Vingt-deux jours de captivité/02

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PROLOGUE.



Vitam impendere vero.


Malgré la défaveur qui s’attache aux écrits dans lesquels l’auteur se met en scène lui-même, il faut bien que je me résigne à entretenir le public de moi.

Il me manquait le baptême de la persécution, je ne l’attendais certes pas de la République. Sans vouloir exagérer mon importance, je peux croire que ce ne sera pas l’un des moindres griefs qu’on aura à reprocher à la réaction, car cet acte arbitraire servira à la caractériser.

Je suis né à Lyon, le 8 thermidor, an VIII de la République, je puis donc me dire républicain de naissance. J’ai aujourd’hui quarante-neuf ans ; pendant cette longue période je n’ai jamais quitté non-seulement ma ville natale, mais le quartier où je suis né, je suis donc excessivement connu et je voudrais cacher la moindre de mes actions que cela me serait impossible. Ceci répond suffisamment à toutes les calomnies de mes ennemis et en démontre l’absurdité, soit dit en passant.

Ma vie est trop simple et trop uniforme pour que je sois tenté de l’esquisser ; elle se résume toute entière dans quelques opuscules[1] et dans la rédaction du journal l’Écho de la Fabrique, transformé depuis cinq ans en la Tribune Lyonnaise[2]. Mais ce dont je puis me glorifier, c’est que depuis 1815, époque où à peine âgé de 15 ans, je publiai une réponse à Joseph Rey (de Grenoble), je n’ai pas écrit une ligne qui ne soit empreinte des principes de la démocratie, une ligne que je voulusse retrancher aujourd’hui.

Homme de pensée et non d’action, je ne me suis jamais, depuis 1817, mêlé activement à aucune conspiration, je n’ai jamais assisté à aucun conciliabule, coopéré à aucune tentative d’insurrection,

Je suis loin de blâmer ceux qui ont agi autrement, mais j’ai lieu de m’étonner qu’étant toujours resté dans ma sphère d’écrivain et n’ayant jamais donné prise à aucune poursuite judiciaire, tout en ayant écrit dans un sens radical, même sous la royauté, la police ait eu l’idée de me présenter comme un homme dangereux. Par amour propre, je pourrais accepter le jugement de la police ; par respect pour la vérité, je dois protester. Pour être dangereux, il faut être influent et à défaut d’un talent éminent comme écrivain, dont je n’ai pas la folle vanité de me croire doué, il faudrait se livrer à une vie d’intrigues qui m’a toujours répugné.


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  1. On trouvera la nomenclature des principaux à la fin de cette brochure.
  2. La Tribune Lyonnaise, dont le premier numéro a paru le 1er  mars 1845, fait suite à l’Écho de la Fabrique, fondé en 1831 et continué sous les noms d’Écho des Travailleurs, 2 novembre 1833, — 22 mars 1834 ; de Tribune Prolétaire, 21 septembre 1834, — septembre 1835 ; d’Écho de la Fabrique de 1841, 15 septembre 1841, — 5 février 1845.