Vingt-deux jours de captivité/01

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DÉDICACE.



À Monsieur de Villeneuve,
Commissaire de Police à Lyon.


Quid Domini faciant audent cum talia fures.
Virg.


Vous aviez dit que le plus beau jour de votre vie serait celui où vous auriez un mandat d’arrêt contre moi ; ce jour est arrivé et, quoique par vos fonctions, vous dussiez savoir parfaitement que j’étais étranger à l’insurrection du 15 juin, vous en avez profité.

Permettez que je vous dédie cet opuscule où je raconte les Vingt-deux jours de captivité que je vous dois.

Ne croyez pas que je les déplore, je m’en félicite au contraire, car, si grâce à vous, j’ai quelque peu souffert, j’ai appris beaucoup et je pourrai invoquer les paroles de Didon à Énée :

Non ignara mali miseris succurere disco.

Grâce à vous, je sais ce que c’est que ces ignobles caves de l’Hôtel-de-Ville, où le respect de la dignité humaine ne devrait pas tolérer qu’on put mettre même des coupables et que les journées de juin ont vu remplies d’innocentes victimes, ainsi que le témoignent les nombreux acquittements prononcés chaque jour.

Je pourrai donc ajouter quelque chose à ce que j’avais à dire dans mon Astréolégie, sur les arrestations préventives.

Grâce à vous, mais ceci a été indépendant de votre volonté, j’ai pu connaître ce que c’était que le dévouement d’une femme, la tendresse d’un fils, la sollicitude d’un frère[1] ; et la famille, que j’avais défendue instinctivement, a revêtu à mes yeux un nouveau lustre.

Grâce à vous j’ai pu apprécier de véritables amis. J’ai vu aussi que les hommes d’honneur trouvaient toujours un terrain sur lequel ils pouvaient se rencontrer, car j’ai des remercîments à faire à d’honorables citoyens que les luttes politiques m’avaient fait regarder comme des ennemis et qui se sont empressés de solliciter pour moi, non pas une faveur, ce qui n’aurait été digne ni d’eux ni de moi, mais ma comparution devant la justice.

Grâce à vous, j’ai pu me convaincre que la magistrature n’épousait pas les préventions de la police ; j’ai rencontré dans M. Massot, procureur de la République, et dans M. de Fabrias, juge d’instruction, des hommes éclairés et impartiaux.

Grâce encore à vous, j’ai apprécié d’honorables militaires ; je me suis fait de nouveaux amis et je me sens digne de porter le fardeau de la reconnaissance.

Vous voyez donc bien que j’ai raison de vous dédier cet écrit. Je serais ingrat si je ne vous remerciais de tout le bien que vous m’avez fait.

C’est involontairement, direz-vous ; je vous crois, mais l’homme propose et Dieu dispose ; vous vous étiez proposé peut-être autre chose… que voulez-vous ? Il en est de même de moi ; je voudrais vous procurer une gloire égale à celle des Laubardemont, atteindrai-je ce but ? je l’ignore, mais si mes écrits me survivent votre nom vivra avec eux.


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  1. M. Courbier, capitaine au 17e de ligne.