindre par notre artiste ; son précepteur est à côté de lui, sur la même toile. Dans ce double portrait les chairs sont admirablement traitées, et les tons de l’ombre sont de la plus grande richesse.

Dans la maison d’Anton de Nobili, se trouve le portrait d’un capitaine revêtu de son armure. Tête pleine d’ardeur et de fierté, dans laquelle on croit reconnaître un des officiers que Gonsalvo Ferrante conduisit à Venise, quand il y vint visiter le doge.

Giorgione peignit, à la même époque, Gonsalvo lui-même couvert de ses armes ; et le grand capitaine emporta cette inestimable peinture. Giorgione fit quantité d’autres portraits maintenant épars çà et là en Italie ; tous sont de la plus grande beauté, comme le prouve celui de l’illustre doge Leonardo Loredano, que j’ai vu exposé à une fête de l’Assomption, et qui m’a semblé vivant. Il a fait aussi le portrait du beau-père de Giovan da Castel-Bolognese, célèbre graveur en pierres fines et en cristaux, à Faenza. Cette peinture est également pleine d’harmonie et de ressort.

Le Giorgione aimait beaucoup peindre à fresque. Parmi ses nombreux travaux en ce genre, on peut citer toute la façade de Cà-Soranzo, sur la place San-Paolo (4). On y remarque, entre autres tableaux et motifs, un morceau peint à l’huile sur la chaux qui a étonnamment résisté à l’action du soleil, du vent et de la pluie ; tandis qu’une de ses meilleures fresques, celle qui représente le Printemps, a cruellement souffert de l’intempérie des saisons. Je crois que rien n’est plus nuisible à la fresque que les vents du midi, surtout près de la mer, dont le scirocco apporte les sels destructeurs.

En 1504, un grand incendie consuma en entier, près du pont du Rialto, à Venise, le Fondaco de’ Tedeschi, avec toutes les marchandises qu’il contenait. La seigneurie ordonna la prompte reconstruction de cet édifice, et voulut que ses distributions intérieures fussent plus commodes et plus ornées qu’auparavant. L’architecte consulta Giorgione, dont la renommée s’était fort accrue, et le chargea de peindre les fresques, lui laissant le libre choix des sujets, afin que son talent pût se développer sans entraves, dans le lieu le plus beau et le plus fréquenté de la ville. Giorgione commença de suite, et ne s’occupa guère qu’à suivre son caprice et à montrer son habileté. En effet, on ne trouve dans cette peinture aucun sujet qui soit sagement ordonné, ou qui retrace les faits historiques de quelques personnages anciens ou modernes. Quant à moi, je n’ai jamais rien compris à ces compositions, ni rencontré personne qui pût me les expliquer. Ici, un homme a près de lui une tête de lion ; là, auprès d’une femme, on voit un ange ou un amour. C’est un inexplicable pêle-mêle. Il y a bien, au-dessus de la porte principale qui donne sur la Merzeria, une femme assise armée d’une épée, dont les pieds portent sur un géant abattu, ce qui la fait ressembler à une Judith, mais ses regards dirigés sur un Allemand, qui occupe le bas du tableau, me font supposer, s’il faut absolument donner à ce sujet une interprétation, qu’il a voulu représenter la Germanie. Quoi qu’il en soit, il faut convenir que ces figures, examinées isolément, sont bien établies, et prouvent chez cet artiste de réels progrès. Quelques parties de ces peintures, et surtout les têtes, sont d’une exécution ferme, et de la couleur la plus vraie. Giorgione, avant tout, cherchait à donner de l’animation à ses sujets et à n’imiter aucune manière. Le Fondaco de’ Tedeschi est célèbre à Venise, à cause de son utilité et des peintures du Giorgione.

Il fit ensuite un Portement de croix, où l’on remarque l’admirable figure d’un Juif, qui hâte brutalement la marche du Christ. Ce tableau, objet de la vénération des fidèles et qui opère aujourd’hui des miracles, est placé dans l’église de San-Rocco.

Giorgione travailla aussi dans plusieurs endroits, comme à Castelfranco et dans le Trévisan. Il fit beaucoup de portraits pour des princes italiens. Un grand nombre de ses ouvrages fut envoyé dans les pays étrangers. Venise tenait à prouver que si de tout temps la Toscane avait été abondamment pourvue d’artistes distingués, le ciel n’avait cependant ni oublié ni abandonné les pays voisins des monts.

