Vingt-quatre heures d’une femme sensible/Lettre 17

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Librairie de Firmin Didot Frères (p. 65-66).



LETTRE XVII.

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Que vous ai-je donc fait pour me causer tant de mal ? Mon amour, mon âme, ma vie, ne vous ai-je pas tout donné ? Depuis le premier instant où je vous ai vu, ai-je été une seule minute sans penser à vous ? ai-je formé un désir qui ne vous eût pas pour objet ? Si l’excès de ma passion m’aveugle sur ce que je devais faire pour vous plaire, pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? S’il est dans mes goûts, mes manières, mes habitudes, quelque chose qui vous ait blessé, pourquoi m’en avoir fait un mystère ? pourquoi m’avoir privée du bonheur de tout vous sacrifier ? Mes jalousies sont importunes, je le sais ; mais la source d’où elles partent ne devrait-elle pas vous les faire excuser ? Si c’est cela qui vous a déplu, ne devriez-vous pas au moins vous en plaindre ? et c’est ce que vous n’avez jamais fait, souvenez-vous-en bien, mon ami. Peut-être je n’aurais pu me vaincre ; mais j’aurais pu le tenter, et si cet effort eût été au-dessus de mes forces, si j’y eusse succombé, du moins ce n’aurait pas été votre faute, et je n’aurais pas ce terrible reproche à vous faire.

Mais où êtes-vous, que faites-vous, tandis que dans l’excès de mon agitation ma main tremblante trace ces caractères que vous ne lirez peut-être jamais ? Êtes-vous près de madame de B… ? vos yeux sont-ils fixés sur les siens ? lui jurez-vous ?… non, non, cela n’est pas possible. Votre absence, votre silence sont inexplicables ; mais je croirai tout, plutôt que de me persuader que cette femme puisse faire naître une seule émotion dans une âme accoutumée au feu de la mienne.

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