Vieux manoirs, vieilles maisons/057

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Ls.-A. Proulx (p. 167-169).

LA MAISON PAQUET À SAINT-NICOLAS



V OICI une des plus vieilles et des plus intéressantes maisons de l’ancienne seigneurie de Lauzon. La maison Paquet, construite en deux parties, date du régime français.

Dans l’hiver de 1775-1776, un fort détachement de l’armée de Arnold, immobilisée devant Québec, fut envoyé à Saint-Nicolas pour se procurer des provisions. Les soldats du Congrès s’installèrent dans la maison Paquet, qui par ses proportions semblait plutôt un manoir, et y passèrent plusieurs semaines. La tradition s’est même conservée dans la famille Paquet, très nette, très distincte, que pendant leur séjour à Saint-Nicolas une épidémie se déclara parmi les soldats américains et trois ou quatre succombèrent au fléau. On montre même l’endroit où ils furent enterrés, de l’autre côté du chemin du Roi, à peu près à l’endroit où s’élève aujourd’hui la chapelle de Notre-Dame de Grâces.

Feu M. Alfred Cloutier fait la description suivante de la maison Paquet :

« Le vieux manoir, écrit-il, est aussi solide et aussi propret à l’intérieur et il offre autant de confort que lorsque nous l’avons vu pour la première fois, il y a près de 60 ans, alors que M. Benjamin Paquet y vendait ses marchandises. Nous disons « manoir », parce que les gens ont pris depuis longtemps l’habitude de désigner sous ce vocable cette jolie résidence, ferme et manoir à la fois, qui dénote chez le constructeur un goût prononcé pour tout ce qui procure la joie de vivre au foyer, avec tout le confort possible dont un citoyen à l’aise pouvait s’entourer à cette époque déjà lointaine.

« Le corps de la bâtisse a plus de 90 pieds de longueur. Les salles sont larges et spacieuses, mais le plafond en est plutôt bas, selon la mode du temps, et probablement aussi afin que la chaleur ne se perde pas trop en hiver. Le toit est à pignon et les multiples petites chambres qu’il contient sont destinées au nombreux personnel de la maison toujours occupé aux travaux de la ferme. La longue table, autour de laquelle se range tout ce monde aux heures des repas, nous fait instinctivement remonter aux beaux temps des mœurs patriarcales, où maîtres et serviteurs se reconnaissant égaux devant le Souverain Seigneur, rompaient le pain et buvaient le vin en rendant grâce à celui qui, dans sa munificente bonté, leur accordait le même bienfait.

La maison Paquet à Saint-Nicolas

« Le maître, M. Benjamin Paquet, prenait son siège à la tête de la table, puis venait ensuite, à sa droite, M. Étienne-Théodore, puis les serviteurs indistinctement. La plus pétillante gaîté régnait toujours à ces agapes toutes familiales. Chacun avait son grain de sel et son mot d’esprit qui épiçait la conversation et assaisonnait les gais propos des jeunes… Les appétits étaient robustes comme les gars qui se lestaient l’estomac « jusqu’à la barre du cou », comme disait l’un des convives, non le moins intéressé à trouver l’expression juste. Mais l’ouvrage marchait de pair. Si l’on mangeait abondamment, l’on travaillait fort. C’est à cette table (que tous les gens de la paroisse connaissaient pour s’y être assis sur l’invitation du maître, lorsque sonnait l’heure du repas et que l’on n’avait pas fini les achats) ; c’est à cette table, disons-nous, que l’on mangeait du bon pain de ménage fait de blé seiglé et cuit au four, après avoir été pétri par des mains expertes.

« Pour ma part, lorsque je passais mes vacances au manoir avec mon compagnon aimé, Théodore, qui fut plus tard l’honorable Étienne-Théodore Paquet, je le préférais de beaucoup au pain du boulanger. Et la soupe, dont on sentait l’arome sur le seuil de la maison ! Nous nous rappelons avec plaisir tous ces souvenirs d’antan : les scènes champêtres qui étaient de tous les jours : les grands arbres, en avant du manoir, dont plusieurs existent encore ; les deux canons que nous faisions parler avec enthousiasme les jours de grandes fêtes ; les allées semées de graviers ; le jardin de fleurs ratissé avec le soin le plus scrupuleux, et les fleurs rares dont Madame Paquet était si fière, et dont elle ornait nos boutonnières au jour du départ.

« De tout ce monde, travaillant, bourdonnant comme un rucher d’abeilles, plein de gaîté, d’espérance de projets, il n’en reste plus un seul. Tous, ils sont disparus les uns après les autres. Il ne nous reste plus que leur souvenir toujours cher et les objets qu’ils ont aimés. Sunt lacrymae rerum. »