On raconte que le Giorgione, dans le temps que le Verrocchio exécutait son cheval de bronze, se rencontra avec plusieurs artistes qui prétendaient que la sculpture avait sur la peinture l’avantage de montrer une figure de tous les côtés, pourvu qu’en tournant autour d’elle on changeât de points de vue. Giorgione, au contraire, soutenait que la peinture pouvait offrir tous les aspects d’un corps et les faire embrasser d’un seul coup d’œil, sans qu’on eût besoin de changer de place. Il s’engagea même à représenter une figure que l’on verrait des quatre côtés à la fois. Les pauvres sculpteurs se mirent la cervelle à l’envers pour comprendre comment Giorgione se tirerait d’une semblable entreprise.

Il peignit un homme nu, dont les épaules sont tournées vers les spectateurs. Une fontaine limpide réfléchit son visage, tandis qu’un miroir et une brillante armure reproduisent ses deux profils : œuvre charmante et capricieuse qui justifia les prétentions de notre artiste.

Il fit encore le portrait de Catherine, reine de Chypre, que j’ai vu chez Messer Giovan Cornaro.

Je possède du Giorgione une étude, faite d’après un Allemand de la maison des Fucheri, très riches marchands du Fondaco de’ Tedeschi, et quelques dessins et croquis à la plume d’une grande beauté (5).

Au milieu des travaux et des efforts que faisait Giorgione pour mériter de la gloire et en laisser à son pays, il se délassait avec ses amis qu’il réunissait souvent chez lui. Dans une de ces fêtes animées par la musique et les plaisirs, il s’éprit d’une jeune femme. L’un et l’autre se livrèrent avec ardeur à leur amour ; mais, en 1511, sa maîtresse fut infestée de la peste, et Giorgione, toujours assidu près d’elle, ne tarda pas à succomber à la contagion. Il mourut à l’âge de trente quatre ans.

Sa mort affligea profondément ses amis, à qui son grand mérite le rendait cher, et fut une perte pour le monde entier.

Heureusement il laissa deux dignes élèves, Sébastien de Venise, nommé plus tard Frate del Piombo, à Rome, et Titien de Cadore, qui non-seulement égala mais surpassa grandement son maître. Nous dirons combien ces deux élèves du Giorgione illustrèrent notre art par leur science et leur génie  (6).



Plusieurs personnes savantes, entre autres le Boschini[1], ont vivement attaqué Vasari, pour avoir prétendu quee le Vénitien Giorgione avait, toute sa vie, imité la manière du Vinci. Il nous semble à nous aussi, qu’il faudrait s’élever contre cette assertion, si l’on pouvait admettre que Vasari l’ait posée dans toute sa rigueur. Mais on doit tenir compte à cet historien de ce qu’il déclare un peu plus loin, et du palliatif qu’il apporte, en annonçant que le Giorgione observa la nature avant tout, et n’imita aucune manière. Les deux affirmations, également tranchantes, se détruiraient mutuellement s’il fallait les prendre toutes les deux au pied de la lettre ; et le Vasari, en ce cas, resterait coupable d’une inconséquence ou d’un non-sens. Mais nous croyons qu’il n’en doit pas être ainsi : le Vasari inscrit ses remarques à mesure qu’elles lui sont suggérées ; il s’occupe peu à les confronter ou à les résumer. Il raconte plus qu’il ne professe. Et ce n’est pas là le moindre mérite de son histoire : il est plus précieux pour nous, en effet, d’avoir maintenant les trésors d’un abondant chroniqueur que les élucubrations d’un théoricien systématique. Ainsi, au milieu d’une si longue revue d’hommes et d’œuvres d’art, nous comprenons parfaitement qu’il ait dû s’égarer quelquefois, et se contredire souvent en écrivant, sans les relire, ses impressions naïves et rapides. C’est pourquoi, nous consacrant à examiner son livre, nous nous efforcerons plutôt à l’expliquer qu’à le combattre. Alors, au lieu de heurter les deux assertions du Vasari, qui nous occupaient tout à l’heure, nous aimerons mieux chercher à les joindre, pour prouver que l’une et l’autre ont un côté vrai. Ce parti est facile à prendre, et il vaut mieux s’y arrêter que de se passionner, et de discuter longuement, comme Mengs, pour arriver à dire « que le Giorgione, en effet, n’a rien pris au Vinci, mais qu’il doit sa manière au Corrége. »

Pourquoi douter que le Giorgione ait pris quelque chose au Vinci ? est-ce que Léonard n’était pas assez riche pour fournir, et Giorgione assez fort pour prendre ce qu’il fallait au progrès ? n’est-ce pas le droit éminent des hommes forts, de donner à leurs successeurs et d’arracher à leurs devanciers ? Pourquoi faire d’une chose aussi naturelle, aussi généralement observée dans toutes les directions de l’esprit humain, une chétive question d’école et de rivalité ? Le Vinci vient le premier ; le Giorgione voit ses ouvrages et en profite, précisément parce qu’il était fait pour avancer et pour créer. Dans ce sens, le Vasari a été judicieux, et son observation est fondée. Léonard de Vinci, le premier, donne au contour ou forme extérieure, et au modelé ou forme intérieure, cette vérité large qui résume harmonieusement toutes les vérités de détail, et ce caractère général qui exprime tous les aspects particuliers d’une chose. Essayer d’arriver là, c’était entreprendre une tâche immense ; en réaliser un seul exemple, dût-il rester unique, c’était participer à tous les résultats prochains qui devaient éclore sous le travail puissant de ses successeurs. Le Giorgione vient ensuite ; il n’imite pas, il ne reproduit pas Léonard : imiter et reproduire, c’est la part des écoles et des écoliers ; et le Giorgione est un maître. Mais ce que Léonard a fait pour la forme, le Giorgione le fera pour la couleur. Le premier, il va donner à l’objet représenté la grande localité de tons qui absorbera et contiendra toutes les nuances particulières ; la grande ampleur d’effet qui coordonnera tous les accidents partiels. À l’un donc aura appartenu, pour la première fois, l’unité et l’expression de la forme et du plan ; à l’autre, l’unité et la magie de la couleur et de l’effet. Ainsi, du moment que le Vénitien a vu le Florentin, il se place d’emblée à la même hauteur, et, partant de là, procède à ses œuvres originales. Michel-Ange, Raphaël, Corrége, Titien, une fois leur première jeunesse passée et leur apprentissage fait, sont tous partis d’un point identique ; il fallait qu’ils fussent également forts pour s’y placer, également forts pour s’y soutenir. Leur importance absolue est la même ; leur valeur relative dépend du bonheur des circonstances et de la longueur de leurs vies, de leur degré de volonté, du nombre de leurs ouvrages, et surtout des sympathies diverses qu’ils nous inspirent. Mais, pour le progrès de l’art, leurs intelligences sont équivalentes ; ou au moins on perdrait son temps à vouloir porter plus loin cet examen intime.

Presque tous les auteurs vénitiens ou florentins attribuent le progrès accompli par Léonard et le Giorgione à une volonté plus forte d’imiter la nature. Ceci nous semble incomplet ou mal formulé. Ces deux grands hommes ont placé l’art plus haut qu’il n’était, mais ce n’est point à cause d’une plus exacte imitation qu’ils sont arrivés à le faire : le Verrocchio et le Mantègne, le Pérugin et Masaccio n’avaient-ils pas regardé la nature de près, et lutté énergiquement pour arriver à la rendre ? Jean et Gentil Bellin marchaient-ils au hasard ? leurs efforts n’avaient-ils point une base ? Ne cherchaient-ils pas à se rapprocher le plus qu’ils pouvaient de la vérité matérielle ? Qu’y a-t-il donc qui soit moins la nature, par exemple, dans le portrait des frères Bellin que dans celui de Gaston de Foix que l’on voit au Louvre ? Si le regard demandait avant tout un trompe-l’œil, l’épreuve serait douteuse. Si Léonard et le Giorgione ont donné à leurs ouvrages une plus grande valeur, ce n’est pas tant pour avoir reculé les bornes de l’imitation, que pour avoir osé aussi fortement faire passer cette imitation à travers leur personnalité et leur génie particulier. On pourrait dire, sauf la propriété des termes, qu’ils ont exprimé la nature plus encore comme ils la sentaient que comme ils la voyaient ; et c’est là le véritable point où l’art a gagné toute sa taille et accompli sa croissance. Les grands maîtres copient la nature, mais à leur façon. Giorgione et Léonard ont été d’étonnants portraitistes. Pourquoi ? est-ce pour avoir plus servilement que d’autres imité leurs modèles ? il n’en est rien. Chaque tête humaine sur leur toile conserve bien son caractère propre, mais le peintre cependant y a mis quelque chose de son individualité. Ceci peut paraître étrange au premier aperçu, mais les faits sont là : tous les portraits d’Holbein, depuis celui d’Érasme jusqu’à celui d’Anne de Boleyn, n’ont-ils pas tous, à différents degrés, dans leur physionomie, quelques traces de la patience et de la précision du peintre suisse ? Les portraits de Léonard retiennent quelque chose de son affabilité et de la finesse de son esprit. Ceux du Giorgione ont la richesse bizarre et la mâle ampleur de son caractère. Les chairs, l’éclat des yeux, les plans accusés des traits, les cheveux au vent, les cous tendus et brusquement posés, les raccourcis et les plafonnements soudains, les barrettes et les panaches, le velours, l’or et l’acier, devaient se traduire d’une manière inimitable et exclusive par l’ardent jeune homme de Venise. Rembrandt, Vandyck, Reynolds, si le temps et la distance peuvent permettre un tel rapprochement, eussent donné quelque chose de la bonhomie puissante, du calme mélancolique, et de la réserve élégante des peuples du Nord, à toutes ces têtes exaltées et actives de Naples, de Florence et de Venise. Mais quand le Giorgione peint d’une manière frappante le grand Gonsalve, Gaston ou Bayard, ou même les têtes tudesques du Fondaco, il les colore tous au soleil de l’Adriatique.

Les artistes d’un tel ordre et d’une telle trempe sont ceux qui pourraient le plus positivement s’appeler peintres d’histoire, car ils nous lèguent ce que l’art humain peut écrire de plus profond et de plus expressif ; et ils nous montrent encore aujourd’hui leurs contemporains vivant de la vie réelle, et animés de leurs passions. Voilà pourquoi Byron évoque Venise tout entière en contemplant quelques têtes du Giorgione.

NOTES.

(1) Son nom de famille était Barbarelli.

(2) Plusieurs auteurs font naitre le Giorgione un an ou deux plus tôt. — L’État de Trévise ou Marche trévisane appartenait alors à la République vénitienne, ainsi que Verone, Vicence, Padoue, la Bresse, la Dalmatie et le Frioul. — On peut remarquer ici que presque aucun des grands maîtres qui ont illustré Venise n’y est né, les États ont donné à son école le Bassan, le Porta et Jean d’Udine. Le Giorgione et Paris Bordone lui sont venus de Trévise. Le Titien, le Pordenone sont nés dans le Frioul ; les deux Veronese, Alexandre Turchi et Paul Caliari, à Vérone ; enfin, Andrea Schiavone était Dalmate, Jérôme Mutian Bressan, et Palme-le-vieux Bergamasque.

(3) L’exécution du Giorgione est très simple. De Piles fait observer que l’intelligence des oppositions en est le principal caractère. Il faut en effet que le Giorgione possède cette intelligence à un haut degré, s’il ne se servit jamais que de quatre couleurs dans les chairs, comme de Piles l’affirme.

Nous reviendrons sur ce point important dans quelque autre occasion fournie par notre texte.

(4) On raconte que le Giorgione fut le premier qui introduisit à Venise l’usage de peindre la façade des maisons, après avoir imaginé d’orner ainsi la sienne. C’était une mine ouverte aux travaux de la fresque, et cette mode ne fut pas sans influence sur le goùt ornarnental, comme dit Reynolds, de l’école vénitienne.

(5) Le Musée royal possède quatre tableaux du Giorgione. — Salomé recevant la tête de saint Jean-Baptiste ; l’Ex-voto ; le Concert champêtre ; le Portrait de Gaston de Foix, duc de Nemours. On signale comme les plus précieux ouvrages de ce maître : le Christ mort du Mont-de-Piété, et le Sant Omobono de l’école de Sarti, à Venise.

On lui a attribué à tort une foule d’ouvrages. Quelques catalogues ont même été jusqu’à mettre sur son compte une scène du roman moderne de Gil Blas.

Le Giorgione a ét gravé, entre autres, par Van-Kessel, Troyen, Boël, et L. Wossermann (galerie du prince Léopold). On peut voir aussi quelques pièces d’après lui, dans les recueils gravés du cabinet de l’empereur, des tableaux du grand-duc, et du cabinet Crozat.

(6) Quelques auteurs font mourir Giorgione à 32 ans, et racontent autrement la cause de sa mort. Suivant l’un, le Giorgione aurait admis dans son école et comblé de bienfaits Pietro Luzzo, de Feltre ; celui-ci lui aurait enlevé sa maîtresse ; Barbarelli qui aimait éperduement cette femme, ne pouvant se consoler de cette infidélité et de cette ingratitude, serait mort de chagrin. L. Luzzo, de Feltre, appelé aussi Zaratto, d’après un manuscrit sur la peinture d’Udine, et une histoire aussi manuscrite sur les peintures de Feltre, serait le même que le Vasari nomme Morto da Feltro. Ces faits sont peu éclaircis, nous y reviendrons à la vie de Morto da Feltro.

Les principaux élèves ou imitateurs du Giorgione sont : Pietro Luzzo ou Luzio, Lorenzo Luzzi, Sébastien tiel Piombo, Tiziano Vecelli, Giovanni d’Udine, Francesco Torbido, Lor. Lotto, Jacopo Palma, Giovan. Cariani, Rocco Marconi, Girolamo de Trévise, et le Pordenone.

  1. Marco Boschini, la Carta del navegar pittoresco. – Venez., 1660